CPE, les pour, les contre
Mardi 7 mars : journée nationale de mobilisation contre le CPE.
Loin de faire l’unanimité, le CPE est au centre de débats houleux, comme on a pu s’en rendre compte sur Agoravox.
Étudiants, stagiaires, intérimaires, salariés, licenciés, syndicalistes, patrons de petites ou de grandes entreprises, professeurs, parents et grands-parents d’étudiants... chacun a pu donner son opinion et enrichir le débat provoqué par l’article "CPE : bouc émissaire des universités". Quels enseignements tirer de la confrontation de ces points de vue ?
Le CPE, une solution à la précarité des jeunes ?
Le gouvernement présente le CPE comme une tentative pour "lutter contre la précarité des jeunes". Pourtant, le sentiment général est bien la peur de la précarisation que ce contrat pourrait engendrer.
Pour Dominique de Villepin : "La précarité des jeunes, c’est :
- Plus de 20 % de taux de chômage pour les moins de 25 ans, 40 % pour les non qualifiés"
- 70 % des embauches qui se font en CDD, dont la moitié ne durent pas plus d’un mois.
- De 8 à 11 ans avant d’avoir un emploi stable et ce qui va avec : le logement, l’accès au crédit, l’installation dans la vie"
Jacqueline de Linares relativise ces données dans son article publié dans le nouvelobs.com "Les vrais chiffres du chômage des jeunes" : "Où le Premier ministre est-il allé chercher ces chiffres ? Sollicités par la presse, les services de Matignon ont eu le plus grand mal à les justifier. L’Express, dans son édition du 2 février, a révélé le pot-aux-roses : le Premier ministre a tout simplement extrapolé une statistique européenne qui dit tout autre chose. Selon Eurostat, 10 % seulement des jeunes de 18 ans sont en CDI et 25 % des jeunes de 25 ans. Il faut attendre l’âge de 33 ans pour que 90 % de cette classe d’âge soient en CDI, rejoignant ainsi la norme puisqu’en France, 90 % des emplois sont des CDI...
Villepin et Borloo, pour être plus précis, auraient pu s’appuyer sur les travaux du Cereq (Centres d’etudes et de recherches sur les qualifications) analysant le devenir des jeunes sortis du système éducatif en 2001 : 1/3 des jeunes seulement ont accédé directement à un premier emploi à durée indéterminée. Effectivement, c’est peu... Mais l’honnêteté oblige à dire qu’après 3 ans de vie active, les 2/3 des jeunes sortis du système éducatif ont un emploi à durée indéterminée"
Tous s’accordent à dire que la précarité des jeunes existe déjà. Cependant, 69 % des Français ne font pas confiance au gouvernement pour faire baisser le chômage des jeunes, alors que 28 % lui font confiance, selon un sondage CSA publié dimanche 5 mars dans Le Parisien et Aujourd’hui en France (sondage réalisé par téléphone les 1er et 2 mars auprès d’un échantillon national représentatif de 1 004 personnes âgées de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas).
Le CPE, loin de lutter contrer la précarité, serait donc susceptible de l’augmenter.
Mais parlons-nous tous de la même précarité ?
Le mot précarité est ambigu. D’après Le petit Larousse :
- caractère, état de ce qui est précaire (qui n’a rien de stable, incertain, provisoire, fragile)
- situation d’une personne qui ne bénéficie d’aucune stabilité d’emploi, de logement, de revenu.
La précarité d’un chômeur, d’un stagiaire, d’une personne enchaînant CDD et intérims correspond effectivement à la définition 2 : aucune stabilité d’emploi, de revenus, de logement (aucun prêt, aucune confiance des propriétaires...)
Ce qui est précaire dans le cas d’une personne en CPE, ce n’est pas sa situation globale, mais son contrat. Le CPE revêt bien un caractère incertain, provisoire, fragile. La période d’incertitude de 2 ans laisse le jeune salarié dans un sas, une situation d’attente.
