Sauver « Palmyre »
Parmi tous les articles que j’ai écrits sur mon blog depuis février, il en est un qui domine très nettement tous les autres en nombre de vues. Il s’agit de Daesh et Boko Haram : barbarie superlative à domicile et à l’export. Le texte qui vient en second concerne EELV et ses idées baroques pour « sauver le climat », mais il ne se hisse jamais qu’à 60 % du premier en nombre de vues. Pour EELV, je constate une cohérence entre les nombreuses lectures, l’existence de commentaires et des partages sur les réseaux sociaux. De plus cet article avait bénéficié au départ d’un sympathique relais. Pour le premier, rien de tel. Des lectures absolument tous les jours, mais par ailleurs, un silence assourdissant, des visiteurs fantômatiques : jamais un commentaire, jamais un partage, pas de référant identifié, par de relais puissant, nada. J’en suis venue à observer ce phénomène que je ne m’explique pas avec une certaine inquiétude. Mais au-delà de ma petite énigme statistique, c’est aussi une invitation à un questionnement plus large, relancé récemment par l’attentat raté du Thalys : en dépit des petits nombres qui règnent ici, l’intérêt marqué pour le thème du terrorisme islamiste serait-il un indice de plus qu’il constitue bel et bien le grand défi politique de ce début de XXIème siècle ?
A part dans l’article cité plus haut, qui constitue surtout une fiche descriptive des groupes terroristes en présence, et à part dans un autre article consacré à la laïcité, ou plutôt aux pensées et arrière-pensées de la laïcité, je n’ai jusqu’à aujourd’hui pas vraiment abordé le sujet de l’islamisme, de ses dérives terroristes et des menaces qu’il fait peser sur le monde en général et la France en particulier, tant il me parait difficile à traiter.
A cela, quatre raisons principales. Tout d’abord, il suscite des réactions passionnelles, aussi bien du côté des tenants du « Padamalgam » que du côté des tenants du « Grand remplacement » qui rendent le débat difficile. Il est fréquemment instrumentalisé un peu dans tous les sens et souvent de façon outrancière en rapport avec la question de notre identité française et avec la question de notre sécurité. Ensuite, le terrorisme islamique se déploie sur plusieurs niveaux géographiques et fonctionne de façons très différentes suivant qu’il est sur ses terres ou à l’extérieur. Troisièmement, on dispose de peu d’informations précises et lorsqu’on en a, elles peuvent être très contradictoires. Enfin, et surtout, je ne suis pas absolument convaincue qu’au niveau France ce soit forcément le plus grand défi politique qu’on ait à résoudre.
Au niveau géographique de la sphère d’influence musulmane où évolue Daesh, c’est à dire sur un territoire englobant des zones irakiennes et syriennes, ainsi que sur les restes de la Libye post-Kadhafi, la progression de Daesh est militaire et les conditions politiques imposées aux populations annexées par la force sont clairement totalitaires. Les aspirations individuelles sont impitoyablement niées et il n’est question que d’appliquer la charia la plus littérale à tout un chacun. Aucun pluralisme de religion ou d’opinion n’est toléré, les chrétiens d’Orient en savent quelque chose. Certaines pratiques moyenâgeuses comme l’esclavage sexuel des femmes sont remises au goût du jour. Les massacres à titre d’exemple sont monnaie courante et sont aussi le mode opératoire des groupements terroristes qui se réclament de Daesh, comme Boko Haram au Nigéria, ou d’Al-Qaïda, comme les Shebab en Somalie et au Kenya, toujours avec l’objectif avoué d’instaurer un Etat islamique sur les terres des Etats africains ou moyen-orientaux actuels. En plus des innommables violences sur la population, la culture pré-islamique, témoin d’un âge d’or qui ne doit rien au prophète Mahomet, est systématiquement détruite. On pense aux magnifiques ruines de Palmyre, on pense aux autodafés d’instruments de musique et de livres, à la destruction méthodique de statues dans les musées. Un tel totalitarisme prospère d’autant mieux et attire d’autant plus les djihadistes qu’il s’appuie en fait sur des connaissances religieuses extrêmement sommaires et caricaturales, associées à une perte de repères moraux et à de multiples carences économiques.
