Soralissimum...
Je sens comme un vent de panique, mises en cause, procès en sorcellerie, mythes, le religieux dans son aspect obscurantiste le plus total ; je sens comme des avant goûts de guerres fratricides – sans être influencée par l'ambiance-, j'ai voulu en avoir le cœur net.
Je me sais incapable d'engouement irrationnel pour quoi que ce soit tant j'ai du mal, ici ou là, dans nos « penseurs » et politiques contemporaines, à trouver éléments nourrissants, je veux dire exclusivement. Je ne cherche pas de père mais ceux qui « ont fait le travail pour moi » et qui, études, observations et connaissances à l'appui, autorisent mon intuition.
Ma curiosité m'a poussée à écouter et lire, un peu, Soral, dont beaucoup semblent vanter les mérites et l'audace. J'aime le mérite et l'audace et mon cœur, toujours, va aux conspués, aux ennemis de la bien-pensance, qui nous étouffe, on peut le dire.
Prise par des échos contradictoires, je n'y arrivai pas tout à fait neuve, et c'est dommage ; je déteste lire les critiques d'un film ou d'un livre avant de le voir et j'aime les découvertes. Mais bon, en même temps, ce sont ces contradictions qui m'ont amenée à le lire.
Avant de le lire, j'ai écouté, jamais entièrement tant je n'avais rien à apprendre et tant, certaines fois, le ton m'était insupportable. Mais on me disait : il y a l'homme, il y a les idées. Avant de commencer la lecture après l'avoir décidé, j'ai passé trois jours bizarres où il me semblait voir le retour de l'obscurantisme, au moins comme vecteur d'illustration, et des esprits que je croyais lucides, diaboliser les uns pour innocenter les autres. Je pataugeais en pleine semoule.
Je ne m'attendais à aucune révélation mais à aucune déception puisque certains de ceux que j'estime y avaient trouvé leur content ; du reste je suis peu sensible aux anathèmes lancés contre les uns ou les autres et je me souviens très bien de mon éblouissement à la lecture de Houellebecq pourtant grandement conspué dans mes magazines !
Ainsi donc j'ai entrepris le lecture de « comprendre l'empire » :
La première partie m'a paru être une excellente synthèse - et j'adore les synthèses- de notre histoire ; à la lire on sent que c'est une première pierre posée et pas un but en soi et je n'ai rien à redire étant comme qui dirait rétive aux détails et dates et, surtout, peu férue d'histoire.
Quand on aborde la deuxième partie, des Idées, je suis en phase avec sa non moins synthétique histoire de l'homme dans laquelle il cite Mauss et rappelle l'ordre juste. Mais il passe très vite à l'impôt qui-ne-dit-pas-son-nom pour l'entretien des prêtres en oubliant une part importante de « cet ordre juste », qui définit, du moins tel que je l'ai lu – et dont j'ai été nourrie- dans Huxley, qui explique que de tous temps, une société comporte toutes les faces de l'Homme et que la part spirituelle est tenue par ceux qu'ils nomment « cérébrotoniques », les prêtres, les moines,etc, et que ceux-ci sont, par essence, inaptes au travail productif, en bref, incapables de « gagner leur vie » ! À ce stade, pas de trésors cachés dans le Temple, juste l'entretien de ces spartiates hautement frugaux ! L'échange - don contre don- se faisant donc avec eux, du matériel à l'esprit ; échange qui perdurera avec les écrivains et artistes, par le biais du mécénat, encore aujourd'hui.
Un peu plus loin, une toute petite phrase attire mon attention :
« … ainsi, toute organisation sociale absurde, que ce soit l'hérésie morbide des Cathares, la bureaucratie stalinienne ou le capitalisme purement parasitaire de Wall Street, est-elle vouée, par un châtiment du sens, à la disparition. »
« Morbide » m'intrigue autant que la comparaison entre les Cathares et Wall Street.
Ensuite, tout va si vite dans des chapitres si courts, qu'il faut relire deux fois pour être sûre qu'il a dit quelque chose et se pose alors la question de savoir à quel public il s'adresse. Soit des gens éclairés qui, de fait, ne pourront que noter son travail comme un devoir plus ou moins bien fait, soit le grand public qui se perdra sûrement dans ses grands sauts historiques ou, pour ne pas dire amalgame, des associations d'idées pas forcément opérantes d'un point de vue pédagogique.
J'étais donc très mal à l'aise en lisant ce chapitre sur les Idées.
