Guerlédan, la vallée engloutie, la langue bretonne aussi !
Allez donc faire un tour au lac de Guerlédan pendant qu'il est encore temps ! Aucun risque de voir surgir« Nessie » le monstre du Loch Ness, ou qu’une armoire bretonne vous éperonne en refaisant surface ! C'est qu' on a retiré le siphon ! On peut marcher sans scaphandre au fond, dans un paysage lunaire. « Un grand pas pour moi, même si c’est rien du tout pour l’humanité » !
Je n’en suis pas encore revenu !
On l’oublie parfois mais la Bretagne c’est aussi un massif. Pas celui des Alpes c’est sûr, mais tout de même le pays a du caractère, et des dénivelés ! C’est le cas dans ce coin d’argoat, situé entre Morbihan et Cotes d’Armor, où les cyclistes doivent parfois descendre de leur machine, pour monter les côtes.
Le Blavet, la rivière locale, si elle brille dans le paysage, n’est connue à tort que des bretons.
Plus loin en aval, à Lanester, elle joue au Mississipi, et s’étale en un large ria fluvial, avant de se jeter dans la mer.
Mais à Mur de Bretagne, jadis, elle se faufilait entre les montagnes de schistes, et se prenait pour le Colorado. C’est cet endroit qu’avait apprécié à sa juste valeur un préfet, tout acquis à la modernité, juste après la guerre de 14. C’est comme ça que l’idée de barrage est née. Bien sûr, cela a du faire rigoler les gens du coin, du moins au début ! Avant qu’ils s’inquiètent sèrieusement. Casser le cours du Blavet, ils n’y croyaient pas ! Ils devaient penser à une blague d’ivrogne, ou de celles que l’on sortait à les soirs de veillée pour se faire peur.
Ce site, c’était une sorte de vallée des rois de la haute Egypte celtique . Le barrage, qui devait entraîner la disparition de ses 17 maisons éclusières, était une chose impensable : La mort assurée du canal de Nantes à Brest, un des poumons économiques de la région.
Le canal : C’était plus de 250 maisons éclusières construites sur 370 kilomètres de canaux, un ouvrage pharaonique qui avait déplacé au propre et au figuré des montagnes, dont une de 4kms de long de 23 mètres de hauteur, le tout à la pelle et à la brouette. Cela avait exigé des prodiges d’ingénieries et d’hydraulique, et coûté la vie à des centaines de forçats, et de déserteurs réquisitionnés.
Il aura fallu plus d’un demi-siècle, entre 1783, date des premières études, et 1842, pour que « le grand projet des états de Bretagne » ne soit enfin terminé. Une allée princière qui pourrait être ajoutée au patrimoine de l'humanité, et qui fait aujourd'hui le bonheur des randonneurs et des cyclistes. Le canal fut inauguré par Napoléon III et l'Impératrice Eugénie. « L'eau coulant dans le canal, comme le sang dans les veines, va stimuler l'industrie car tout va changer par la navigation. »
http://bit.ly/1M00PSi Un peu d’histoire : Le canal de Nantes à Brest
Bien sûr, en 1920, les temps avaient changé, le train avait entamé sérieusement l’intérêt du fret des marchandises par le canal. Et l’intérêt stratégique, qui avait incité Napoléon Bonaparte à se lancer dans cette construction, pour échapper au blocus maritime des anglais avait disparu.
Néanmoins, l’activité économique et culturelle autour du canal était encore considérable. Et on comprend l’émoi de ces éclusiers et de ces mariniers ayant échappé à la boue des tranchées, en voyant une autre forme d’envasement se mettre en place autour de leur vie civile retrouvée. .http://bit.ly/1GGqO0y (Barrage de Guerlédan : Source wilkipédia)
Guerlédan : Son nom vient du village de Guerlédan (du breton vannetais Gouer ledan, le « ruisselet large ») baptisé en référence à la rivière qui s'élargit à cet endroit.
Guerlédan, quand j’étais gosse, c’était une forme d’amnésie, le refus de toute nostalgie. Sans doute devait-il exister des réfractaires, mais les années soixante étaient toutes acquises à la modernité, dans l’oubli de la vieille culture bretonne, et de sa langue étrange, bien plus ancienne que le français, mais dont l’usage était devenu comme une honte pour certains.
