Pour une réforme de l’enseignement des langues en faveur d’une vraie diversité linguistique
L’ONU et l’Union européenne ayant déclaré 2008 année des langues et du dialogue interculturel, il nous a paru intéressant de faire le point sur l’enseignement des langues en France, et de proposer une réforme d’importance.
1. Présentation
2. Le constat de la situation actuelle
3. Notre proposition de réforme
4. Conclusion
1. PROCLAMATIONS de l’ONU et de l’UE pour 2008
— Dans l’Union européenne
L’Année européenne du dialogue interculturel (2008) a été entérinée par la Décision N° 1983/2006/CE du Parlement européen et du Conseil (18 décembre 2006).
— A l’ONU
"Assemblée générale 96e séance plénière - après-midi PROCLAMANT 2008 ANNÉE INTERNATIONALE DES LANGUES, L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DEMANDE D’ENCOURAGER LEUR CONSERVATION ET LEUR DÉFENSE"
"Par ce texte adopté par consensus, l’Assemblée générale demande aux États membres et au secrétariat d’encourager la conservation et la défense de toutes les langues parlées par les peuples du monde entier et proclame 2008 Année internationale des langues."
Cette résolution souligne "l’importance primordiale de la parité des six langues officielles" de l’ONU (l’anglais, le français, l’arabe, le chinois, l’espagnol et le russe).
2. LE BILAN en France
Sans un état des lieux, une réforme ne serait qu’une énième loi sur l’enseignement, comme les aiment les ministres successifs pour laisser leur nom dans l’Histoire, du moins l’espèrent-ils...
Depuis quelques années, les journaux sont pleins de considérations sur l’échec de l’enseignement des langues en France. Nous serions les mauvais élèves de l’Europe dans l’enseignement des langues.
Disons-le tout net, ces articles sont malhonnêtes dans leur présentation des faits.
Les données d’Eurobaromètre ne sont en rien des études scientifiques, car il n’a été procédé à aucune évaluation précise du niveau en langue étrangère, seulement à de simples sondages basés sur des questions et réponses, du type, en caricaturant à peine : "Parlez-vous une langue étrangère ? Oui. Bravo ! A un bon niveau ? Encore bravo !" Ces résultats sont très contestables.
D’ailleurs, nul besoin d’études : qui ne sait qu’en moyenne, ce sont les anglophones qui étudient le moins les langues étrangères ? Et surtout, les évaluations scolaires sont faussées car elles se réfèrent uniquement à l’anglais, ce qui empêche d’inclure la GB dans le comparatif... et faussées aussi parce qu’elles comparent les résultats de la France à ceux de pays comme la Suède, le Danemark ou l’Espagne dans lesquels l’anglais est obligatoire, des pays qui, dans certains domaines, ont quasiment remplacé leur langue par l’anglais (enseignement universitaire, étiquetage, dessins animés et films anglophones en VO), alors que la France a longtemps défendu la diversité linguistique ! Pourquoi ne pas faire de comparaison sur les niveaux en l’allemand, italien ou l’espagnol, par exemple, après X années d’étude, méthode plus pertinente pour évaluer la qualité de l’enseignement ? C’est le degré zéro de l’information, de la science et du débat pédagogique.
Au vu de ces éléments, il faut cesser le masochisme à la française : nos méthodes d’enseignement des langues ne sont ni pires ni meilleures, nos profs non plus, et aux dires des anatomistes, les cerveaux français sont identiques aux autres.
Par contre, on peut effectivement faire un vrai constat d’échec - celui de la diversité linguistique, qui est en chute libre dans l’enseignement des langues en France. Curieusement, cet échec-là n’est, lui, pratiquement jamais rapporté par les médias...
En quelques années, le tout-anglais a été imposé pratiquement partout à cause de la calamiteuse réforme de l’école primaire, hypocritement appelée initiation « aux » langues. Hormis quelques exceptions ici ou là, comme en Alsace où l’allemand est souvent disponible, c’est partout l’anglais qu’on impose aux enfants, sans qu’aucun choix n’ait été proposé aux parents. Il en est de même en 6e car, loin des grandes villes, dans les petits établissements, il n’est souvent proposé qu’anglais ou une classe bilangue anglais/allemand, en vertu d’un accord entre les deux pays pour se soutenir mutuellement.
