Etats-Unis et libéralisme économique : la fin de l’Histoire ?
Etrange spectacle que celui d’épargnants faisant la queue sur les trottoirs il y a quelques jours afin de retirer leurs avoirs déposés dans une banque californienne, IndyMac, basée à Pasadena ! Etrange année qui vient de s’écouler aux Etats-Unis, depuis l’éclatement il y a tout juste une année de la fameuse crise des subprimes ayant provoqué le cataclysme immobilier que l’on sait à la crise financière du fait de la raréfaction du crédit. Les autorités fédérales américaines, on l’a constaté au fil des mois, ont tout essayé. Elles avaient également établi - en toute confidentialité - une liste des établissements bancaires les plus fragiles et en danger de banqueroute. Pourtant, - et comment ne pas en être troublé ou effrayé ? - IndyMac n’était même pas sur cette liste... Indy Mac n’est pas seulement le pendant américain de Northern Rock : les déboires de cette petite banque californienne sont en quelque sorte le "kiss of death", baiser de la mort, authentique chronique d’une mort que l’on annonce depuis des mois de la stabilité du système financier américain.

Que la vie était belle pourtant en ce début d’été 2007, avant que le terme barbare de "subprimes" n’envahisse nos conversations et nos articles ! Avant que les banques, lourdement investies dans le parfois incertain et toujours spéculatif marché hypothécaire américain, n’en soient réduites à compter leurs pertes par milliards du fait de la hausse des taux d’intérêts et de la chute du marché immobilier. Une année plus tard, rendons néanmoins hommage aux patrons respectifs de la banque centrale et de la trésorerie américaines pour leurs actions rapides et créatives : lignes de crédit spéciales accordées aux banques en situation délicate, augmentation substantielle du nombre des établissements financiers autorisés à pomper sur les fonds de la banque centrale, réduction d’un total de 3.25 points et en sept fois des taux d’intérêts qui se maintiennent désormais bien en-dessous du niveau de l’inflation, sauvetage in extremis de Bear Stearns, une des plus importantes banques d’investissement du pays et, dernière mesure en date, placement sous perfusion des deux plus importants établissements hypothécaires américains...Et pourtant, l’hémorragie continue !
En attendant que les laborantins - ou secouristes - que sont devenus les responsables financiers US découvrent la mixture appropriée, le diagnostic est cependant facile. La richesse des ménages ayant été réduite de quelques 25% du fait de la baisse combinée des marchés immobiliers et boursiers, il n’est pas étonnant que le crédit, sur lequel reposait la quasi totalité de la prospérité d’antan, se soit considérablement raréfié. De plus, et au fur et à mesure de la chute des bourses, les institutions financières pourvoyeuses de crédit étant dans l’impossibilité de chiffrer de manière précise leurs pertes à venir, elles referment en conséquence l’une après l’autre les vannes du crédit...Dans un tel contexte, le réflexe pavlovien du banquier central consiste à assouplir la politique monétaire afin de juguler la crise du crédit mais c’est compter sans un facteur qui vient boulverser la donne, l’accélération de l’inflation à des niveaux plus vus depuis vingt ans ! La flambée des prix pétroliers et alimentaires qui réduisent substantiellement le pouvoir d’achat limite néanmoins - et de manière considérable - la marge de manoeuvre des banquiers centraux dont la hantise serait de plonger les économies dans une spirale inflationniste en cas de réductions inappropriées des taux d’intérêts...Qui a parlé de choix cornélien ?
La résolution de ces équations ardues est à placer dans le contexte de la mondialisation, autrefois source de richesses, aujourd’hui accusée de tous les maux...En effet, la conjoncture des années 90 et du début des années 2’000 où régnaient crédit facile et inflation basse était exactement l’inverse de celle d’aujourd’hui. A mesure que la Chine et les autres pays émergents bénéficiaient d’une croissance rapide grâce à leurs exportations à destination des pays dits développés, leurs profits étaient réinvestis aux Etats-Unis et en Europe, contribuant au passage à mettre sous pression les taux d’intérêts. L’afflux de main d’oeuvre bon marché et de marchandises à bas prix contribuaient également à faire baisser l’inflation. Les établissements financiers durent se mettre en quête de rentabilités afin de satisfaire une clientèle frustrée par des taux bas et se mirent à investir leurs océans de liquidités dans des projets aussi divers allant des chantiers pharaoniques aux crédits subprimes ! Cependant, ce cercle vertueux se transforma en cercle vicieux dès lors que ces investissements devenaient de plus en plus risqués et que des pays comme la Chine et l’Inde, profitant de leur prospérité nouvelle, faisaient exploser la consommation de matières premières, de produits alimentaires et de pétrole. Dès lors que la croissance américaine -invraisemblablement élevée - commençait à décélérer, le dollar perdit du terrain, contribuant au passage à une flambée généralisée des prix car un dollar faible exerce une pression ascendante sur les prix à l’importation... C.Q.F.D.
