Les reçus-collés de la fonction publique territoriale, une initiative louable ?
Depuis quelques mois, un groupe s’est constitué sur yahoo et compte maintenant un peu plus de 200 membres. Il s’agit des reçus-collés de la fonction publique territoriale.
Effectivement, ils existent, et de toute évidence ne sont ni les candidats difficiles qui refuseraient des postes qu’on leur propose, ni un contingent négligeable.
A l’issue des épreuves de concours, qui le plus souvent nécessitent une intense préparation et sont très sélectives, les heureux élus ont le plaisir de recevoir un courrier : « Vous serez prochainement inscrit sur la liste d’aptitude, attention, cette inscription ne vaut pas recrutement, il vous appartient de vous rapprocher des collectivités afin de trouver un poste. »
Les règles du jeu sont claires. Le candidat dispose de trois ans au maximum pour trouver un poste et accéder à la nomination, passé cette échéance il est radié des listes d’aptitude et n’a plus qu’à repasser le concours, si le cœur lui en dit !
Si le concours répond au principe de l’égalité d’accès à l’emploi public, il en va tout autrement cependant du recrutement qui, lui, répond au principe de la libre administration des autorités locales.
Le nombre de postes au concours est calculé en fonction des déclarations des autorités locales. Celles-ci annoncent leurs besoins prévisionnels de recrutement aux centres de gestion (CDG) et au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) qui centralisent ces informations pour fixer le nombre de postes ouverts au concours. Dans le meilleur des mondes, on pourrait donc s’attendre à une adéquation entre le nombre de lauréats et le nombre de recrutements, et les reçus-collés n’existeraient pas.
Ce n’est visiblement pas le cas, parmi les lauréats du concours se trouve une bonne part d’agents contractuels des collectivités, qui, pour diverses raisons, ont été recrutés hors fonction publique. Ces contractuels ont peu de difficultés à trouver un poste en collectivité, la plupart sont nommés sur les postes permanents qu’ils occupaient déjà avant leur réussite au concours, dans les mois qui suivent leur inscription sur liste d’aptitude. D’autres lauréats occupant des emplois non-permanents, des remplacements notamment, peuvent compter tant sur leur ancienneté que sur leur expérience pour accéder plus facilement à un emploi.
Quant aux lauréats fraîchement diplômés ou sans expérience en collectivité, les « vrais externes », autant dire qu’ils n’ont que peu de chances d’être nommés sur un poste, et qu’ils risquent de n’être convoqués à des entretiens que par respect des principes légaux de recrutement.
Ils ne sont parfois que des figurants dans les procédures, sans aucune chance d’accès aux postes, tout cela à leurs frais personnels bien sûr. Il arrive aussi que les postes proposés se transforment en CDD lors des entretiens.
Certaines collectivités leur préféreront donc des candidats hors statut, qui répondent au mieux aux profils de postes ou disposent d’une expérience professionnelle adéquate. D’autre part, les agents hors statut, les contractuels, ne peuvent être recrutés qu’en CDD, cette alternative présente des intérêts évidents pour tester le candidat avant un recrutement statutaire et donc plus définitif (un CPE territorial ?).
Généralement, recruter un candidat hors liste d’aptitude, un contractuel, implique que celui-ci s’engage à se présenter au concours correspondant. Il bénéficie souvent d’une préparation au concours payée par la collectivité recruteuse (le contribuable donc), alors que le « vrai externe » a pris sur son temps et ses deniers personnels pour se préparer au concours.
Le lauréat, à l’issue d’épreuves écrites et orales, a été déclaré apte à exercer les fonctions auquel il prétend par un jury composé d’agents et d’élus. Est-il besoin de préciser que ces concours sont coûteux (location de salles géantes pour les écrits, correcteurs, organisateurs, mobilisation des jurys pour les oraux !).
Bien évidemment, les collectivités disposant de contractuels sur des emplois permanents annoncent autant de postes au concours. Si les contractuels en poste ne réussissent pas au concours, de « vrais externes » seront reçus, « à leur place » pourrait-on dire ! Mais comme on ne remplace pas les contractuels par des lauréats de concours, certains « vrais externes » n’ont quasiment aucune chance de trouver un poste.