On lit souvent au sujet de l’anglais : "En France, 96 % des enfants le choisissent pendant leur scolarité" - sous-entendu, c’est à cause des parents ! Certains parents sont certes convaincus par la pression médiatique que l’anglais est indispensable à la vie (alors qu’on peut avoir un prix Nobel sans anglais), mais combien auraient choisi une autre LV1 s’il y avait eu un vrai choix ? Eh bien personne ne le sait, faute de vrai choix car, par exemple, les académies refusent souvent l’ouverture d’italien ou d’espagnol en 6e.
Quelle mauvaise foi que de limiter l’offre puis de déduire du monopole qui en résulte que c’est le choix de parents ! Et ce sont les personnes faisant preuve d’une telle malhonnêteté intellectuelle qui décident des programmes scolaires... dont l’éducation civique !
Parallèlement, on a vu fleurir toutes sortes de solutions pour pallier cette dérive monolingue : les sections européennes, orientales, internationales, les programmes Emile (enseignement d’une matière par intégration d’une langue étrangère), augmentation du nombre et de la durée des séjours linguistiques dans le cadre des programmes européens Comenius, Emillangues, Leonardo, Primlangues, « e-Twinning » (le ministère n’utilisant pas la traduction française e-Jumelage, à l’inverse de la Belgique !), etc., selon le vieux principe du « toujours plus », sans jamais s’interroger sur les questions structurelles.
On a jamais autant parlé de diversité linguistique que depuis qu’elle est en chute libre ! Vingt ans auparavant, sans tous ces programmes, sans technologie informatique pour causer avec des « native english », sans commissaire européen chargé du multilinguisme, sans année 2008 du dialogue interculturel, la diversité des langues à l’école était bien plus grande. Cela ne prouve qu’une chose : tous ces programmes ne sont que des rustines, des palliatifs, de la poudre aux yeux destinée à masquer une seule chose : l’anglais est en passe d’être enseigné de force, de la maternelle à l’université. Il l’est déjà en Italie, en Espagne et au Portugal, et l’est maintenant en France, de fait sinon de droit.
Parmi nos dirigeants, nombreux sont ceux qui souhaitent introduire un "anglais d’aéroport« , anglais allégé, que l’on n’ose appeler de son vrai nom »broken english« ou »kitchen english", aéroport c’est plus chicos, etc.
Il a failli être inclus dans le « socle commun de connaissances ». Et le rapport définitif est explicite : "Ne pas être capable de s’exprimer et d’échanger en anglais de communication internationale constitue désormais un handicap majeur, en particulier dans le cadre de la construction européenne."
"Rapport de la Commission du débat national sur l’avenir de l’École, présidée par Claude Thélot"
— Malgré l’augmentation des langues possibles en option au bac (une cinquantaine), la diversité des langues enseignées est en forte baisse. Vous pouvez vérifier les chiffres de l’Éducation nationale, si vous arrivez à vous les procurer !
— La politique des langues à l’école est forcément dirigiste, arbitraire, car elle dépend de facteurs logistiques, comme le nombre de profs dans telle ou telle langue (qui sont engagés à vie pour une langue donnée), ou la langue que valident les PDE (ex-instituteurs) dans les IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres) qui est majoritairement l’anglais, en un cercle vicieux car les écoles primaires ne disposent pratiquement que de l’anglais, après quoi on conseillera en 6e de poursuivre la langue débutée au primaire !
— La situation à l’école est le reflet de la lutte d’influence des langues entre elles, car si les langues sont le produit de l’esprit humain, leur diffusion dépend grandement de l’histoire et de facteurs géopolitiques. C’est la loi de la jungle, mais ce n’est pas une sélection darwinienne où la meilleure langue l’emporterait, celle qui aurait les plus grandes qualités - c’est simplement celle de la ou les nations victorieuses ! En somme, essentiellement selon les hasards de l’histoire coloniale et des conflits militaires. Même en temps de paix, les grands pays y consacrent d’énormes sommes : British Council, Goethe institut, Alliance française, Instituts Confucius, et tout récemment Russki mir, sont des lieux stratégiques dans cette lutte, pacifique et feutrée mais féroce.
— Certaines idées font petit à petit leur chemin : on pense et on apprend mieux dans sa langue maternelle. Recevoir un enseignement dans sa langue dominante deviendrait donc un droit, thèse qui, si elle devait être appliquée, serait un retour à un plurilinguisme authentique mais source d’énormes difficultés logistiques dans l’enseignement.