Dans le CPE, c’est donc plutôt le sentiment de précarité qui risque d’être exacerbé pendant la période de consolidation. Ce sentiment n’est pas à négliger ou à reléguer au rang des incidences secondaires : il fige les projets du jeune employé, contraint de vivre au jour le jour, et forcé de placer au second plan ses choix de vie, entravant ainsi la construction de son identité sociale et familiale, son "installation dans la vie".
Deux ans d’essai ou période de consolidation ?
Certains internautes se sont exprimés dans le sens de Jean-Claude Mailly (FO) : "Si l’employeur a besoin de 2 années pour se rendre compte qu’un salarié est bon ou mauvais, c’est que l’employeur n’est pas bon !"
A cette objection, l’UNI (droite universitaire) répond : "La période de consolidation n’est pas une période d’essai. Pendant cette période, il y a des droits qui augmentent avec l’ancienneté, notamment un préavis et des indemnités en cas de rupture, ce qui n’est pas le cas dans une période d’essai. L’objectif, pour l’employeur comme pour le salarié, c’est de construire une relation de confiance, c’est de consolider un emploi dans la durée."
La période de préavis est de 15 jours pendant 6 mois, et d’un mois au-delà. Sur ce point précis, peut-on réellement se satisfaire de "l’augmentation des droits avec l’ancienneté ?"
Selon l’OCDE "La critique qu’on peut faire au CPE, c’est que les 2 premières années, la protection est très faible et qu’ensuite, au bout de 2 ans, on rentre dans l’ancien système, trop restrictif, notamment en matière de licenciement", a déploré le chef économiste de l’OCDE, Jean-Philippe Cotis, lors d’une conférence de presse à Paris."Le CPE est néanmoins intéressant en tant qu’étape vers un système de contrat de travail unifié", a-t-il ajouté. Les réserves émises par l’OCDE portent donc autant sur le risque trop accusé de précarisation pendant les 2 ans de consolidation, que sur le retour à l"ancien système" du CDI.
En cas de rupture de contrat, après 4 mois de travail, une allocation forfaitaire de 460 euros sera versée pendant 2 mois, en plus de l’indemnité de rupture qui est calculée sur la base des 8 % de l’ensemble des sommes versées depuis le début du contrat. Ce qui représente, sur la base du Smic 2005, au bout de 2 ans, 2605 euros (soit 17 000 francs environ).
Le CPE donne droit à 2 mois d’indemnités contre un seul pour le CNE. Laurence Parisot, présidente du Medef, a souligné que le CPE risquerait de "parasiter le CNE". Le Medef souhaitait l’extension du CNE, qui peut s’appliquer à tout employé d’une entreprise de 20 salariés, sans distinction d’âge.
Une plus grande flexibilité : une incitation à l’embauche ?
La question est de savoir si la souplesse du contrat créera véritablement de l’emploi.
L’employeur prend des risques limités en employant un CPE : les difficultés à licencier dans le cadre d’un CDI peuvent dissuader un patron d’employer. Voici, entre autres exemples, des témoignages d’internautes corroborant cette opinion :
"Le CPE est un moyen (...) pour convaincre un petit employeur qu’il ne met pas son entreprise en danger en embauchant 1, 2 ou 3 salariés. Cet employeur n’a pas les moyens de se payer un RH pour effectuer un recrutement fouillé, des entretiens approfondis... il peut se tromper et être trompé... un licenciement qui se passe mal prend entre 6 mois et 1 an et coûte entre 2 et 6 mois de salaire. Donc le petit entrepreneur n’embauche pas , ou alors en intérim"
"Si je veux embaucher une personne, il me faut faire un dossier de dérogation qui doit passer au minimum dans les mains de tous mes chefs jusqu’à mon N+3 et être examiné par 2 ou 3 commissions diverses, comités variés, plus les RH qui bien sûr vont vouloir y mettre leur grain de sel. Le process dure environ 3 mois, et l’issue en est à 90 % un refus. La raison ?( ...) Un licenciement coûte tellement cher, aujourd’hui, qu’il en devient un épouvantail pour qui veut embaucher."
L’argument opposé consiste à rappeler l’offre de la loi et de la demande. Sans besoin de forces de travail, pas d’embauche : sans consommation, sans croissance, pas de besoins.