Ayant abordé le siècle avec l’illusion selon laquelle une économie basée sur les services et les nouvelles technologies leur offrirait la prospérité tout en favorisant l’essor des pays en voie de développement grâce à la mondialisation, les citoyens américains connaissent un réveil brutal en constatant une croissance sans précédent en vigueur dans ces même pays pendant que leur économie ralentit, voire se contracte. On leur avait vanté les charmes des technologies de l’information et des services, c’est pourtant les booms pétrolier et des matières premières qui surviennent ! Contrairement aux illusions en vigueur durant les années 90 où tout américain était convaincu de pouvoir gagner 15% par an indéfiniment, ils constatent avec amertume qu’un dollar placé sur les bourses à l’orée du siècle n’aurait toujours rien produit aujourd’hui...
La menace immédiate est la décomposition du système financier et il est quasiment certain que le gouvernement des Etats-Unis utilisera encore des centaines de milliards de dollars provenant des deniers publics afin d’éviter une telle descente aux enfers. De fait, les queues aux guichets d’IndyMac n’étaient pas nécessaires car le gouvernement US garantit tous les dépôts jusqu’à 100’000 dollars mais force est de constater que les finances publiques américaines seront très durement affectées par de telles opérations de renflouement qui exerceront à terme de nouvelles pressions à la baisse sur le billet vert. Il est pourtant indéniable, - et tous les intervenants, depuis les responsables politiques aux analystes financiers sont d’accord sur ce point - que l’on s’achemine vers plus d’interventionnisme du gouvernement américain dans l’économie de son pays. Les Etats-Unis, ces chantres du libéralisme économique, le citoyen américain, ce farouche partisan de la dérégulation et du marché-Roi seraient-ils à la croisée des chemins ?
Effectivement, confrontés à la crise immobilière, aux tourmentes des marchés financiers, à la flambée des prix du pétrole, à une accélération du chômage et à une épargne anémique, les autorités politiques et monétaires US semblent de plus en plus remettre en question la théorie du "laissez-faire" ayant prévalu depuis la fin des années 70 et semblent douter que des marchés absolument libres de toute contrainte puissent mener la société vers plus de stabilité, d’efficience et de justice...Lorsque Washington doit secourir deux géants du marché hypothécaire national comme Fannie Mae et Freddie Mac qui représentent à eux deux près de 8 trillions de dollars, soit la moitié du volume des hypothèques du pays, quand la Fed saisit IndyMac, une banque locale aux 32 milliards de dollars d’encours hypothécaires dans ce qui restera dans les mémoires comme la seconde faillite bancaire de l’histoire des Etats-Unis, le point de non retour est atteint et la démonstration est faite que les marchés financiers peuvent parfois se transformer en ogres.
Cette crise est radicalement différente des précédentes tourmentes financières. L’administration Bush qui s’était naguère targuée de résorber la crise de la sécurité sociale en investissant une partie de l’épargne retraite en bourse exhorte maintenant à l’intensification de la réglementation des marchés financiers. Signe révélateur : Une fois l’effet initial de panique passé, les marchés se sont stabilisés, persuadés de l’action salvatrice du gouvernement sur deux entreprises pourtant en mains privées, Fannie Mae et Freddie Mac...
Mettant directement en cause une spéculation sur les prix de l’énergie dont les profits sont inversement proportionnels aux intérêts des consommateurs, le Congrès US a déjà fait passer une série de mesures visant à limiter cette spéculation, à taxer plus lourdement les profits des compagnies pétrolières tout en introduisant des lois visant à encadrer le marché immobilier. En effet, la forte progression de ce marché et sa chute spectaculaire depuis 2007 sont en grande partie imputable à un manque de régulation, particulièrement pour les prêts dits à risques. Alors que les spéculateurs sont tenus en grande partie pour responsables de la flambée des prix du pétrole, c’est les banques avides de bénéfices, les prêteurs-prédateurs et les agences de notation qui sont pointés du doigt dans la déconfiture immobilière. Les dirigeants américains, poussés par leurs citoyens, ne veulent certes pas jeter le bébé avec l’eau du bain mais entendent désormais corriger les excès dus aux marchés.
Epargnants faisant la queue sur les trottoirs il y a quelques jours afin de retirer leurs avoirs déposés à IndyMac
93 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON