Plaidoyer pour la démocratie directe
Avant même d’engager la promotion du concept d’agora, pierre angulaire du système de la démocratie directe, nous devons répondre par avance à un certain nombre d‘objections immédiates. En premier lieu, la question de l’indice de fréquentation des agoras est prédominante chez ceux qui sont sceptiques, pour ne pas dire hostiles, à la démocratie directe. Ces fermes partisans de la démocratie représentative prennent souvent pour exemple le phénomène "Nuit Debout" afin de pouvoir pronostiquer la faiblesse, puis le tarissement prévisible de la mobilisation citoyenne qui constitue le fondement de la démocratie directe.
Les autres objections concernent la non faisabilité technique ( = comment réunir en permanence 43 millions de personnes ?), le faible niveau intellectuel présumé du citoyen de base ( = la loi ne peut être faite par monsieur tout le monde), son manque de qualification ( = il faut d’abord « former » le citoyen avant qu’il ne puisse valablement voter), le risque d’installation d’une dictature de la majorité ( = la majorité a souvent tort, il ne faut donc pas trop lui donner la parole), plus un certain nombre d’autres encore que nous aurons l’occasion d’étudier tout au long de cet ouvrage.
L’objection de la fréquentation est à classer parmi les plus bienveillantes en ce sens qu’elle sous-entend que les promoteurs de la démocratie directe n’ont pas bien étudié leur affaire, et que la mise en évidence de ce défaut serait de nature à les remettre rapidement dans le droit chemin de la votation représentative.
En pronostiquant que les citoyens ne se rendront pas dans les agoras et que ces dernières resteront désespérément vides, les opposants à la démocratie directe signifient par voie de conséquence que les décisions qui y seraient prises n’auraient que peu de valeur et, pour tout dire, ne seraient pas légitimes.
La réponse à cette objection commence par la réfutation du parallèle avec le phénomène « Nuit Debout », qui constitue son prétexte. Comme dans toute démonstration, il faut en effet se garder d’extrapoler des conclusions à partir d’exemples qui ne sont pas comparables avec le sujet étudié, car cela débouche immanquablement sur un raisonnement erroné.
Le fait que la mobilisation citoyenne volontaire et spontanée dénommée Nuit Debout se soit essoufflée, disons même carrément éteinte, n’est pas une preuve, ni même un signe que les assemblées législatives locales qui constituent le socle de la démocratie directe subissent le même sort.
Nos détracteurs citent également souvent la difficulté qu’ont certaines associations ou collectifs à réunir un nombre de personnes suffisant pour pouvoir délibérer efficacement. L’analyse de ces deux réalités, fort peu contestables par ailleurs, nous conduit à deux types de réflexions.
Afin de répondre à ces objections, il convient, en premier lieu, de préciser que ces assemblées, nommées agoras, possèdent l’exclusivité du pouvoir législatif et que les citoyens qui y participent ont pleinement conscience de l’efficacité directe de leurs propositions, ou décisions, ce qui n’est absolument pas le cas dans les deux exemples cités.
Pour ce qui concerne Nuit Debout, il est clair que la création spontanée de ce collectif de citoyens répond bien à un besoin de débattre en dehors de tout contexte organisé. Cet élan populaire remarquable fut naturellement très mal perçu par les oligocrates au pouvoir car il représentait un danger mortel pour eux : celui de voir le peuple se mettre à réfléchir et débattre à l’extérieur du cadre prévu et parfaitement orchestré par les médias dominants, dits « mainstream ».
Pour ce qui concerne le parallèle avec le fonctionnement interne des associations ou collectifs, il s’agit là d’une référence à ce qu’on dénomme la démocratie participative, qui, comme nous allons le voir dans le prochain chapitre, n’a rien à voir ni de près ni de loin avec la démocratie directe.
Il est important de souligner que le programme d’installation de la démocratie directe prévoit de consacrer un tiers du temps des agoras au débat d’idées général, durant les séances dénommées de type 1. Ces séances sont le théâtre d’échanges non directifs de nature similaire à ceux de Nuit Debout mais à cette différence près qu’ils s’effectuent au sein d’infrastructures dédiées et non pas dans la rue. Et cela change tout !
Cette précarité de la logistique est naturellement l’une des raisons de l’extinction de l’expérience Nuit Debout, l’autre raison étant le fait qu’il n’y avait aucune possibilité de donner une suite juridique aux pistes identifiées pendant les débats. Cette deuxième lacune est également comblée par le système des agoras, au sein desquelles ces pistes peuvent être concrétisées par des propositions de lois déposées localement, puis proposées à la délibération et à la votation au niveau de l’ensemble national, lors des séances de type 2 et 3.
