Un référendum interdisant les minarets est-il pensable en France ?
La démocratie française, qu’on l’approuve ou non, n’est pas directe et ne l’a jamais été et ne le sera pas, sauf un changement total quasi révolutionnaire de sa constitution.
Démonstration en forme de rappel historique.
Dans la constitution de la Vème République, avant sa réforme récente, toute question de référendum relevait du président de la république après consultation de conseil d’état.
Les projets de loi susceptibles d’être soumis à référendum ne pouvaient porter que sur l’organisation des pouvoirs publics, l’approbation d’un accord de Communauté ou l’autorisation de ratification d’un traité qui "sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions". La communauté « coloniale » a été abolie en 1961, La révision du 4 août 1995 a remplacé les accords de Communauté par les "réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent". Il appartient soit au gouvernement, soit aux deux assemblées par une proposition conjointe, de demander au Président de la République l’organisation d’un référendum qui, en tout état de cause, ne peut porter que sur un projet de loi préalablement déposé par le Premier ministre et soumis à la délibération des assemblées, le parlement n’en a donc pas l’initiative.
Dès lors qu’il est saisi par le gouvernement ou les deux assemblées d’une demande de référendum, le Président de la République est seul maître de sa décision : il exerce son pouvoir, par décret non contresigné, ce qui souligne que ce pouvoir relève de sa seule compétence. Sa marge de liberté diffère cependant selon le contexte politique. En cas de majorité parlementaire et présidentielle convergente, c’est en fait le président de la république qui propose la question soumise à référendum, dans le cas contraire( cohabitation), il ne peut qu’y opposer son droit de véto.
Depuis 1995, si le président est à l’origine d’une proposition de référendum, il doit faire devant chaque assemblée une déclaration qui sera suivie d’un débat sans vote, mais il reste possible à l’Assemblée Nationale de mettre en cause de voter une motion de censure pour rendre impossible, par le gouvernement censuré, d’organiser le scrutin .
Le décret du Président de la République décidant le référendum est un "acte de gouvernement".
- le projet de loi soumis au référendum est, comme tous les projets de loi, soumis pour avis au Conseil d’Etat.
- Le Conseil Constitutionnel est consulté par le gouvernement sur l’organisation des opérations de référendum. Mais il ne se reconnaît pas compétent pour juger de la conformité d’une loi référendaire à la Constitution, dès lors qu’une telle loi constitue l’expression directe de la souveraineté nationale.
- Les décrets organisant le référendum peuvent faire l’objet de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat dans les conditions habituelles.
Le référendum d’initiative « populaire » a été introduit le 23 Juillet 2008 dans le cadre d’une loi de révision de la constitution prise à l’initiative du président de la république et du gouvernement et votée par le congrès, afin de rapprocher les citoyens de leur représentants. Il n’est donc pas question de démocratie directe (qu’il ne faut pas confondre avec la démocratie participative) à la mode Suisse. Cette procédure nouvelle doit être suivie d’une loi organique pour en préciser les modalités d’application, loi que l’on attend toujours ; nul doute que le mauvais (voir plus loin en quoi) exemple de la Suisse va faire qu’elle ne sera pas plus ouverte qu’elle ne l’est aujourd’hui ; les partisans de la démocratie indirecte vont s’empresser de tirer argument de ce référendum pour limiter ou encadrer encore davantage le recours à une telle procédure.
Que dit, en effet, le texte voté en l’état ?
« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. La régularité de l’initiative, qui prend la forme d’une proposition de loi et qui ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an, est contrôlée par le Conseil constitutionnel dans des conditions fixées par une loi organique. Si la proposition n’a pas été examinée par les deux assemblées parlementaires dans un délai fixé par la loi organique, le président de la République soumet la proposition au référendum. »
Soulignons que l’organisation d’un référendum d’initiative populaire prévu dans la réforme constitutionnelle en cours, requiert des conditions très difficiles à réunir. Il faut en effet obtenir le soutien de 20% des membres du Parlement ( presque 200 parlementaires) ainsi que la signature de 10% des électeurs inscrits, soit environ 4,5 millions de Français. Ce qui est considérable
C’est donc au parlement après avis du Conseil Constitutionnel de décider de la question posée en dernier recours. il ne s’ agit donc, dans cette procédure, que d’améliorer et de renforcer le fonctionnement de la démocratie indirecte, c’est-à-dire la représentativité et le pouvoir des députés et sénateurs et non d’un embryon de démocratie directe. Ce qui est tout à fait conforme à l’esprit du régime français depuis toujours.
