Ne nous y trompons pas : le fondamentalisme chrétien est de retour en Europe, et l’année 2008 pourrait bien s’avérer décisive pour la démocratie sur le continent et en particulier en France, qui héritera d’ailleurs de la présidence tournante cet été. Encouragés par les percées obscurantistes aux Etats-Unis sous la férule d’un président plaçant ses intérêts de fanatique avant ceux de son pays et même ceux de son parti, capitalisant sur la montée des fondamentalistes au sein des autres grandes religions pour entretenir le climat de peur et de haine indispensable à leur survie, ces partisans d’un grand retour en arrière testent subtilement les résistances du "vieux continent" et placent des banderilles suivant un calendrier savamment rythmé.
Comme aux Etats-Unis, les éléments les plus dangereux ne sont pas les épouvantails habituels, ces ayatollahs prônant ouvertement la suprématie du religieux sur le politique : cette stratégie basique a échoué au XIXe siècle et n’aurait aucune chance au XXIe. A l’image du créationnisme relooké en Intelligent Design par le Discovery Institute (1), le fondamentalisme suit désormais une stratégie persuasive et diffuse, avance masqué derrière des écrans de fumée, et mène en parallèle d’un intense lobbying de véritables opérations de guerilla marketing.
Comme aux Etats-Unis, ces ennemis de la démocratie, de la liberté et de la paix excellent dans l’art de la propagande pour se présenter comme des défenseurs de la démocratie, de la liberté et de la paix. D’un côté, ils usent de formules choc pour imprimer leurs principaux mensonges dans les esprits les plus crédules (c’est un choc de civilisations, nous sommes en guerre, nous agissons pour le dialogue et pour la paix, nous voulons moderniser la laïcité...). De l’autre, ils abusent de formules alambiquées et de discours inaccessibles au commun des mortels pour semer la confusion dans les esprits et faire passer leur programme médiéval pour une démarche de progrès (2).
Comme aux Etats-Unis, leur montée en puissance s’accélère avec des relais plus influents que jamais dans les cercles médiatiques et politiques. Et puisque le fondamentalisme soumet la politique à la religion, la couleur politique est secondaire. Les relais ne se trouvent plus seulement à la droite de la droite (comme récemment encore avec Luc van den Brande - 3) : on a vu comment l’ultra conservateur Rupert Murdoch pouvait apporter tout son soutien au candidat travailliste Tony Blair - parce qu’il avait décelé en lui le futur Born Again facilement influençable, prêt à partir en croisade pour une cause mystique ?
Depuis maintenant plusieurs années, les faux incidents et les vraies provocations se multiplient aux Pays-Bas, en Italie, en France ou en Espagne (4) et, bien sûr, au niveau européen, comme l’attestent le lobby en faveur d’une mention des racines chrétiennes dans la Constitution (5) ou plus récemment la censure du rapport Lengagne dénonçant les attaques créationnistes contre la démocratie (3). Les réactions les plus vives déclenchent une mise en veille temporaire, l’absence de réaction encourage à pousser le bouchon un peu plus loin et un peu plus vite.
En publiant La République, les Religions, l’Espérance la veille des présidentielles américaines 2004, le ministre des Cultes, Nicolas Sarkozy, avait poussé le bouchon un peu loin. La levée de boucliers pour protéger la Loi de 1905 lui avait clairement indiqué les territoires à éviter pour sa campagne présidentielle. Le candidat Sarkozy a donc dû montrer patte blanche pour obtenir son investiture, et affirmer clairement sa volonté de défendre la laïcité.
Nous savons aujourd’hui quel sens il donnait à ce terme. Le président Sarkozy défend la laïcité comme le président Bush défend la démocratie, et si personne ne dit stop, il risque d’obtenir les mêmes résultats. François Bayrou, qui a milité en faveur d’une Constitution européenne laïque et sans référence aux racines chrétiennes, a totalement raison de comparer sa "laïcité positive" à la vision fondamentaliste de Bush. Mais des voix se sont élevées avec fermeté à travers tout l’hémicycle, à gauche comme à droite, pour dénoncer les récents dérapages contrôlés du président en Arabie saoudite.
Ce n’est peut-être pas un hasard si Nicolas Sarkozy souhaite s’engager dans les élections locales cette année : plus que jamais dans notre histoire, les municipales 2008 ont valeur de test national. Pas tant pour déterminer les vainqueurs entre gauche et droite ou entre gouvernement et opposition, mais entre défenseurs de la République et de la démocratie d’un côté, et candidats soutenus par les fondamentalistes de l’autre.
Comme aux Etats-Unis, il deviendra de plus en plus commun de voir un candidat saupoudrer son discours politique de références appartenant au registre de la religion et de la foi. De nombreux candidats risquent de se voir proposer un choix comparable à celui imposé aux républicains en 2004 : faire allégeance à une administration corrompue ou se voir refuser l’investiture présidentielle. Risquer de ne pas pouvoir se présenter ou risquer d’être élu pour servir une cause amorale.
Parmi eux sans doute, des croyants tiraillés par leur conscience : si je dis non je me fais accuser de mauvais chrétien et si je dis oui je vends mon âme. Pour paraphraser le prédécesseur de Benoît XVI je leur dirai "n’ayez pas peur". Le fondamentalisme relève de la politique et non de la religion. Si vous avez réellement la foi et si vous êtes réellement démocrate et républicain, affirmez-le en dénonçant l’imposture morale qui vous est proposée ; en déclarant votre indépendance contre le fondamentalisme (6).
Il est temps d’inverser la charge de la preuve. Ce n’est pas aux politiques de prouver leur bonne foi, mais aux fondamentalistes de faire leur "coming out" : si vous considérez que la religion a quelque part une place dans la politique, la science ou l’éducation, assumez-le clairement et fondez un parti religieux comme il en existe dans de nombreux pays. Mais ne cherchez pas à tromper le public en vous réclamant de la démocratie ou de la République.
Oui, la laïcité respecte les religions, mais elle respecte tout autant la démocratie, parce que justement elle respecte la séparation du religieux du politique. Oui, la France a un héritage chrétien, mais ce n’est pas son seul héritage religieux et il n’a pas toujours été positif (guerres de religions, croisades, colonisation, collaboration...)... et si la France a aujourd’hui valeur d’exemple dans le monde, c’est pour son héritage d’une République laïque, moderne et apaisée aux antipodes de ce qu’entend la "laïcité positive".
S’il est désormais clair que Nicolas Sarkozy a rompu ses engagements de campagne et qu’il agit en faveur des fondamentalismes, j’ai encore du mal à le situer sur un plan personnel : est-il "simplement" un être amoral prêt à toutes les compromissions pour parvenir à ses fins ou avons-nous réellement affaire à un mystique convaincu ?
D’une façon générale, notre hyper-hype-président ne fait guère d’efforts pour masquer sa totale absence de scrupules : il est prêt à protéger les scientologues pour devenir l’ami de Tom Cruise, à prostituer la République dans les bras d’un dictateur pour faire briller Cécilia en Libye, ou encore à nier l’existence de Taïwan pour signer des contrats en Chine (7)...
Mais notre ancien ministre des Faux Cultes (8) a aussi la fâcheuse habitude de s’entourer de mystiques. Sarko n’est pas l’ami des Etats-Unis, mais l’ami de certains personnages sulfureux : le scientologue Tom Cruise, le fondamentaliste Bush. Sarko n’est pas l’ami d’Israël, mais l’ami des partisans de la ligne dure à Tel Aviv comme à New York et Paris. Sarko ne lutte pas contre le terrorisme, mais en attise les flammes à la source en favorisant le basculement vers les extrêmes par les actes (ex. : logique de rupture par la suppression des polices de proximité en faveur d’opérations commandos purement répressives, abandon de la position d’équilibre de la France dans le conflit israélo-palestinien) comme par la parole (ex. : privilégier le registre belliciste au registre diplomatique vis-à-vis de l’Iran). Plus grave encore, les theocons sont au château : comme à la Maison-Blanche, ce club hyperinfluent verrouille les points d’entrée et de sortie stratégiques de l’Elysée.
Puisque Nicolas Sarkozy s’obstine à revenir à la charge sur le territoire hautement sensible de la religion, il est temps de lui demander clairement de faire son "coming out". Pas sa parade nuptiale à Disneyland, mais sa position vis-à-vis du fondamentalisme religieux et, en particulier, sa volonté de maintenir les frontières entre politique et religion (remises en cause de la laïcité), science/éducation et religion (impostures créationnistes/intelligent design)...
Comme George W. Bush, Nicolas Sarkozy a l’occasion de laisser une trace majeure dans l’histoire de l’Occident. Comme lui, il risque que cette trace soit une tache indélébile en inscrivant son mandat sur le terrain de la religion.
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(1) cf "En finir avec l’Intelligent Design" (20070905)
(2) champion toute catégorie : Benoît XVI - cf "Le coming out de Benoît XVI" (20071007)
(3) cf "Red blogule to Luc van den Brande" (20070627)
(4) nos voisins peuvent se féliciter du courage de Zapatero qui dès son serment d’investiture a tenu à affirmer la séparation du politique et du religieux
(5) au-delà du lobby très puissant des fondamentalistes chrétiens, celui d’autres partisans du choc des civilisations, toujours prompts à cristalliser les haines et dresser les communautés les unes contre les autres
(6) cf "Universal Declaration of Independence From Fundamentalism" (20070809)
(7) cf "Merde in Taiwan" (20071127)
(8) cf "Blogule rouge au ministre des faux cultes" (20050619)