— La question des langues à l’école est donc éminemment politique. Sauf à se voiler la face, il ne faut pas voir dans la situation actuelle une dérive survenue par hasard, une sorte d’effet secondaire que quelques mesurettes suffiraient à corriger, mais bel et bien la victoire d’un camp sur l’autre : celui de tous ceux qui pensent l’anglais indispensable et veulent l’imposer à tous les enfants, de gré ou de force, et plutôt de force. Il est à peine exagéré de dire que le drapeau de l’Union jack flotte sur nos écoles primaires et secondaires !
— Sursaut de bon sens ou crainte du ridicule, toujours est-il que l’introduction d’une langue à la maternelle a été abrogée.
— Si l’allemand, notamment en Alsace, rompt parfois cet arbitraire, ce n’est pas dans une perspective de libre choix, mais uniquement en raison d’un accord bilatéral entre pays. (Conseil des ministres franco-allemand de Berlin du 26 octobre 2004)
"Il est rappelé en outre que chaque académie offrira la possibilité de préparer l’AbiBac (délivrance simultanée du baccalauréat et de l’Abitur allemand) à l’horizon 2007."
— Dans le panorama scolaire les langues se distinguent donc nettement des maths ou de la géographie : il n’y a qu’une seule science des mathématiques et une seule géographie (l’Histoire est souvent plurielle... mais ne compliquons pas), alors qu’il existe environ 6 000 langues. On ne peut discuter sérieusement d’une réforme sans admettre que les langues forment dans l’enseignement une matière totalement à part.
— Un autre aspect est rarement abordé : au nom de quoi impose-t-on telle ou telle langue seconde à un enfant ? Il n’est pas exagéré de dire qu’imposer l’anglais - ou tout autre langue seconde - est une violence faite à l’enfant et à ses parents. Le choix d’une langue seconde, étrangère ou régionale, devrait être totalement libre, car personne ne sait de quelle langue étrangère il aura besoin à l’âge adulte.
— Incidemment, il serait bon de s’interroger sur l’obligation d’étudier une autre langue. Quelle est sa légitimité ? Si certains pays ont plusieurs langues nationales, et ont tendance à ériger une nécessité en dogme d’ouverture culturelle, ce qui est compréhensible dans leur situation délicate, la langue de la République est le français, avec lequel nous pouvons tout faire. La raison souvent avancée pour l’obligation d’apprendre une langue étrangère est l’ouverture d’esprit, l’ouverture à une autre culture. Or, à notre avis, c’est du dogmatisme car, reconnaissons-le, hormis quelques cas particuliers, la plupart d’entre nous n’avons qu’un faible niveau, et dans seulement une seule langue étrangère, avec parfois une connaissance encore plus imparfaite d’une troisième langue ; est-ce avec ça qu’on va lire du Shakespeare ou du Buzzati dans le texte ?
Ce sont la traduction et les voyages qui sont les meilleurs instruments de découverte des autres cultures, et heureusement, sinon nous ne saurions vraiment que très, très peu de choses des autres. Les formules du type "découvrir l’autre dans son altérité" font de belles phrases et font joli dans les journaux, mais elles empêchent tout débat et désarçonnent toute critique par la hauteur et la noblesse intellectuelle de l’argument. Mais comment oser contredire un dogme qui imprègne presque tout, de l’Unesco à l’UE et retombe en cascade sur tous les relais du monde de la pédagogie ?
— Le besoin d’anglais indispensable à la vie et à toute carrière est fortement exagéré : si quelques métiers ont effectivement besoin de l’anglais, ce sont seulement certaines personnes dans certains métiers. Même un chercheur peut se contenter de suivre sa discipline en lisant le résumé en anglais et, pour cela, il n’a nul besoin de commencer à la maternelle. On pense d’abord dans sa langue dominante, il peut donc faire des découvertes sans connaître un seul mot d’anglais. Plus de 90 % des articles scientifiques ne sont même pas lus ! Seuls les articles les plus novateurs et pertinents sont vraiment lus, ou leurs résumés... Et pour comprendre des résumés techniques, il n’est pas nécessaire d’être « fluent ».
"Des scientifiques pour la langue française"
"Pourquoi veulent-ils tuer le français ?« (un extrait du livre »Pourquoi veulent-ils tuer le français ?" de Bernard Lecherbonnier, professeur à l’université de Paris-XII.)