Il semble néanmoins, en recoupant les témoignages de patrons d’entreprises de toutes tailles, que le coût actuel du licenciement soit un réel frein à l’embauche.
La diabolisation des employeurs
Plusieurs commentaires, à l’instar de celui-ci, ont pointé du doigt les stéréotypes dont les employeurs sont affublés : "On remarque dans les posts un véritable rejet des patrons qui ne pensent qu’à exploiter leurs salariés obligés de se tuer au travail pour une misère. Or, la réalité est tout autre. Concernant les TPE-PME, qui représentent la grande majorité des entreprises françaises, le bon salarié est une valeur ajoutée et une personne à part entière. Le patron n’a aucun intérêt à virer quelqu’un qui travaille bien et qui s’est adapté à l’entreprise, pour le remplacer par un autre qui ne conviendra pas forcément. C’est faire un faux procès aux patrons que de les considérer comme des ’esclavagistes". Bien sûr que certains n’ont pas de scrupules, mais avec ou sans le CPE, ils seront toujours ainsi"
Les internautes semblent unanimes sur le fait que la relation employeur-employé dépend de la taille de l’entreprise : plus l’entreprise est grande, moins l’employé a de contacts avec son employeur, plus grand est le risque de licenciement abusif... Les plus méchants loups sont ceux qui ont les plus grandes dents.
La position du patron est toujours sujette à crédit puisqu’il est en situation de domination. Le déséquilibre des forces est exacerbé par le CPE, le salarié étant soumis à l’arbitraire patronal. Le rejet de ce déséquilibre conduit à la réactivation d’une conception manichéenne du monde du travail fondée sur un sentiment d’injustice, où le grand est le méchant coupable, et le petit l’innocente victime (David et Goliath, Le loup et l’agneau...).
Mais un contrat signifie l’accord des deux parties, et donc, comme peu le soulignent, une collaboration.
Adapter les modèles étrangers à la France ?
Certains internautes ont apporté le témoignage de leur expérience professionnelle en Angleterre ou aux États-Unis. Ils se sont trouvés satisfaits de leurs conditions de travail et de leur salaire. Paradoxalement, la grande flexibilité de ces modèles leur a semblé largement supportable.
"J’ai vécu aux US et, oui, parfois, c’est stressant l’idée de pouvoir perdre son travail du jour au lendemain, mais, si on travaille dur, le patron ne va généralement pas vous virer car vous lui apportez du profit. Si cela se passe, pour une raison ou pour une autre, la période de chômage n’est que de 4 mois en moyenne. Les grands patrons aux US donnent encore des chances à des gens qui ne sont pas forcément sortis des grandes écoles, justement car ils peuvent les licencier si ça ne convient pas"
"J’ai moi-même un peu vécu aux États-Unis... la précarité n’est jamais facile à vivre mais je préfère mille fois qu’on me laisse une chance de faire mes preuves, même sans le diplôme adéquat ou sans l’expérience, avec le risque de me faire"virer" si je ne conviens pas, plutôt que de me retrouver face à une porte close avant même d’avoir pu commencer"
Certains proposent de se pencher sur d’autres modèles socio-économiques :"Faisons comme en Suède, au Danemark, essayons, si cela ne marche pas, on abandonne et on essaye autre chose, mais on ne reste pas assis face à un rêve"
Quel que soit le modèle choisi, tous soulignent qu’il est nécessaire de l’adapter au modèle français, et non l’inverse.
De plus, les chiffres du chômage sont aisément manipulables, et il est parfois éclairant de scruter d’autres indicateurs pour jauger dans sa globalité l’économie d’un pays (voir à ce sujet " L’imposture du modèle britannique " et "Comment comparer les modèles socio-économiques" d’Anthony Meilland sur Agoravox)
Mais la culture et les habitudes françaises peuvent-elles admettre de tels aménagements ? Les Français semblent assez fermés au changement : chaque réforme est accompagnée de son cortège de manifestants. Nous sommes dans un modèle sécurisant, et chaque pas vers l’inconnu est perçu comme un retour en arrière.
Les patrons sont-ils prêts à prendre le risque d’embaucher quelqu’un qui possède un parcours atypique ?
