La réforme des retraites est un dossier toujours chaud, que le gouvernement actuel s’apprête à resservir à nos concitoyens. La sauce qui servira à accommoder le plat sera sans doute l’épaisse sauce « communication », avec pour motto le traditionnel raisonnement proposé aux français : on ne peut continuer à travailler jusqu’à 60 ans alors que la durée de vie s’allonge, le régime par répartition est en danger et il faudra donc soit réduire le montant des prestations, soit cotiser plus, soir cotiser plus longtemps. C’est ce discours que tient régulièrement Monsieur F. Fillion depuis son accession au poste de premier ministre (1).
Bouc émissaire un jour, bouc émissaire toujours
Cette analyse se double d’un recours à la technique du bouc-émissaire, bien rodée dans l’équipe gouvernementale, qui permet en désignant un coupable tout trouvé de faire oublier les questions qui fâchent. On présente ainsi les fonctionnaires à la vindicte populaire les accusant d’être des privilégiés en matière de retraite. La comparaison du statut du secteur privé avec celui du secteur public montre de fait que le régime de retraite de la fonction publique est plus avantageux. On y cotise à peu près autant en termes de trimestres, en revanche, seuls les montants des traitements des 6 derniers mois de travail sont inclus dans le calcul du montant de la pension, celui-ci pouvant atteindre à taux plein 75% de ces derniers traitements. Notons cependant que les salariés du secteur public sont en moyenne plus qualifiés que ceux du privé, qu’ils ont effectué des études plus longues, que nombre d’entre eux n’arriveront pas à cotiser 42 ans vu l’âge d’entrée dans la fonction publique, et que leurs revenus, contrairement à des idées reçues sont à qualification équivalente légèrement supérieurs pour les catégories les plus basses, mais très largement inférieurs pour les catégories les plus hautes. Ainsi les très décriés professeurs d’université gagneront moins de 3800 euros mensuels en fin de carrière pour 10 ans d’études, autour de 3000 euros mensuels pour les maîtres de conférence (même durée d’études), le tout pour des semaines de travail d’une durée effective de bien plus des 35 heures légales. C’est peu par rapport aux cadres sup formés à Bac +7 ou +8 dans le privé ! Observons que pour beaucoup de fonctionnaires, les heures supplémentaires ne sont pas payées et que le salaire est constitué de primes (parfois jusqu’à plus de 50% du traitement) qui n’ouvrent pas droit à retraite. Notons également que dans bien des entreprises privées, un régime de retraite complémentaire auquel cotise l’employeur comme le salarié porte le montant exact des retraites servies au-delà du seuil généralement présenté de 50% de la moyenne des salaires perçus. Le discours facile qui alimente les préjugés et les fantasmes autour des « privilèges » oublie aussi de mentionner que jusqu’en 1995, la pension des fonctionnaires représentait en moyenne 66 % du dernier salaire, contre 64 % dans le privé ; une différence in fine effectivement scandaleuse !
Des groupes d’intérêt contraire à ceux du monde du travail
En dépit de ces subtilités qui justifient en partie les différences de calcul des retraites, le gouvernement actuel attise l’opposition entre salariés du privé et fonctionnaires aidé en cela depuis peu par quelques syndicats collaborationnistes ou proches du pouvoir tels la CGE-CGC ou la CFDT qui toutes deux ont peut être beaucoup à se faire pardonner dans le dossier de la gestion du comité d’entreprise d’Air France (2). L’aide provient aussi de certains « think tanks » néolibéraux, et du soutien des médias. On reprendra ainsi connaissance de l’interprétation biaisée des sondages relatifs à ce sujet, présentée récemment dans les très politiquement corrects « Journal du Dimanche » et « Figaro » (3). Enfin, notons depuis peu l’apparition sur la scène d’associations « sans but lucratif » telle la très droitiste « sauvegardes retraites » (4) dont la spécialité semble être depuis plusieurs années la levée de fonds… Enfin, notons le silence assourdissant entourant la réforme des retraites mirifiques de réels privilégiés, tels certains politiques, ministres et députés en particulier, cadres très supérieures et grand dirigeants du MEDEF qui sont en partie ceux qui attisent l’opposition entre fonctionnaires et salariés du privé.
