Pour en finir avec le gauchisme !
De nos jours, une qualification politique péjorative se répand dans la sphère politique, et notamment sur Internet, de manière phénoménale. Il s’agit de l’insulte “gauchiste”. Le plus souvent employée par des militants d’extrême-droite pour discréditer leurs adversaires politiques, il n’y a pas une personne qui s’intéresse à la politique en France qui ne l’ai pas entendu. Car le quolibet est répandu bien au delà des frontières de la “fachosphère” pour se retrouver dans la bouche de François de Rugy lorsque celui-ci quitte les Verts, dans celle de certains altermondialistes pour se démarquer des Black Blocs ou encore dans celle de militants du Pôle de Renaissance du Communisme en France (PRCF) pour disqualifier les communistes non orthodoxes. Les activistes d’extrême-droite y voient certainement une preuve que la gauche vole des termes et des idées à la droite tout en la critiquant très fermement par ailleurs. Rien n’est plus faux. Le terme de gauchisme a été employé par la gauche, surtout par les communistes, bien avant que l'extrême-droite n’ait conscience de l’existence de ce mot. Il y a environ un siècle, Lénine s’en prenait vigoureusement à ce qu’on nomme la “gauche communiste”, c’est à dire l’ensemble des courants communistes qui refusent le léninisme et ses mensonges, dans son livre “Le gauchisme, la maladie infantile du communisme”. Par la suite, le brocard a été en possession presque exclusive du Parti communiste français (PCF) qui a contribué à en assurer la pérennité. En effet, il l’a utilisé à tout bout de champ pendant environ une trentaine d’années pour dévaloriser les courants communistes contestataires qui proposaient des alternatives au léninisme et à l’URSS. Ce n’est qu’après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement de ce qu’on a appelé le “socialisme réel” que l’invective “gauchisme” est récupéré par l’extrême-droite qui dès lors n’hésite pas à la ressortir à toutes les sauces pour toute sorte de choses qui lui déplaît. François Hollande ? “Gauchiste !” Les mass-médias ? “Gauchistes !” Christiane Taubira ? “Gauchiste !” Mélenchon ? “Gauchiste !” etc… Pour certains, dont le youtuber Daniel Conversano, qui entre temps se réclame ouvertement du fascisme, l’insulte sert même à déshonorer d’autres membres de la soi-disante “résistance”, comme Alain Soral par exemple. Ainsi, on assiste à une entreprise de récupération d’un terme provenant de la gauche radicale par une extrême-droite qui en même temps la critique. Nos fameux activistes de la pseudo-e-résistance n’ont donc pas l’appartenance de ce mot, ce qui soulagera certains. De plus, comme à chaque fois que l’extrême-droite emploie un concept ou un terme, une immense confusion s’est répandue autour du gauchisme. Il a tellement été exploité par la droite réactionnaire qu’il a perdu son sens originel. Il nous faut donc clarifier cette expression et lui redonner un sens. “Les mots sont des armes” comme disait Pierre Bottero, des outils qu’il est nécessaire de manier correctement et objectivement. C’est ce que je me propose de faire ici, une renaissance du mot “gauchisme” afin de pouvoir l’utiliser de manière réellement appropriée à l’avenir.
