Pour en finir avec les complotistes
Les complotistes n'ont jamais eu autant d'audience que depuis l'avènement d'Internet. Dans une société où l'opinion publique est saturée d'informations, les complotistes offrent une vision du monde exaltante, pleine de mystère. Ils prétendent nous dévoiler l'envers du décor et trouver un sens à la marche du monde, peut-être même à l'existence. A quoi s'intéressent-ils au fond ? Que risque t-on à se laisser prendre à leurs discours ?...
Une invraisemblable réalité
Les théoriciens du complot se portent mieux que jamais.
Ce n’est pas que la période actuelle soit plus trépidante qu’une autre, qu’elle soit plus intéressante qu'une autre pour les partisans de la conspiration. Mais comme nous avons désormais des images en direct du monde entier, n’importe qui peut les commenter, en faire une vidéo , un blog, il n’y a plus de limites. Il n'est pas étonnant que toutes sortes de toqués y trouvent l'occasion de déverser leurs délires sur la place publique.
Nous ne sommes que trop bien informés, rassasiés d’opinions jusqu’à plus soif. Et puisque tout se voit et se dit aujourd’hui, le peu qui reste caché acquiert d’autant plus de charme et de mystère. Ce qui est caché est plus excitant, du simple fait qu’un voile est là pour le recouvrir. A vrai dire, la vie de notre société, dans laquelle règnent les conditions de consommation d’images, s’annonce comme une immense accumulation de flash-infos. Avec l'avènement de l'Internet pour tous, les complotistes ont ouvert le robinet il y a plus de dix ans et continuent aujourd'hui à nous abreuver du flot de leurs théories. Ils prétendent inventer le média-vérité, celui que les autres promettent mais ne nous offrent jamais. Ils ont inventé le flash-info permanent. Télé-Radio-Complot vous parle depuis la cave où les derniers résistants se sont terrés...
Le choc en direct des images redouble la violence des évènements, les rend beaucoup plus difficiles à encaisser. La plupart des gens se lassent de ce déluge d’images. Le complotiste, lui, n'y croit pas. Traumatisés par ce qu'il voit, il ne peut plus accorder de crédit à cette réalité servie en direct, tellement hyperréelle qu'elle paraît exagérée, donc fictive. Quelle drôle d'énigme : le monde n'est pas ce qu'il paraît être. Il est tellement réel qu'il ne peut pas être vrai. Il doit avoir du sens, mais caché. Nous ne sommes pas seuls, à nous débattre dans une existence insignifiante : le monde est pris en charge par des responsables impitoyables. Nous vivons dans l'ère du soupçon. On se méfie de tout le monde. Les complotistes accentuent cette tendance jusqu'au pathologique.
Puisque ces images sont si incroyables, cela doit cacher quelque chose... Tant de choses ahurissantes ne peuvent arriver par le fait du hasard : il faut derrière cela des réseaux d'influence à long terme, des volontés incroyablement concertées... Le spectacle officiel paraît alors n'avoir plus d'intérêt que comme écran à traverser pour rejoindre l'autre scène, noire, occulte. C'est là qu le complotiste intervient, pour dénoncer les divers groupes qui mènent la danse. (Nous laisserons à des sémanticiens plus subtils le soin de distinguer conjurations, complots et conspirations, comme si tout cela relevait de projets clairement concertés, parfaitement maîtrisés, menés par des individus sûrs d'eux.) Ce qui se passe sous nos yeux nous ennuie, c’est du déjà-vu mille fois ? Les politiciens nous servent toujours les mêmes salades ? L’histoire racontée dans les livres n’est pas assez palpitante ? Les relations internationales sont trop prosaïques ? Allons explorer l’envers du décor ! Le théâtre du monde est devenu un gigantesque réseau de coulisses, de chausse-trappes et de trompe-l'oeil. Nous voyons des mannequins se déplacer mais nous ignorons quelle est, en coulisse, la mécanique qui les meut. Cette machinerie de théâtre doit être au service d'une machination.... Alors, promenons-nous dans les coulisses, faisons tomber les masques ! Allons fouiller dans les loges !
Une illusion comique
Comme la vérité n'est pas toujours vraisemblable, il n'est pas difficile à certains de se raconter des histoires, pour mieux fuir une réalité trop perturbante. Que Ben Laden ait monté une équipe de pilotes suicidaires pour détourner des avions de ligne et les emmener se fracasser sur les tours du World Trade Center, c’est spectaculaire sur le moment, c’est sidérant ; mais le complotiste, qui en a vu d’autres, ne se satisfait pas de si peu. Il ne veut pas croire que ce soit bêtement comme ça que ça s'est passé. Ce serait trop idiot. Alors, un peu comme les enfants qui, dans la cour de récré, rejouent les personnages du film qu’ils viennent de voir, les complotistes se refont la scène et ils inventent la suite.