Dans le système oligocratique actuel, où le pouvoir législatif est concentré entre les mains d’une poignée d’individus, pour la plupart même pas élus (ministres, préfets, technocrates, etc…), le citoyen ordinaire est imprégné du double sentiment d’impuissance et d’irresponsabilité. Impuissance à faire entendre son vœu au sein d’un dispositif verrouillé. Irresponsabilité face à l’élaboration de la loi, réservée à une minorité s’autoproclamant comme étant seule compétente.
Il est un fait remarquable que cette supposée incompétence du citoyen ordinaire à fabriquer la loi est devenue, pour lui, une croyance réelle tant la pensée unique et dominante véhiculée par les médias de l’oligarchie lui enfonce sans relâche cette idée à l’intérieur du subconscient. A tel point que ce pauvre « citoyen ordinaire » en est arrivé, en fin de compte, à se persuader qu’il n’était pas capable de « faire du droit » et qu’il fallait laisser ce chantier à des professionnels rémunérés par le prélèvement fiscal sur ses maigres revenus.
Pour éclairer encore le débat sur la fréquentation des agoras, prenons l’exemple d’un chef d’entreprise qui déciderait de réunir régulièrement ses collaborateurs pour leur demander leur avis sur la conduite de l’entreprise, mais qui ne tiendrait absolument jamais compte de leurs préconisations. Croyez-vous que ces réunions continueraient à faire le plein ? Il est au contraire fort probable qu’elles seraient rapidement désertées.
Si, par contre, les propositions des employés étaient souvent mises en application, la fréquentation des réunions augmenterait certainement. Et si, par hypothèse d’école purement théorique, ces propositions acquérraient systématiquement force de loi au sein de l’entreprise, nul doute que ces sessions feraient salles combles.
Cette hypothèse est naturellement purement théorique puisque, selon la loi actuelle, une entreprise reste en dernier ressort sous le pouvoir de son chef, mais elle devient par contre tout à fait concrète dans le cas des agoras, où il n’y a pas d’autorité supérieure et où les décisions ne sont que le résultat du vœu de la majorité statutaire.
Il y a donc tout lieu de penser que les citoyens se rendront en masse dans les agoras, avec la conviction profonde, et bien réelle, que le pouvoir législatif, c’est à dire celui qui domine tous les autres et qui définit le cadre de l’activité socio-économique, n’émane que d’eux-mêmes et d’aucune caste privilégiée, ni groupe professionnel, ni élite soi-disant éclairée.
Mais le caractère attractif des agoras ne s’arrête pas là, car ces assemblées ne concourent pas qu’à la fonction législative, elle exercent également un contrôle sur l’activité de l’exécutif, c’est à dire des pouvoirs publics, autrement dit de l’Etat.
Les agoras possèdent en effet un droit de veto sur les décisions opérationnelles, que ce soit au niveau local, régional ou national, ainsi qu’un droit de révocation à l’encontre des mandataires de ces mêmes pouvoirs publics qui ne respecteraient pas les programmes d’actions approuvés lors des élections gouvernementales.
Bref, en se rendant aux agoras, les citoyens peuvent fabriquer la loi, d’une part, et contrôler l’action publique, d’autre part. On voit donc l’immensité du fossé qui sépare ce système d’avec tous les exemples connus, de type Nuit Debout, collectifs ou associations divers.
Le système de la démocratie directe se situe également à des années lumières des expériences de démocratie participative actuelle, qui, toujours selon la bonne vieille méthode de l’abbé Sieyès, tentent de se faire passer pour de la démocratie améliorée.
Ces montages ne sont en réalité que des farces grossières orchestrée par le pouvoir oligocratique, dans la mesure où les organisations consultées dans le cadre cette soi-disant participation sont généralement des associations financées par ce même pouvoir et qui, de ce fait, ne peuvent que valider les options qu’on leur présente.
On voit donc tout l’intérêt que les citoyens peuvent retirer de la fréquentation assidue des agoras, tant sur le plan du débat d’idée général dans les séances de type 1 (qui contribuent en outre à améliorer leur formation politique), que sur le plan de la fonction législative et de contrôle de l’exécutif, dans les séances de type 2 et 3.
Malgré ces arguments de poids, et pour renforcer la rigueur de notre propos, nous ne devons toutefois pas refuser d’étudier, de façon objective, l’hypothèse où les agoras seraient soumises à un taux de fréquentation particulièrement bas et les conséquences de cette situation sur le bon exercice de la démocratie. Ainsi nous ne devons pas écarter non plus, a priori, le cas où des motifs d’emploi du temps, de vie familiale, ou plus généralement de manque d’intérêt pour la chose publique détourneraient massivement les citoyens de leur chemin.