Tout d’abord, avant de s’intéresser aux différentes caractéristiques du gauchisme, il convient de le distinguer de concepts qui, dans la bouche de l’extrême-droite, sont similaires, mais qui dans la réalité désigne deux choses différentes. Une entreprise de déminage du terme est indispensable avant de s’attaquer en profondeur à sa signification. A droite, on aime mélanger pour la cause ce qui n’a rien à voir ensemble. De fait, le gauchisme est assimilé au concept de bourgeois-bohème (“bobo”) ou de cosmopolite. L’amalgame démarre ainsi pour nos champions de la culture française. Or, le gauchisme n’a rien à voir avec la bobocratie et est également différent du cosmopolitisme. Car les bobos ne sont pas des gauchistes, que cela plaise ou non. D’une part, les gauchistes se prétendent révolutionnaires là où les bourgeois-bohèmes se veulent réformistes ou conciliateurs. Pour un bobo la violence est bien souvent à rejeter car il a un goût aigu pour le dialogue social et le compromis. Cependant, il nous faut d’abord définir ce qu’est le phénomène du bobo. Ensuite, cela nous permettra de le distinguer du gauchisme. Le bobo désigne des individus appartenant aux nouvelles couches moyennes (cadres et professions intellectuelles élevées au service des intérêts de la classe dominante) apparues dans les années 70 avec le néo-capitalisme, qui se veut dans le camp du progrès et du bien, tout en étant conservateur économiquement car s’en prendre au système politique et économique va à l’encontre de ses intérêts de classe. Les bourgeois-bohèmes sont donc apparus avec le néo-capitalisme, c’est à dire lors de l’explosion du marché des loisirs, du désir et des activités tertiaires au détriment des industries (souvent délocalisées). Ils accompagnent ce phénomène bien particulier et le renforcent. En effet, le néo-capitalisme a compris que le système fordiste, conservateur et autoritaire n’était plus tenable et il a donc insufflé un nouvel esprit au capitalisme teinté de liberté. Notre bobocratie s'enthousiasmait (et s’enthousiasme toujours) des conquêtes sociétales et de la fin du conservatisme au moment même où la contre révolution néo-libérale se mettait en place et précarisait les travailleurs. En fait, cette réaction économique ne déplaît nullement aux bobos car, appartenant aux couches moyennes, ils ont des intérêts de classes proches de ceux de l’oligarchie. Par conséquent, un bobo est à gauche sur le plan sociétal et à droite sur le plan social. Or, le gauchisme, s’il est à gauche sur le plan sociétal, il l’est aussi sur le plan social. Il se veut révolutionnaire. Alors que le bobo se voue dans le culte des nouvelles technologies et cherche toutes sortes de bonnes idées pour réformer le capitalisme et le rendre plus tendance, plus juste. Le gauchiste lui veut détruire le capitalisme, là où le bobo veut le renforcer en le réformant. C’est complètement différent. Quant au cosmopolitisme, ce terme est réducteur. Le fait que le gauchiste soit un mondialiste est vrai, mais c’est loin d’être assez ! Bref, distinguer le phénomène gauchistes de groupes sociaux, comme la bourgeoisie-bohème, et d’autres phénomènes, comme le cosmopolitisme, est primordial pour éviter toute confusion.
Maintenant, il nous faut étudier les principales caractéristiques du gauchisme afin de pouvoir le définir clairement à l’avenir. Tout d’abord, le gauchisme en tant qu’individu et en tant que groupe préfère toujours l’agitation à l’action. Un gauchiste n’agit pas, il s’agite, s’insurrectionne sans cesse tout en se croyant dans le même temps à la tête de la Révolution. Cette agitation excessive est la conséquence d'un autre phénomène propre au gauchisme, sans lui être exclusif, le manque de théorisation. L’individu gauchiste ne doit certainement pas connaître l’adage “réfléchir avant d’agir”. Alors que la Révolution doit immanquablement s’appuyer sur une base théorique comme le remarquait judicieusement Marx, le gauchiste pense au contraire qu’on peut s’en passer et que ce n’est qu’une perte de temps. Mieux vaut se montrer à l’opinion publique que de rester dans son coin à théoriser croient les gauchistes. Or, en réalité les gauchistes se montrent à l’opinion publique en manifestant et en s’agitant, mais à cause du manque de théorisation sur la manière de se présenter devant elle, celle-ci les rejette ou passe à côté d’eux sans les voir, alors qu’ils auraient pu réfléchir à une manière efficace de se présenter aux yeux des travailleurs. Voilà ce qu’est la véritable action politique, une mise en pratique d’une pensée théorique. Sinon, on se cantonne comme le NPA à de l’agitation, on manifeste et on ne dépasse pas les 2% aux élections, bien que les élections ne soient pas représentatives de la volonté du peuple, loin s’en faut. Mais le NPA est tout entier tourné vers l’agitation, y compris son symbole, un haut-parleur, servant