- On dirait que je serais Ben Laden, et toi Georges Bush, et puis toi Zacarias Moussaoui…
- Nan, j’veux pas finir à Guantanamo !
- Et puis on dirait qu’en fait Bush, il savait…
- Ah ouais et il a prévenu personne ! Mais comme il déteste Saddam Hussein, il va dire que c’est la faute aux Irakiens !
- Et pis il va filer des thunes à Ben Laden pour monter l’opération, et dire aux douaniers américains de partir en vacances le 11 septembre, comme ça, c’est plus peinard.
Mieux qu’Hollywood, Robert Hossein et 24 heures chrono réunis, la théorie du complot offre un spectacle d’envergure, avec participation du public et rebondissements incessants. Le monde vu par les complotistes, c’est comme les spin-off, ces séries dérivées d’une première série à succès, où l’on va découvrir le passé du héros ou ses ancêtres : c’est Ben Laden, agent de la CIA dans les années 1990. C'est Kubrick discrètement contacté pour filmer le premier pas sur la lune en studio.
C’est aussi comme les reboots des films de super-héros : on refait la même chose, mais en plus noir. C’est JFK assassiné par un complot réunissant à peu près tous les Américains. C’est George Bush qui n’est pas seulement un imbécile d’ancien entraîneur de base-ball alcoolique à la botte des militaires américains, mais aussi un terrible Reptilien échappé de la Terre Creuse. Ça a, il faut l’avouer, plus de gueule. Les actualités prennent une envergure tout autre. Tant pis si ça peut aussi virer au gros nanar qui tâche : le mur de sainte-Odile qui nous protège des dinosaures.
Je ne suis pas loin de croire que les complotistes sont des dramaturges ratés. Il leur faut non pas trois, mais quatre, cinq, sept ou treize actes ; des scènes d’exposition toutes les deux scènes ; des ensorceleurs et des conspirations florentines. Des haines ancestrales ; des meurtres en direct ; des milliers de figurants ; des acteurs qui jouent trois ou quatre rôles. Des seconds rôles parmi le public ; des bourreaux des autres et d’eux-mêmes ; des danses de pantins manipulés par quatorze marionettistes tapis dans l’ombre. Des intrigues tortueuses, de l’ironie tragique, du drame, du deus ex machina, de la bollywooderie, du théâtre dans le théâtre ! Un spectacle monstrueux, comme on n’en a jamais vu ni à Broadway, ni à Las Vegas, une superproduction tragicomico-dramatico-pathétique ! N’importe quoi pour oublier leur lassitude, et trouver, dans les douceurs d’un spectacle si grotesque, de quoi se délasser d’un si pesant fardeau, celui de la réalité nue. A tout prendre, on ferait aussi bien d’en rire.
« Le fou a tout perdu, sauf la raison »
Tout cela serait bel et bien, évidemment, s’il n’y avait pas de quoi jeter des tomates à la tête des metteurs en scène, ou leur passer une camisole de force. Le fou, dit Chesterton, a tout perdu, sauf la raison. Pour lui, tout s'explique. Tout a une cause, rien n’arrive par accident. Toute action a un auteur. Chesterton désignait en fait ce que nous appellerions le paranoïaque. Il avait vu juste : le fou ne manque jamais de raisonnements. Oh non, il n’est jamais à courts d’arguments pour défendre son idée fixe qui suffit à l’occuper et autour de laquelle il va broder tout un système de pensée parfaitement cohérent, entièrement clos sur lui-même, comme une maison sans porte ni fenêtres. Enfermé dans ce système aussi solide qu’une forteresse, il se sent assiégé. C’est son dernier carré à lui, le dernier donjon qui résiste encore aux assauts du réel. Et le complotiste tire à vue sur tous ceux qui approchent ! N’allez pas le titiller sur son obsession, sinon vous êtes partis pour la nuit ! N’allez pas essayer de le contredire, vous vous ferez sa victime ! Le complotiste cherche à vampiriser le réel, à l’absorber en lui pour nourrir sa carcasse vide.