Il s'attarde un instant sur les « réseaux » qu'il nous a d'abord définis comme « secrets ou occultes » depuis la chute de l'ancien régime pour, tout de suite après, parler de la famille ; quelques pages avant, il semblait regretter la passation des privilèges de l'Ancien Régime. À aller trop vite là, il a mis un caillou dans ma chaussure, mais surtout, il a oublié de parler du réseau qui me paraît le plus important, très proche de nous, celui de la France Libre, qui fournit à De Gaulle son bataillon d'ingénieurs nucléaires, chimistes et autres, ses ambassadeurs et ses ministres ou autres députés. Peu occulte celui-là non plus mais surtout très positif. Je vais m'arrêter un instant là-dessus : en tant qu'antinucléaire et anarchiste de base, la politique menée en ce temps-là est loin d'être mon rêve ; néanmoins, ce bouillonnement, cette énergie de tous ces hommes, issus de bonnes familles et ayant fait de bonnes études, mais, s'étant engagés pendant la guerre contre le nazisme et contre Pétain, donne un élan qui me touche ; patriotiques, férus de progrès, tournés vers l'avenir, ces hommes incarnent, et peut-être pour la dernière fois dans notre histoire, une idée qu'on peut se faire d'une élite qui met toutes ses compétences au service de leur nation. Aussi, le dénigrement de tout et de tous jeté dans ces quelque quarante pages, ôte à mes yeux le sérieux à apporter aux constats pourtant justes – et partagés- sur notre pays ; à aller trop vite il fait une synthèse approximative et très négative qui oblitère littéralement la complexité des hommes.
Il parle de la Franc-Maçonnerie, sans en dire quoi que ce soit, sans évoquer jamais ( si, à propos de Mozart) le bel idéal qu'elle fut et reste pour certains, parmi ceux qui ne naviguent pas dans les sphères du pouvoir.
En réalité, ses phrases m'ont paru désincarnées, alors qu'il ne parle que d'humain.
Il évoque le Bilderberg, la Trilatérale mais n'en dit rien ; il a lu Michéa et connecte la mafia napolitaine à la mafia mondiale et compare leurs atrocités respectives ; c'est peut-être l'endroit le plus explicite de ce passage qui s'en trouve éclairé.
Et pourtant il y a une raideur chez cet auteur qui ôte ( qui m'ôte) toute possibilité d'adhésion ; le constat est froid des réalités qu'il égrène. Cette raideur, on la trouve aussi, bien sûr, dans l'homme interviewé, et c'est à mon sens un sacré handicap pour quelqu'un qui veut réduire, pour la vulgariser, toute la construction d'une époque, en vue d'une prise de conscience suivie d'actions politiques.
Il décrit mais n'approfondit pas et semble vouloir nous faire ignorer que ce comportement humain, qui consiste à se sécuriser et se conforter avec les siens, est millénaire, et que, ce qui s'évitait vaguement jadis grâce au pouvoir hérité, ne peut s'éviter comme ânonnement du tout neuf libre arbitre dont le but final est l'anarchisme. Pour ma part, je ne vois aucune objection aux coteries, associations, clubs et compagnie tant je n'y vois pas de nuisance substantielle. Tant tout peut devenir nuisible.
Il parle de l'égalité lancée comme leurre aux révolutionnaires, pour remplacer le paradis de l'au-delà, celle-ci serait le paradis ici bas, évidemment trahie par le pouvoir ; mais il pose ceci en acceptant, apparemment, l'idée que l'égalité soit le paradis sur terre. Je m'insurge, déjà que le paradis tel qu'on nous le décrivait dans le ciel ne m'attirait pas du tout, l'égalité me navre. Grand Dieu, si tous étaient mes égaux, comment pourrais-je grandir ? C'est aller un peu vite en besogne, sur ce sujet là, un livre n'y suffirait pas. Même si l'on n'accepte que l'égalité en droits, c'est déjà reconnaître que quelqu'un nous donne ce droit. Inacceptable.
Dans son chapitre « luttes », il feint d'ignorer qu'il est « naturel » de ne pas savoir parler de soi et qu'une distance est nécessaire pour le faire – le vrai producteur ou le vrai créateur est absolument incapable de « se vendre »-, ainsi les auteurs se présentant comme défenseurs du prolétariat, sans mentir à jouer les prolétaires, sont parfaitement logiques dans la composition du monde.
En revanche, je le suis très bien dans son paragraphe « peuple et prolétariat » dans lequel il parle de « groupes sociaux mitoyens et mêlés » ( le tenancier de bistro et son client ouvrier), mais il oublie de spécifier qu'il y a de fortes chances que ce même tenancier adopte des attitudes de patron avec ses employés, l'habit faisant le moine en toutes circonstances, sauf naturellement pour quelques rares égarés dont l'égarement n'a pas d'origine politique mais bien ancré dans l'histoire personnelle ( cette ambiguïté ayant toutes les chances de les conduire à leur perte !). Politiquement, en ce cas, on crée une scoop, une association ou autre structure horizontale.
