Il y a bien évidemment dans ce programme des propositions contre lesquelles on ne peut pas être mais, pour la plupart d’entre elles, la question subsidiaire qui se pose immédiatement est : "Combien ça coûte ?".
J’ai entendu Jean-Marie Cavada, qui est en général un homme prudent, parler de 80-100 milliards de dépenses supplémentaires, soit deux à trois fois le déficit budgétaire actuel ou encore 5 à 10% d’accroissement de notre endettement public tous les ans : Démagolène a bien fait d’évacuer ce problème de dette et de déficit en introduction de son discours et de ne plus y revenir ensuite !
Mais tel ne sera pas le propos de ce post.
J’ai en effet préféré isoler trois propositions, dont l’intitulé est extrêmement flou, dont l’applicabilité est contestable et qui font sans doute appel à la crédulité supposée de nos concitoyens pour les encourager à voter pour "celle qui rase gratis". Je suis, bien entendu, resté dans mon domaine de compétence principal, à savoir la vie des entreprises. Décortiquage...
Proposition n°4 : Donner la priorité à l’investissement des entreprises avec un taux d’impôt sur les sociétés plus bas si le bénéfice est réinvesti et plus haut s’il est distribué aux actionnaires.
Cette première proposition, assez floue dans son intitulé, est compréhensible : Démagolène pense que l’ensemble des sociétés sont cotées en Bourse et soumises à la pression des actionnaires (sans doute d’affreux fonds d’investissement) qui exigent leurs coupons annuels !
Les sociétés cotées en Bourse sont plusieurs centaines (contre presque trois millions d’entreprises de toute taille en France), toutes n’ont pas la pression des sociétés du CAC 40 et je rappelle que la valeur d’une entreprise est basée sur ses profits futurs : si une société investit pour plus tard dégager des profits plus importants et que le plan d’investissement qu’elle présente est crédible, alors sa valeur monte. Ceci est aussi vrai pour les entreprises cotées qui présentent leurs plans aux actionnaires et aux analystes...
Concernant les PME et TPE, il n’est pas rare de voir des patrons réinvestir l’ensemble des bénéfices car, faisant cela, ils ne paient pas (ou peu) d’impôt sur les sociétés et ils "créent de la valeur" pour le jour futur où ils seront amenés à valoriser en Bourse leur société ou à la céder à une plus grosse entreprise. Il existe également, à l’inverse, beaucoup de petits patrons-actionnaires qui profitent d’une très faible rémunération car ils ne souhaitent pas peser économiquement sur leur entreprise, et qui se versent des dividendes "les bonnes années"...
Ces mécanismes semblent ignorés par Démagolène.
Enfin et surtout, je trouve la proposition inapplicable, car fondée sur un arbitraire qui obligerait un inspecteur des impôts à siéger à chaque conseil d’administration (ils avaient un dispositif de ce genre en URSS ?) : toute entreprise fait des investissements et, quand elle dégage des profits, regarde s’il y a lieu de verser des dividendes ou s’il vaut mieux garder le cash pour des investissements futurs (typiquement des acquisitions, des ouvertures de site, le lancement d’un nouveau produit...). Cet arbitrage dépend intimement de l’histoire et de l’état de l’entreprise, et seule une connaissance de l’intérieur permettrait de dire si il a été choisi délibérément de verser du dividende alors que l’on aurait pu investir !
La seule façon mécanique d’appliquer cette proposition serait de "taxer" les dividendes (avant leur versement aux actionnaires), ce qui entraînerait une triple taxation des bénéfices des entreprises (IS, Taxe Démagolène et IRPP) pour les investisseurs individuels et qui provoquerait un tassement immédiat et sans doute brutal des valeurs de rendement qui peuplent notre CAC 40 et notre SBF120.
Sans oublier que l’argent capté notre Etat rapace ne serait pas alors réinvesti dans d’autres entreprises, d’où un effet négatif sur la croissance assez évident...
Bref, une proposition soit arbitraire, soit castratrice économiquement, soit les deux... Que du plaisir !
Proposition n°14 : Conditionner les aides publiques aux entreprises à l’engagement de ne pas licencier quand l’entreprise dégage des profits substantiels et obtenir le remboursement en cas de délocalisation.
Il est parfaitement légitime, si l’Etat ou une collectivité locale participe au financement d’un investissement (construction d’une usine, projet de R&D...) sous forme de prêt ou d’avance remboursable (sous conditions ou non), que ceci soit inscrit au bilan de l’entreprise bénéficiaire sous forme de dette, et que les conditions d’exigibilité et de remboursement de ces "dettes" soient négociées par l’Etat ou la collectivité locale au moment de leur octroi à l’entreprise.
Vous ne trouverez, par contre, pas un entrepreneur sur Terre qui accepterait de considérer comme une dette une exonération de taxe professionnelle ou un allègement de charges sociales. Si nous sommes obligés de proposer ce type de mécanismes à des sociétés souhaitant s’implanter quelque part sur notre territoire, c’est tout simplement parce que la France n’est pas compétitive, et que nous devons faire des exceptions afin de rester attractifs.
Si les exceptions sus-citées deviennent une "liabilité" financière, tout entrepreneur raisonnable ira s’installer ailleurs, sans doute hors de France...
Si, ayant bénéficié de ces exceptions, l’entreprise se trouve dans une situation économique l’obligeant à revoir ses plans, licencier une partie des effectifs embauchés, voire démanteler une usine ou un centre de R&D, elle ne l’avait sans doute pas prévu, et n’en est sûrement pas très heureuse ! L’économie c’est comme la santé : ça va ça vient...
Enfin si un groupe dégage des profits, cela ne l’empêche pas d’avoir des unités, des lignes de business ou de produits qui sont déficitaires et qu’il lui faut restructurer (voire supprimer). Encore une fois : l’économie n’est pas planifiable, certains investissements paient, d’autres passent par pertes et profits. C’est la vie économique...
Démagolène fait visiblement semblant de ne pas être au courant de tout cela et nous prend vraiment pour des ânes en proposant une mesure inapplicable ou aux conséquences fort négatives sur la création d’emploi !
Proposition n°81 : Taxer les recettes publicitaires des chaînes privées en faveur de l’audiovisuel public.
Cette proposition, moins floue que les précédentes, n’en est pas moins étonnante. Démagolène veut sans doute s’attirer les votes des preneurs de sons de France3, mais cela ne justifie probablement pas une proposition dans le top 100 !
La genèse d’une telle mesure est en fait peu évidente. Différentes hypothèses sont possibles :
- si les Français souhaitent un audiovisuel public plus fort, ils accepteraient sans doute une augmentation de la redevance maintenant collectée avec la taxe d’habitation : ils sont habitués à voir cette "facture" augmenter tous les ans !
- si les Français ne s’en soucient qu’assez peu (ce que je suppose) et que l’audiovisuel public est déficitaire, peut-être faut-il le restructurer un peu, le dynamiser commercialement et le ramener à l’équilibre, comme il se doit.
Il faudrait, d’ailleurs, au titre de l’égalité fiscale, "taxer" également l’audiovisuel public qui serait à la fois "taxé" et "bénéficiaire de cette taxe"...
Démagolène a décidément une drôle de conception de l’économie !