Les paysans qui avaient réussi se faisaient construire une maison en parpaing, soit disant « néo-bretonne », avec juste l’entourage de la porte d’entrée faite de pierres de taille.
Le village d’Astérix avait vendu son âme aux romains, et voilà longtemps déjà que les instituteurs, hussards de la république, n’avaient même plus besoin d’accrocher l’écriteau : « Défense de cracher par terre et de parler breton » !
Ah ! Comme ils étaient fiers de leur barrage de Guerlédan, les Bretons. Ce vaste ensemble hydraulique était censé leur donner une petite autonomie électrique. Finalement, bien peu de contestation. Il aura suffi de faire la promesse fumeuse d’un escalier à péniches, jamais réalisé, pour tromper les récalcitrants. L’ouvrage fut inauguré en 1930 .
400 hectares de terres, 12 kilomètres inondés dans cette haute vallée du Blavet avec ses fermes, ses vergers, ses arbres et ses chemins creux, et bien sûr ses écluses.
Il reste quelques témoignages de cette époque, comme celui, bouleversant de madame Simone Le Meur : http://bit.ly/1WgjFpz
Allez savoir si les concepteurs du projet de la centrale nucléaire de Plogoff n’ont pas été encouragé par cette grande soumission au diktat administratif ?
Ce sera une autre histoire, mais pour l’heure, c’était celle de l’inondation :
Qui peut imaginer le grand déménagement, les meubles que l’on met dans les charrettes, les vaches que l’on pousse et qui meuglent, le bruit des sabots tapant la dernière fois les pavés, le grand silence de la nature qui attend, les feuilles qui frémissent à la cime des arbres, alors qu’il n’y a même pas un souffle de vent.
Et l’eau qui monte, centimètre par centimètre, chassant de plus en plus loin le peuple des minuscules. Les mulots, les écureuils, toutes les bêtes à bon dieu, abandonnèrent leurs trésors enfouis aux creux des arbres pour déguerpir.
Les araignées sont restés accrochées à leur toile au cœur des maisons muettes. Les souris n’ont pas suivi non plus. Le chat les laissera enfin tranquille ! Elles ne savent pas. Elles ne sauront jamais, innocentes des choses du ciel et des hommes. Elles dorment encore d’une sagesse millénaire sous les lattes du plancher.
L’eau a léché les murs, s’est infiltrée sous les portes sans frapper. Centimètre par centimètre, elle a réalisé en une heure toute cette lente progression qu’une mère attentive avait notée au crayon, sur un montant de porte : Celle de la taille de ses enfants, année après année, jusqu’à la guerre de 14.
Elle a monté les marches usées, est arrivée au grenier, déterrant les odeurs de paille, puis en deux jours, elle est ressortie par le soupirail du toit, a refermé le couvercle du cercueil.
Sur les premiers coteaux, elle a envahi à gros bouillons féroces toutes ces ardoisières de légende, ces trous percés dans la roche qui faisaient vivre tant bien que mal les mineurs, parfois des enfants, se faufilant dans des boyaux obscures pour extraire l’ardoise bleue..
http://bit.ly/1POQj2S ( Video : Guerlédan, la vallée perdue)
Ce sera la couleur du lac. Comme celui de La forêt de Brocéliande plus à l’est où l’on inventa des légendes de chevaliers la table ronde ! Mais celle ci est en train de naître, sans fée Viviane ni enchanteur Merlin. Bien un mois au moins pour que l’eau arrive enfin au niveau maximum, que les turbines ne se mettent en route, tirant leur profit des choses de la mort.
Finalement cela fera un bien beau site de carte postale. Certains touristes demandent parfois si c’est un lac naturel. C’est vrai en été ces eaux clapotantes et vastes, avec leurs rives arborées, vous font tirer des bords du coté d’un Canada rêvé. Les clubs d’aviron et de kayak se régalent.
Quand j’étais gamin, j’ai souvent tenté de dessiner des paysages comme celui-ci, en usant mes crayons de couleurs verts et bleus, avec les indiens à plume en pirogue, poussant sur leur pagaie.
L’hiver, quand vous vous perdez dans la forêt et que vous voyez tout à coup surgir les eaux sombres, c’est à l’Ecosse que vous pensez. Et tout juste si vous n’imaginez pas en frissonnant voir le monstre Messie surgissant des eaux du loch ! Une beauté étrange nimbe ces lieux, et les vieilles légendes vous travaillent l’esprit.