Des pistes inexplorées
Ce qui précède démontre bien que l’opposition entre salariés du secteur privé et fonctionnaires n’est qu’un tour de passe-passe destiné à divertir l’attention des réels problèmes des régimes de retraites et pas à améliorer l’avenir de la retraite par répartition en alignant par le haut les régimes de retraite du public et ceux du privé. Si l’on veut améliorer les régimes de retraite et faire en sorte que le contribuable lambda y trouve son compte, des pistes alternatives au traditionnel tripode de « réflexion » gouvernemental peuvent être envisagées. Ainsi, au cours des 20 dernières années, le PIB a très sensiblement progressé ; dans le même temps la part des revenus salariaux dans le PNB national a chuté et simultanément la part des revenus non salariaux a augmenté dans les mêmes proportions (5). Il semble donc plus qu’équitable de proposer que l’on assoie les recettes des caisses de retraite pour le privé et de l’imposition pour le public sur les bénéfices tirés pour l’essentiel des gains de productivité du monde du travail, gains de productivité dont il n’a que très peu bénéficié. On peut aussi proposer que les revenus financiers non productifs, qui se sont accrus très sensiblement, participent aussi à l’effort nécessaire d’alimentation des caisses de retraite. Ces pistes ne sont que rarement, voire quasiment jamais proposées dans les sondages. Lorsqu’elles le sont, elles recueillent pourtant une vaste majorité de soutiens (6).
De très nombreuses propositions à évaluer
De façon plus précise, dans le secteur privé, une véritable réforme de l’assiette des cotisations sociales patronales pourrait s’articuler autour de deux axes : a) la contribution des entreprises pourrait être assise sur la totalité de la richesse produite par l’entreprise et non pas sur la seule masse salariale, et b) l’assiette des cotisations salariales et patronales pour les retraites devrait être étendue à tous les éléments de rémunération qui n’en font pas partie aujourd’hui, y compris les primes ou les stocks options. Au-delà, l’accroissement limité - mais réel - du nombre d’heures supplémentaires proposées aux salariés contribue à réduire le nombre de cotisants, et de façon pernicieuse l’assiette des cotisations surtout en regard des mesures d’allégement de charges dont certaines de ces heures bénéficient. On pourrait donc proposer d’augmenter le coût de la cotisation retraite sur les seules heures supplémentaires travaillées. Enfin, pour favoriser l’investissement productif et limiter le spéculatif, il semble raisonnable de demander aux entreprises qui ont bénéficié de prêts de l’Etat, qui dégagent de bénéfices, et qui continuent d’opérer des licenciements boursiers, de rembourser ces prêts qui seront immédiatement affectés aux caisses de retraites des salariés.
Dans le public, où les retraites sont financées par des cotisations des agents et surtout par l’Etat, les collectivités territoriales ou l’assistance publique (selon le secteur considéré), la stratégie alternative globale vise à rechercher de nouvelles sources de financement qui ne soient ni le contribuable honnête, ni l’Etat, ni le fonctionnaire. La première et la plus évident de ces stratégies repose sur une chasse drastique à la fraude fiscale, qui pourrait rapporter autour de 40 milliards d’euros par an. Une seule année apporterait ainsi de quoi combler le « trou » de la sécurité sociale et couvrir 5 ans environ d’augmentation de la cotisation retraite des fonctionnaires ! La chasse aux aides d’Etat détournées peut aussi rapporter gros. Deux exemples. Les 2 milliards d’euros d’exonération de TVA accordés aux restaurateurs en échange d’embauches dans ce secteur (embauches que l’on attend toujours) devraient être remis en cause. De même, la procédure dite du crédit impôt-recherche doit être revue en totalité. Le montant de ce crédit d’impôt est de l’ordre de 4 milliards par an. Bien que l’impact réel de cette aide ne soit presque jamais évalué (ou évalué de façon défavorable par la cour des comptes !), il est intéressant de constater que la plus grosse partie de ces aides profite non pas aux « start-up », aux PME innovantes, mais.... aux banques, aux assureurs et aux très grosses entreprises telles Veolia ou Total (7) ! Au travers de ces deux exemples, ce sont donc plus de 4 milliards par an qui pourrait être réaffectés au financement des retraites de la fonction publique. Or il existe bien d’autres de ces niches...
Au travers des pistes présentées plus haut, comment ne pas repenser à la franco-américaine Susan George, critique notable du néolibéralisme et de la mondialisation, qui nous disait « qu’un autre monde » est possible alliant solidarité intergénérationnelle et justice sociale. Susan Georges moquait aussi le TINA régano-thatchérien en expliquant qu’il pouvait souvent être remplacé par un « TATA » (There Are Thousands of Alternatives) ! Ce dossier des retraites confirme bien la validité de ce point de vue.
Références
1. On en trouvera un exemple édifiant dans la déclaration de Monsieur F. Fillion devant les cadres UMP réunis au parc floral de Vincennes en juin 2009.
2. Voir par exemple
3. Sur agoravox :
Sur le Figaro :
4.Voir
5. Source INSEE
6. Sur agoravox :
7. Voir par exemple
On lira aussi avec intérêt les articles d’Henri Audier :