Lorsque nos cosmonautes sont allés à Baïkonour pour un vol avec la navette russe, on ne leur a pas dit « Vous parlez super-bien anglais, bravo les gars ! », on les a obligés à une formation accélérée en russe et ils ont dû potasser l’énorme notice technique de la navette, en russe dans le texte.
La GB, l’UE et les journaux économiques eux-mêmes reconnaissent que les entreprises ont des besoins variés dans différentes langues :
"Si l’étude confirme l’importance de l’anglais en tant que langue commerciale mondiale, d’autres langues sont largement utilisées en tant que langues véhiculaires. Elle indique notamment que toute une série d’autres langues sont nécessaires pour assurer le succès des relations commerciales. Sont notamment citées au rang des langues les plus importantes les principales langues européennes, comme l’allemand, le français et l’espagnol, mais également, de plus en plus, d’autres langues du monde telles que le mandarin, l’arabe et le russe."
"Le multilinguisme stimule la compétitivité européenne"
D’autre part, même si la futurologie est imparfaite, diverses langues prennent de plus en plus d’importance sur le plan mondial : espagnol, russe, arabe (standard ou littéraire) et mandarin. Ci-dessous, une bonne analyse de ce phénomène, avec une remarque pertinente sur le fait que les « élites » tendent à reproduire pour les générations suivantes le contexte qu’ils ont connu, celui de l’anglais en phase de croissance, refusant plus ou moins consciemment de prendre en compte tout changement de cadre. Or, il est possible que l’anglais ait atteint son apogée, et qu’il soit à l’aube de son déclin (proportionnellement), d’où les pressions monstrueuses pour l’imposer à l’école et asseoir son statut dans l’UE.
"Quelles langues parleront les Européens en 2025 ?"
Quoi qu’il en soit, à l’heure où les entreprises reconnaissent la diversité de leurs besoins, et où d’autres langues reprennent du poil de la bête, il est absurde et contre-productif d’orienter nos écoles vers un bilinguisme français-anglais généralisé ; ou serait-ce là encore le vieux syndrome français d’une guerre de retard ?
— L’école primaire est le lieu de l’initiation large, comme on le fait en sport et en musique, pas celui de la spécialisation dans une langue étrangère.
— Un rapport récent estime à 25 % les enfants ayant des difficultés inattendues en fin de primaire. Or, obliger ces enfants en difficulté à faire une langue à la phonétique reconnue comme très difficile (aucune règle phonétique, le chaos total) et dont les natifs ont un fort taux de dyslexie n’est pas forcément une grande idée sur le plan pédagogique... La dyslexie est certes une affection multifactorielle, mais il est prouvé que les langues à la phonétique complexe en ont un pourcentage plus élevé (par exemple en GB plus qu’en Italie).
"Troubles spécifiques du langage oral et écrit"
"l’anglais est en effet, contrairement aux idées reçues, une langue difficile pour les francophones, en particulier à l’oral.(...)" (BO n° 6, 25 août 2005, programme des collèges LV anglais.)
— L’école, avec 1 500 à 3 000 heures de cours en LV1 ne peut être que le lieu d’une initiation en langue, sans que quiconque soit en tort, et les objectifs de l’EN pèchent souvent par optimisme, comme les objectifs économiques surréalistes de l’économie planifiée de l’ex-URSS : "Les niveaux C se situent au-delà du champ scolaire, sauf C1 pour les langues de spécialité au baccalauréat. À ce stade, un élève peut comprendre une grande gamme de textes longs et exigeants ainsi que saisir des significations implicites."
Même dans la filière langue, un tel niveau n’est envisageable que si l’élève a fait de nombreux séjours linguistiques ! Or, un objectif scolaire devrait s’en tenir à ce qui est possible dans le temps scolaire, sans tenir compte des nounous « native english », des sections européennes ou de vacances à Londres ou aux States !
(Nota : niveaux du CECRL, Cadre commun de référence en langues étrangères, voir plus loin.)
Même le niveau B2 est réservé à d’excellents élèves, et encore, si l’on parle des possibilités sans aucune pratique extrascolaire. Cette surestimation des objectifs qui va de pair avec une sous-estimation de la difficulté d’une langue étrangère est une constante des milieux pédagogiques. Il faudra un jour admettre que l’apprentissage d’une langue à un niveau efficace est un immense travail, et que l’école ne peut être que le lieu d’une initiation plus ou moins poussée. Il n’y a là rien de honteux.