Les salariés sont-ils prêts à renoncer à leurs acquis ?
Un seul contrat "adapté au 18-25 ans" pour de multiples situations
Le CPE est un contrat fondé sur l’âge, auquel on peut reprocher de ne pas tenir compte de la diversité des situations, tant au niveau de l’entreprise qu’au niveau du profil du "jeune".
Comme un internaute l’a souligné : "Il est difficile d’émettre des règles permettant de protéger à la fois les structures et ses différents intervenants dès lors que les règles s’appliquent à l’artisanat, à la petite entreprise, la moyenne, la grande et même aux groupes"
De plus, le contrat s’applique aux personnes de 18 ans comme à celles de 25, aux non diplômés comme aux diplômés qui auraient pu espérer se voir proposer des CDI classiques :
"Je suis ingénieure, jeune diplômée d’une grande école. Je totalise 9 mois de stage obligatoire, dont 6 à l’étranger. Je suis donc bien préparée pour affronter le monde du travail. Pourtant, mon embauche prévue en CDI a été différée et va se transformer en CPE. Ces 2 années ne vont pas servir à me former ni à vérifier mon adéquation avec le poste à pourvoir... Je pense surtout aux métiers à plus faible valeur ajoutée, où certains patrons en profiteront pour faire tourner les effectifs."
La problématique des jeunes femmes est encore plus délicate : comment prendre le risque d’une grossesse pendant les deux ans de consolidation du CPE ? Même si l’employeur n’a pas le droit de licencier une femme enceinte, rien ne l’empêche de le faire dès son retour, sans motif à avancer. On pourrait répondre à cela que l’âge moyen pour une première grossesse est de 29 ans. Cet âge est révélateur de l’accès tardif aux jeunes à un emploi stable. Mais le CPE ne va-t-il pas interdire à de jeunes couples d’avoir un enfant à 24 ou 25 ans ?
Une solution à envisager : généraliser le contrat d’apprentissage
La formation en alternance à l’université pourrait constituer une vraie alternative. Plutôt que de retarder l’insertion de 2 ans après une formation déjà longue, pourquoi ne pas valoriser les études par l’expérience sur le terrain ?
Le salaire d’un apprenti bac+4 la première année est de 700-800 euros.Un apprenti ne paie pas les droits d’inscription à la faculté. Un apprenti coûte 10 000 euros à l’Etat, qui subventionne certaines facultés, contre 6700 euros pour un étudiant en formation continue.
A la faculté de Cergy-Pontoise, la possibilité est donnée aux étudiants d’effectuer une alternance en cinquième année : 3 jours en entreprise, 2 jours à la faculté. Quand il n’a pas cours, l’étudiant est dans l’entreprise. Les cours sont comptés comme des jours de travail. Le Centre de formation des apprentis accompagne les étudiants dans leur recherche d’entreprise, les aide à perfectionner leur CV, les entraîne aux entretiens d’embauche, propose des cours de droit du travail.
Le CPE n’est pas la seule mesure du projet de loi pour l’égalité des chances. Le gouvernement a augmenté le quota d’apprentis pour les entreprises de plus de 250 salariés de 0,5 % à 3%. En Allemagne, où le taux de chômage est élevé, mais où les jeunes ne sont pas plus touchés que les autres classes d’âge, ce quota est de 6 %.
Ces mesures sont-elles suffisantes ? Encore une fois, le court terme impose au gouvernement ne trouver des solutions en aval, pas en amont. Le système universitaire est à repenser en profondeur. On doit prendre le temps. Que faire du quota, si l’alternance n’est pas proposée dans les formations ?
Pour conclure, le problème du CPE met en jeu de multiples facteurs. Il est à relier avec l’ensemble du système social, économique, scolaire et universitaire.
Si l’on se contente de solutions en aval au lieu de privilégier celles qui se trouvent en amont, la situation des jeunes ne fera que s’embourber dans un imbroglio de mesures vaines misant sur le court terme. La fac est malade, l’emploi des jeunes est malade : un pansement ne suffit pas. Ce qu’il faut, c’est un traitement de fond.
81 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON