Comme l’argent, l’électricité doit avoir une odeur
Dans un libéralisme économique contemporain, réputé souverain et incorruptible, il n’est pas de marché plus fourbe et plus hypocrite que celui de l’électricité. Or, cette fourberie et cette hypocrisie ne sont que le fait des États – dont la France – davantage soucieux d’appliquer les directives partisanes de certaines forces politiques d’appoint que de s’en tenir aux règles intangibles d’une démocratie digne de ce nom. Dans semblable démocratie, la permanence du souci de l’intérêt général aurait depuis longtemps convaincu la conscience collective que l’électricité est désormais rien moins que l’influx vital des communautés humaines et que, à ce titre, tout ce qui a trait à son statut doit infailliblement relever de la consultation populaire ; à commencer par la question de savoir quel régime de production et de consommation appliquer à cette denrée particulière.
Car enfin, de trois choses l’une : les citoyens considèrent en majorité que l’électricité est une marchandise comme les autres, et alors l’État doit se résoudre à garantir le respect rigoureux de mécanismes d’échanges universellement adoptés ; a contrario, cette même majorité décide que le courant n’est pas une marchandise comme les autres ou qu’il l’est seulement sous certaines conditions.
À l’évidence, ces deux dernières sentences électorales signifieraient sans ambigüité que le bien fondé de l’obligation d’achat de certaines sources d’électricité doit être formellement soumis à l’assentiment des électeurs. Pour autant, il ne devrait pas l’être dans n’importe quelles conditions et, surtout, ne pas pâtir de l’incurie brouillonne de la communication d’État ayant trop souvent sévi lors des scrutins de cette nature. Une puissante et limpide opération pédagogique, éclairant d’un jour cru le principe de l’obligation d’achat devrait, pour une fois, précéder largement le retour aux urnes des Français. Aussi, afin que chaque compatriote puisse s’exprimer en toute connaissance de cause, l’État devrait-il se faire le devoir hautement consciencieux de lui expliquer sans complaisance les enjeux économiques et environnementaux, les tenants et aboutissants techniques et technologiques, ainsi que les conséquences sur le portefeuille de chaque citoyen et sur celui des finances publiques dudit principe.
Seule, l’option d’État émergeant ainsi des urnes aurait une authentique légitimité démocratique et pourrait, seule, revendiquer de ne pas souffrir la contestation. Au demeurant, il paraît peu improbable que ne sorte pas tout simplement de ces urnes la volonté de rendre à EDF son statut national de producteur distributeur intégré.
Mais, dans le cas où les Français estimeraient unanimement que l’électricité est une marchandise comme les autres, quel régime commercial y prescrirait-il implicitement, que l’État se verrait dans l’obligation absolue de faire respecter ? Aujourd’hui, se dispensant d’une interrogation aussi byzantine, le marché électrique européen prétend fonctionner dans cette hypothèse, selon des directives de la vox populi dont on cherche encore la trace institutionnelle.
En fait de produit issu des lois naturelles et inviolées du marché, la commercialisation de notre mix énergétique se révèle le siège de nombreuses perversions partisanes ou idéologiques, quand il n’est pas l’enjeu de l’affrontement des opinions publiques des États membres. Autant dire que le prix du KWh communautaire n’est pas près d’être bon marché !
Pour comble, dissimulés derrière le principe du mix, qu’ils vendent pour incontournable pour des raisons guère difficiles à imaginer, nos hardis combattants anti-nucléaire consomment sans modération la drogue du confort, dont leur pire ennemi est prodigue, et opèrent, dans le même temps, un travail de sape méthodique consistant à faire payer à la communauté toute entière le coût exorbitant de leurs errements idéologiques. De fait, ils ne reculent devant aucun procédé pour amalgamer contre le nucléaire civil toutes les rancœurs et la naïveté populaires, pour exciter le clientélisme, l’incompétence et la lâcheté des personnels politiques à déstabiliser la politique énergétique de leur pays ; et tout ceci sous les encouragements d’État, non dissimulés, du puissant lobby germano-dano-bruxellois.