Légalement, cette pratique de recrutement hors statut devrait être exceptionnelle, les procédures de recrutement des collectivités sont d’ailleurs soumises au contrôle de légalité, exercé par les autorités préfectorales. Mais dans les faits, les contrôles de légalité sont souvent trop occupés par le contrôle des actes d’urbanisme ou les marchés publics pour aborder le problème des recrutements, ou encore ne disposent pas de l’expertise pour juger de la légalité de ces procédures.
Indépendamment des services de contrôle de légalité, les personnes s’estimant lésées dans une procédure administrative de recrutement peuvent exercer un droit de recours devant le tribunal administratif. C’est rarement le cas pour ce qui concerne les reçus-collés, puisque la plupart du temps, ils n’obtiennent pas les informations qui leur permettraient d’apprécier le bien-fondé d’un éventuel recours. Ils ne connaissent pas le statut de la personne nommée, puisque contrairement à d’autres procédures soumises au contrôle de légalité, les résultats ne sont pas rendus publics, le plus souvent. D’autre part, même lorsqu’ils sont persuadés du bien-fondé d’un recours et disposent de preuves tangibles d’une procédure illégale, ils préfèrent s’abstenir afin de ne pas hypothéquer leurs chances d’accès à l’emploi public.
Certains lauréats, notamment ceux qui ont déjà perdu ou vont bientôt perdre le bénéfice du concours, et ne craignent donc plus ce « harakiri de l’emploi territorial », se sont décidés à créer une association loi 1901. Celle-ci, en tant que personne morale lésée, pourra ester en justice, lorsque des procédures de recrutement entachées d’illégalité lui seront signalées. Cette association concernera tous les lauréats, y compris ceux des concours internes, et bien sûr toute personne physique et morale soucieuse du principe d’égalité d’accès à l’emploi public.
Enfin, signalons que le recrutement d’un lauréat est pénalisant pour une collectivité : les lauréats des concours doivent suivre une formation durant les trois premières années de leur recrutement, celle-ci est d’une durée de 240 jours (dont 120 la première année). On comprend donc que certaines collectivités préfèrent recourir à des agents contractuels qui ne sont pas contraints d’effectuer cette formation. Outre la gestion des absences répétées et importantes de ces agents statutaires, les collectivités doivent également payer les frais de formation. Ceci est d’autant plus pénalisant que les agents recrutés peuvent demander leur mutation dès leur nomination, à l’issue de leur première année dans l’emploi. Disparités du territoire obligent, les lauréats sont poussés à accepter des postes dans les régions les moins convoitées, et tentent ensuite de revenir vers leur région d’origine à l’issue de leur nomination. Ainsi, les territoires défavorisés contribuent plus à l’effort de formation des agents publics que les territoires en développement. Les textes en cours de débat sur la fonction publique territoriale actuellement prévoient d’ailleurs de contraindre les collectivités qui débauchent des statutaires à rembourser les frais de formation afférents.
Paradoxalement et contrairement aux lois, on entend et lit de plus en plus fréquemment que l’entrée dans la fonction publique territoriale se fait d’abord par la voie contractuelle, pour déboucher ensuite sur la titularisation, après la réussite au concours. Les lauréats « vrais externes » se demandent d’ailleurs sérieusement s’ils n’ont pas fait une erreur de réussir le concours avant d’avoir le poste !
Mais pourquoi, diront certains, cet entêtement à vouloir intégrer la fonction publique, puisqu’il n’y a pas de postes pour vous ? Une visite sur le groupe yahoo permet de constater que la plupart des membres sont issus des concours de la filière culturelle, notamment des agents des bibliothèques publiques, ils (elles surtout !) cumulent à la fois des études spécialisées, des expériences de plusieurs années, voire dizaines d’années, dans des bibliothèques, et n’ont d’autres vocations, expériences et débouchés que le service public ! Cette filière culturelle est la plus précarisée de la fonction publique territoriale, d’après les chiffres officiels, mais toutes les filières sont touchées à des degrés divers, et souvent des professions, études et vocations qui relèvent indubitablement de l’emploi public. La fonction publique territoriale est également loin devant la fonction publique d’Etat et le secteur privé la « championne de la précarité », ainsi titrait récemment une brève parue sur territorial.fr.
Alors que les perspectives de recrutement dans l’emploi public, et en particulier dans la territoriale, sont présentées comme particulièrement favorables, que les salons de l’emploi public fleurissent, que la précarité est dénoncée, nous vous invitons à vous intéresser à la cause des reçus-collés.
Nous sommes particulièrement soucieux de lire vos commentaires. Merci
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