Plus loin, quand il défend le point de vue de Proudhon contre celui de Marx, je ne peux qu'applaudir, mais, franchement, après trois lectures, et Dieu sait que je ne peux pas lui reprocher de n'être pas pédagogue, ne l'étant pas moi-même, la virevolte ahurissante nous laisse pantoise.
Quand plus loin, il nomme Orwell, Lasch ou Michéa, je suppute que nous sommes de la même famille et mon désarroi est grand quand je lis ça :
« … Un mensonge et une manipulation historiquement révélés, à partir des années soixante dix, par le ralliement final de ces soi-disant révolutionnaires cosmopolites au libéralisme mondialisé. Ralliement effectué sous la férule des trotskistes, en Europe sous le nom de « libéralisme libertaire » et aux États -Unis sous l'appellation « néo-conservateurs ».
Une flopée de sociaux-traîtres dont énumérer les noms évoquerait immédiatement la liste de Schindler... »
?
Tout le chapitre 5, intitulé : « Démocratie et marché d'opinion », m'a beaucoup plu.
Il faut prendre en compte les humeurs différentes que nous secrétons, tout le temps de la lecture d'un livre, temps interrompus par la vie active et qui égaye ou attriste, excite ou assomme. Il y parle un peu de tout ce qui nous préoccupe actuellement, ce n'est pas une synthèse mais des notes successives probablement écrites sous inspiration certaines nuits d'insomnie, ou des notes finales de lectures, toujours brèves, agacées mais très vraies autant que je puisse en juger. Si je n'y apprends rien, si cela ne m'aide pas à rassembler mes esprits, cela est plaisant quoique j'eusse préféré les lire comme on pioche dans un sachet de bonbons, plutôt que bout à bout, car au bout, ça use. Mais ceci est le cas de beaucoup d'ouvrages et de plus, m'est sûrement très personnel.
Il parle de Bernays ( au sujet duquel on a eu un bel article ici même récemment), et puis si, j'ai appris l'existence de Willy Muzenberg, dont j'aurais aimé apprendre davantage.
Il y parle, vous l'aurez compris, de propagande, fabrication du consentement et autres entourloupes chères et utiles à nos dominants.
Un peu plus loin, il fustige fortement les médias, le cinéma, l'image, l'immédiateté, tout ça. Bon, moi aussi, mais alors pourquoi lui-même y est-il si accroché ? À son image.
Alors je reviens au prétexte de l'écriture de cet article ; sur l'article de Luc Laurent Salvador « Comprendre Soral », LLS essaie de nous expliquer que la pensée est une chose, l'homme une autre. On peut admettre, par exemple, qu'on peu apprécier Freud sans en connaître les dessous que Onfray dans sa bonté d'âme, nous a exposés. On peut se foutre d'un Kierkegaard quasi maniaque, mais d'un Soral qui se montre, s'exhibe et n'éructe guère au nom du peuple, on peut se poser la question. Alors, n'étant pas encline au parti pris ou au « je prends/ je laisse », je me demande ce que je pourrais bien faire de Soral, moi-même, et que pourrait-on en faire, dans, disons, la dissidence actuelle.
Moi-même ne peux rien en faire : il ne m'apprend rien, ses synthèses se révèlent finalement être des pointillés, des juxtapositions, alors que dans le fond, même sans argumentations, je le trouve assez juste, juste ou très juste ! Il y a donc bel et bien, et pour ne s'en tenir qu'à ce livre, une distorsion, énigmatique ou fatale, entre ce qu'il pose comme acquis- qu'il n'est donc pas nécessaire d'élucider ou de creuser- et le but inavoué, il faut l'avouer, de cet ouvrage. D'une enveloppe pleine et prometteuse, ne reste finalement qu'un sentiment de vide. Qu'en retient celui qui ne sait pas grand chose de tout ce qu'il raconte et qu'en tire celui qui sait ?
Et me vient l'idée que « comprendre » l'empire est présomptueux, « voir » l'empire eut été plus adéquat. Ce qui est déjà pas mal, après tant d'efforts, ne crachons pas dans le bouillon !
Par ailleurs il faut bien des lieux où jeunesse se passe et bien que n'importe quelle dissidence me paraisse désuète sous nos latitudes, que le mal est trop profond et que, surtout, la fin viendra autrement, commencer la sape des ignorances déguisées en certitudes n'est pas une mauvaise chose. Si Soral est un danger, tant mieux.