Au fond, n’importe quel thème dont on parle à la télé pourra lui servir de base. Peu importe, en somme. De préférence des événements spectaculaires, ceux qui intéressent le public, qui concernent de grands personnages. Mais il ne faudrait pas croire pour autant que le complotiste s’intéresse vraiment à ce dont il parle. Francs-maçons, Juifs, Templiers, petits hommes verts ou Illuminatis en vadrouille, ne l'intéressent pas en tant que tel, mais uniquement comme boucs-émissaires. Il pourrait aussi bien tirer le coupable à la loterie, avec une roue de la fortune -mais ce serait déjà admettre le rôle du hasard dans l’existence : impensable ! L’homme est ainsi fait qu’il cherche toujours un coupable à ses malheurs (moins à son bonheur en revanche, dont il ne veut pas trop trouver la cause, de peur de le perdre, ce bonheur).
Le complotiste ne fait donc que pousser jusqu’au délire une tendance tout à fait banale de l’esprit humain, celle qui consiste à chercher du sens et de la cohérence aux choses. Mieux vaut un sens délirant que pas de sens du tout. Mieux vaut que le monde soit aux mains du diable que laissé à la dérive, chutant irrémédiablement dans le vide. Alors nos malheurs s'expliquent. On a pu dire à ce sujet que le complotiste fait preuve d’un très grand optimisme allié à un très grand pessimisme : optimisme parce qu’il considère qu’un groupe d’hommes résolus a réussi à s’associer en vue d’un grand projet et à le concrétiser ; pessimisme parce que ces gens-là ne se sont réunis que pour faire du mal aux autres.
Le complotiste s'est claquemuré dans sa paranoïa. Il a bâti sa pyramide et a juché à son sommet un oeil vigilant qui observe le monde entier.
Le génie du mal
Le film d'Alan J. Pakula, The Parallax View (1974), suit un journaliste qui enquête sur l'assassinat d'un dirigeant politique. Dans l'année qui suit, plusieurs témoins de sa mort décèdent dans des circonstances troubles. Suite de coïncidences macabres ou conspiration ? L'angle retenu par le réalisateur privilégie nettement la thèse du complot. On peut retirer de ce film une bonne illustration de la vision complotiste du monde. La parallaxe désigne l'influence de la position de l'observateur sur la chose observée. Et il est vrai que tout évènement, si on le regarde selon un certain angle, peut être vu comme la conséquence d'une conspiration. Essayez et vous verrez, c'est si simple que c'en est effrayant. Il n'y a pas beaucoup d'effort à faire pour entrer dans cette logique, dans la mentalité des persécutés, pour s'imaginer les plus noirs desseins et les manigances les plus diaboliques. Rapidement, vous ne verrez plus l'histoire que par ce prisme.
Vous croyiez que nous étions arrivés à la fin de l'Histoire, à l'heure du choc des civilisations ? Quelle erreur ! Depuis le début, tout était prévu, calculé, agencé... Dites-vous bien cela : pour un complotiste conséquent, l'Histoire n'a pas eu lieu ! Le temps ne compte pas, les hommes sont des marionettes, la liberté une illusion d'esclaves. Le complotisme est anti-historique : il hésite entre affirmer la toute-puissance de certains hommes à prendre en main notre destin et la réduction de l'homme à une dérisoire et stupide créature, menée par le Malin... Mauvais cartésiens, vous avez fait de la méthode rationaliste un préambule au révisionnisme ! Vous avez voulu douter de tout, et rejeter dans le faux ce qui n'était pas absolument certain... L'auteur du Discours de la méthode n'a jamais prétendu que le doute hyperbolique dût être pratiqué indéfiniment, nuit et jour. Descartes retrouvait Dieu, vous en êtes restés au Malin Génie. Je suis persécuté, donc je suis...
Personne ne peut nier que nos société démocratiques souffrent sous le poids d'institutions contraires aux libertés, que des individus sans scrupule cherche à se hisser le plus haut possible dans les cénacles du pouvoir. Plus on a de gros intérêts à défendre et plus on est redevables à divers groupes d'influences de sa position, plus on mentira facilement et plus on aura les moyens pour diffuser sa vérité officielle. Mais vous êtes vraiment trop naïfs, derrière votre attitude soupçonneuse, de prendre au pied de la lettre ce qu'affirment nos chers maîtres du monde. N'importe quel garçon d'épicerie sait faire la différence entre ce que les gens disent et ce qu'ils font : nos théoriciens du complot ne sont pas encore parvenus à ce savoir élémentaire !