Les parois schisteuses de falaises se dessinent en ailes de requin, avec des arêtes coupantes, lancées vers le ciel, et on passe du mauve de la bruyère en fleurs au jaune flamboyant des genets, aux premières lueurs du printemps, sans que personne ne pense à une couronne mortuaire posée sur le lac, agrémentée de touffes de fougères.
Il faut bien que la vie se réinstalle, prenne ses aises, comme l'eau du bassin l'a fait. D’ailleurs les enfants d’éclusiers, ou ceux qu'on appelait "les gueules bleues", n’ont pas eu tous besoin d’aller à Paris pour bosser, faire la bonne d’enfant ou se vendre à la tâche. Ils ont trouvé de l'emploi au pays, dans l’agroalimentaire ou grâce au tourisme : Moniteur de voile, animateur, barman, hôtelier, restaurateur, gardien de camping, crêpier, et même fonctionnaire à l’EDF pour les plus chanceux !
« Il faut savoir ce que l’on aime…. » C’est un peu le thème de « la montagne » de Ferrat ici, avec le cidre de la vallée qui ne sera plus tiré.
Tant pis ! C’était une époque qui n’était pas avare en drame, où un coup de pied dans le cul, vous redressait de celui d’avant ! C'était la cellule de soutien psychologique d'alors. On serrait les dents si on en avait encore ! Finalement, c’était toujours un miracle d’être toujours vivant après ces deux guerres.
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Mes parents étaient très fiers de Guerlédan. Ils n’avaient guère voyagé, et possédaient des extases d’enfants, quand ils en parlaient, comme d’une sorte de lac Leman breton. Dans leurs voix, des notes de passion et d’émerveillement que certains n’auraient plus maintenant, en parlant du bout du monde, et de leurs plages soit disant paradisiaques. C'était une époque où il suffisait parfois de changer de commune, entre arvor et argoat, pour se sentir à l'étranger.
Mon père était originaire justement du pays d’à coté, un village qui avait fait fortune en se lançant dans l’industrie du tissage. Au grand siècle breton, le chanvre et le lin étaient les deux trames du succès, et les voiles bretonnes, cet or blanc, étaient appréciées de tous les armateurs, de Lisbonne à Anvers. Ce furent des maîtres voiliers bretons qui équipèrent pour l’essentiel, le grand armada espagnol.
Qui se souvient de cette gloire, que ce pays avait été un pôle économique, une sorte de suisse Atlantique, avant que Louis quatorze ne la ruine, transformant la Bretagne en cul de sac, en marché fermé.
A cause d’un mauvais traité du roi soleil ! Mais un soleil noir que ce roi !"Du" , pour signifier cette couleur en breton, et pour nommer aussi le mois de novembre ! Un premier barrage économique avait donc ruiné le pays, ses exportations, condamné ses armateurs et ses ports aussi puissants que ceux des pays de la Hanse. Qui se souvient qu’à Anvers, au seizième siècle, les trois quarts des navires étaient Bretons, et que Penmarc’h était le premier port d’armement européen ?
Mais tout cela était bien retombé ! Notre pauvre duchesse Anne s’était bien fait avoir ! Tout ce qui était resté de l'or blanc des conquérants avait été investi dans les chapelles, les calvaires et les ossuaires, dans ce baroque merveilleux et naïf, qui étonne étonne toujours autant le voyageur.
C’est qu’on n'avait pas regardé à la dépense pour faire plaisir à dieu ! Mais celui-ci avait bien mal récompensé ses fidèles ! Ce n’était plus qu’un pays de misère dont les parisiens se moquaient autant que de sa langue, aussi vieille que le granit des menhirs. Pourtant le pays continuait à tromper son monde, et la moindre servante, les jours de pardon, endossait un habit de lumière à rendre jalouses les reines ? On y célébrait les saints irlandais évangélisateurs, ceux qui avaient traversé l'océan, sur des vaisseaux de pierre larges comme des menhirs.
Les gens de passage qui ne connaissaient rien à l'histoire de ce pays du bout des terres mais si près de l'océan immense, s'interrogeaient sur tous ces Macha Picchu de granit sculpté. Il y avait là tant de richesse dans les bannières, les costumes brodés d’or, la coiffe des femmes, et la pierre de dentelle ouvragée, que c'était une grande discordance, avec ce pays si pauvre et reculé.
