Une gauche zombie, une extrême gauche fossile
Osons le reconnaître : la gauche, ou plutôt ce qu’il en reste, a échoué sur tous les fronts, là où la droite a réussi à donner l’illusion d’un renouvellement. La gauche s’enlise dans ses incessants bavardages, s’empêtre dans ses contradictions jamais résolues, se gave d’idéologies anachroniques et se nourrit d’une imagerie en noir et blanc à faire mourir d’ennui le plus féru des archivistes.
L’extrême-gauche est là pour accuser le trait de cette caricature dérisoire. Peut-on indéfiniment ressasser les antiques rengaines de 68, rabâcher les canons d’un système de valeurs soviétiforme qui n’intéresse plus guère que les tenants d’obscures cellules et de groupuscules aux effectifs fantômes ? Peut-on encore, aujourd’hui, proposer un projet de société étatique en se réclamant de Trotsky (figure méconnue du plus grand nombre) et de la Quatrième internationale ? En niant la réalité. En se foutant éperdument des véritables attentes de la majorité de nos contemporains : accéder à la propriété foncière, gagner toujours plus d’argent et par tous les moyens, dont l’actionnariat. Consommer, acheter, conquérir, et si ce n’est déjà fait, pérenniser cette illusion de sécurité et d’estime de soi que confère le "pouvoir d’achat". C’est peut-être cynique mais la réalité est ainsi faite. On ne vit aujourd’hui que pour acquérir, conquérir, prospérer, s’embourgeoiser et être reconnu, envié, admiré pour ce que l’on a, pour ce que l’on aura réussi à posséder, fut-ce au prix d’un demi-siècle de traites. La trime, on n’y concède que "par défaut" (quand on a un travail), l’idéal ultime étant de pouvoir profiter des bienfaits de la post-modernité sans avoir à sacrifier une traître goutte de sueur à l’autel de la "valeur" travail. On se rêve héritier, s’envisage propriétaire, se souhaite des lendemains de bobo. C’est le rêve américain accommodé à la sauce franco-franchouille, le bas de laine transcendé en bas-résille, Marianne en mini-cuir façon Bimbo siliconée exhibant ses cuisses bronzées à l’oeil avide du voyeur en survête Tacchini abonné de frais à Valeurs actuelles.
La nouvelle nouvelle droite néo-conservatrice et ses apôtres d’un système de valeurs néo-victorien déguisé en néolibéralisme ont saisi à bras le corps ce courant prédateur qui sévit dans les plus sinistres cités comme dans les lotissements clos qui fleurissent aux périphéries de nos villes, entre la zone indus et la vieille HLM promise à la démolition... Comme la gauche extrême, qui ressemble à du vieux béton gris qui s’effrite jusqu’à laisser entrevoir ses ferrailles rouillées. Cette gauche post-PCF qui se contente de rêver des lendemains fonctionnarisés au travailleur blasé, harassé, précarisé, exploité et pas syndiqué de peur des représailles. Tous fonctionnaires, tous syndiqués, tous au service des acquis de 36 et de la figure héroïque du prolétaire voûté dans sa cotte tachée, les pieds crispés dans ses chaussures de sécurité.