Le dernier verdict électoral cité aurait au moins le mérite de faire arbitrer par la loi incontestable et universellement reconnue du marché cette foire d’empoigne idéologique. Loi du marché vraie et implacable s’entend, celle qui fait obligation à l’État de trouver le moyen de permettre à chacun de ses ressortissants de consommer l’énergie électrique de son choix et d’en assumer, seul, les conséquences pratiques et financières. Surtout, loi du marché obligeant les pouvoirs publics à priver les activistes de tout poil du moyen de prendre en otage l’ensemble des consommateurs, comme le fait actuellement cet infâme décret Cochet. Enfin, loi du marché qui interdit tout bonnement à l’État de fausser la libre concurrence des produits par l’action politique.
C’est précisément sur cette notion floue de produit que repose toute l’imposture caractérisée plus haut du mix énergétique communautaire. Force est de constater, en effet, que les partisans de tout bord du principe de l’exclusivité de ce mix ne sont guère enclins à dissiper la confusion caractérisant le marché actuel. À les en croire, la concurrence ne peut que porter sur les producteurs, entre eux, et non sur la nature d’un produit réputé indifférencié et, surtout, dépourvu de carte d’identité génétique. Ainsi, le consommateur européen serait-il placé devant l’impossibilité technique et définitivement rédhibitoire de pratiquer une analogie commerciale avec l’huile, par exemple, pour laquelle lui est offert le choix d’huiles d’arachide, de noix ou de colza de diverses marques.
En d’autres termes, si l’on parvenait à offrir à tout le monde la possibilité de consommer ou de bannir l’électricité de son choix, fût-ce à un prix prohibitif ou en s’exposant à la précarité naturelle de certaines fournitures, on ôterait aux sectateurs de l’électricité prétendument bio la légitimité de la mutualisation abusive du surcoût et de l’instabilité de la plupart des renouvelables, qu’ils imposent à la communauté. On verrait alors chez qui cette fibre bio n’est qu’une posture et chez qui elle motive une réelle discipline de vie.
À ce stade de la réflexion, se pose la question évidente suivante : serait-il déjà techniquement possible aux gestionnaires des réseaux de production et de distribution nationaux de discriminer les différents modes de génération électrique, de sorte qu’ils puissent offrir à chaque consommateur la possibilité de composer son mix à la carte ? S’il est encore imprudent de répondre péremptoirement oui ou non à une telle question, les éléments notoires suivants peuvent largement permettre de se faire une intime conviction sur le réalisable, à court ou à moyen terme, ne dépendant que de la volonté des pouvoirs publics.
D’une part, RTE dispose à chaque instant de la parfaite connaissance qualitative, quantitative et géographique de la physionomie de la production et du transit nationaux de l’énergie électrique. Le public imagine sans doute très mal les performances que le foisonnement des progrès du numérique et de l’électronique ont autorisés dans ce domaine.
D’autre part, l’avènement et la généralisation progressive du smart grid, ou compteur intelligent pour faire simple, ne semblent désormais plus qu’une question de temps… et d’argent. Parmi les aptitudes de ce compteur interactif entre fournisseur et client, figure la télétransmission à tout instant des caractéristiques de la consommation du titulaire du contrat ainsi que la télécommande de certains de ses appareils et de la mise en ou hors service de sa fourniture.
À partir de ce sommaire schéma de notre système « production consommation d’électricité », on ne voit pas ce qui, à court terme, empêcherait que la connaissance permanente d’une balance production-consommation très fine et très sophistiquée autorise l’émergence de contrats plus personnalisés qu’aujourd’hui et, surtout, plus responsabilisants.