Les chapelles étaient si grandes dans le moindre village, qu'on aurait dit parfois des cathédrales.
Leurs ossuaires macabres faisaient frémir, et les calvaires arboraient des outrances païennes, avec ces saintes vierges qui accouchaient parfois au pied de la croix.
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Mon père avait appris à nager tout seul dans la rigole d’Hilvern en gardant les vaches, laissant ses sabots cinq minutes dans l’herbe, le temps de se noyer ou d’apprendre à flotter.
http://bit.ly/1N5pCoQ : La rigole d'Hilvern est devenue un atout touristique
Encore une curiosité cette rivière, un goulet artificiel de 62 kms et construit pour maintenir la pression hydraulique du canal de Nantes à Brest.
Dans le temps on appelait cette région « la Sibérie bretonne » en raison du peu de chemins qui le desservait Si le canal fut vécu comme un vrai désenclavement, le lac de Guerlédan projetait lui aussi toutes les promesses de la modernité.
J’en avais entendu parlé depuis longtemps, des toilettes en grand du barrage. Par trois fois ils avaient fait la vidange des eaux pour de longues opérations d’entretien et de réparations sur l’ouvrage. La première fois en 66, la seconde fois en 74, et puis en 85. Nous voilà en 2015 et il se pourrait bien que ce soit la dernière fois qu’on exhume le grand cadavre en long . Les progrès de la maintenance et de la robotique semblent condamner à l’avenir cette opération.
J’ai été long à me décider. Il a fallu que j’attende les derniers moments, juste avant la remise en eau. Comme s’il y avait quelque inconvenance à aller la bas ! Et à quoi bon, me disais-je, se perdre au milieu de la vase, casser le souvenir des eaux bleues, réouvrir le couvercle du cercueil, déranger les fossoyeurs qui nettoyaient la crypte ?. C’était là des pudeurs que ne partageaient pas la plupart des Bretons, tout à la leur affaire ! http://bit.ly/1N5Tr8O
J’avais vu la manchette de Ouest-France. C’était là bas tous les dimanches de joyeuses processions d’étonnés auxquelles il ne manquait sûrement que le chant des cornemuses, pour se mettre totalement en émoi !
Le pays s'étourdit depuis longtemps de ses grandes marches, semées de religiosité et de bondieuseries, d'extases, d'impatience, et de trémulation. On compte ici autant de saints fondateurs prônant l'élévation de l’âme que de champions cyclistes amoureux des côtes, ayant souffert eux aussi cent martyrs ! Tout ce beau monde à la poursuite du Saint-Graal !
Forcément, on ne sait jamais ce que cela va donner, de la prière ou de la révolution, et les signes de croix prennent vite le chemin des coups de poings !
C'est un drôle de peuple de pèlerins, propre à se faire abuser ou à étonner, qui descendait depuis le printemps en procession dans la cuvette de Guerlédan.
Et certains j’en suis sûr par ce dimanche une semaine d'avant le jours des morts, allaient prendre de l'avance, réciter des prières, ou penser au miracle de la mer rouge qui s’ouvrait sur le peuple élu.
Les pays du présent se potentialisent avec ceux du futur, et ceux qu’on dit morts marchent tous les jours à vos cotés, même si l’on tente plus ou moins de leur faire barrage.
http://bit.ly/1GvtGOi :Le plus grand lac de Bretagne est à sec (France info)
Je ne sais ce que Vialatte aurait pensé de ça, en arrivant sur le bord de ce cratère vide, comme un volcan d’auvergne éteint, lui qui avait donné sa définition de l’autochtone.
" ....Ou alors allez en Bretagne, puisqu’il faut aller en vacances. C’est une race prodigieuse, ils ont inventé le lit clos. Et c’est pourquoi ils naissent dans des placards, vivent en mer et meurent dans l’alcool. A moins qu’ils ne meurent en mer et vivent dans l’alcool. Il leur arrive pourtant de mourir dans un placard. Comme ils sont nés. Mais un placard plus grand. Parce qu’ils ont grandi entre temps. Tels sont les mœurs étonnantes des Bretons… »
J’ajouterai que le Breton aime bien la mort, le beurre salé, les galettes à l'andouille et le mont saint-Michel, qu’ils ne pardonnent pas aux normands d’avoir récupéré ! Et puis la vase, naturellement, ainsi que les rassemblements de toutes espèces : Les fest-deiz, les fest noz, les pardons, les courses cyclistes, les parades, et même les enterrements.
