Libéralisme, social-étatisme et hyper-capitalisme
Le langage politique est aujourd’hui pipé en France : tous les responsables font chorus pour dénoncer le libéralisme qui serait, selon leur propos, responsable de la mise à l’écart ou de l’affaiblissement de la politique par rapports aux intérêts économiques capitalistes dominants, mais aucun n’ose affirmer qu’il voudrait étatiser l’économie et remplacer l’économie concurrentielle de marché par un monopole d’Etat. Comment comprendre cette étrange contradiction ?
S’affirmer anti-libéral c’est penser que l’Etat doit intervenir dans la vie économique pour plus de justice sociale, mais la question est de savoir si cette intervention signifie la domination de la politique sur la vie économique ou sa régulation. Dans le premier cas l’Etat (par exemple) ne peut dominer que s’il possède les moyens de production et d’échanges ainsi que les banques (nationalisations), dans le second le pouvoir politique doit être séparé de celui de l’économie pour lui imposer des règles au service des libertés fondamentales des individus et de la justice.Tout donc se joue autour de cette question de la séparation qui semble heurter certains, sans qu’ils aillent -et cela met en lumière l’inconséquence de leur slogan anti-libéral- jusqu’à proposer la fusion qui était celle qui existait dans les ex-pays prétendument socialistes et que je préfère appeler capitalistes monopolistes d’Etat.
On sait qu’au XVIIIe siècle les penseurs libéraux dont Montesquieu avaient fait de la question de la séparation des pouvoirs une question centrale dans la lutte contre le despotisme politique. À cette époque l’économie n’avait pas, aux yeux de beaucoup (saufs chez les philosophes anglo-saxons), la même importance politique qu’aujourd’hui ; c’étaient les questions de la guerre, de la religion et du pouvoir régalien, républicain et/ou monarchique , qui déterminaient la sphère d’intervention propre du politique et sa limitation pour préserver la liberté dite naturelle ou civile des individus-citoyens (pouvoir du roi sur ses sujets et ses limites) ) qui étaient au centre du débat politique, de nos jours, par contre, c’est l’économie qui est au centre des questions de sociétés dans les sociétés libérales individualistes et, pour tout ce qui concerne la vie privée, le libéralisme marchand et les relations contractuelles ont pris le pas, comme l’avait remarqué Marx, sur les types de relations d’allégeance et de hiérarchie traditionnelles.
C’est ainsi que la vie économique est devenue une préoccupation majeure de la vie politique, comme on peut le voir dans tous les discours et débats politiques actuels, y compris sur ce forum. Dans une société libérale moderne (non despotique) il faut donc introduire une nouvelle séparation des pouvoirs, négligée par les penseurs non anglo-saxons du XVIIIe, afin de faire échec au risque de despotisme surtout dans sa forme extrême, le totalitarisme : outre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, il convient de séparer le pouvoir économique. Le pouvoir plus ou moins fragmenté (mais de moins en moins) des décideurs économiques et pouvoir politique plus ou moins centralisé à l’échelon national ou transnational. Pourquoi ?
Parce que, si l’on abolit cette séparation, comme le veulent les anti-libéraux de droite ou de gauche qui voudraient peu ou prou étatiser l’économie ou faire de la politique un simple instrument de l’économie on obtiendrait une nouvelle forme de despotisme encore plus puissante que celle du despotisme politico-religieux décrit par Montesquieu : le despotisme d’un Etat que l’on peut appeler totalitaire dans la mesure où les mêmes hommes disposent à la fois des deux pouvoirs et dans lequel le pouvoir politique, fusionné avec le pouvoir économique, ne peut plus réguler ce dernier ni le limiter et encore moins le contrôler, car il devient juge et partie, de deux choses l’une en effet :
- soit le pouvoir politique est extérieur (séparé) au pouvoir économique pour lui imposer des règles au regard de l’intérêt général et de la protection des libertés individuelles par exemple dans le domaine essentiel de la vie privée qu’est devenue la consommation
- soit il lui est consubstantiel et alors il n’y a plus aucune limite à sa puissance de décision et il va s’arroger le rôle de gestionnaire planificateur de la vie privée des individus pour leur imposer des choix économiques qui leur interdiraient de mener leur consommation privée à leur guise et de faire jouer le concurrence à leur avantage ; comme on a pu le voir dans toutes les économies étatisées.