Voilà pour le constat. S’il vous a paru trop sévère, il faut savoir que le ministère dispose exactement des mêmes éléments, confirmés dans divers rapports, mais en des termes plus mesurés, prudence des rapporteurs oblige :
"L’avenir de l’enseignement des langues"
L’auteur voit une issue dans les technologies informatiques qui pourraient permettre à tous les profs privés de la possibilité d’enseigner la langue pour laquelle ils ont été recrutés à vie, de pratiquer enfin leur langue, mais nous sommes navrés de décevoir ce haut fonctionnaire : les récentes déclarations du ministère ne voient dans les TICE qu’un moyen de faire dialoguer les primaires avec de vrais anglophones natifs !
"Pour ce faire, le ministère de l’Éducation nationale lance un plan national d’équipement des écoles. Dès la rentrée 2008, 1 000 écoles seront équipées en visioconférence pour permettre aux élèves l’apprentissage de l’anglais."
"Xavier Darcos interviendra au Salon Educatice mercredi 21 novembre 2007"
3. QUELLE RÉFORME ?
Il faut finalement admettre que la diversité de l’offre linguistique est à la base une mission impossible : pour des raisons structurelles, aucune école ne peut offrir un vaste choix de langues dans tous les enseignement et pendant une dizaine d’années ! Il existe environ 6 000 langues dans le monde, dont une dizaine de grande diffusion et, même en s’en tenant à ces dix langues, le nombre d’enseignants nécessaire serait tout simplement fabuleux.
Un bon exemple de cette complexité logistique nous est fournie par la délicate question des langues régionales. Sans débattre de la légitimité de leurs revendications, sujet toujours conflictuel et peut-être insoluble, celles-ci peuvent en gros se résumer par « toujours plus » selon le titre du célèbre livre de François de Closets (davantage de classes, de postes d’enseignants, création de postes d’inspecteurs, d’agrégés, de stages, etc.)
"Quelle place pour les langues et cultures régionales à l’école publique ?"
Alors, comment rendre possible ce qui est impossible ?
Les deux principes sur lesquels doit se baser une réforme des langues, àmha, sont la souplesse et la diversité :
— au primaire : initiation linguistique large, non spécialisée dans une langue ;
— au secondaire : suppression de la distinction LV1, LV2, LV3, et choix des langues très diversifiées grâce à la complémentarité privé-public, qu’il s’agisse d’intervenants extérieurs, de parents d’élèves, d’associations ou d’instituts, tout apprentissage de langue devant être validé par l’Éducation nationale, et par elle seule.
Détaillons un peu ces propositions.
— Pour le primaire : choix entre langue régionale et/ou initiation linguistique au sens large, non spécialisée dans une langue, avec apprentissage de différents alphabets européens et comparaison de phrases simples dans différentes langues européennes, afin de se faire l’oreille à la musique des langues, ce qui est le seul intérêt réellement prouvé de l’apprentissage précoce.
(Pour plus de détails, je renvoie à mon article d’Agoravox sur l’apprentissage précoce : "L’apprentissage précoce des langues vivantes")
Et justement, un des trente projets récemment lancés par l’UE pour promouvoir l’apprentissage des langues serait tout à fait adapté pour l’école primaire, où il remplacerait avantageusement cette calamiteuse réforme qui n’a abouti qu’à imposer l’anglais à pratiquement tous les enfants :
"Le projet FEEL (Funny, Easy and Effective Learning about Countries, Cultures and Languages) s’est efforcé de promouvoir une connaissance de base (vocabulaire élémentaire, grammaire et phonétique) des langues des dix pays qui ont adhéré à l’Union européenne en 2004 et de présenter aux citoyens européens les cultures existant derrière ces langues afin de dénoncer d’éventuels stéréotypes ou idées fausses."
Pourquoi ne pas adopter au primaire cette excellente idée ?
— Au secondaire : suppression de la distinction LV1, LV2, LV3.
Ce n’est même pas une idée originale, puisque c’était déjà une proposition de l’excellent mais déjà ancien rapport Legendre (qui avait par ailleurs mis en garde contre le tout-anglais au primaire, en vain...)
En fait, même si tous les professeurs ne s’en rendent pas compte, on dirait bien que c’est déjà quasiment acquis :
"La distinction LV1/LV2 s’estompe à tous les niveaux, même si les nouveaux modes d’organisation concernent surtout la classe de seconde"
En outre, c’est recommandé par le ministère, sous forme de groupes de compétence indépendants des filières et des classes.