simplement à faire du bruit et non pas à se cogiter sur la manière dont le bruit diffusé pourrait être audible à l’oreil des travailleurs. De même, leur programme dans lequel on parle de taxer les riches, au lieu d’apporter une méthode, que l’on a théorisé auparavant, pour faire en sorte qu’il n’y en ait plus. Au contraire de ce parti libertaire, il faut absolument préparer la Révolution par une théorisation adéquate au réel. D’ailleurs, Lénine disait bien “sans théorie révolutionnaire, pas de pratique révolutionnaire", ce qui démontre que la théorie et la pratique vont de pair et qu’il faut toujours les confronter l’une à l’autre pour avancer dans le projet révolutionnaire. La bourgeoisie, elle, quand elle a mené la Révolution face à la noblesse et à l’aristocratie s’est appuyée sur une base théorique considérable. En témoigne le courant des Lumières qui permit de diffuser dans la société des idées allant à l’encontre du féodalisme et de l’absolutisme ou encore la philosophie et l’économie anglaise qui, à l’instar des travaux d’Adam Smith, vinrent justifier et assister la politique libérale conduite par la bourgeoisie une fois au pouvoir. Il faut donc, contrairement à ce dont sont convaincus les gauchistes, théoriser avant d’agir. En outre, les gauchistes de par leur manque de réflexion non seulement s’agitent bêtement, mais en plus le font sans même comprendre véritablement ce contre quoi il croient combattre. En effet, sans activité intellectuelle, on ne peut pas comprendre le monde qui nous entoure. Il faut analyser et comprendre les bases et les mécanismes de la société avant de se dresser contre elle. De fait, si l’on connaît les failles du mode de production capitaliste et des instances politiques, juridiques et économiques de notre époque mondialiste, on peut mieux affronter les tenants de ce système en les mettant face à leurs contradictions et en appuyant là où ça fait mal. Mais cela, le gauchiste semble l’ignorer. Malheureusement, l’ignorance semble être omniprésente parmi la société et elle est une des causes de l’apparition de mouvements gauchistes. Néanmoins, il ne faut pas avoir l’idée saugrenue de jouer dialectiquement en se faisant l’antithèse du gauchisme et en se limitant au plan théorique sans jamais entrer dans la pratique. Il ne faut pas non plus théoriser tout seul dans son coin et garder pour soi ce qu’on a théorisé. C’est une grave erreur. Comme disait Marx “une idée devient une force lorsqu’elle s’empare des masses”. Outre le fait de confirmer que l’on a besoin de théoriser et de réfléchir à des idées viables et révolutionnaires avant de les partager à la majorité des travailleurs, cette phrase prévient également le risque inverse, celui de ne point partager ses réflexions théoriques et donc de rester affaibli. Il ne faut rejoindre aucun de ces deux travers, ni celui de l’intellectuel isolé, ni celui du gauchiste ignorant.
Autre caractéristique du gauchisme, celle de voir certains révolutionnaire qui, par manque de théorisation, tomber dans les pièges de l’idéologie dominante en reprenant certains combats qui dans la manière dont ils sont menés au sein de la société capitaliste servent les intérêts de la classe dominante. Ces combats, qu’ils soient bons ou mauvais, là n’est pas le problème n’ont au premier abord aucun lien avec le renforcement de l’oligarchie capitaliste, sinon même un gauchiste ignorant ne serait pas assez bête pour les reprendre. Il s’agit d’un certain nombre de luttes, qui menées dans la société capitaliste renforce celle-ci. Tout d’abord, on y trouve le vaste ensemble des luttes sociétales qui, je le répète, même si au premier abord on ne s’en rend pas compte, affermissent la domination oligarchique. En effet, le principe des combats sociétaux de nos jours est non seulement d’être ultra-conformistes car avec le temps le conservatisme culturel a été vaincu, mais surtout de masquer le véritable problème actuel par des problèmes secondaires, ce qui arrange évidemment les salauds au pouvoir. En déplaçant sans cesse le débat sur des questions sociétales au lieu de s’intéresser au social et au politique on noie la lutte des classes derrière un brouillard gauchiste qui n’est en rien anticonformiste. Le sociétal, indubitablement, prend à coeur les individus bien au delà du camp progressiste. Des fondateurs de start-up aux bobos en passant par les capitalistes “à gauche sur les moeurs”, personne ne s’oppose, tout le monde approuve, à part peut-être quelques vieux bourges rabougris du XVIe arrondissement de Paris. Mais là le problème n’est plus qu’une question de temps. Il suffit d'attendre la prochaine canicule. Plus important, le grand problème du sociétal est qu’en plus de masquer les intérêts de classes en opposant les individus sur des critères de sexe ou d’orientation sexuel (dont on n’en a rien à foutre normalement), il est souvent