Pour notre plus grand malheur, la nucléocratie française est aliénée
Les réacteurs SLA1 et SLA2 de Saint-Laurent-des-Eaux
Neuf ans après la catastrophe de Fukushima, qualifiée à l’époque d’apocalyptique par Günther Oettinger, commissaire européen à l’énergie, on ne sait toujours que faire des gigantesques quantités d’eau contaminée issue de la nappe phréatique et du refroidissement permanent des réacteurs éventrés. Il est question de les rejeter au plus vite dans l’océan Pacifique, et si possible à l’abri des regards, avant que les caméras braquées sur les Jeux Olympiques de l’été n’en révèlent l’importance. Là-bas depuis neuf ans rien n’est véritablement réglé, tout reste dramatiquement très présent.
Trente-quatre ans après le désastre radioactif toujours en cours à Tchernobyl, dont le bilan sanitaire est calamiteux (les principaux pays concernés, Ukraine et Biélorussie, ont vu leur démographie présenter une chute brutale entre 1990 et 2012 après une croissance antérieure continue) ; quarante ans après le rejet de plutonium dans la Loire lors de la deuxième fusion partielle de cœur dans la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux le 13 mars 1980, encore largement méconnue ; quels enseignements les atomistes français ont-ils tiré de ces désastres ? Qu’ont-ils appris de la réalité ? Et des autres ?
Le peuple autrichien lui - alarmé des dangers, échaudé par l’accident nucléaire de Windscale en Angleterre en 1957, mais ignorant probablement celui de Mayak la même année en Union soviétique, et plus encore la première fusion nucléaire à Saint-Laurent-des-Eaux le 17 octobre 1969 - n’a pas attendu l’accident de Three Mile Island et encore moins ceux, majeurs, de Tchernobyl et de Fukushima, pour se priver en 1977 par référendum de la seule centrale du pays, Zwentendorf, pourtant achevée ; mais jamais démarrée. Oui, ce peuple lucide a privilégié la sécurité au prix d’une perte financière sèche, bien que la centrale fût, elle, tout à fait fonctionnelle à l’inverse de l’EPR de Flamanville. Mais une perte qui n’est en réalité qu’apparente et véritable économie au regard du coût réel d’un réacteur démarré, gestion des déchets et démantèlement compris. Sans parler du coût astronomique d’un accident majeur.
Tandis qu’à l’autre extrémité de l’Europe à Lémoniz, en 1984, les Basques espagnols par le sang mettaient un coup d’arrêt au nucléaire ibérique…
Tandis qu’à la suite de Tchernobyl par référendum le peuple italien arrêtait ses centrales ; une décision de se passer de nucléaire qu’il jugea utile de confirmer à plus de 90% dans un nouveau référendum au lendemain de Fukushima…
Tandis qu’au même moment et dans la même dynamique, la chancelière allemande, diplômée de physique, offrait à son pays un avenir un peu moins angoissant que le nôtre en rapprochant l’échéance d’arrêt de tous ses réacteurs, déjà programmée en 2000, pour désormais l’imposer à l’horizon 2022…
Tandis qu’une première-ministre québécoise, honnête elle à l’inverse de son hexagonal homologue, stoppait comme promis dès les premiers jours de son mandat en 2012 le seul réacteur de sa province canadienne…
Et tandis que le Japon n’a redémarré que neuf réacteurs sur cinquante-quatre depuis les trois "syndromes chinois" de Fukushima Daïchi… il reste - hélas ! – en Europe un pays singulier à 58 réacteurs encore en fonctionnement. Un pays dont les habitants ne semblent pas mesurer le privilège que la Nature leur offre, un pays au climat tempéré, jouissant d’une multitude de paysages enchanteurs, un pays aux terres fertiles et si variées que l’odeur des parfums, le goût de ses fromages, des vins et de ses mets sont innombrables.
Eh bien dans ce pays qui semble béni des dieux s’ils ont quelque existence, sachez que quarante ans après le deuxième accident de Saint-Laurent-des-Eaux, trente-quatre après celui de Tchernobyl et neuf après celui de Fukushima, dans l’année du cinquantenaire de sa mort, un certain nombre de "veaux" gaulliens, de nucléopathes ignorant la plus élémentaire décence, pleureront le 22 février devant la centrale de Fessenheim l’arrêt du seul réacteur de deuxième génération à bout de souffle que l’Etat français a consenti à stopper à ce jour. Continuant ainsi de prendre le risque démesuré, insensé, fou, de meurtrir à jamais ce pays de cocagne déjà empoisonné par une industrialisation de cons et balafré par un immobilier et une publicité de ploucs.
Ce pays abrite-t-il une nucléocratie devenue folle ? Est-il un pays où des « crétins diplômés », pour reprendre la formule d’Emmanuel Todd, encourageront ces lamentations véritablement pathologiques en rappelant par exemple qu’EDF n’a jamais demandé l’arrêt des réacteurs de Fessenheim ?
Ce pays va-t-il continuer à maltraiter ou mutiler sa jeunesse écolo-rebelle et son peuple jaune réfractaire pour le moindre pas de travers, tout en tolérant, là, qu’une manifestation de fanatiques se déroule aux grilles de la centrale bien que leur aspiration insensée, et parfaitement illégitime au regard de celle du peuple français dans sa majorité hostile à l’électronucléaire, expose celui-ci aux dangers industriels les plus considérables ?
A quarante ans du deuxième accident de Saint-Laurent-des-Eaux, trente-quatre de celui de Tchernobyl et neuf de celui de Fukushima, les institutions de contrôle de la sûreté nucléaire de ce pays vont-elles enfin avoir le courage élémentaire, et la dignité, de stopper sans tarder les nombreux réacteurs ayant atteint leur durée de vie initialement prévue, bourrés de malfaçons et de pièces non conformes ?
De diligenter enfin des enquêtes de santé publique en aval de Saint-Laurent-des-Eaux où, lors des accidents graves de 1969 et 1980, du plutonium et d’autres actinides furent subrepticement rejetés dans la Loire au lieu d’être stockés dans des containers ad hoc ? Et, plus symboliquement, de réévaluer dans l’échelle INES des accidents nucléaires, la gravité de ceux de Saint-Laurent-des-Eaux à leur juste niveau, celui de Three Mile Island ?
Une patrie digne de ce nom laissera-t-elle ses athlètes se "radioactiver " lors de JO infamants dans le complexe sportif "J-village" de Fukushima ayant servi de centre opérationnel au plus fort de la catastrophe et où des points chauds de radioactivité ont été mesurés par Greenpeace à 71 microsieverts par heure ?
En cette année du cinquantenaire de la mort de Charles de Gaulle, la France et sa nucléocratie sauront-elles célébrer dignement la mémoire du "Père de la nation" en protégeant non seulement les habitants de l’Hexagone et leurs voisins d’une catastrophe nucléaire, mais aussi la santé de nos athlètes au Japon, et s’honorer ainsi de reconquérir le statut de nation des Droits de l’Homme et du Citoyen ?
Ce n’est pas faire insulte à la mémoire du grand Charles que de renoncer à la puissance de cette technologie mortifère et, pire, suicidaire, avec laquelle il avait cru pouvoir reconstruire la grandeur et la fierté de la France, et qui en réalité l’entraîne désormais inexorablement au désastre.
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