Face à cette terreur obscurantiste et sa progression militaire, une seule riposte possible, la riposte militaire. Depuis à peu près un an, il existe une coalition internationale de vingt-quatre pays, dont la France, afin d’aider l’Irak à faire reculer Daesh. Jusqu’au printemps dernier, elle a réussi à enrayer la progression territoriale du groupe terroriste, mais ce dernier a pris le dessus en mai avec la prise de Ramadi en Irak et celle de Palmyre en Syrie. Ce sont ces événements catastrophiques qui ont incité Tahar Ben-Jelloun à « pousser un coup de gueule » contre l’ONU et les puissances occidentales qui ont semblé accepter avec résignation les avancées mortifères de Daesh. La stratégie de la coalition est donc à repenser du tout au tout. Les raids aériens sont-ils suffisants ? Faudrait-il envoyer des troupes au sol ? Est-il possible d’envisager une coopération avec la Syrie de Bachar El-Assad ? Ce sont quelques unes des questions que la coalition doit se poser. Les luttes confessionnelles entre chiites et sunnites compliquent encore les décisions urgentes à prendre.
J’avais conclu mon article de février dernier sur Daesh et Boko Haram par ces mots :
La coopération internationale parait essentielle pour lutter, et serait encore plus puissante si elle recevait l’appui le plus clair des très nombreux musulmans horrifiés par tant de haine.
J’ai donc été très favorablement impressionnée par les propos que la reine Rania de Jordanie a tenus mercredi 26 août en France en ouverture de l’Université d’été du Medef :
« Daech, le prétendu État islamique, continue de répandre son idéologie diabolique » et « modifie la perception locale de notre région. »
« Les musulmans modérés à travers le monde ne font pas assez pour gagner la lutte idéologique qui est au coeur de cette bataille. »
La reine a de plus évoqué la question de l’emploi des jeunes, dont plus du quart sont sans emploi dans sa région et elle a plaidé pour une coopération économique renforcée afin d’éviter à la jeunesse de son pays de basculer dans le djihadisme.
Au niveau géographique de l’Occident, et plus particulièrement de la France, la récente tentative d’attentat manquée du Thalys nous rappelle plusieurs choses. La France est la cible régulière d’attaques terroristes. Certaines réussissent et causent de nombreux morts (Charlie Hebdo, Hyper Cacher) dont parfois les terroristes eux-mêmes, et d’autres échouent assez lamentablement. Dans tous les cas, on a affaire à un terrorisme « low cost » ou « de basse intensité », comme l’explique Jean-DominiqueMerchet dans l’Opinion. Il s’agirait de procéder selon la « stratégie des mille entailles » à la façon des picadors qui affaiblissent le taureau en lui portant de multiples coups de banderilles. Les terroristes agissent seuls ou en tout petits groupes, ils ne revendiquent pas toujours des motivations religieuses dans la mesure où ils pensent que çe serait défavorable pour leur défense, mais la religion, qu’ils connaissent mal, est malgré tout au coeur de leur action. Leur armement est limité aux armes qu’il est facile de se procurer en Europe depuis la fin de la guerre de Yougoslavie ou depuis la chute du régime libyen du colonel Kadhafi, kalachnikov notamment. Les services de renseignement français sont bien conscients que jusqu’à présent le pays a eu beaucoup de chance que les choses n’aient pas été pires, en dépit du côté « pieds nickelés » des terroristes.
Cependant, si l’on en croit les informations du quotidien britannique The Telegraph de jeudi 27 août, les services français craignent aussi un terrorisme de plus grande ampleur type 11 septembre ou une attaque de missile sur un avion de ligne. Selon les sources du journal, l’idée que les attentats comme ceux du Thalys sont menées par des individus isolés n’est pas crédible. C’est pourquoi je parlais d’informations contradictoires. Qui et que croire ? Depuis les événements « Charlie », on a bien compris que tout était fait pour instrumentaliser la peur assez logique des citoyens et imposer des mesures anti-terroristes aussi liberticides qu’inefficaces.