Le pouvoir politique sait trop bien qu’une telle possibilité lui ôterait tout alibi pour perpétuer des obligations d’achats en totale contravention avec les règles du marché, qu’il prétend garantir. Il sait également très bien que, en substitution à la loi concernée, il lui est d’ores et déjà parfaitement loisible d’imposer à tout contrat de fourniture d’électricité l’apparition d’un volet inédit, ayant trait au mode de génération de l’ingrédient. Ainsi, la nouvelle disposition contractuelle pourrait-elle désormais consister à obliger tout client à cocher une ou plusieurs des options suivantes, équivalentes à un engagement formel d’achat, le cas échéant :
- Mix énergétique permettant d’atteindre le prix du kwh le plus bas ;
- 10, 20, 30… jusqu’à 100 % d’électricité éolienne ;
- 10, 20, 30… jusqu’à 100 % d’électricité photovoltaïque ;
- 10, 20, 30… jusqu’à 100 % d’électricité biomassique…
À partir de là, rien de plus facile pour RTE d’établir, chaque jour à J-1, les quotas d’électricités éolienne, photovoltaïque et autre biomasse à solliciter pour le lendemain, sachant que les surcoûts inhérents aux productions correspondantes ne seraient imputés qu’à une partie aisément identifiable de la clientèle. Avec la connaissance des puissances souscrites par tous les clients, l’évaluation de ces quotas ne présenterait guère de difficulté ; de même que leurs facturations individuelles, à l’aide du tracé précis de leurs consommations. Bien entendu, l’option « mix énergétique permettant d’atteindre le prix du kwh le plus bas » s’imposerait par défaut, notamment en cas d’impossibilité de satisfaire tout ou partie des autres options cochées. À n’en pas douter, une telle occurrence promet pour le moins d’être récurrente !
Par ailleurs, il conviendrait de ne surtout pas se dispenser d’une autre fonction de la nouvelle responsabilisation : le télé délestage sélectif des clients. On ne peut pas contribuer à la fragilisation de l’équilibre production consommation, en investissant dans des agents d’instabilité, et ne pas assumer les conséquences matérielles de leur exploitation. Il est donc tout à fait normal que, le cas échéant, une rupture soudaine dudit équilibre impacte prioritairement – et si possible seulement ! – les clients du mode de production défaillant.
J’entends de là les cris d’orfraie de Stéphane Lhomme et de ses coreligionnaires. Au demeurant, on se demande bien ce qui les justifierait, quand tous ces gens se prétendent les porte parole d’une majorité de Français. S’il en était bien ainsi, ils n’auraient rien à craindre de l’entrée en service exclusif du nouveau contrat de fourniture puisque, à n’en pas douter, les options éoliennes, photovoltaïques et biomassiques ne manqueraient pas de foisonner et, par conséquent, de fouetter le développement des parcs correspondants.
S’il n’en était pas ainsi, je laisserais au lecteur le soin de tirer les conclusions démocratiques du régime actuellement imposé au marché de notre électricité. En tout cas, à eux comme à tous ceux qui me lisent, je tiens à préciser que, contrairement aux apparences, je ne suis pas hostile à la promotion des énergies renouvelables diffuses, mais seulement à la forme massive, importée d’outre Rhin, de cette promotion. Une forme qui induit – mais, est-ce un hasard ? – la mise en mouvement de cette extravagante industrie lourde, également importée, qui défigure nos campagnes. La seule promotion d’État, rationnelle et écolo-responsable, consisterait à favoriser l’installation d’outils électro éoliens, électro solaires et autre électro biomassiques à échelle humaine et, surtout, à en tirer une consommation exclusivement locale. Il est tout de même fort de bouchon que ces instruments soient unanimement reconnus comme les instruments, par excellence, du recueil de l’énergie décentralisée et que l’on s’ingénie à en saboter le rendement, par pure idéologie.
Aussi, avec nombre de mes concitoyens, déclarés ou non, n’ai-je désormais de cesse que de battre en brèche cette inique obligation d’achat, en militant inlassablement pour qu’elle soit mise au vote des Français. Le développement inconsidéré de bulles spéculatives, qu’il n’est plus possible de cacher à l’opinion publique, plaide efficacement dans ce sens.
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