(Rénovation de l’enseignement des langues vivantes étrangères, B.O. n° 23 du 8 juin 2006)
Ces groupes de compétence ne sont ni plus ni moins que la suppression des filières LV1, 2, 3.
Une liste des établissements utilisant ces nouvelles organisations (en 2005) est disponible : "Nouveaux modes d’organisation« de l’enseignement des langues vivantes au lycée »
Une cinquantaine d’établissements en 2005, c’est plus qu’un projet pilote, c’est une évolution amenée à se généraliser.
C’est aussi le cas des classes bilangues (où la différence d’une heure en moins pour la seconde langue est négligeable), souvent anglais-allemand, mais parfois italien comme dans cet exemple :
"En pleine expansion il y a plus d’une dizaine d’années grâce à la mise en place de la LV1 bis, spécificité de l’académie de Nice, qui permet aux collégiens d’apprendre, dès la 6e, deux langues, l’anglais et l’italien, le nombre d’italianisants reste aujourd’hui stable."
"Après des années d’expansion dans les Alpes-Maritimes, l’italien marque le pas"
— Dans un système de modules de langues, les objectifs et de la notation sont appelés à se baser sur le relativement récent CECRL (Cadre européen commun de référence en langues, de son petit nom cadre de référence, une échelle européenne en 6 niveaux qui est de plus en plus utilisée : A1, A2, B1, B2, C1, C2, avec subdivisions possibles). Ainsi, l’obligation d’étudier une ou deux langues vivantes pourrait être formulée de façon plus souple et plus réaliste, par exemple : niveau A2 (ou proche de B1) dans une langue, et niveau A1 dans une ou deux autres. L’objectif officiel de B2 à la fin des études secondaires est manifestement irréaliste, du moins si la notation respecte bien les tableaux du CECR tels qu’ils ont été clairement détaillés, pour des élèves sans soutien extra-scolaire et séjours à Londres ou à Berlin chaque été.
— Sur la diversité : le choix devrait être au minimum celui de toutes les langues qui sont actuellement possibles en option au baccalauréat, et de préférence davantage. Avec une totale liberté de choix : la seule obligation serait de valider les niveaux requis par les programmes dans les langues de son choix.
— Mais comment offrir un enseignement dans autant de langues ? Ce n’est possible que par la souplesse et la complémentarité avec les intervenants extérieurs. Souplesse des établissements et des personnels, avec une mobilité des profs de langues qui rayonneraient sur les quelques établissements proches, par demi-journées ou journées. Chaque établissement proposerait donc des langues selon ses disponibilités en professeurs de telle ou telle langue, ce qui redonnerait au passage plus d’autonomie aux chefs d’établissement en matière de langues. Une mobilité raisonnable sur un secteur faciliterait le fonctionnement des établissements tout en leur permettant d’augmenter l’offre des établissements. Malgré cette mobilité des profs et des modules et groupes de niveau, 2 ou 3 langues seulement pourraient ainsi être proposées, avec des trous selon les secteurs et les établissements.
Pour dépasser ce blocage structurel, il faut innover. Il faut introduire la possibilité de valider une langue apprise par ailleurs, soit en famille, soit par des cours à l’extérieur auprès d’intervenants ou auprès d’organismes n’appartenant pas à l’Éducation nationale, mais qui auraient été reconnus par elle. Cela serait un gros changement pour tout le monde, il convient donc d’en discuter les avantages et les inconvénients.
— Avantages : immenses possibilités quant à la diversité. Réelle reconnaissance des langues apprises en famille, loin des habituelles phrases oiseuses sur la valeur culturelle des diverses communautés ; on serait là dans la reconnaissance concrète, pas dans le bla-bla-bla. Toutes ces structures complexes et impossibles à généraliser - sections européennes, filières bilangues, programmes Emile - resteraient utiles pour les élèves qui visent un haut niveau en langues, mais leur extension incessante ne se justifierait plus.
— Inconvénients : des questions de statut, broutilles.
Le coût : soit bénévolat des cours externes associatifs, soit paiement des intervenants. On pourrait même mettre à contribution les pays partenaires qui, plutôt que de soutenir leurs langues par des Instituts et des subventions de manifestations culturelles, pourraient tout simplement soutenir officiellement et financer certains enseignants extérieurs aux établissements.