récupéré par le néo-capitalisme, le capitalisme du marché des loisirs et des désirs. Cela a notamment été le cas des avancées sociétales post-soixante-huitardes. Les verrous culturels conservateurs empêchant le néo-capitalisme en devenir d’accélérer son expansion ont été brisé suite à Mai 68. L’héritage sociétale soixante-huitard est rapidement récupéré par le néo-capitalisme, ce qui fait advenir le marché du désir. Evidemment, la libération sexuelle mute en libéralisation sexuelle et il en est de même pour beaucoup d’autres changements sociétaux. Le désir, synonyme pour beaucoup de liberté, est en réalité une aliénation perfide de l’homme. De plus en plus la société capitaliste, néo-capitaliste, dit à l’individu de se laisser aller à ses envies, d’abandonner sa conscience de classe car après tout il n’y a pas de classe parmi les consommateurs. Tout est permis pour le consommateur, mais rien n’est possible en réalité pour les travailleurs, comme l’indiquait judicieusement Michel Clouscard. Car encore de nos jours, si les classes et les couches moyennes ainsi que ceux qui vivent de la propriété lucrative ont accès à une forte consommation, ce n’est pas le cas des travailleurs, ouvriers, salariés, paysans et “professions intermédiaires”. Pire, dans le néo-capitalisme on est permissif avec le consommateur (le client est roi) et répressif avec le producteur qui continue à subir l’exploitation comme lors du capitalisme pré-soixante-huitard. La conséquence de toutes ces mutations est simple. Au lieu de s’effondrer avec la crise du capitalisme traditionnel, le mode de production capitaliste a trouvé des ressources dans le néo-capitalisme. Mai 68 accompagne et fortifie ce mouvement. Voilà donc un exemple de tous les artifices du capitalisme qui fait des combats sociétaux autant de fortifiants pour sa domination. Et c’est pourquoi j’appel à recentrer le débat sur le politique les rapports de production et de classes. La Révolution politique et sociale qui jahira entraînera immanquablement le progrès sociétal alors que l’inverse n’est pas vrai et entraîne un phénomène contre-révolutionnaire.
En outre, il nous faut voir un autre combat mené par les gauchistes et qui lui aussi sert les intérêts des oligarques, mais cette fois de manière directe. Au nom d’un Internationalisme révolutionnaire mal compris les gauchistes croient de bon goût s’en prendre à ce qu’ils considèrent à tort comme des carcans : les frontières et les nations. L’internationalisme gauchiste, celui qui justifie la libre circulation des personnes entre nations et la disparition de ces dernières, est en réalité un mondialisme de gauche. Ce mondialisme, et il ne faut pas être très intelligent pour s’en rendre compte, fortifie nettement la classe dominante. Premièrement, cela coupe ces pseudos-révolutionnaires des travailleurs français qui, que cela leur plaise ou non, sont patriotes et sont attachés à la Nation française. De plus, s’attaquer aux nations, cela veut dire s’attaquer à l'identité des peuples, et donc les affaiblir. Des masses sans identités, perdues dans le mondialisme et le multiculturalisme sont beaucoup plus facilement malléables que des masses qui prennent consciences qu’elles forment un peuple qui doit entrer en action pour s’emparer du pouvoir par la Révolution. Les élites, que ce soient les bobos ou les oligarques, sont toutes mondialistes de nos jours parce que cela convient à leurs intérêts. Le problème des gauchistes sans théorisation révolutionnaire est qu’ils sont restés fixé dans les vieux schémas pour lesquels l’Etat-nation est un outil aux mains de la bourgeoisie pour se maintenir au pouvoir. Or, de nos jours, au contraire, les capitalistes (tout comme les gauchistes donc) s’en prennent aux États-nations afin de renforcer des superstructures supranationales sur lesquelles elles ont plus de mainmise. Par ailleurs, Michel Clouscard expliquait que “alors que l'Etat-Nation a pu être le moyen d'oppression d'une classe par une autre, il devient le moyen de résister à la mondialisation. C'est un jeu dialectique”. Comme quoi le gauchisme peut sur certains points être exactement du même avis que l’oligarchie capitaliste. C’est le principe de l’idiot utile.
Pour conclure, on en arrive à la définition suivante du gauchisme : Ensemble des mouvements se voulant révolutionnaires mais qui par leur manque de compréhension du réel mènent des combats qui servent à la classe dominante et à la contre-révolution. C’est contre ce gauchisme que j’appel tous les révolutionnaires à combattre par la pensée. Il faut absolument que les militants gauchistes soient formés à la théorie révolutionnaire afin de pouvoir optimiser les actions révolutionnaires. Le gauchisme est une plaie mauvaise sur le corps du camp révolutionnaire français. Il faut la brûler au fer rouge.
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