Objection, camarade... Pardon, citoyen ! Le monde ouvrier n’est plus. On veut bien à la rigueur, et pour survivre en attendant mieux, occuper un emploi ouvrier ici ou là, mais plus mener la vie qui va avec. Le prolo est du registre de l’archive. Le bleu, on le laisse au vestiaire de l’usine où on ferme sa gueule en faisant ce pour quoi on est payé, et on détourne les yeux quand quelqu’un s’apprête à se pendre dans un coin d’atelier, ou à se défenestrer du plus haut de l’immeuble des bureaux. Passé la porte de l’usine, on veut mener la vie vue à la télé. Besancenot sur son vélo, Arlette et ses psalmodies misérabilistes ne pèsent pas bien lourd comparé aux déhanchements d’une Mariah Carey ou aux promesses d’argent facile d’un Jean-Pierre Foucault. Et puis Olivier comme Arlette, que nous promettent-ils ? Ce qu’un Georges Marchais, et avant lui un Waldeck Rochet promettaient à nos vieux. On a vu ce que ça a donné. On nous dit que demain, l’usine, ce sera comme chez Lexus, aux Etats-Unis. Un seul employé pour conduire la voiture finie d’être fabriquée au parking. Un autre pour l’embarquer sur le camion. Un troisième pour la vendre. Un quatrième pour l’entretenir. Un dernier pour la recycler en matière à fabriquer le modèle suivant. Fatalement, ça fera des chômeurs. A moins que quelqu’un ne se décide à mettre en place ce salaire de vie qui fait partie des vieilles options de l’extrême-gauche... et dont il n’a plus été question, ces dernières campagnes. Le salaire de vie. En clair, être payé pour simplement être vivant. Pour exister. La parade absolue au chômage et l’exclusion de masse. Facile à financer, dame. On prélèverait davantage sur les hauts salaires, ceux des PDG, des cadres-sups, des sportifs professionnels, des chanteurs, des acteurs, toute cette colique de l’establishment show-biz dont une simple apparition à la télé, pour faire la promo de leur dernier produit culturel, se chiffre en cacheton à six chiffres. Mais l’extrême gauche ne nous parle plus de salaire de vie. Elle nous promet un SMIC à 1 500 euros pour tout de suite si elle est élue, et pour ceux qui ont déjà un boulot (net d’impôts ? Car c’est ça qu’on aurait envie d’entendre). Comme au temps de l’union de la gauche, où le PC nous promettait un SMIC à 10 000 francs dont on n’a jamais vu le premier centime. Net d’impôts ou non.
Pour qui comme moi déteste le travail salarié et le considère comme une malédiction héritée des temps bibliques, toute revendication tendant à l’abolition du salariat forcé, quelle que soit la couleur politique de celui ou celle qui en serait le promoteur, m’inclinerait à reprendre le chemin des urnes. L’abolition du travail forcé. La fin du labeur. Le choix laissé à chacun de se former, de se spécialiser pour tenir quarante années durant, les meilleures de sa vie, un rôle dans le système économique dominant, ou au contraire de ne vivre que pour soi, au service de ses contemporains au travers d’une oeuvre quelconque, ou de son seul épanouissement personnel. Voilà un véritable projet de société. Voilà la seule solution pensable aux fléaux multiples que peut engendrer un système économique tel que celui que nous connaissons, qui exige de chacun disponibilité, dynamisme, spécialisation, souci de s’impliquer, critères irréalistes et irréalisables pour nombre d’entre nous voués de ce fait à la précarité, à l’exclusion, à la grande pauvreté.
Clients d’Emmaüs et des Restos du coeur plus que peuple de gauche voué à demeurer un très vague argumentaire électoraliste...
Olivier Besancenot, Alain Krivine, Arlette Laguiller et dans une certaine mesure Marie-Georges Buffet me font un peu penser à la défunte émission littéraire Apostrophes, de l’estimé Bernard Pivot. Tout le monde parlait de cette émission, tout un chacun s’accordait à la trouver intéressante, passionnante, captivante et instructive... Sauf que bien peu la regardaient effectivement. C’était un idéal de bonne télé au service de l’instruction publique, Apostrophes. On aimait savoir que cette émission existait, mais on lui préférait Thalassa sur la Trois ou la variétoche de la Une, ou le cinoche en famille, le resto en couple, en bref tout ce que l’on pouvait faire de ses vendredis soirs à l’époque. La gauche de la gauche, ce qu’il nous reste de ce que fut la gauche, c’est une espèce de repère dont on se plaît à savoir qu’il est là, qu’il existe encore, qu’il n’a pas sombré dans les compromissions socialistes, mais au moment de voter, on change de chaîne. Le programme est-il plus attrayant en face ? Pas plus que Thalassa au regard d’Apostrophes. C’est seulement qu’on attend peut-être de ces gens qu’on aime bien, et dont beaucoup d’entre nous apprécient les prises de parole, qu’ils nous entraînent vers quelque chose qui ressortirait de ces extrêmes dont ils se revendiquent. Quelque chose qu’aucun de nos syndicalistes verbeux ne songerait à proférer publiquement. Une "rupture tranquille" avec cette grisaille qui voudrait encore se teinter de rouge sans y parvenir, cette grisaille couleur de vieux béton qui nous éloigne chaque jour un peu plus de la pensée humaniste et sociale pour nous glisser dans cette illusion antisociale et collective du "Tout est possible à chacun à condition de le vouloir", illusion dont nul n’est véritablement dupe, mais qui nous tiendra lieu, pour quelques temps je le crains, d’idéal par contumace.
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