La crainte des intervenants extérieurs : ils sont déjà utilisés depuis des années, notamment pendant les premières années de la réforme (au primaire) dite de l’initiation "aux" langues : "Les écoles élémentaires ont-elles encore besoin d’intervenants en langues vivantes ?"
Et ils ont un statut :
"Dans le premier degré, deux types de missions sont proposés aux assistants :
- des missions d’appui (en contrats de 7 mois). Ces assistants, sélectionnés sur la base du volontariat, viennent en appui aux enseignants. Ils sont sollicités pour des projets particuliers auxquels la langue vivante étrangère est associée."
La crainte de l’externalisation, qui paraîtra choquante à certains car elle peut être perçue comme une privatisation partielle de l’enseignement des langues.
Or, ce ne serait pas quelque chose de totalement nouveau : outre tout le système des écoles privées, il existe également les écoles de devoirs, nées selon les besoins et l’activité d’associations locales, reconnues en France et très développées en Belgique.
— De même, la coopération entre Etats prévoit et utilise déjà certains organismes associatifs ou privés, comme des instituts de langues :
"En application des dispositions du traité de l’Élysée (22 janvier 1963), l’accord intergouvernemental créait un organisme dénommé l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), le 5 juillet 1963. L’OFAJ est chargé, depuis cette date, de développer des relations d’amitié entre la jeunesse française et la jeunesse allemande. L’OFAJ soutient les échanges de jeunes réalisés par : des associations de jeunesse et d’éducation populaire, des clubs sportifs, des centres linguistiques, des centres de formation, des organisations professionnelles et syndicales, des établissements scolaires et universitaires, des collectivités locales, des comités de jumelage. Il les aide sur les plans financier, pédagogique et linguistique."
"L’Office franco-allemand pour la jeunesse et le Centre international d’études pédagogiques"
De même pour l’anglais :
"Le ministère français de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche met en œuvre les programmes d’échanges et de coopération éducative en y associant le Centre international d’études pédagogiques. Le ministère anglais de l’Éducation (DFES) met en œuvre l’accord de coopération en partenariat avec le British Council et, en fonction des programmes concernés, avec : la Teacher Development Agency, le Centre for International language Teaching and Research, le Specialist Schools Trust, le National College for School Leadership, le Youth Sport Trust, le Vocational Links Service."
Alors oui, ce serait une complémentarité privé-public, mais en aucune façon une privatisation partielle de l’enseignement des langues, car ne serait enseigné en externe que ce que l’école n’est pas en mesure de fournir à tel ou tel endroit, afin de proposer à tous les enfants, et pas seulement ceux des métropoles ou des lycées de pointe (qui n’existent pas...), un très large choix de langues. Une dizaine étant à notre avis un minimum.
La certification qui serait nécessaire dans un tel système est déjà en place depuis peu !
"L’article 3 du décret n° 2005-1011 du 22 août 2005 prévoit la mise en place de certifications des connaissances et compétences acquises en langues étrangères"
"Une possibilité de certification en langue calée sur le CECRL (niveau B1) sera progressivement offerte aux élèves sur la base du volontariat. Cette certification sera gratuite.
Une première expérimentation pour l’allemand est mise en place en 2006 dans un échantillon de 500 établissements sélectionnés par les recteurs en coordination avec les corps d’inspection dans 26 académies participantes. Cette première expérience concerne 8 400 élèves."
"Le plan de rénovation de l’enseignement des langues"
— Le fait pour l’Education nationale de valider des connaissances acquises ailleurs n’est lui non plus pas une nouveauté.
On peut déjà présenter des langues non étudiées à l’école :
"Candidats ayant fait le choix d’une langue non enseignée. Ces candidats passent uniquement la partie écrite de l’épreuve correspondante."
"Le choix d’une langue en tant que langue vivante 1, 2 ou 3, en dehors des dispositions réglementaires spécifiques aux langues régionales, est laissé à l’appréciation du candidat lors de l’inscription à l’examen ; il peut ne pas correspondre à l’enseignement suivi par l’élève au cours de sa scolarité."
"Enseignements élémentaire et secondaire"
Dans certains cas d’impossibilité de suivre un cursus normal, l’EN valide des enseignements faits par d’autres, parfois par les parents, à l’aide de devoirs par correspondance, c’est le CNED (Enseignement à distance).
De plus, cette certification se fera elle aussi sur la base d’une coopération avec d’autres organismes.