Vous ne voyez pas que les dominants ne sont pas entièrement lucides, qu'eux aussi vivent dans leur monde d'illusions, qu'ils se racontent aussi des histoires, qu'ils cherchent aussi à s'enivrer, à vivre en altitude, entre deux aéroports. Ils ont mieux à faire de vous en vouloir, vous qu'ils ne connaissent pas, qu'ils ignorent superbement ! Vous avez bien un point de vue d'esclave sur les maîtres : vous pensez qu'ils agissent en vertu de leur méchanceté, alors qu'ils cherchent juste à s'imposer, à dominer, à jouir de leur sentiment de puissance, avant que d'autres viennent, et les balayent... Il n'y a pas de pilote dans l'avion, personne dans les bureaux du dernier étage de GlobalWorld Inc. Le système tourne à vide, et il n'y a pas de système.
Nier, dénier, renier, ils ne savent faire que cela : nier la réalité, dénier leurs erreurs pour mieux affirmer qu'aujourd'hui, ils sont enfin dans la vérité ; renier leurs errances passées pour s'inventer un destin. Même l'esclave veut se sentir maître de soi, quitte, pour cela, à grandir les mérites de ses maîtres. Le complotiste est prêt à se soumettre, si la soumission est grandiose, si le maître est un grand seigneur sadien, un génie du mal... La persécution oui, mais qu'au moins, le bourreau soit à la hauteur des attentes de ses victimes ! Vous avez voulu d'une Providence, vous n'aurez que des mythes de carton-pâte. En solde les mythologies complotistes ; deuxième démarque : tout doit disparaître !
Insupportable solitude
Le prix à payer pour satisfaire ce besoin de nier est de finir par se couper plus ou moins du réel. Quand tout n’est plus que jeu d’apparences, machinations secrètes, le monde devient un décor de théâtre, qui menace ruine. A l’exaltation succède le dégoût, l’apathie ; en s’acharnant dans ses théories, le complotiste fait son malheur. Il s’empoisonne lui-même, alors qu’il croit que c’est l’Etat qui met des produits dans l’eau pour contrôler nos cerveaux ; il s’enfonce dans ses erreurs, et il attribue cette confusion mentale aux médias qui mentent ; il en veut au monde entier et croit que le monde entier lui en veut. Il ne comprend pas que c’est mieux, ou pire : que les gens ne s’intéressent pas à lui. Les laboratoires pharmaceutiques nous refiler des médicaments pourris pour nous décérébrer. Le complotiste fera tout pour se prouver le contraire : tant pis s’ils finasse sur de l’insignifiant, se montre hypercritiques sur des détails dérisoires, empapaoute les drosophiles à tout propos et ne vit guère que de la réfutation des discours des autres, comme des sangsues de leurs hôtes.
Le complotiste est vaniteux, mégalo, nombriliste : il croit que les gens n’ont rien de mieux à faire que de s’intéresser à sa petite personne. A t-on jamais un orgueil si démesuré ? Les banques juives investissent des milliards rien que pour l’humilier. Les Juifs viennent le coloniser de l’intérieur, pervertir la race, pour jouir du spectacle de sa détresse, assister à son délabrement intérieur. Il se croit concerné au premier chef par tout ce qui arrive. Les tours-jumelles n’ont été détruites que pour lui donner l’occasion d’apprendre la chimie et la physique, ainsi que la métallurgie, la résistance des matériaux, sans oublier l’aérodynamique et le fonctionnement des nano-thermites. De quoi s’occuper le dimanche ! Les extraterrestres, de toutes les milliards de planètes de l’univers, ont choisi la nôtre, bien sûr, puisqu’elle est déjà pleine de complotistes prêts à s’intéresser à eux !
Nous sommes décidément des gens importants, sur notre terre perdue au milieu de nulle part, dans notre vieille Europe et notre coin de France, pour que tant d’êtres occultes, hideux et indescriptibles, aient les yeux braqués sur nous ! Quelle vexation que celle que nous inflige le silence de l'univers : dans un monde d'indifférence, se sentir détesté est un pis-aller. Les complotistes sont des orphelins inconsolables, à la recherche d'une mère, fût-elle une marâtre, d'une figure paternelle, fût-il un tyran. L'homme n'a ni Dieu ni Dame Nature pour le soutenir. Les cieux sont vides, l'absolue solitude de l'univers est indépassable. Le complotiste ne s'en remet pas. En cherchant la vérité sur le monde social, il cherche un tant soi peu d'appui, de substance dans le monde, pour se persuader que nous sommes guidés, que nous ne sommes pas des passagers aveugles à bord d'un Titanic.
