Le centrisme : une aporie comme fait politique majoritaire ?
Le centrisme : une aporie comme fait politique majoritaire ? Dans la course à l’Elysée il est maintenant pratiquement acquis que le leader centriste ne sera pas présent au second tour laissant ses deux concurrents S. Royal et N. Sarkozy en découdre et que l’espoir de F. Bayrou d’ être le chef centriste d’une majorité présidentielle est fort compromis. Pourquoi ? J’y vois cinq raisons : 1/ la sous-estimation de J.-M. Le Pen dans les sondages d’opinions. 2/ le brouillage du clivage droite/gauche qui fragilise le positionnement politique centriste d’autant plus qu’une partie du centre (du moins le centre-gauche) est occupé par le Parti socialiste devenu social-démocrate sur l’impulsion transformatrice de S. Royal. 3/ le centre comme chimère politique : entre illusion et fiction, le centre ne peut être structurellement et historiquement, dans le mode de scrutin actuel, qu’ un parti charnière ou une force d’appoint mais pas un parti rassembleur et a fortiori majoritaire. De plus sa position du juste milieu et de l’équilibre mythique aseptise le débat politique. 4/ le manque d’ambition, d’audace, d’imagination et de nouveauté concernant son programme économique. 5/ l’insuffisant charisme politique du chef centriste dans une élection où la dimension de la personnalité, la capacité à provoquer du désir, à mobiliser des identifications massives et des transferts affectifs positifs sont essentiels pour emporter l’adhésion affective.
Developpons maintenant ces cinq points.
1/ la sous -estimation de J.-M. Le Pen dans les sondages d’opinions.
N. Sarkozy, qui est bien renseigné, le sait pertinnement d’où ses clins d’oeil et ses appels du pied appuyés aux électeurs du Front national, pour appâter un électorat qui se situe vraisemblablement autour de 18% des voix (ce qui au passage n’assure pas du tout la troisième place pour F. Bayrou). Cette démarche électoraliste n’est bien sûr pas nouvelle pour N. Sarkozy mais elle rentre maintenant dans une stratégie affiichée de campagne. On l’a vu une première fois quand il a passé la consigne aux élus UMP de parrainer Le Pen (au nom du débat démocratique !) et dernièrement avec sa proposition contestée de ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale qui a pour objectif de rassurer les électeurs de l’extrème droite très sensibles aux thèmes de l’étranger, de la nation et de l’identité française. Cette statégie de racolage électoral qui répond avant tout à des considérations tactiques souligne en creux le danger potentiel du réel score de Le Pen. Pour Sarkozy ce démarchage éléctoraliste présente aussi l’avantage, dans la perspective du second tour, de fixer une partie de l’électorat frontiste. Par cette manoeuvre il fait aussi d’une pierre deux coups : d’une part il contraint la candidate socialiste à s’approprier les réthoriques patriotiques ce qui a pour effet de hérisser l’extrème gauche et d’hypothéquer les reports des voix en faveur de S. Royal lors du second tour (il n’est par ailleurs pas sûr que la reprise de ces thèmes de la nation et de l’identité suffisent à ramener au bercail socialiste les catégories populaires qui avaient déserté le PS en avril 2002 préoccupées qu’elles sont par le chômage, le travail précaire, les bas salaires quant on sait que 18% des salariés sont au smic. Il semble en effet que la réconciliation des populations modestes avec les politiques et le regain de confiance envers eux passent davantage par l’amélioration des conditions de travail et de la feuille de paye que par des incantations patriotiques et des slogans qui frisent le nationalisme. On ne voit pas bien, d’ailleurs, du point de vue du chômeur ou du salarié précaire, le lien entre nation fière de son identité et politique progressiste sur le plan social). D’autre part il marginalise le candidat centriste qui se retrouve inaudible et hors-jeu à propos de cette controverse idéologique puisque celui-ci ne cesse de vouloir désidéologiser la politique en adoptant la posture oecuménique du juste milieu, de la raison, du bon sens paysan et de la modération voire de l’absence de prises de positions pour ne pas froisser ou effaroucher les électeurs et ainsi s’annexer la majorité silencieuse supposée lasse des joutes politiciennes stériles et redondantes.
2/ le brouillage du clivage droite/gauche qui fragilise le positionnement centriste.
