M. Attal et la France dyslexique
C’est un fait que l’Éducation Nationale est entrée dans une forme de décadence. Ce n’est pas une question d’argent, mais une question de priorités. Je me concentrerai sur mon dada : l’illettrisme institué par nos gouvernements successifs.
Recevoir un courrier, un courriel ou un SMS dépourvu de fautes de français graves, c’est devenu un miracle. Lire un article sans que s’y soit glissée la moindre faute, c’est exceptionnel. Voir défiler un bandeau d’annonce sur les chaînes d’info sans erreur orthographique ou syntaxique, ça relève du prodige, surtout sur la chaîne France Info qui, étant financée par nos dons obligatoires, devrait être la meilleure dans son genre alors qu’elle est la pire.
Ayant été journaliste, correcteur, et aujourd’hui auteur et traducteur, je suis très bien placé pour savoir que la perfection n’est pas de ce monde. Bien qu’ayant la réputation de remettre des travaux soignés, il m’arrive de laisser passer des fautes ; fautes que d’excellents relecteurs, après moi, ne détectent pas toujours. Un bon livre sortant de chez un bon éditeur paraît rarement avec moins de dix fautes sur 400 pages.
Lorsque j’écris un courriel ou un article, je le relis trois à quatre fois. Et malgré cela, et en dépit de l’aide apportée par les logiciels qui repèrent au moins les formes qui n’existent pas et quelques incohérences grammaticales, il arrive parfois que, ô horreur, relisant le texte envoyé, je tombe sur une erreur parfois sérieuse qui a résisté à mes relectures. On estime qu’un bon journal doit avoir été relu par six relecteurs différents.
Corps mal enseignant
Bien écrire sa propre langue, comme savaient le faire ma vieille grand-mère inculte ou ma grand-tante modeste employée dans une chemiserie, c’est devenu une rareté, même avec le bac en poche. Mais quand on arrive à ce niveau de diplôme sans avoir excellé en français, on devient un étudiant dyslexique par la faute du système éducatif. Mes enfants écrivent fort bien, quoique ne s’étant pas orientés vers des disciplines littéraires. Le doivent-ils à leur père intransigeant ou à leur mère qui, ayant subi quelques 0 au temps où l’on retirait 4 points par faute à la dictée, est devenue, à force de courage et de persévérance, très bonne en français ? Ils sont en tous cas le réconfort de mes (pas encore très) vieux jours. Mais ce qui m’afflige, c’est qu’ils sont, à cet égard, une… élite. Et ça, c’est absolument anormal.
Récemment, j’ai reçu une circulaire par courriel où apparaissaient quatre fautes importantes :
- à besoin de votre soutien
- relève pastoral
- vos dons sont indispensable
- en ses temps économiquement difficiles
Le reste du message témoignait d’un bon niveau d’instruction en rapport avec celui, supposé, de la personne chargée de l’envoyer. D’ailleurs, l’intitulé du mail mettait bien : X a besoin de votre soutien, sans cet accent abominable sur le « a ». Donc, apparemment, il s’agissait d’inattention. Pour un message diffusé auprès de quelques centaines de destinataires, c’est embêtant.
Il m’arrive de communiquer par écrit avec quelques jeunes très intelligents, ou de les aider pour leurs devoirs. Or, leurs SMS ou leurs exercices, voire leurs dissertations, sont truffés de fautes, surtout d’accord, qui relèvent de la simple négligence. « C’est pas grave, m’entends-je dire pour les exercices, c’est un brouillon. »
Effectivement, « c’est pas grave ». C’est pas grave puisque certains poussent des cris d’orfraie quand on parle de retirer deux points au bac aux lycéens par trop laxistes sur la correction langagière de leur devoir. C’est pas grave puisque les profs – même des profs de français et de philo – donnent des sujets où on peut trouver, en deux lignes, jusqu’à trois fautes. Je l’ai vu de mes propres yeux, je vous jure que c’est vrai. La fille d’une amie m’interrogea un jour sur une faute que, lui semblait-il, l’institutrice de sa fille avait ajoutée ; vérification faite, c’est l’enfant qui avait écrit juste et la « professeure des écoles » qui lui avait asséné son ignorance.
Propos de vieux ronchon ? Peut-être. Mais, comme le disait Jean-Claude Guillebaud dans l’un de ses essais, quand la maîtrise du langage faiblit, ce sont les poings (ou les mortiers) qui parlent. On en a la démonstration constante. Et il faudra se demander pourquoi, très souvent, les Maghrébins vivant au Maghreb sont meilleurs en français que nos petits beurs nés en France qui sont très mauvais dans notre langue… alors que c’est la leur. Cela témoigne d’un double problème éducatif, tant à la maison qu’à l’école de ce qui reste de la République. Et ce n’est aucunement limité aux populations immigrées puisque tous les exemples que j’ai cités proviennent d’un contexte « gaulois ».
Le français comme discipline
Alors, Monsieur Attal, bien que n’aimant pas votre gouvernement, bien que déplorant que vous soyez Ministre de l’Instruction Publique alors que vous avez fait votre scolarité dans des écoles privées élitistes, je vous fais crédit d’une certaine lucidité et de votre bonne volonté. Oui, revenir aux bases, vous avez raison. Lire, écrire, compter – on en parle depuis Chevènement, et rien ne s’améliore. Supprimez les cours-gadgets comme l’anglais en primaire, souvent enseigné par des instituteurs ignares (je précise que je suis ancien prof d’anglais) chargés d’enseigner un idiome étranger à des gosses qui ne savent pas se servir de leur propre langue. Un peu moins de sorties récréatives, de séjours linguistiques à l’étranger tellement brefs qu’ils ne servent strictement à rien d’autre qu’à promouvoir le tourisme. Un peu plus d’exigence envers les enseignants d’abord (que dire du niveau de recrutement dans un pays qui se tiers-mondise…), envers les élèves ensuite.
Je crains, hélas, que l’abrutissement des masses ne soit un projet politique. Je crains aussi que nous ne nous colonisions nous-mêmes, avec ces écoles de commerce qui enseignent directement en anglais sur le territoire français ; avec ce Président de la République Française qui invite les investisseurs du monde sous le slogan Choose France, comme si « Choisir la France » n’était pas aussi directement compréhensible. Nous nous faisons éjecter de l’Afrique francophone ; nous nous éjectons nous-mêmes du monde à force d’avoir honte de notre culture.
Peut-être aurai-je commis des fautes dans cet articulet, bien que je l’aie corrigé moult fois.
Je prie que l’on m’en absolve.
M’en absoudra-t-on ?...
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