Ils tiennent leurs morts à l’œil, et font au moins autant confiance à leurs émotions qu’à leur intelligence pour éviter qu'ils ne se réveillent.
C’est pour ça que Guerlédan à sec les fascine. Ils y trouvent une humidité propice à développer leur imaginaire fertile
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Jusqu’à là j’ai écrit assez vite, mes deux mains sur le clavier ont progressé sans problème. C’est qu’ils étaient encore en pays connu ! Maintenant il n'est pas dit que des forces obscures s'emparent de mes doigts comme elles se sont emparées la bas de mon esprit. C’est une sensation étrange qui vous pénètre quand vous vous enfoncez en ces lieux obscurs où il faut vous déshabiller de votre intelligence habituelle, pauvre bouée crevée qui ne vous servira pas à grand chose pour avancer au pays des ombres !
Premier étonnement, c’est de constater que la vie en quelques mois, à recommencé à coloniser le fond du lac. La vase luisante s’est fait oublier. Les verts et les ocres, les terres de sienne et les couleurs de terre brûlée, ou indigo, explosent dans un déluge de feu de dieu.
Nous voici sur l’ancien chemin de halage menant à la maison éclusière en ruine que l’on devine au loin. Des arbres fantomatiques continuent à se dresser dans une prairie rouge, aux couleurs saturées, presque un siècle encore après leur immersion.
Je pense à des choses confuses, aux personnages des calvaires de granit couverts de lichen, à une ambiance de rêve, un de ceux dont on se rappelle avec grand mal au réveil ; à cet Orphée parti chercher son Eurydice aux enfers.
Qu’est-il arrivé ici ? Je ne sais plus la cause de cette catastrophe aberrante, semblable à celle dont je lisais naguère la description dans les livres de science fiction. Sommes-nous dans le futur ou dans le passé ? Même si j'ai imaginé des images, je n’ai jamais envisagé que ça pouvait être ainsi ! Même en ayant lu « La route », ce livre crépusculaire de Cormac Mac Carthy. http://bit.ly/1Whi5ny
Voir Guerlédan vidée de ses eaux est une expérience forte, et les paysages qui se déploient sont tout autant développés à l'extérieur, qu'à l'intérieur de nous. C'est peut être ça, un lieu de mémoire : Un endroit qui au-delà des mots vous saisit, vous met en présence de l'ineffable.
Est ce là, près de ce haut rocher, la barque du vieux Charon, qui menait les ombres errantes au pays des ténèbres. Mais de quel droit cette végétation têtue a t’elle décidé de reprendre ses aises, composant un tapis vert, un green de golf pour les poissons, au-delà de toute logique ? Personne ne lui a donc dit que les jours sont comptés, qu’elle doit être folle d’agir ainsi !
Mais il y a trop de contrastes aveuglants, de lumières somptueuses, froides et tranchantes comme dans un tableau de Turner, pour que cet endroit accepte de rentrer dans une case, une tombe qu'on pourrait fleurir.
Et puis qu’est ce que la mort ? Il faudrait demander à l’ankou justement qui passe incognito, des lunettes de soleil sur le nez, qui fait des photos comme un parfait touriste en vacances, et même un selfie, pour mieux tromper son monde. Que savons-nous de toutes ces manigances, et de ces pas de danse, pour nous entraîner comme si de rien était sur le bord du vide ?
J’étais bien bête d’avoir rêvé de ne rencontrer personne, d’avoir voulu être seul en ces lieux, comme si je visitais le mont saint Michel ! On pourrait ici l'enfouir, mais à l’envers, la pointe en avant, l’ange Gabriel s’enfonçant dans la vase comme la figure de proue d'un vaisseau fantôme. C’est vrai, beaucoup de gens sont venus ici, en ce jour crépusculaire et ensoleillé d’automne.
Et à marcher avec eux, on se croirait un peu dans une église où l’on pourrait rire, et s’extasier de la lumière qui descend des vitraux. J'ai améné notre pique-nique dans un panier d'osier, à l'ancienne, et les promeneurs me regardent amusés, me demandent si la récolte de champignons a été bonne. En certains lieux, il est bon de donner prétexte aux autres de vous aborder. Et il est vrai que nous sommes sans cesse ce que les lieux nous font !