Si le clivage idéologique existe toujours sur certains grands sujets (rôle de l’Etat, fiscalité, protection sociale, justice, éducation, immigration, culture), un certain nombre de valeurs communes apparaissent même si les contenus idéologiques et politiques ne se recouvrent pas complètement. Parmi ces valeurs partagées on peut citer : l’éloge du travail, de l’effort, du mérite, du talent, du respect, de la sanction, de la famille, de la nation, de la jeunesse, du rôle de l’entreprise et de l’ économie de marché comme le déclare S. Royal à l’hebdomadaire économique Challenges du 29 mars 2007 : « Je dis aux entreprises : faites des profits, il n’y a pas de honte à faire des bénéfices. Il faut sortir de cette idéologie punitive du profit ». Ce brouillage des repères prend même une tournure paradoxale à propos de l’évocation de figures historiques qui se font à fronts renversés : la droite se réfère à L.Blum, J. Jaurès et à G. Môcquet et la gauche au général de Gaulle et à Jeanne d’Arc ! Ainsi, dans cette confusion des références chaque camp essaie de s’approprier les fondamentaux de l’autre : le social pour Sarkozy et la nation pour Royal. Cette mouvance des positions traditionnelles, ces consensus plus ou moins explicites, ces mouvements de tropismes de la gauche vers la droite et inversememt tendent à homogénéiser l’imaginaire collectif autour de valeurs et de représentations quasi consensuelles qui sont l’équivalent des majorités d’idées chères au leader centriste. Cette tectonique politique de rapprochement gauche-droite a pour effet mécanique de resserrer l’espace centriste traditionnel et de le vider en grande partie de sa philosophie du juste milieu. Il est vrai qu’en cette dernière ligne droite avant le premier tour on assiste pour des raisons de tactique politicienne à un retour à un certain clivage droite/gauche notamment sur le terrain de l’insécurité, mais même cette crispation identitaire conjoncturelle ne sera pas favorable à Bayrou puisque les candidats sont maintenant dans un timing où il convient de proposer une offre politique claire et bien identifiée sur l’échiquier politique concurrentiel pour éclairer le choix de l’électeur. La sratégie du « ni-ni » adoptée par Bayrou ne suffira pas à le démarquer suffisamment des ses rivaux, à différencier son offre politique qui reste encore trop floue et qui manque de propositions fortes et emblématiques.
3/ le centre comme chimère politique et aseptisation du débat politique.
Un gouvernement d’union nationale ne peut survenir qu’à la suite d’évènements dramatiques, nous n’en sommes heureusement pas là. Le centre qui se veut rassembleur ne l’est déjà pas en son sein puisque les radicaux, tendance J.-M. Baylet et ceux, tendance J.-L. Borloo, sont dans deux camps politiques opposés. Et puis l’exercice du pouvoir implique inévitablement des alliances, des coalitions, des compromis et des ralliements ; des comportements politiques qui semblent heurter l’éthique du candidat centriste... L’expression bayrouiste « centre-extrême » est un oxymore qui n’a pas de contenu politique crédible et surtout durable car l’exercice du pouvoir a besoin de stabilité et de majorités claires. Il y a aussi un paradoxe à se poser comme rassembleur et à envisager d’être le chef d’une majorité présidentielle aux législatives de juin 2007 et dans le même temps se prévaloir d’être le candidat antisystème. Cette posture est d’autant moins originale que les autres candidats s’en réclament également : elle est revendiquée par S. Royal qui en redevenant Ségolène s’affranchit de la tutelle du PS, de ses dogmes et de ses caciques, et par N. Sarkozy qui depuis son départ du ministère de l’Intérieur se sent en « homme libre d’aller vers les Français et libre vis-à-vis de son parti et de ses amis politiques ». (sans parler des deux spécialistes du hors- piste institutionnel que sont J.-M. Le Pen et P. De Villiers dont c’est la marque de fabrique). Quant à la posture humaniste centriste, dans le droit fil de la démocratie chrétienne, sans doute louable sur le plan des principes philosophiques, elle répond peut-être à une demande d’apaisement et de pacification légitimes des relations sociales mais elle est ambiguë et insuffisante à fonder une philosophie politique solide car elle ne résiste pas à la violence économique et à la brutalité du capitalisme moderne qui nécessitent de dépasser bons sentiments et angélisme sympathique.