Dans le dernier moment de son livre, Soral trace un excellent portrait de BHL. Il égratigne à peu près tout le monde sauf Chevènement, ne s'attarde pas sur Caroline Fourest alors que dans la manière dont son nom déboule, on sent toute sa haine.
Son dernier chapitre est un véritable régal asséné à coups de hache au tranchant acéré ; il y parle d'aujourd'hui, mais toujours sans accroche aucune à la moindre pensée, si bien que : que veut-il dire quand il écrit ceci :
( il parle de la Shoah, « nouvelle religion impériale ») :
« Une religion dont le credo « plus jamais ça », sous entendu : « demain le mondialisme ou le retour d'Auschwitz », sert aussi d'anathème contre toute résistance patriotique, et où la chambre à gaz prend désormais la place du corps, introuvable, du Christ ressuscité... »
?
Dans son dernier chapitre : « comment résister à l' Empire », je trouve pertinente sa définition de la gauche et de la droite et cette association : gauche bobo/ droite financière, et gauche populaire/ droite des valeurs morales. Pertinente parce que cela éclaire la confusion qui règne actuellement et dont on voit, depuis qu'a été écrit ce bouquin, le décantage progressif.
Un constat décapant lui aussi dont on ne peut pas dire qu'il soit faux.
Ce texte est dérangeant, non seulement à cause de ses approximations et de sa teneur intellectuelle légère, mais il me dérange personnellement parce qu'il bouscule mon appartenance viscérale à la gauche, appartenance donnée et non acquise, cette gauche qui fut dévoyée par ses politiques.
Il ne me bouscule pas dans mon adhésion foncière et totale à l'anarchisme, mais dans ma partie « supérieure » ( au sens de « à la surface »), celle qui veut se concrétiser dans ce monde. Je n'en tire pas encore leçon, j'écris ce texte « à chaud », mais je pense que mon fond et mes actes se rejoindront, laissant de côté les avatars avariés de valeurs mourantes et polluées qui furent celles, pures, de ma jeunesse. N'ayant jamais trouvé de saints à qui me vouer, je ne trouve plus de partis ni d'idéologie pour lesquels combattre ; cela me rive à mon éternelle solitude mais cette lecture scellera peut-être mon intérêt pour la contingence des événements et mettra un terme à mes engagements toujours hésitants.
Pour conclure,
Contrairement à mes lectures nourrissantes et constitutives de mon être, en vrac et hors exhaustivité : Reich, Jung, Huxley, Michéa, Roustang, Chomsky, etc, qui me commandaient toutes les trois pages d'aller faire un tour pour calmer mon excitation et prendre le temps d'engranger ces trésors, la lecture de Soral fut pour moi un vrai travail. Ténacité oblige et, une fois n'est pas coutume, un peu de discipline.
Néanmoins, et c'est à la fois paradoxal et intéressant, je « comprends » Soral, si j'admets ce que je sais de lui ; mais il n'est pas homme à susciter la moindre adhésion à ce qui n'est qu'une colère, même justifiée, une description du monde actuel, même acérée ; cela tombe bien car adhérer n'est pas dans mes capacités. Mais j'aime être dérangée, j'aime que mes « savoirs » soient dépassés ( et ils ne le sont pas forcément par des savoirs nouveaux qui viendraient prendre leur place mais par quelque chose de plus profond , qui est ma propre vision des choses qui se transforme par l'expérience ; car il reste toujours des coins inexploités et devenus obsolètes pour notre construction) et qu'une porte à nouveau s'ouvre et me donne de l'air pour satisfaire, non seulement ma curiosité insatiable mais aussi mon désir de comprendre le monde, et de m'y positionner ; j'accepte dans ce monde tout ce qui s'y trouve, hormis l'injustice, le pouvoir et ses abus, même quand ils ne s'accompagnent pas de violence.
Je crois que Soral est utile, indépendamment des engouements ou des rejets qu'il suscite, toute forme de comportement qui, pour être franche, me terrorise littéralement. Pour comparaison, je dirai que je me suis éloignée de Mélenchon dès mars 2012, aux vues des ce qui s'est passé à la Bastille.
Tout ce texte n'a donc aucune valeur de vérité, aucune prétention même d'un apport quelconque, il est bel et bien l'émanation d'un individu, en toute humilité.
( ne me demandez pas : pourquoi alors demander à publier ce texte ?
Je répondrais de manière brute et sans nuance : c'est une addiction !
Ou bien, plus calmement : quand la possibilité est ouverte, c'est le sort logique d'un écrit !!)
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