« La journée de la jupe », une terrible fable sur la folie contrôlée... de l’Éducation nationale
On s’était risqué à lire le film de Jean-Paul Lilienfeld, « La journée de la jupe », au prisme de sa bande annonce (1). On y avait vu une farce sarcastique sur la tentation vénéneuse de répondre par la violence au désordre de l’École. Maintenant qu’on a vu le film, diffusé sur Arte, vendredi 20 mars 2009, l’impression donnée par cette bande annonce est-elle vérifiée ? Non, car la part de farce sarcastique qu’elle met en avant, n’est qu’une composante homéopathique de la fable tragique qu’est ce film sur la folie contrôlée… de l’Éducation nationale.
Un comique burlesque marginal
Sans doute la farce sarcastique demeure-t-elle par l’inversion des rôles habituels et la distorsion trop voyante entre ce qui est et ce qui devrait être. Cette fois, ce sont les élèves incultes qui sont à plat ventre et non plus la professeur, dans une image symbolique de la soumission absolue. Et, qui plus est, c’est une jeune femme qui tient en respect ces jeunes mâles habitués à l’injurier et à l’intimider : le symbole est tout aussi criant. La bande annonce privilégie ces scènes burlesques où la jeune femme met un coup boule - comme au foot, dit-elle - au voyou qui l’agresse en l’envoyant « niquer sa mère la pute », et où un cours peut enfin se dérouler, après une demi-heure de désordre, mais seulement un revolver au poing de la professeur.
Ces scènes burlesques sont en elles-mêmes des métonymies efficaces pour dénoncer par le rire l’état de démoralisation d’une École à la dérive où les incultes dictent leur loi de la jungle, l’autorité légitime est bafouée et l’acte d’enseigner, rendu strictement impossible. Replacées dans le contexte de l’ensemble du film, sans doute ne nuisent-elles pas à sa compréhension, mais elles ne sont qu’une partie infime d’une fable dont le contenu tragique suscite non le rire mais l’effroi.
Les symboles des divers personnages
Comme toute fable, la stylisation de l’action et des personnages vise à écarter tout détail anecdotique pour atteindre à la représentation totalisante du symbole. Chaque élément du film est donc choisi pour sa puissance symbolique. La mise hors-contexte donne à l’histoire une portée générale. Du collège, on sait seulement qu’il se trouve dans une banlieue quelconque, à en juger par la forte proportion des ethnies originelles représentées, l’indiscipline des élèves jusqu’à la délinquance, leur langage argotique sommaire et leur intonation.
En face d’eux, on ne trouve que des « professionnels » qui ne sont pas à la hauteur de leur mission : ce sont des incapables, des démagogues ou des démissionnaires.
1- L’incapable est d’abord la professeur Sonia Bergerac, elle-même, jouée par Isabelle Adjani ; elle ne sait manifestement pas conduire une classe : l’entrée en cours est une foire indescriptible ; elle hurle ses appels au silence de façon répétitive et en pure perte ; elle ignore la procédure d’exclusion ponctuelle d’un élève en cas d’infraction aux règles de la classe : elle somme deux élèves, par exemple, de se rendre seuls chez le principal.
2- Parmi ses collègues, on rencontre le démagogue humanitaire qui parle d’un simple malentendu quand, le visage en sang, il vient de se faire casser la gueule, le démagogue calculateur qui se promène avec un Coran dans le sac comme paratonnerre pour calmer la meute musulmane, le démagogue démissionnaire qui, renonçant à la laïcité, reproche à sa collègue Bergerac de ne pas respecter « le contexte » - euphémisme délicat pour désigner le sexisme viscéral des élèves - et de faire dans la provocation en osant se promener en jupe.
3- C’est exactement le point du vue du principal, plus vrai que nature dans son insignifiance, comme la hiérarchie les aime et les coopte, parfait rond-de-cuir irresponsable qui n’a jamais pris les mesures pour faire respecter l’ordre public dont il a la charge, et éviter d’en arriver à cette crise. À sa décharge, il n’est qu’un des « tubes » du vaste système de « vases communicants », comme il dit, que l’Éducation nationale a organisé entre les établissements pour ne pas éradiquer la gangrène de la délinquance, voire pour l’entretenir : les élèves exclus passent de l’un à l’autre au moins jusqu’à 16 ans, âge limite de la scolarité obligatoire. Alors, dit-il, plutôt que de recevoir en échange des voyous qu’il ne connaît pas, il préfère ne pas exclure ceux qu’il connaît bien.