Le débat politique rend inévitable la conflictualisation des points de vue, il appelle discordes publiques, idées contradictoires, controverses d’opinions, oppositions partisanes, discussions polémiques, affrontements idéologiques surtout en période électorale présidentielle qui est un temps propice à l’expression des passions françaises. Ce fond passionnel propre à la vie politique et à la démocratie française où on a le goût des débats vifs viennent à rebours des positions paternalistes qui se veulent raisonnables, consensuelles, modérées, apaisées et pour tout dire aseptisées et affadies de F. Bayrou ce qui peut à terme démobiliser l’électeur qui est aussi un débatteur et un polémiste.
4/ un programme économique peu novateur et peu progressiste.
Tous les candidats à la présidentielle veulent moraliser le capitalisme, même N. Sarkozy ! (cf. sur ce sujet l’excellent ouvrage de A. Comte-Sponville « Le capitalisme est-il moral ? » chez Albin Michel). Des critiques fortes ont été adressées au programme de la canditate socialiste sur sa capacité à peser sur la nouvelle donne du capitalisme de plus en plus mondialisé et obnubilé par les taux des profits boursiers et des rentabilités à court à terme à deux chiffres. Son ambition volontariste et modulatrice des effets pervers, injustes et dévastateurs socialement de la financiarisiation à outrance du capitalisme fait déjà sourire les milieux d’affaires ; que dire alors de l’ambition moralisatrice du leader centriste qui se limite à proposer des aménagements à la marge du système : leitmotiv de la réduction de la dette de l’Etat et assainissement des finances publiques avec limitation constitutionnelle du déficit des dépenses de fonctionnement qui deviennent une fixation quasi obsessionnelle chez Bayrou en ce qu’elle obère considérablement les marges de maneuvres financières, possibilité pour toutes les entreprises de créer deux emplois sans payer de charges sociales sauf pour les retraites, économies budgétaires, intéressement des salariés aux bénéfices sans plus de précisions, rémunération de toutes les heures supplémentaires (entre la 35 et 39e heures) 35% de plus que l’heure normale travaillée sans surcoût pour l’entreprise, allocation unique pour les revenus sociaux, mise en place du « small business act » qui prévoit de réserver 20% des marchés publiques aux PME et MPI et puis, démocratie chrétienne oblige, interdiction de travailler dans le commerce le dimanche ! C’est à peu près tout et c’est notoirement modeste pour répondre aux enjeux majeurs et aux défits économiques et sociaux du monde actuel.
5/ le manque de charisme politique du leader centriste.
Voter est un acte ambivalent : il implique une démarche rationnelle puisqu’il faut étayer un choix sur la base d’une comparaison et d’une évaluation entre un argumentaire programmatique et des opinions, des convictions, des attentes, des croyances, des réprésentations, des conceptions etc ; il comporte aussi une dimension psychologique : il est l’occasion d’exprimer des désirs contadictoires, des ambivalences pulsionnelles (amour/haine, rejet/attirance) et même parfois carrémment des défoulements. Voter pour un candidat ne se fait pas uniquement sur ses compétences techniques ou ses qualités morales (l’histoire politique récente le montre bien) il faut aussi et peut-être surtout susciter d’abord l’adhésion à une personnalité d’où l’importance de la dimension affective. Pour être choisi il faut donner envie, créer du désir et des phénomènes affectifs d’identifications mutuelles qui provoquent des transferts positifs, de la sympathie, de l’empathie ; ce qui s’appelle être en phase avec les attentes inconscientes des électeurs (F. Mitterrand était un expert en ce domaine). Deux autres orfèvres en la matière viennent opportunément de le rappeller : J. Attali dans l’Express du 23/03/2007 : « reste un mois pour analyser leurs comportements (des candidats) en apparence les plus anodins, et pour en déduire un jugement sur leurs caractères, dont de choses dépendront » et V. Giscard d’ Estaing quand il insistait lui aussi dans le journal 20 Minutes du 30/03/2007 sur la dimension du « caractère » c’est-à-dire celle de la personnalité qui peut faire la différence. Je crains que cette dimension de la logique subjective des identifications transférentielles et de la capacité à susciter du désir et de l’envie ne fassent défaut à F. Bayrou dans cette phase terminale de campagne électorale...
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