Rétention de sûreté : comment protéger préventivement les Français des délinquants potentiels ?
Dans mon message sur la rétention de sûreté et l’intervention du chef de l’Etat du 25 février 2008, je posais la question de savoir si la rétroactivité des lois ou non était un dispositif de notre Constitution et redevable de ce fait du Conseil constitutionnel. L’affaire s’est développée depuis dans les médias avec un traitement plutôt de type "chasse au président" qu’informatif et factuel. Voici quelques éléments additionnels sur le sujet que j’ai pu recueillir :
la question de fond sur l’application rétroactive de la loi est de savoir si la mesure d’enfermement prévue par la loi sur la rétention de sûreté est de caractère pénal ou non. Une loi pénale ne peut pas en effet s’appliquer rétroactivement à des individus qui ont été condamnés définitivement et ne peuvent voir leur peine évoluer au gré des lois. Dont acte. La loi de rétention de sûreté par contre n’a pas établi cet enfermement comme une peine supplémentaire qui viendrait s’ajouter (pour quelle raison ? Avec quelle garantie des droits de la défense ?) à une peine déjà appliquée, mais comme une mesure de sûreté basée sur la dangerosité estimée de telle ou telle personne. Par contre, la mesure d’enfermement est prévue être prise par un juge ce qui en rend le caractère répressif et pénal. C’est en fait uniquement parce que c’était la juridiction régionale de sûreté, - dont je ne connaissais même pas l’existence - qui prenait la décision de sûreté et non pas la Cour d’assises que le Conseil constitutionnel a pu considérer que c’était bien, au titre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, une mesure de sûreté et non pas une peine.
Pourquoi alors le Conseil constitutionnel a-t-il considéré que cette "mesure" ne pouvait être appliquée rétroactivement ? Parce que, dit-il, elle est privative de liberté, renouvelable sans limite et prononcée quand même par une "juridiction". En d’autres termes, si c’était un organisme ne dépendant pas du ministère de la Justice autre que la juridiction régionale de sûreté qui la prononçait, la loi serait applicable immédiatement. Etonnant n’est-ce pas ? On voit apparaître dans ce jugement une notion de jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il faut donc savoir que la Constitution n’est pas tout et que les juristes et le Conseil constitutionnel ont établi au-dessus de la Constitution leur propre interprétation de cette Constitution, la jurisprudence, qui, elle, s’impose à nous alors qu’elle n’a jamais été votée par quiconque ! Le problème que pose à la fois la loi de rétention de sûreté et son jugement par le Conseil constitutionnel, c’est comment l’Etat peut protéger le citoyen de menaces d’individus dangereux. Un souhait des populations que nos lois et notre police n’assurent pas à l’heure actuelle. Si vous vous estimez menacés par un voisin agressif, un mari brutal ou menacés de racket dans votre activité ou votre vie de tous les jours, vous pouvez en effet aller vous plaindre au commissariat du coin qui vous dira qu’il ne peut rien faire pour vous tant que le voisin, le mari ou le racketteur ne sont pas passés à l’acte. En d’autres termes, nous savons punir, mais pas prévenir. Les femmes battues vous le confirmeront, la société ne peut rien pour elles. L’administration carcérale a établi une liste de criminels et pédophiles qui seront libérés dans les années à venir et qui sont considérés, d’après leurs dires, comme susceptibles, voire désireux, de passer à l’acte à nouveau une fois libérés. Ce sont plutôt les violeurs et pédophiles qui sont dans ce cas que les criminels, mais justement ce sont ces crimes-là qui sont jugés les plus odieux pour l’opinion publique. Il y en aurait 32 prévus d’être libérés d’ici 2010 ! Le sondage réalisé depuis sur le sujet montre, avec toutes les réserves que l’on peut avoir sur cette expression très parcellaire d’une opinion du moment, que 80 % des Français sont pour la loi de rétention de sûreté et 60 % pour son application immédiate.
Voilà qui interpelle sur ce besoin de protection préventive que les Français ressentent. La loi n’est peut-être pas bien faite, mais elle a au moins le mérite de faire émerger un besoin enfoui au plus profond de leur coeur et que notre culture permissive, toujours plus favorable au délinquant qu’à la victime, rendait politiquement et socialement incorrect d’exprimer. Comment y répondre est, j’en conviens, bien plus difficile que d’en ressentir le besoin et l’exprimer. Sur le traitement médiatique de l’affaire signalons que la lettre de Nicolas Sarkozy au président de la Cour de cassation disait bien que le jugement du Conseil constitutionnel s’imposait à tous. C’est pourtant, en oubliant cette phrase respectueuse du droit et des pouvoirs du Conseil constitutionnel qu’elle a été présentée par les médias...
Dans la même veine de style de présentation des éléments d’un problème aux Français, vous avez peut-être remarqué que c’est le secrétaire du Syndicat de la magistrature qui a pu critiquer dans les médias la saisine de la Cour de cassation par le président et se réjouir ensuite de la position du Conseil constitutionnel. Un syndicat pour moi est chargé de défendre les intérêts catégoriels de ses mandants, les magistrats, et pas de juger de la valeur de telle ou telle loi votée par les Français qu’ils ont au contraire le devoir d’appliquer. Peut-être notre télévision, y compris publique, devrait-elle parfois s’en rendre compte... Le président de la Cour de cassation a répondu que, sans remettre en cause le fait que le jugement du Conseil constitutionnel s’imposait à tous, il allait voir comment prendre en compte le problème exprimé par les Français. Peut-être suffirait-il que les juridictions régionales de sûreté soient transférées à un autre ministère, voire à une Haute Autorité indépendante comme c’est la mode, plutôt qu’au ministère de la Justice, pour que le problème soit résolu ?
A suivre...
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