"La certification, établie sur la base des programmes d’enseignement en vigueur, sera préparée en étroite relation avec un organisme spécialisé dans la certification et provenant d’un pays où la langue étudiée est langue officielle. Le choix d’un tel partenariat a pour objet de favoriser la pleine reconnaissance internationale de cette certification."
Pourquoi aller chercher loin dans les pays étrangers les compétences que l’on pourrait trouver et organiser localement ?
— Mais la principale critique des profs de langue porterait probablement sur l’aspect culturel, l’éternel refrain qu’il ne faut pas réduire une langue à un moyen de communication, que l’anglais en se résume pas à l’anglais d’aéroport, au kitchen ou broken english, que l’enseignement d’une langue est aussi une ouverture vers une culture.
C’est juste. Mais rien n’empêche d’inclure, pour la validation des modules, un programme portant sur la civilisation et la culture de la langue en question, sous réserve de rester réaliste en proposant un programme proportionnel au niveau à valider, basé sur la réalité de ce que les lycéens apprennent réellement d’une culture au sein de l’école, pas en fixant des objectifs dignes d’une maîtrise en littérature et civilisation.
Gardons à l’esprit que l’école, avec 1 500 à 3 000 heures, ne réalise aujourd’hui qu’une initiation en langue ; de tels modules devraient donc, dans leurs exigences, se calquer sur la réalité d’aujourd’hui, ni plus ni moins.
Un exemple de cette remarque fréquente chez les professeurs de langue, qu’une langue ne se réduit pas à l’aspect utilitariste (vers le début de l’article).
— Ces deux craintes ou critiques, l’externalisation d’une partie de l’enseignement et la langue réduite à son niveau de communication sont davantage des symboles idéologiques que de vrais obstacles, car on peut très bien en tenir compte et mettre des garde-fous. Et surtout, surtout, comme l’EN ne veut, ne peut et ne pourra jamais proposer dix langues à chaque enfant pendant une dizaine d’années, cette réforme est le seul moyen simple, faisable et efficace pour qu’une vraie diversité des langues soit proposée aux enfants. Une voie de réforme qui satisferait tout le monde (sauf les partisans de l’anglais lingua franca).
En pratique, une telle réforme serait d’autant simple que les contours légaux et conceptuels en sont déjà en place dans les directives officielles, tant sur les intervenants extérieurs et leur reconnaissance que sur les niveaux en langues et les contenus culturels des programmes. La seule véritable innovation serait l’externalisation de certaines langues. Cette réforme est possible à nombre d’enseignants constant, à coût constant (ou faible, si rémunération des enseignements extérieurs), mais elle ne peut avoir la faveur que de ceux qui défendent réellement la diversité linguistique à l’école, et prônent l’égalité des peuples et des langues au sein de l’UE.
Ne nous leurrons pas : derrière les belles paroles et la proclamation de l’Année des langues 2008, le véritable enjeu est la question de l’anglais, car l’UE est maintenant anglophone de fait sinon de droit, exactement comme l’anglais à l’école.
Une réforme en faveur de la diversité linguistique dans nos écoles serait férocement combattue par tous les partisans de l’anglais lingua franca de l’UE et du monde, par tous ceux qui pensent que le dialogue interculturel doit se faire en anglais !
Car aujourd’hui, le chemin que nous suivons est à l’opposé : dès 2008 et, pour presque tous les enfants, obligation de commencer l’anglais (sauf exceptions) en CE1, sans choix des parents.
Demain, faudra-t-il fournir à nos enfants des certificats de dispense d’anglais ? Ou des certificats médicaux d’allergie à l’anglais ? Une attestation de début de dyslexie et contre-indication à une langue phonétiquement chaotique ? Bref, demain faudra-t-il en appeler à la résistance civique pour le simple droit d’étudier la ou les langues de son choix ?
Car, sans être juriste, il est évident que la base légale de l’anglais au primaire est fragile, "initiation aux langues", et c’est au seul silence des médias sur le sujet et à leur incessante pression en faveur de l’anglais (sauf rares exceptions), que l’on doit une acceptation si facile d’une mesure aussi arbitraire, non débattue à l’Assemblée.
Notre proposition de réforme de l’enseignement des langues en France peut finalement se résumer ainsi : laissez-nous libres d’apprendre les langues que l’on souhaite ! Mais n’est-ce pas un peu trop simple, ou trop révolutionnaire ?
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