Notre Dame des Landes : le gouvernement Ayrault met en danger la République
Le projet d'aéroport à Notre Dame des Landes pourrait faire l'objet d'un débat public sur son utilité sociale et ses conséquences environnementales. Pourtant, le gouvernement de la République ne discute pas ; il frappe. Le gouvernement n'est pas têtu : il a peur de Vinci et du grand capital, s'oppose à de simples citoyens qui se défendent comme ils peuvent, là où un gouvernement de gauche devrait s'opposer à l'oligarchie capitaliste.
Les arguments contre cet aéroport sont nombreux et bien fondés. Il est clair que d'un point de vue écologique, ce projet est absurde. Nul ne peut nier que si la République française et l'Union européenne ont pris des engagements internationaux pour la réduction des gaz à effet de serre, c'est à la République française et à l'Union européenne de les tenir. Or, ce n'est certainement pas en poursuivant frénétiquement un développement capitaliste sauvage, consistant à bétonner nos surfaces agricoles et à laisser se développer le trafic aérien, que nous y parviendrons. Aucun dossier d'utilité publique formelle ne pourra convaincre aucun écologiste de l'utilité sociale réelle d'un tel aéroport : c'est en construisant des aéroports que l'on participe le mieux au dérèglement climatique.
Parlons d'utilité publique. Le gouvernement et les traditions en la matière ne privilégient probablement pas une conception suffisamment large de l'utilité publique d'un projet. Basée sur les critères archaïques du développement pour le développement, du chiffre d'affaire, des bénéfices et des emplois, sur des principes de compensations monétaires de dommages environnementaux pourtant difficilement compensables, sur un registre qui ne prend pas en compte le bien-être et le bien-vivre, il est probable qu'il faille en réviser les critères. Avons-nous vraiment besoin d'aller toujours plus vite, de travailler toujours plus, de consommer toujours plus et toujours plus mal ? Probablement que non. Des fractions de plus en plus larges de la population en sont conscientes. Les lois doivent changer.
Par ailleurs, nous le savons : derrière le projet d'Aéroport Grand Ouest, le principal bénéficiaire n'est ni la classe des salariés, ni le peuple dans son ensemble, ni l'humanité prise en général. Ceux qui sont amenés à l'utiliser dans l'avenir, si ce projet voit le jour - et il ne verra pas le jour - ce sont les voyageurs les plus riches (ceux qui ont les moyens de prendre l'avion). Ceux à qui son exploitation rapportera le plus ne seront certainement pas les populations locales, mais bien les actionnaires de Vinci (et certainement pas les salarié-e-s, surexploité-e-s comme les autres). Enfin, puisque la question écologique regarde tous les êtres humains, un tel projet va à l'encontre des intérêts de l'humanité toute entière.
Si le gouvernement souhaite développer l'emploi (puisque c'est l'un des arguments-massue qu'il utilise), qu'il commence donc par mener les batailles là où elles doivent être menées efficacement. François Hollande et Jean-Marc Ayrault viennent de faire adopter à toute vitesse la ratification du Traité budgétaire européen par les deux chambres (à majorité socialiste) du Parlement. Or, si le PS se préoccupait d'emploi, il eût été mieux avisé de ne pas le voter, ou de voter un traité véritablement renégocié. S'il avait voulu le renégocier, il aurait dû s'opposer à la ligne brutalement néolibérale de la chancelière allemande, plutôt que d'adopter un texte qui nous contraint à l'austérité budgétaire et aux bas salaires à perpétuité. Le Président de la République peut argüer du contraire autant qu'il le souhaite : il a milité pour le Traité austéritaire "merkozy", il a tout fait pour que ce traité soit ratifié, et il en applique désormais la lettre au travers des budgets d'austérité qui trouveront à s'appliquer en France, sous le fouet des agences de notations, les diktats de la Commission européenne libre-échangiste et de l'oligarchie capitaliste. Avec cette politique, le gouvernement socialiste nous prive d'un avenir digne de ce nom.
En matière d'emplois ou de "croissance", quand il s'agit de prendre son courage à deux mains et de s'opposer aux puissants et à leurs représentants, le gouvernement socialiste ne donne jamais dans "l'ordre républicain" ou "la souveraineté de l'Etat", comme lorsqu'il s'adresse aux zadistes. Non : il se couche mollement devant ses maîtres, visiblement mieux armés moralement que lui. Ainsi, quand il aurait fallu renégocier ce traité face aux diplomates et au Gouvernement de la RFA, on entendait beaucoup moins parler de cette "autorité" et de cette "détermination" dont le Gouvernement de la République française semble faire preuve aujourd'hui face aux opposants de la ZAD. Quand Moody's dégrade la note de la France, là non plus, ce Gouvernement ne fait pas le malin. Il acquiesce, et accuse ses prédécesseurs pour mieux laver ses propres turpitudes.
Quand il s'agit de frapper la jeunesse créative qui s'oppose au monde laid et invivable que projettent les multinationales (pour nous et à notre place), le gouvernement fait dans l'argument d'autorité puis l'acte de violence. Ce type de comportement porte un nom : la lâcheté pure et simple. A cela, le Gouvernement ajoute le cynisme, en laissant un ministre de l'intérieur parler de "kyste" pour qualifier l'opposition politique de ceux qui pratiquent avec courage la désobéissance civile, ceux sans qui - sous certaines conditions - il n'y aurait pas de République possible. Nos services de police et de gendarmerie, envoyés là-bas en notre nom à toutes et à tous, n'ont aucune formation pour se battre sur ce terrain, sont envoyés contre ceux qui pourraient être leurs propres enfants, nièces ou neveux. Certains sont écoeurés de cette situation, et certaines images - publiées sur le site de la ZAD - montrent que d'autres sont enclins à fraterniser.