Et puis surtout il ne veut pas, par des exclusions d’élèves, donner à ses supérieurs une mauvaise image du collège qui nuirait à sa carrière. Au plus fort de la prise d’otage, le monsieur ne trouve rien de mieux que de se tirer : est-il symbole plus effrayant de la démission folle de la hiérarchie administrative ? Oui, on le verra plus loin avec la ministre venue elle-même sur place superviser les opérations policières.
Le symbole du révolver
Quant au symbole de la violence qui dévaste ce collège, il prend la forme d’un révolver tombé par hasard d’un sac. Entrer au collège avec une arme est aussi banal qu’y venir avec ses livres et ses cahiers. C’est justement de l’altercation qui s’ensuit pour sa récupération que provient la prise d’otage par la professeur après qu’elle s’en est emparée. Les scènes burlesques qui pimentent la suite, ne sont que de rares poses au début de la tragédie qui s’annonce.
Celle-ci naît d’un constat avec preuves à l’appui de l’incompatibilité de la morale archaïque des élèves présents à l’esprit bloqué, comme un ordinateur peut l’être par un virus, avec la morale de la société de la connaissance que l’École est censée représenter.
À leur décharge, le formalisme stérile du savoir que leur diffuse la professeur de Français avec son prétendu cours sur « Le Bourgeois Gentihomme » de Molière, n’est pas de nature à les convaincre de l’importance du savoir pour leur vie future. Dans leur entourage, ils en ont l’expérience quotidienne, l’inculture n’est pas un handicap : l’argent, « la thune » comme ils disent, ne se mesure pas à la culture, mais à la violence qui est un raccourci plus sûr pour en avoir.
Le symbole du viol collectif
L’École publique laïque n’a pas sa place dans leur « plan de carrière ». Elle constitue même un obstacle, car elle heurte de plein fouet leurs préjugés sexistes, ethnistes et religieux, les uns renforçant les autres. Le mépris de la la femme - devenue l’infâme « meuf » dans leur sabir - est le foyer de pestilence qui infecte toute leur représentation du monde ; ils y tiennent dur comme fer, tirant leur certitude d’une croyance religieuse ancestrale qu’ils placent au-dessus de tout : la femme est « une pute » si elle n’est pas soumise à l’homme.
Plusieurs symboles de ce sexisme radical sont égrenés au cours de la prise d’otages : le refus des mâles de s’asseoir à côté d’une jeune fille, « par respect », osent-ils dire dans une incroyable inversion du sens du mot. Car qu’entendent-ils par ce mot de « respect » ? Une fille en jupe et non couverte de la tête aux pieds est « une pute » ; les mâles ont le droit de coïter à tout va, mais une fille non, sans être « une pute ». Un événement en apporte la démonstration. Il est découvert à l’improviste grâce aux fameux portables-photographiques dont ces malheureux sont tout de même prioritairement équipés : y ont été conservées les images d’un viol collectif auquel ont participé des garçons de la classe. Par SMS, la professeur les dénonce aussitôt à la police comme il se doit, et compromet le caïd de la classe auprès de ses complices en le présentant comme le dénonciateur ; elle veut protéger ainsi la jeune fille qui lui a livré l’information.
Le symbole de la prise d’otages par les souffre-douleurs
Deux autres actes symboliques se succèdent alors. À l’occasion d’un piège tendu par le caïd, la professeur perd le revolver qui change de mains. Il tombe d’abord dans celles d’une élève : elle braque alors ces mâles et en profite pour leur cracher à la figure toute le dégoût depuis longtemps accumulé qu’ils lui inspirent. Puis c’est au tour d’un garçon de s’emparer de l’arme : c’est le plus frêle de tous, on devine qu’il en est le souffre-douleur. Provoqué par l’un de ceux qui le maltraitent habituellement, il l’abat. Le revolver a inversé les rôles : dans la jungle, c’est ainsi, c’est la loi du plus fort qui s’impose. De ce point de vue, juste retour des choses ! Quand les policiers, travestis en journalistes, font irruption, la professeur revendique alors le crime à cor et à cri pour protéger son auteur : elle est à son tour froidement abattue sans sommation ni raison apparente par une arme dissimulée dans une caméra.
Le symbole de l’exécution de Sonia Bergerac
On ne saurait trouver meilleur symbole de la conduite d’une société qui élimine par tous moyens ses membres les plus fragiles, ou maillons faibles, symptômes insoutenables manifestes de sa propre folie pathogène : pour les uns qui ne sont pas conformes à son anormalité qu’elle érige en norme, ce peut être la psychiatrisation. Pour d’autres qui réagissent pourtant, comme Sonia Bergerac, de la seule façon qu’impose la loi de la jungle où on les a enfermés, c’est l’exécution en règle. Sa revendication ne peut être, en effet, entendue, tellement une société folle avec ses dirigeants ne peut que la trouver démente. C’est précisément le jugement émis par la ministre, elle-même en pantalon, quand elle apprend que la professeur demande que soit organisée, chaque année, dans les établissements scolaires « une journée de la jupe ». Les femmes n’ont-elles pas mis des siècles à pouvoir s’habiller en pantalon ? Il y a cinquante ans, le port du pantalon n’était-il pas encore interdit dans les établissements ?
Le symbole de la jupe est bien choisi pour mesurer l’abîme d’incompréhension entre cette professeur et une administration qui « ne veut pas savoir » que dans ses établissements scolaires des élèves à la morale archaïque en sont à voir une pute dans une femme qui porte une jupe. Des siècles de développement culturel séparent ces élèves et les professeurs qui leur font face : comment peuvent-ils se rencontrer ? C’est impossible. Quant au pouvoir politique et administratif, il ne veut ni ne peut davantage entendre une Sonia Bergerac, dont la conduite à la fois rationnelle et provisoirement irrationnelle le renvoie à sa propre folie où il s’est réfugié confortablement dans une dénégation obstinée de la réalité et qui est précisément la cause directe de l’égarement momentané de la jeune femme.
L’École publique, non plus « entre les murs », mais au pied du mur
On peut trouver ce film désespérant. Mais c’est la réalité qui l’est : l’impasse tragique où s’est fourvoyée l’École en renonçant à sa mission. « La journée de la jupe », en effet, n’offre pas de solution. Ce n’est déjà pas si mal d’être débarrassé de la guimauve démagogique à la sauce du film « Entre les murs ». À défaut de pronostic et de thérapeutique, cette fable livre du moins un diagnostic qui fait voler en éclats les stéréotypes.
1- L’École publique est devant un choix. Elle est aujourd’hui le lieu de collision frontale entre deux morales sociales incompatibles :
- l’une venue du fond des âges postule l’inégalité en droit de la moitié du genre humain, les femmes, au nom d’une loi religieuse qui régirait l’État, et, pour un assouvissement immédiat de ses pulsions, prétend à l’hégémonie en sachant très bien s’emparer des outils technologiques que sa propre logique irrationnelle aurait été bien incapable d’inventer. S’il existe un raccourci en matière technologique, il ne semble pas – hélas ! - que, pour les mentalités, il y en ait un qui permettrait à tout un groupe de rattraper magiquement en quelques années des siècles de retard culturel.
- L’autre morale est celle de la société de la connaissance que devrait personnifier l’École. Elle repose sur l’égalité des hommes et des femmes, la séparation laïque de la religion et de l’État, et la transmission du savoir pour une humanisation toujours plus grande des relations sociales.
2- Mais autorité politique et administration « ne veulent rien voir ni savoir ». Elles nient le désordre tant qu’elles ne sont pas elles-mêmes directement affectées. Mais, lorsque, comme Sonia Bergerac, une professeur leur met le nez sur leur fumier, son exécution gratuite immédiate symbolise la seule défense dont ces autorités soient capables ; sinon il leur faudrait reconnaître leur propre folie, regarder la réalité en face et tenter d’y remédier. C’est rigoureusement impossible, surtout si le désordre du service public est fort utile puisqu’il permet de hâter la privatisation de l’Éducation tant convoitée par le pouvoir ! En fin de compte, pas si folle la guêpe ! Elle sait contrôler sa folie.
Il est , en outre, un signe qui ne trompe pas. Le ministre-inspecteur général Darcos, on s’en souvient, avait salué en mai 2008 le film « Entre les murs » et sa palme cannoise comme un hommage à « tous les enseignants de France » ! Sauf erreur, « L’année de la jupe » ne lui a pas inspiré la même folie. C’est bien la preuve de la pertinence de ce film. Paul Villach
(1) Paul Villach, « "L’année de la jupe" avec Isabelle Adjani, ou la tentation vénéneuse de répondre par la violence au désordre de l’École », AGORAVOX, 17 mars 2009.
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