Il faut ajouter que l’article premier du préambule de la constitution, même réformée, interdit explicitement toute question qui ferait une distinction entre les minarets et les clochers d’église par exemple selon le principe de l’égalité de traitement entre toutes les religions dans un état laïque et de droit.
Que dit cet article que nombre de commentateurs défenseurs du référendum Suisse cherchent à faire oublier ?
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
L’égalité devant le loi est affirmée dans sa conséquence : l’égal respect de toute les croyances sans distinction de majorité ou de minorité. Ainsi ce n’est pas à un majorité de décider dans quelles conditions architecturales, si ce n’est les mêmes pour tous, telle ou telle religion doit construire ses lieux de culte. Ce principe n’est donc pas soumis au vote majoritaire que revendique certains, car il au fondement de l’égalité des droits qui en démocratie ne se négocie pas, sauf à se transformer en tyrannie majoritaire. Nous savons qu’il peut, en effet, exister des votes majoritaires qui refusent l’égalité des droits entre les hommes et les femmes (par exemple en Suisse ou en France précisément, dans le passé) et/ou qui réintroduisent l’esclavage, et/ou qui excluent de la nationalité certaines personnes en raison de leur origine et/ou de leur religion , et/ou qui interdisent des partis d’opposition, pourtant respectueux des procédures démocratiques etc.. Chacun sait que ces votes mettent par terre les fondements institutionnels de la démocratie dont ceux-ci sont la condition de possibilité .
La conséquence est de ce déni de droit est qu’une minorité à qui on contesterait les droits de citoyenneté et d’expression accordés aux autres serait justifiée, au nom la démocratie, de combattre cette injustice par tous les moyens ! Rappelons que ce droit et même ce devoir de révolte contre la tyrannie, même majoritaire, a été inscrit à l’origine dans la déclaration des droits de l’homme française, mais a disparu ensuite, non parce que ce devoir et ce droit n’existeraient pas, mais parce que l’objet même de cette déclaration était de rendre la révolte impossible dans un état de droit, c’est à dire d’égalité des droits fondamentaux, dont fait intégralement partie celui de pratiquer la religion de son choix dans un cadre qui ne relève de l’état et des pouvoirs publics que si cette pratique et ce cadre portent atteinte aux droits fondamentaux . Du point de vue de la constitution française et très probablement, nous le verrons bientôt, du droit européen auquel la Suisse a souscrit, la question posée aux suisses est inconstitutionnelle, dès lors qu’elle bafoue, dans son principe même, l’égalité des droits des différentes religions, constitutive de toute démocratie laïque et pluraliste.
Certains partisans du vote suisse n’ hésitent pas à affirmer que la question posée ne portait pas en réalité sur l’interdiction des minarets mais sur celle de l’intégrisme musulman dont les minarets seraient le symbole. Or cet argument est doublement fallacieux :
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Sur la plan théorique, les mosquées portant des minarets existant en Suisse et en France ne sont en rien des repères intégristes, mais au contraire des symboles d’intégration ( au point que celui de Paris a été construit par la France et que les autres sont toujours négociés entre les communes et les associations musulmanes légales )
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Sur le plan pratique, faire des minarets des symboles intégristes renforce nécessairement le sentiment d’injustice et de discrimination chez tous les musulmans qui s’en sentiraient victimes au profit des intégristes et de leur stratégie de victimisation..
Il est clair qu’il faut alors combattre, non les mosquées, avec ou sans minaret, mais l’usage anti-républicain que certains imams en font et refuser qu’une mosquée soit construite par des financements étrangers ou internes qui rendraient douteux l’enseignement qui y serait dispensé. Cela implique une surveillance des discours tenus à l’intérieur des mosquées, comme de tout autre bâtiment religieux. Cette surveillance est indispensable à la défense des valeurs de la république et fait intégralement partie de la mission d’un état laïque . L’interdiction d’utiliser la religion pour contester la république, ses valeurs et l’égalité de ses droits, est seule susceptible de faire échec à l’islamisme et à tout autre fondamentalisme religieux.
C’est la seule leçon -et en cela son exemple peut et doit nous servir- à tirer de ce référendum suisse fondamentalement anti-démocratique dans son principe même.
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