C’est dire qu’il est aujourd’hui indispensable de tenir séparer les deux pouvoirs encore plus que ce n’est le cas aujourd’hui si l’on veut éviter la corruption, le népotisme de ceux qui cumulent pouvoir politique et le pouvoir économique, la bureaucratie aveugle et sourde aux désirs des individus, ou la nuisance de quasi-monopoles qui s’accaparent des marges de profit iniques au regard des services qu’ils rendent. Bref, si l’on ne veut pas supprimer les libertés individuelles d’entreprendre et de choisir dans le domaine la production et de la consommation et surtout si l’on veut que l’Etat régule au service des libertés individuelles comme d’un intérêt général toujours en débat, la vie économique elle-même, il faut donc que le pouvoir de l’Etat soit séparé de celui de l’économie pour qu’il puisse limiter celui des décideurs économiques, en particulier des plus puissants d’entre eux, ceux qui disposent du capital financier, qui ont toujours tendance à s’organiser, contre les consommateurs, pour mettre hors jeu la concurrence et compromettre leur liberté économique, celle qui justifie celle des investisseurs-producteurs, comme nous le rappelle sans cesse A. Smith.
Telle est la thèse libérale. Il ne suffit pas quoi de recopier des positions et des analyses valant pour un autre âge, il faut les réinterpréter en les adaptant à notre temps. L’échec catastrophique, liberticide et criminel des pays ex-socialistes doit nous servir de leçon pour revenir aux sources du libéralisme et en tirer des enseignements progressistes nouveaux pour le monde dans lequel nous vivons. Il faut ainsi lutter sur deux fronts : contre la vision sociale-étatiste ou sociale-nationaliste et contre l’ultra-capitalisme despotique (anti-libéral) car tous deux, au fond, sont animés de la même volonté, manifeste ou pas : détruire le rôle régulateur de la politique au profit d’une économie liberticide de monopole, soit en faisant de la politique (étatiste ou non) la source de l’économie, soit en affaiblissant l’exigence de régulation sociale, en faisant de la politique un simple instrument de puissance centralisée au service des intérêts économiques généraux dominants des investisseurs capitalistes.
Le libéralisme authentique vise, au contraire, à élargir l’autonomie réelle de chacun et ses possibilités de développement personnel dans un cadre sociétal plus juste en coupant l’omelette politique sur les deux bords : l’ultra-capitalisme inégalitariste et monopoliste d’un côté et le social-étatisme totalitaire de l’autre qui sont deux ennemis des libertés concrètes de tous les citoyens et qui, nous le savons, peuvent tout à fait fusionner comme dans certains pays d’Extrême-Orient.
J’ai tout à fait conscience que cette mise au point fait rupture avec les slogans anti-libéraux repris par la classe politique franco-française et particulièrement de certains responsables du PS, seuls de ce bord en Europe à les tenir. Il y a un paradoxe particulier à la France : voilà un pays qui est un des plus ultra-capitalistes d’Europe et des plus ouverts sur l’économie financière mondiale et cela avec l’aval des hommes politiques de tous bords, mais dont les responsables n’hésitent pas à disqualifier le libéralisme au nom d’un mythique « patriotisme économique » qu’ils ont contribué avec raison à abattre sous le prétexte fallacieux qu’il serait l’anti-chambre de l’ultra-capitalisme. Quand sortiront-ils de cette contradiction pour mettre leur discours en relation avec leur pratique et affirmer que le libéralisme régulé est notre avenir et le meilleur antidote qui soit contre l’ultra-capitalisme ? Ce paradoxe est au centre de la crise politique de notre pays et de ma méfiance des citoyens vis-à-vis de leurs responsables, tous partis de gouvernement confondus.
[Les origines de la pensée libérale->http://sylvainreboul.free.fr/Liberalisme3.html]
[Libéralisme et social-libéralisme->http://sylvainreboul.free.fr/liberalisme4.html]
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