Une chose est certaine : l’encouragement du communautarisme musulman à des fins électorales préconisé entre autres par le think-tank du Parti Socialiste Terra Nova a débouché inéluctablement sur une perte de repères, tant chez les jeunes Français élevés dans la sphère musulmane que chez les Français, je vais dire « de souche » faute de mieux, qui s’alarment de la disparition progressive des contours de la France traditionnelle. A cela s’ajoute une perte de repères économiques. Notre Etat providence rend les choses assez peu lisibles, mais la montée inexorable du chômage en est quand même un signe manifeste.
Dans une interview récente au FigaroVox, l’historien Georges Bensoussan conclut, en s’adressant à ceux qui passent leur temps à disqualifier toute tentative de retour aux valeurs de la laïcité française en disant que ça fait « le jeu du FN » : « N’avez-vous pas fait le jeu du FN en invalidant la parole d’une partie du peuple français, en le qualifiant de « franchouillard », de raciste, de fasciste ? »
En plus de tout ce que M. Bensoussan dit, à juste titre, peut-être même avant tout ce qu’il dit, j’ai personnellement envie de dire : « N’avez-vous pas fait le jeu du FN » en bradant l’Education nationale et en persistant dans vos erreurs économiques (socialisme, droite et gauche confondues) qui s’expriment aujourd’hui dans un décrochage scolaire inquiétant, un chômage triomphant, une croissance complètement cassée et de faibles perspectives d’avenir pour nos jeunes ? Il me semble que s’il y avait plus de travail pour tout le monde, si la France était plus dynamique économiquement, moins résignée, les Français, de souche ou plus récents, se sentiraient mieux dans leur peau, ils auraient une meilleure estime d’eux-mêmes et pourraient appréhender les problèmes d’identité et de poussée islamiste avec plus de sérénité et de force tranquille. Mais évidemment, il faudrait changer de politique. Et ça risque de ne pas plaire à la grande majorité des Français qui préfèrent manifestement la protection assurée et la décadence qui en découle inéluctablement, à la prise de risque qui ouvre une possibilité non nulle de redressement. Le défi politique français du début du XXIème siècle, je le vois plutôt là.
Finalement, les moyens de combattre l’islamisme existent. Dans la sphère Daesh, ils passent par l’association de la riposte militaire internationale (stratégiquement bien calibrée) avec l’implication morale des musulmans modérés et le développement économique qui donne du travail. Au niveau France, ils sont assez semblables : en plus du travail ciblé classique des services de renseignement, il est plus que temps d’envisager une politique économique porteuse d’avenir pour tous les Français, de cesser fermement toute compromission communautariste, sans pour autant tomber dans l’instrumentalisation inverse qui fait mettre des crèches là où elles n’ont rien à faire, et de donner leur chance aux musulmans modérés qui se reconnaissent dans les valeurs de la République.
Concernant ce dernier point, c’est avec plaisir, et beaucoup d’admiration pour un vrai courage et une ferme vision des enjeux, que j’ai lu cet été la tribune publiée dans marianne.net par des personnalités « de culture, de tradition ou de confession » musulmane, dont Mohamed Sifaoui et Zohra Bitan. Extraits :
Nous sommes des citoyens de culture, de tradition ou de confession musulmane (…) Nous sommes surtout – et avant tout – des démocrates attachés à la laïcité et aux principes de la République.
(Nous demandons) aux intellectuels de ne pas céder au chantage à « l’islamophobie », véritable escroquerie intellectuelle qui vise à anesthésier et à atrophier le débat (…)
Nous lançons cet appel, parce que l’islamisme a ruiné les pays d’origine d’un grand nombre d’entre nous, semant le plus souvent morts, larmes, tragédies et désolation.
Oui l’islam spirituel, lorsqu’il accepte de se soumettre aux lois et aux règles intangibles de la nation française, peut se fondre harmonieusement et s’exprimer sereinement et dignement dans la République. Mais nous affirmons très clairement que l’islamisme, ce totalitarisme, est un fléau qui nous menace tous sans exception.
C’est ainsi que l’on pourra sauver « Palmyre », c’est-à-dire notre raison, notre civilisation, l’honneur de l’humanité et tous les humains qui en sont l’unique mesure.
Illustration de couverture : peinture de Louis-François Cassas, Les Ruines de Palmyre, 1821, Musée des Beaux-Arts de Tours.
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