Nu de nunuche sur fond nu aux enchères et surenchère de mimétisme dans les médias
Difficile d’y échapper ! Du Nouvelobs.com à la Dépêche du Midi, en passant par 20 minutes, la prochaine vente aux enchères par Christie’s, le 10 avril, d’un nu de Carla Bruni-Sarkozy figure en page d’accueil de leur site parmi les grandes nouvelles du 25 mars 2008. Ce n’est pas un secret : le leurre d’appel sexuel n’a pas de rival pour capter l’attention. Et quand il se double du leurre de l’insolite, il est encore plus efficace.
Car ce n’est pas seulement une simple star qui est ainsi exhibée « sans ornements, dans le simple appareil / d’une beauté qu’on arrache au sommeil ». Ce ne serait que très banal. Il s’agit de l’épouse du président de la République française en exercice. Sauf erreur, c’est une première sous la République. On n’a pas gardé mémoire non plus d’une telle exhibition d’une épouse royale : Agnès Sorel, à qui on pense avec ses jolis décolletés, était seulement la favorite de Charles VII et, elle du moins, elle posait le sein nu en Vierge Marie. De même, Gabrielle d’Estrées, lutinant sa sœur sur un tableau, était la favorite d’Henri IV.
Des médias qui se copient l’un l’autre
Ce à quoi on n’échappe pas non plus, c’est au commentaire. Ce n’est ni plus ni moins qu’un « copié/collé » d’un site à l’autre, repris courageusement sans doute du dossier publicitaire de Christie’s. Ils parlent tous en chœur du « cliché noir et blanc » de « l’une des plus belles femmes du monde ». La pose est jugée « de bon goût » ou « chic », « les mains jointes pour cacher son intimité », écrivent-ils sans rire.
Car voilà un bel exemple pour comprendre ce qu’est un euphémisme par métonymie : celle-ci permet ici de désigner « le tout » (l’intimité) pour « la partie » ou "les parties" si on préfère ici : les mots « pubis » ou « sexe » eussent été sans doute malséants et, pour tout dire, pornographiques dans ce contexte. Mais, ce faisant, nos poètes ont-ils vu que leur excès de pruderie tournait à la farce ? Est-il image plus comique que de réduire ainsi l’intimité d’une jeune femme à une peau de chagrin que ses deux seules mains croisées suffisent à cacher ?
Et tous, en grands connaisseurs qu’ils sont de la peinture, ou en simples poseurs, citent d’abondance avec un bel ensemble, tant l’intericonicité s’impose ici selon eux, un tableau de Seurat appelée Les Poseuses, sous prétexte qu’une des trois femmes au milieu du tableau s’offre nue debout avec les mains jointes devant son sexe. Christie’s sait que l’inculte s’agenouille devant l’argument d’autorité.
Des médias jouant les attachés de presse serviles
Car cette intericonicité hasardeuse qui la rapproche vaguement d’une toile d’un peintre reconnu, suffit-elle à faire de cette photo pour adolescent rêveur une œuvre d’art ? La question n’effleure pas les élèves-médias qui, sans honte, copient l’un sur l’autre et se contentent d’assurer la publicité gratuite des commissaires-priseurs de Christie’s. Attendant de la vente plus de 4 000 dollars, ceux-ci se sont bien gardés d’émettre le moindre soupçon qui ferait baisser les enchères, certains que les médias en feraient autant. Et de fait ces derniers ont répété bêtement leurs arguments promotionnels : c’est sûrement par « souci d’objectivité » qu’ils s’interdisent ainsi d’émettre la moindre réserve quand ils ne se font que les attachés de presse serviles d’un groupe de vente aux enchères.
Une photo insipide d’adolescents
Car enfin peut-on trouver photo plus laide et insipide que celle-là ? L’exhibition d’une femme nue ne suffit pas à faire d’une image une œuvre d’art. La Vénus d’Urbino du Titien, La Maja desnuda de Goya, L’Odalisque d’Ingres ou L’Olympia de Manet livrent bien autre chose qu’une simple nudité. Le procédé de l’image mise en abyme qui permet à ses femmes de regarder droit dans les yeux leur spectateur, institue entre elles et lui un simulacre de relation interpersonnelle pour l’emmener dans un univers où elles s’épanouissent sous son regard, et lui sous le leur par le charme du leurre.
C’est tout le contraire de la photo de Carla Bruni. On dirait celle qu’un adolescent a prise de sa petite amie entre deux étreintes pour en garder souvenir et en peupler ses rêves ou son album de collectionneur. Le contexte comme la pose n’offre que le vide : le choix du noir et blanc, loin d’ajouter une tonalité de grandeur dramatique, accroît, au contraire, l’indigence voire le sordide de la mise en scène. La toile de fond est désespérément grise. Pas le moindre indice de reconnaissance spatial ou temporel ! C’est le nu d’une nunuche sur fond nu. Le corps filiforme de la jeune femme s’offre et se refuse simultanément, en effet, selon le double jeu de l’exhibition et de la dissimulation des stratégies publicitaires qui ont à vendre un produit associé. Mais ici, ce n’est même pas le cas.
Cet effet de la métonymie convient seulement à une fille qui ne se laisse photographier qu’avec beaucoup de réticence pour ne pas déplaire au petit ami. La posture est des plus gauches qui soient au point même de briser toute aura érotique. La jeune femme, inexpressive au possible avec ce crâne qu’on croirait rasé - comme on l’a vu en d’autres lieux - se tient mal : elle est déhanchée, cuisses serrées, mains ouvertes croisées sur le pubis - pardon ! sur son intimité - pour ne surtout rien laisser voir ; elle en vient pour se refuser à placer le pied droit à l’équerre du gauche tourné en dedans de travers, de la manière la plus disgracieuse qui soit. Pour sûr, on ne peut mieux jouer les prudes ou les filles frigorifiées quand on est un mannequin déluré.
Une autre intericonicité s’impose, dépourvue aussi de tout attrait érotique : c’est celle de ces corps d’adolescents qui s’offraient sans doute ainsi devant le conseil de révision, au temps du service militaire obligatoire. Mal à l’aise de devoir se montrer tout nus devant les huiles du conseil qui les reluquaient, les conscrits devaient se tordre de la même manière pour tenter d’échapper aux regards voyeurs de leurs juges. Ce doit être aussi la pose que peuvent prendre les gamines qui rêvent d’une carrière cinématograhique, et à qui les voyeurs d’un casting font miroiter un petit rôle à condition qu’elles consentent à montrer les ressources de leur anatomie.
En somme, tant d’indigence n’aurait pas dû sortir de l’album de souvenirs de l’adolescent ou de son amie. Mais le nom de celle-ci a connu le lustre que l’on sait, et aiguisé d’autres appétits : il est à lui seul promesse d’espèces sonnantes et trébuchantes. Pourquoi dans ces conditions, par une habile publicité gratuitement relayée dans des médias complaisants, ne pas appâter quelques riches incultes pour les soulager d’un argent de poche dont ils ne savent que faire ? Paul Villach
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