Le plus mauvais spectacle de l'univers
Bien sûr, vous dira le parano, ce n’est pas parce que je n’ai pas de preuves formelles qu’on m’en veut que j’ai tort de me méfier… A ce compte-là, on entre dans la justification auto-entretenue. Miracle, le complotiste a inventé le discours auto-référentiel, le mouvement perpétuel ! Le ressassement éternel, l’entretien interminable… Comme un mauvais scénariste, il saura ne garder que les coïncidences frappantes, celles qui accréditent ce qu’il dit. Il a la mémoire sélective. Il éliminera les détails superflus ou gênants, ceux qui pourraient faire dérailler le bon déroulement de l’intrigue. Il verra le diable dans tous les détails. Il donnera mille sens aux événements, à plaisir, pour faire du monde un grand livre crypté ; il jouera au Nostradamus et déchiffrera pour nous l’énigme de la vie, passée, présente et à venir. Rien ne peut le surprendre. Il est blasé mais il doit quand même surprendre sans cesse son auditoire, quitte à réutiliser sans arrêt les mêmes ficelles éculées. Quel cabotinage dans cette mise en scène de soi ! Quelle immaturité dans ce verbiage et cette virtuosité langagière qui ressasse sans arrêt. Quelle bêtise de passer sa vie sur ces sujets et de tout faire pour ne rien y comprendre…
Le complotisme, à défaut de prouver l'existence des conspirations faites par les autres, voudra avoir à tout le moins son petit cénacle, son dîner du Siècle en miniature, sa Trilatérale de poche. Son Bilderberg de quartier. Il jouera au petit agent de renseignement. Il voudra surveiller le territoire... Il enquêtera sur les enquêtes, rouvrira les dossiers pourris, se constituera en société secrète pour mieux démasquer les autres. Il aura au moins la consolation d'avoir monté sa conspiration-maison. Il persécutera quelques victimes, étendra son influence sur quelques gogos. Il fera des plans concertés pour changer le monde. Mentalité d'indic qui se verrait bien ministre de l'Intérieur, puis super-initié de la Loge Suprême !
Il a une certaine estime de soi, c'est certain, des ambitions, mais en même temps, il ne se supporte pas... Il s'aime mais il se hait... Il pense beaucoup à lui mais ne sait pas quoi... Il va chercher chez les autres l'amour qu'il ne peut se porter à lui-même. Et il se fait de l'amour une idée si fausse, si infantile... Oui, quel Narcisse, ce complotiste, lui qui ne voit dans les choses que des reflets de lui-même ! Regardez comme il se met en scène pour séduire autrui, et comme il méprise au fond ceux qui se laissent prendre à son jeu. Il les manipule à plaisir, puis les jette... C'est pourquoi il soigne tant son charisme d'orateur. Il est séduisant, brillant en parole, apparemment irréprochable dans ses raisonnements, souvent surprenant par ses paradoxes. Mais il se lasse très vite et doit déjà trouver une nouvelle proie. Si vous vous faites prendre, vous êtes coupable à ses yeux : coupable de l’aimer ou de ne pas l’aimer. Il en vient vite à haïr ceux qu'il aime parce qu'il s'aperçoit alors qu'il n'arrive pas à les aimer...
Si seulement il savait avoir un peu d’intérêt pour quelque chose de consistant, il ne serait pas lui-même un personnage de papier... Oui, quel Matamore, à se dresser seul contre des ennemis invincibles, pour mieux déguerpir au moindre danger ! Quel Minotaure, qui veut nous attirer dans le dédale de ses élucubrations ! Quel Don Quichotte, enfin, que ce moulin à paroles qui n’a même pas besoin de voir les moulins pour les combattre, quand le mirage des moulins lui suffit !
A force de les écouter, comme le monde paraît creux et plein d'ordures... L'histoire devient un navet, la réalité devient simple apparence éphémère, surimposée à un fond absurde... La vie n'est qu'une mauvaise farce, une humiliation permanente... Ils ne savent même plus ce qu'ils disent. Ils n'ont rien compris. D'une simple incapacité à avoir une idée claire des choses, ils ont fait toute une théorie. Si vous étiez romanciers ou cinéastes, ce serait juste raté, complètement raté... Ni fait ni à faire. Le complotisme est une kitscherie de plus et quand ses théoriciens se mettent en scène, nous éclatons de rire devant le plus mauvais spectacle de l'univers !
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