Les gens ont ils tous éteints leur portable, ou ne capte t’on pas en cet endroit ? Même les jeunes n’ont plus l’oreille ou les yeux collés à cette prothèse.
C’est que d’étranges frissons vous parcourent. On ne sait d’où elles viennent, on ne sait où elles vont. Il y a ici un réseau tellurique venant d’un opérateur inconnu, et qui émet en pirate pour ceux qui écoutent qui déploient leurs antennes.
Une vieille borne kilométrique est restée plantée comme un vieux menhir, continuant d’indiquer la route, entre Nantes et Rennes, via le canal, fidèle à ses principes.
L’écluse, apparaît tout autant intacte. Même si elle a renoncé depuis longtemps à retenir quoi que ce soit, débordée par les 55 millions de mètres cubes d’eau qui passent dans son ciel habituel comme une horde de nuages, avec ses vols de poissons argentés.
Tout de même, elle a gardé toute sa fierté minérale et son front de pierres compactes, parfaitement scellées. Les joints n’ont pas bougé. La main puissante d'un homme la caresse. Un beau travail tout de même que faisaient ces forçats.
Le Blavet qui a retrouvé son cours initial, l’espace d’un été, est revenu tout petit garçon au fond du lit, entre les jambes ouvertes de l’écluse, comme au bon vieux temps maternel !
La maison éclusière n’est plus qu’une ruine à ciel ouvert. Certains ont écrit leurs noms sur les décombres. Une petite fille est toute contente de voir son prénom « Léa », inscrite tout en haut du fronton, comme s’il y avait là un signe des dieux.
Un vieux four à pain est toujours là, presque indemne, et comme un garçon monte dessus, son père lui dit de descendre immédiatement, car il risque d’endommager l’ouvrage.Et on ne sait pas si on peut rire de cela, ou s’émerveiller d’une si beau conseil, d'une si belle prévenance ! C’est une grande curiosité de tous, pour les choses du fond, et du haut, qui règne en ces lieux, une sorte d’esprit fait de communion et de respect. Qui oserait casser une des branches d’un arbre, dressées vers le ciel, pourtant si minces parfois qu’on se demande comment elles tiennent, aussi fragiles qu’une dentelle pétrifiée par le froid.
La vie finalement ne tient pas à grand chose. Comme dirait Schopenhauer ou je ne sais qui, dont je mets le nom en avant pour être pris vraiment au sérieux. Pour que la vie soit meilleure, ajoutons-y du respect, l’attention, la mémoire, la culture, l’un ouvrant ses écluses vers l’autre, dans cette mécanique savante des fluides.
Les écluses, on n’en arrive jamais à bout. J’adore leur chemin de bassins construits sur une logique sans faille, les coups de manivelle de la gardienne, les explications des parents à leurs enfants regardant les péniches monter et descendre, avant de glisser sur l’eau, aériennes.
J’ai toujours aimé les rivières éclusières, les fleuves impassibles de Rimbaud, les canaux extatiques et souriants, toute cette alliance savante de la nature et de l’homme, qui rendait une certaine harmonie et un équilibre consenti de l’un vers l’autre ; en de savants échanges.
J’ai toujours aimé les paysages aimables et domestiqués, où il fait bon d’amener son panier de pique nique à l’heure du midi, et s’allonger dans l’herbe.
Bien sûr, en toute choses, il faut des couloirs à poissons, qui permettent l’exode fabuleux des saumons et des esturgeons.
Qu’ils aillent se reproduire dans le fleuve amour, avant de revenir au pays, l’esprit riche de sagesse et de raison, pour le reste de leur âge, comme dans le beau poème de Maxime Du Bellay.
Pour les barrages, c’est une autre histoire. Il apparaissent comme des diktats absolus, des frontières intangibles, qu’elles finissent par détruire la vie et ses mouvements naturels.
Au café du commerce, à Mur de Bretagne, les cartes postales ont lentement tourné sur le présentoir. Du noir et blanc, aux fil des années, elles sont passées au technicolor, avant que les clients se fassent plus rares. Bientôt on n’en vendra plus. Les gens n’écrivent plus. Il semble que la pratique se perde.. Peut être que les portables et tous ces SMS, ont fait eux aussi office de barrage et changé les pratiques séculaires.
C’est comme la vieille langue bretonne. Encore une histoire de barrage en béton qu’on a posé un jour dans la vallée, avec la consigne de ne laisser filer qu’un filet d’eau !
Si on faisait la vidange, l’expertise, on verrait encore de belles choses qui ne demanderait qu’à repartir. Alors on démonterait l’ouvrage de béton qui la retient, et on reconstruirait ce lent chemin d’écluses, qui permet de monter d’une culture à l’autre.
Une langue, c’est la musique d’un peuple, et s’en estropier c’est se condamner à ne plus bien danser, à perdre un peu le sens de l’histoire, à se laisser submerger par les eaux
.L'éternelle querelle des langues régionales (source : Le journal Libération) :« Nos voisins européens s’appliquent à sauver leurs langues lorsque nous les laissons mourir, quand nous ne les aidons pas à mourir », accusent Urvoas et le patron des députés PS, Bruno Le Roux, qui ont fait voter une proposition de loi sur la charte européenne des langues régionales en 2014 : ils citent la bonne santé du catalan et du basque côté espagnol ou du gallois, quand "la survie du breton est menacée".
A ce jour, vingt-cinq Etats ont pourtant ratifié cette charte, dont dix-sept membres de l'Union européenne. Huit autres l’ont signé mais n'ont pas encore procédé à la ratification, dont deux membres de l'Union européenne : la France et Malte http://bit.ly/1O57Aoe
Ainsi, si grâce à l’Espagne, le basque est reconnu, et si d’autres langues minoritaires comme le romani, le ruthène, l’aragonais, le lapon, le yiddish, le tatare le sont aussi, comme tant d’autres, le breton, seule langue non latine de notre pays, et dont les racines celtiques sont les mêmes que notre vieux gaulois, est toujours considéré comme une curiosité de seconde zone, à qui il faut faire barrage. http://bit.ly/1XwiKUK
Le journal Libération avait bien raison d'être dubitatif : L’affaire a été vite expédiée. Un après-midi de discussion au Sénat, ce mardi, puis la droite, qui y est majoritaire, a fait voter une motion de procédure pour couper court au processus de ratification de la charte européenne des langues régionales. Eloignant, au passage, la perspective d’un Congrès à Versailles et d’une réforme constitutionnelle sous ce quinquennat. Ce qui semble ravir d'ailleurs la plupart des élus de tous bords. http://bit.ly/1N7i592
Pas un mot dans les médias ou si peu, sur les manifestations qui se sont déroulées en France à cet égard C'est une chape de plomb, un silence assourdissant quand on parle des langues régionales . A ce propos il semble bien que nos politiques de tous bords communiquent entre eux par le langage des signes, et nous réservent un bras d'honneur.
Il est triste de constater, que, dans un pays qui se gargarise de patrimoine et de droits de l’homme, on fasse tout pour pousser sous le tapis de l’histoire ce haut sujet sensible, pourtant bien le lieu de rencontre de ces deux valeurs.
Quand la langue bretonne sera définitivement morte, on la fera entrer dans un écomusée. Puis on installera à grand frais un administrateur parisien à sa tête. Des subventions pleuvront pour ériger quelques hardies œuvres contemporaines dans le parc de la fondation : Mur des lamentations Bretonnes, accumulations de menhirs en stuc, ou quelque vagin de la reine, comme on en voit à Versailles, pour nous montrer leur cul ! Tout cela pour nous signifier qu’ils s’occupent bien de nous, et savent ce qu’il convient d’aimer et de faire, et surtout dans quelle langue le dire !
Mais à quoi ça sert de se lamenter, je vous le demande ! Mieux vaut faire barrage aussi à sa colère à ses sentiments si l’on veut survivre.
Et mettre un bâillon sur la bouche, s’indigner sur les vrais sujets d’actualité, être de son temps comme on disait dans le temps, dans la langue qui convient à ces bons messieurs de Paris !
« Il n’est de bon bec que de Paris ! » Comme disait jadis François Villon .http://bit.ly/1KCVWsX
Ah, vite, que l’eau remonte, pour que l’on continue à ne rien voir, et qu’on puisse continuer à faire du pédalo sur les eaux du lac de Guerlédan, faisant des ronds, comme ceux des chapeaux Bretons !
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