Après avoir rappelé encore une fois que cette hypothèse n’est fondée que sur une extrapolation aléatoire de certains comportements actuels, et ne prend pas en compte la notion d’appropriation du pouvoir par les citoyens, un simple calcul arithmétique montre que, même dans cette hypothèse, le système des agoras serait encore cent fois plus représentatif du vœu populaire que le système oligocratique actuellement en vigueur.
Voyons ce calcul en détail. La Constitution de la démocratie directe prévoit d’installer 12.000 agoras pouvant recevoir chacune 7 contingents de 500 citoyens, soit un corps électoral de 3.500 x 12.000 = 42 millions d’électeurs. Si, à chaque session, seulement 3 citoyens seulement étaient présents sur 500 (hypothèse caricaturale, mais intéressante pour l’efficacité de la démonstration), le corps législatif serait alors réduit à 3x7x12.000 = 252.000 personnes.
En comparaison de ce chiffre, les législateurs actuels sont au nombre de 577 (députés) + 20 (ministres) + 100 (préfets) + 30 (technocrates divers), soit environ 700 personnes, c’est à dire 300 fois moins.
L’objection attendue à ce raisonnement, de la part des défenseurs ardents de l’oligocratie, repose la conviction subjective que ces 700 personnes sont éminemment plus compétentes que les 252.000 personnes issues du tout-venant de la France d’en bas, à savoir des individus ordinaires, qui n’ont pas fait l’ENA, qui ne sont pas formés à l’économie politique, qui n’ont pas la connaissance en profondeur de la complexité de notre société développée et tant d’autres choses encore de nature à disqualifier, voire à discréditer le peuple au profit de la caste des « élites ».
Cet argument, la compétence supérieure des mandataires pour assurer la fonction législative, n’est pas un fait avéré, mais une simple croyance, construite et entretenue par les médias dominants tous propriétés de l’oligarchie économico-financière.
Car ce peuple, qui engendre autant de méfiance, pour ne pas dire de répugnance, chez les zélateurs péremptoires du système représentatif, ce « peuple », c’est lui qui subit quotidiennement la loi produite par le système oligocratique, et, accessoirement, c’est lui aussi qui fait marcher la machine économique permettant à l’oligarchie d’exister.
Contrairement à ce que croient les élitistes aveuglés par leur complexe de supériorité, le citoyen de base (c’est à dire celui qui n’a pas fait l’ENA, ou encore « le peuple dans son entier moins les 700 personnes que nous venons d’identifier »), est parfaitement capable de comprendre le sens d’une loi. Mais cette évidence est tellement aveuglante que le pouvoir représentatif n’a de cesse de déployer tous ses efforts pour l’occulter en permanence. Elle est fondée sur le fait incontestable que c’est bien lui, le « citoyen ordinaire », qui, dans l’exercice quotidien de sa vie privée ou professionnelle, est encadré et régenté par cet ensemble de 140.000 lois, règlements, arrêtés, décrets, ordonnances, directives et autres circulaires administratives qui constituent le corpus législatif de notre nation.
Et qui donc est plus apte à comprendre la loi que celui qui la subit ? Personne, naturellement, à part lui ! Nous irons même jusqu’à dire que le citoyen ordinaire est largement plus compétent que le technocrate qui a conçu une loi avec la certitude qu’il n’aurait jamais lui même à la subir.
Mais il y a plus encore !
Si nous prenons comme hypothèse d’école que les agoras soient toujours au trois quart vides (ce qui, dit en passant, est très exactement le cas de l’assemblée nationale actuelle), nous devons, par contre, admettre l’hypothèse corollaire que la composition du quart présent ne soit pas toujours identique. Ce quart devrait logiquement varier en fonction des projets de loi pouvant intéresser ou impacter plus ou moins telle ou telle catégorie de citoyens.
Si nous nous référons à la façon dont les lois sont initiées dans le système oligocratique actuel, nous constatons qu’elles le sont par l’intermédiaire de groupes de pression représentant des catégories de citoyens souhaitant se rendre la vie plus facile, ou éliminer une gêne, dans le cadre de l’exercice de leurs activités privées ou professionnelles. Ces groupes de pression, ou lobbies, exercent généralement :
- soit, des pressions directes sur les 700 législateurs précités,
- soit, des pressions indirectes en développant une capacité de nuisance ponctuelle à l’encontre de la vie quotidienne de la population (grèves, manifestations, etc..),
- soit, des pressions émotives par le développement de campagnes de séduction médiatiques.