Nous savons bien ce qui motive la lâcheté et le cynisme du gouvernement de François Hollande : la crainte qu'en n'étant pas le soutien inconditionnel de Vinci, il aurait à subir des représailles de la part de tous les autres. Nous avons pourtant les moyens de nous battre contre le grand capital, et de retourner les armes de l'Etat contre ceux qui braquent les armes de l'argent contre nous. La loi est théoriquement l'expression de la volonté générale. Il est intéressant, ainsi, de rappeler que la loi nous permet de nationaliser certains secteurs de l'économie et - oui - de prendre des mesures autoritaires, de réglementation, de démantèlement de capitaux et d'interdiction de certaines activités (le meurtre, la spéculation, etc.), là où les intérêts supérieurs de la Nation l'exigent.
Le point de vue des médias sur ce sujet est intéressant, puisque lorsqu'il est question de la nationalisation de Florange, par exemple, ces derniers parlent de "menace". Pourtant, quand Mittal fait peser le "risque" du chômage sur 20.000, salariés, hommes et femmes, jamais il n'est question de "menace". Face à Vinci, ce serait probablement la même chose. Face aux médias également... Mais au-dessus de leurs petits intérêts mesquins et bornés, il y a nos vies et notre dignité de citoyens.
Si ce gouvernement "agit" de la sorte, c'est par crainte. D'autres gouvernements dans d'autres États sont, eux, capables de faire preuve de courage politique, en menaçant certains intérêts lorsqu'ils vont à l'encontre de l'intérêt général. C'est une bataille difficile, qui suppose de s'opposer et de se prendre le risque de certaines foudres, qui ne sont toutefois jamais que celles de l'argent. Ainsi, la note de la dette souveraine Argentine a été dégradée par l'agence Fitch, après que la Présidente de la Nation Argentine a nationalisé le pétrole et mené la rude bataille du démantèlement des monopoles médiatiques, aux fins de garantir l'indépendance et la pluralité du système médiatique. Pour autant, le gouvernement soutient l'indépendance de son peuple, se bat et résiste courageusement aux assauts du capital. Il laisse la liberté aux mouvements sociaux d'exister et de se battre. Au contraire, notre gouvernement politique n'a aucun courage. Ils ne sont bons qu'à frapper plus faibles qu'eux.
Il est vrai que tout cela est politique. Le Gouvernement peut certainement raconter que son autorité est immense, que le droit doit désormais régner, ou encore qu'il a tous les pouvoirs puisqu'il a été élu, et il peut envoyer des soldats matériels gazer des opposants révoltés avec des bombres lacrymogènes. Le gouvernement devrait toutefois faire très attention à la manière de s'adresser aux citoyens. En effet, cet événement politique est très mobilisateur : il pourrait être qualifié de pré-révolutionnaire dans le contexte généralisé d'indignation face à l'injustice et face à l'inaction politique pour s'investir dans des solutions pour régler la crise écologique. De nombreux citoyens en ont assez qu'on prenne leurs conceptions sociales et écologiques avec autant de mépris. Ce sont eux qui portent en eux-mêmes les solutions pour le monde de demain.
Face à eux, le gouvernement utilise la violence en invoquant "l'ordre républicain". Pourtant, la constitution républicaine n'a jamais accordé à des ministres le pouvoir d'aller contre l'autorité des lois. La République est l'espace où la loi règne et non pas les multinationales. Elle établit des tribunaux où siègent des magistrats qui ont le privilège de l'interprétation de la loi, la constitution républicaine séparant le pouvoir politique et l'autorité judiciaire. Par conséquent, si un Gouvernement peut prétendre agir en toute légitimité sur la base de son élection, du point de vue républicain, il n'a pas le droit d'agir sur quoi que ce soit d'autre qu'une base légale et juridique incontestée.
Or, le refus du ministre d'abroger la déclaration d'utilité publique est déjà sérieusement contestée devant l'ordre administratif sur la base d'un nombre important d'arrêtés, de lois et de directives européennes. Une contre-enquête de 2011 conteste l'utilité publique du projet et est invoquée contre le dossier monté par l'administration. Les expulsions des propriétaires de terrain font également l'objet d'un recours devant l'ordre judiciaire. Un recours a été déposé par les associations devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme, pour attaquer la décision du Conseil d'Etat de rejeter un recours concernant le dossier d'utilité publique. Or, si les magistrats judiciaires et administratifs français sont toujours en train d'étudier le dossier, c'est qu'il subsiste un doute légitime de la part des citoyens et des juges sur l'interprétation du droit républicain. A moins que le gouvernement Ayrault ne désire, au nom de la République, s'en prendre à l'indépendance des tribunaux ?
Qu'en est-il des méthodes "républicaines" des services de police, réduits à ces extrémités où l'on entre sur le terrain d'un propriétaire sans son accord, avant qu'il n'ait été officiellement exproprié ? Qu'en est-il de ces méthodes qui consistent à attirer des opposants dans des guet-apens ? Et de l'annonce verbeuse d'une commission de dialogue composée par un gouvernement qui, en même temps, envoie des gendarmes expulser, blesser et démanteler ? Une longue liste pourrait recenser les comportements qui, sans être nécessairement illégaux, semblent tout à fait contraires à ce qu'on attend d'un gouvernement républicain, de gauche ou de droite.
Politiquement, l'entêtement du Gouvernement Ayrault est une erreur grave. Le problème devient constitutionnel lorsque même un gouvernement de gauche s'en prend à la République, et ne sait plus "dialoguer" avec son peuple qu'avec le langage des grenades et des matraques, dans le silence assoudissant de la langue de bois des communiqués de presse.
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