Le foie gras, une spécialité qui donne la chair de poule ...
Si le gavage des oies est une pratique qui existe depuis très longtemps, l’industrialisation de la production dans les années 80 n’a fait qu’empirer les conditions d’élevage et d’abattage. Retour sur une pratique contestable et contestée ...
Une souffrance animale indéniable
97 % des oiseaux gavés sont des canards (mulards principalement) et 3 % sont des oies. Chez les canards, seuls les mâles sont gavés. Les femelles, qui ont le foie plus veineux, sont tuées à la naissance : gazées dans le meilleur des cas, elles peuvent être aussi broyées vivantes ou étouffées dans de grands sacs. Les mâles sont placés dans de minuscules cages (ils ne peuvent ni se retourner ni étendre leurs ailes) où ils sont gavés pendant 2 à 3 semaines. Grâce à un tube de métal de 20 à 30 cm enfoncé dans le gosier, une bouillie de maïs leur est administrée de force, 2 à 4 fois par jour.
A chaque ingurgitation, les oiseaux sont généralement pris de halètements et de diarrhées. Quelquefois ils se contractent, ce qui peut amener à une perforation de l'oesophage. A terme, leur foie devient très gras (on parle de stéatose hépatique) et atteint jusqu'à 10 fois sa taille normale. Les oiseaux n'ayant pas de diaphragme, ce grossissement compresse leurs poumons, rendant ainsi la respiration difficile. Et avec un centre de gravité déplacé, les oiseaux ne peuvent se mouvoir que très péniblement ...
Des contestations partout dans le monde
Certains pays ont pris la mesure de cette maltraitance. La production de foie gras a été interdite en Suisse, en Norvège, en Turquie, en Israël en Argentine et en Californie (où même sa commercialisation est interdite). Dans l'Union Européenne, la plupart des pays ont banni cette pratique. C'est le cas de l'Allemagne, l'Autriche (6 provinces sur 9), le Danemark, la Finlande, l'Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et même la Pologne (pourtant grand producteur). Cinq pays continuent de l'autoriser : la Hongrie, la Bulgarie, l'Espagne, la Belgique et surtout la France (qui assure 75 % de la production mondiale).
La Directive européenne du 20 juillet 1998 énonce pourtant qu' "aucun animal n'est alimenté ou abreuvé de telle sorte qu'il en résulte des souffrances ou des dommages inutiles" (1). Le 16 Décembre 1998, le Comité scientifique pour la santé et le bien-être des animaux de la Commission européenne publie un rapport évoquant notamment "un taux de mortalité en cours multiplié par dix ou vingt" ... "une distension de l'œsophage, une augmentation de la production thermique et du halètement, et l'excrétion de matières fécales semi-liquides" et qui conclut par "le gavage, tel qu'il est pratiqué aujourd'hui, est préjudiciable au bien-être des oiseaux." (2).
La France traîne des pieds
Suite à ce rapport, le Comité permanent de la Convention européenne a émis une recommandation le 22 Juin 1999 " (3) :
- l'article 10 demande que les systèmes d'hébergement permettent aux oiseaux de se tenir debout, se retourner, battre des ailes, interagir avec les autres oiseaux.
- l'article 24 demande l'abolition du gavage (en exemptant les pays déjà producteurs), et préconise la recherche de méthode alternatives.
La France s'est alors engagée à bannir l'utilisation de cages individuelles en fixant deux échéances aux producteurs : celle du 31 décembre 2004 concernant les nouvelles installations et celle du 31 Décembre 2010 concernant le remplacement des installations existantes ; cette deuxième échéance a ensuite été repoussée par le ministère de l'agriculture au 31 décembre 2015 (4). Aujourd'hui, 85 % de la production est toujours issue de canards bloqués en cages individuelles. Mais avec l’article 654-27-1 du code rural (la loi d’orientation agricole du 5 Janvier 2006), la France s'est dotée d'une protection légale : "Le foie gras fait partie du patrimoine culturel et gastronomique protégé en France. On entend par foie gras, le foie d’un canard ou d’une oie spécialement engraissé par gavage." (5). On n'est jamais trop prudent ...
Consommer autrement ...
Une consommation alternative est possible. L'association Belge de défense des animaux GAIA commercialise depuis 2009 le Faux Gras, une terrine végétale proche du foie gras contenant des truffes du champagne de la cannelle et de l'huile de Palme. On peut aussi trouver sur Internet la recette du Tofoie gras, une recette végétale à base de tofu, de margarine, d'épices, de soja de vin et de cognac. Enfin, une alternative au foie gras est d'utiliser la capacité naturelle des oies à accumuler des réserves. Cette alimentation "Ad Libitum" coûte bien sûr plus cher que le gavage. Alors qu'un éleveur Espagnol, Eduardo Sousa a été primé au Salon international de l'alimentation en 2006 pour son foie gras "éthique", certains scientifiques Français volent au secours de l'industrie du gavage ...
Les conclusions de l’INRA sont catégoriques : "Aucun élément scientifique ne permet de dire que cette opération est une source de mal-être animal". Certains éléments financiers permettrait même de dire le contraire. Ainsi, dans son ouvrage "L'INRA au secours du foie gras", Antoine Comiti met en lumière le financement des recherches de l'INRA par le CIFOG (Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras) (6). De son côté, l'ITAVI (Institut Technique de l'Aviculture) s'inquiète de la disparition des cages individuelles "Les conséquences de cette suppression seraient une pénalisation économique et une détérioration des conditions de travail". On en aurait presque la chair de poule ... Mais en se rappelant du Comité Permanent pour l'Amiante, des conflits d'intérêts dans l'industrie du tabac ou du scandale du Médiator, on peut aussi éviter de se gaver de propagande ...
Quelques liens, il faut s'accrocher ...
- L214 : "Foie Gras : scandale dans les palaces Parisiens" (foie gras Ernest Soulard)
- Stop Gavage : "Foie gras : élevages sous contrat avec Euralis" (qui fournit le foie gras de la grande majorité des marques : Montfort, Rougié ...)
- Animal Equality : Enquête dans la ferme de ferme de Caracierzos (2ème productrice d'Espagne)
- Farm sanctuary et Global Action Network : Enquête sur les élevages Périgord, au Canada
Jérôme Henriques
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