- soit, les trois actions conjointes
Le résultat de cet ensemble d’opérations débouche généralement sur la fabrication d’une loi (qu’elle se nomme décret, arrêté, règlement, ou tout autre appellation). Ainsi, et dans tous les cas de figure, le groupe de pression aura obtenu satisfaction sans que l’ensemble des « autres citoyens » ait été consulté, ou tout au moins ait eu la possibilité de s’exprimer.
Contrairement à ce qui peut être avancé par les objecteurs de la démocratie directe, le système des agoras ne conduit pas à modifier le fait générateur du besoin de loi. Car, les vrais démocrates savent bien qu’il est dans l’ordre des choses que chaque catégorie spécifique de citoyen soit poussée à améliorer ses conditions de fonctionnement et se tourne vers l’action législative pour y parvenir. Soutenir le contraire équivaudrait à défendre la tyrannie.
Mais face à un projet de loi, qui forcément émane d’un groupe ayant intérêt à ce qu’il aboutisse, le rôle de la démocratie est de faire en sorte que tous les autres groupes, qui le désirent, puissent s’exprimer, porter leur avis, approuver le projet ou y faire barrage. Nous disons bien : « tous les citoyens qui le désirent », car le droit d’intervenir est plus important que le fait d’intervenir lui même.
Cette notion de droit théorique est cruciale pour bien comprendre les fondements de la démocratie directe. Les opposants nous disent souvent : « mais dans vos agoras, le citoyen n’est pas obligé d’y aller ! Et des lois peuvent donc passer avec uniquement les votes de ceux qui ont porté le projet, ou y trouvent un intérêt. Ce n’est pas démocratique ».
Ces opposants font preuve d’une mauvaise foi manifeste, dans la mesure où ils occultent volontairement une condition majeure et fondatrice de la démocratie directe, celle de la participation minimale. En effet, la Constitution de la démocratie directe indique clairement qu’un quota minimum de la moitié des citoyens doit être atteint pour qu’une votation puisse être validée. Cette objection n’a donc aucun sens.
Bien plus, ce principe majoritaire vise à ce que la mise au vote de tout projet de loi ait pour objet de vérifier son impact sur au moins la moitié des citoyens, que ce soit dans un sens positif ou négatif. En termes clairs, si plus de la moitié des citoyens se contrefiche du projet de loi, ou si moins de la moitié des citoyens juge utile d’en débattre, celui-ci ne verra pas le jour, ou devra être reporté à d’autres calendes.
C’est ainsi que, par le système de la démocratie directe, les intérêts particuliers, minoritaires ou corporatistes ne peuvent pas imposer au plus grand nombre des règlements favorisant leurs activités sans obtenir, précisément, l’accord de ce plus grand nombre. Et c’est donc la fin, vous l’avez bien compris, de la toute-puissance des lobbies. C’est également, grâce au principe du quota minimum de votants, la prise en compte de l’abstention en tant que paramètre constitutif d’une votation.
Enfin, pour être complet sur ce sujet, il convient de rappeler qu’un citoyen est un individu majeur possédant la nationalité française et non privé de ses droits civiques. Cette définition emporte donc l’extinction de la notion administrative actuelle d’inscrit sur les listes électorales et énonce qu’en démocratie directe, n’importe quel citoyen peut exercer son droit de vote sans avoir demander au préalable la permission de le faire.
En conclusion, le pronostic le plus réaliste que nous pouvons faire concernant les caractéristiques de la fréquentation des agoras, c’est que les séances de type 1 consacrées au débat d’idées général, par leur vocation formatrice, seront le creuset d’une nouvelle citoyenneté.
Pour ce qui concerne les séances de type 2 consacrées à la présentation des projets de loi et des motions de censure sur les décisions de l’exécutif, elles seront animées par les groupes directement initiateurs ou concernés, et qui certainement ne seront pas toujours les mêmes, en fonction des sujets traités. Il y aura donc probablement une rotation des catégories de citoyens dans ces séances, et ce sera enfin une manifestation non manipulée du pluralisme.
Quant aux séances de type 3, consacrées aux délibérations et aux votations, les citoyens s’y rendront certainement en plus grand nombre, car, même ceux qui n’auront pas été assidus des séances de débat général, ni très concernés selon le cas, par les séances de présentation des projets, comprendront à coup sûr l’importance de leur vote pour chaque éventuelle modification des règles de la vie collective.
En résumé chaque action politique de la nation sera construite par ceux qui se sentent concernés et s’y intéressent, sous réserve d’une trop grande proportion de ceux qui ne se sentent pas concernés et ne s’y intéressent pas.
[Extrait du livre "Vers la démocratie directe"]
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