Sortez le Satrape ! Assassinat de J. Khashoggi. Arabie Saoudite : vers le remplacement du prince Mohammed ben Salman ?
"Un homme ce n'est rien après tout que de la pourriture en suspens"
L-F. Céline

L'Arabie Saoudite a donc reconnu samedi 20 octobre 2018 que le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, dont la disparition le 2 octobre avait eu un retentissement mondial, avait été tué à l'intérieur du consulat saoudien à Istanbul. La confirmation de la mort de Khashoggi a été donnée dans les premières heures de samedi par l'agence de presse officielle saoudienne, SPA, laquelle a rapporté de manière sybilline, citant le parquet saoudien, que "Les discussions entre Jamal Khashoggi et ceux qu'il a rencontrés au consulat du royaume à Istanbul (...) ont débouché sur une rixe, ce qui a conduit à sa mort".
http://www.arabnews.com/node/1390736/saudi-arabia
Comme chacun sait, n'importe quel citoyen entrant dans un service consulaire afin d'y accomplir une formalité administrative peut être conduit à rencontrer une quinzaine de tueurs venus par hasard en visite par avion spécial et repartant sans encombres après quelques heures passées sur le Bosphore.
Disons les choses très clairement : malgré de sérieuses et constantes imperfections, l'idée même de sauvegarde des fondements de l'Etat de droit et des libertés publiques dans la société civile, le droit pénal et la protection des citoyens, est et restera une invention occidentale sinon européenne. L'idée même de libertés publiques, de droits de l'homme, de protection de la personne humaine et de protections civiques, d'attentes légitimes qu'un citoyen ou un ressortissant quel qu'il soit est en droit d'espérer et de recevoir des structures politiques, judiciaires, administratives du pays dont il a la nationalité - et notamment le droit de ne pas être assassiné pour motifs politiques -, est en réalité peu répandue, comprise et encore moins admise dans une grande partie du monde où règnent la sauvagerie, l'arbitraire et ce trio maléfique que forment l'absolutisme, le fait du Prince et la raison d'Etat.
On objectera avec raison que l'assassinat politique a été et continue d'être pratiqué partout, y compris en Europe, mais il n'en demeure pas moins que dans cette zone géographique existent malgré tout des réactions et des organismes qui s'y opposent fermement malgré le nombre ahurissant que représente celui des...954 personnalités politiques assassinées entre 1945 et 2013 !
Disons encore les choses de la manière la plus précise qui soit : peu de pays savaient sans doute exactement de quoi il retournait à propos de "l'affaire Khashoggi". On retiendra, et pour cause, parmi ces pays qui ont tout de suite su de quoi il retournait, l'Arabie Saoudite, les Etats-Unis, la Russie, la Turquie et à un degré moindre sinon différent, Israël, le Royaume-Uni et la France. Les informations et supputations relayées par des agences de presse étant intenables sur la longueur la vérité - une vérité - a donc fini par s'imposer sur fond d'indignité de circonstance affichée par la fameuse "communauté dite internationale", en réalité un ramassis de "faux-derches" et de politicards de rencontre.
Soucieux de recouvrir un semblant de respectabilité, le royaume saoudien a donc simultanément annoncé la destitution d'un haut responsable du renseignement, Ahmad al-Assiri, et celle d'un important conseiller à la cour royale, Saoud al-Qahtani.Tous deux proches collaborateurs du prince héritier Mohammed ben Salman, sur lequel la pression était montée ces derniers jours à propos de l'affaire Khashoggi, ces deux hommes étaient les fusibles utiles et nécessaires dans une chaîne de commandement interne. "Ahmad al-Assiri, vice-président du service général de renseignement, a été renvoyé de sa fonction", a indiqué SPA, citant un décret royal. Ryad - la capitale du royaume -, a également annoncé que 18 personnes avaient été arrêtées dans le cadre de l'enquête saoudienne. Parions que figurent dans la liste les tueurs du journaliste et le consul dont on risque fort de ne plus jamais entendre parler, la vocation des amortisseurs étant d'encaisser les coups.
I- Crise internationale
La disparition mystérieuse de Khashoggi, qui était entré le 2 octobre au consulat d'Istanbul pour une démarche administrative et n'était pas reparu depuis, a curieusement suscité une crise internationale rythmée notamment par les accusations de responsables turcs affirmant sous le couvert de l'anonymat (on y reviendra) que le journaliste avait été tué sur ordre au consulat. Toujours désireux d'effacer ce regrettable incident, le roi Salman d'Arabie saoudite a par ailleurs ordonné la création d'une commission ministérielle présidée par le prince héritier Mohammed ben Salman (son fils...) pour restructurer le service saoudien du renseignement et "définir précisément les pouvoirs" de ce service, ont encore annoncé samedi les médias officiels.Il est vrai que de la simple rixe à l'étranglement dont Kashoggi a finalement été la victime il devenait urgent de calmer le jeu pour éviter que surgissent d'autres détails tels que le découpage à la scie chirurgicale et autres joyeusetés, ainsi que le rapporte le quotidien Libanais L'Orient-Le Jour.
II- Radio Riyad
On sait désormais que l'annonce de l'agence SPA confirmant la mort du journaliste au consulat est intervenue peu après une nouvelle conversation téléphonique sur l'affaire Khashoggi entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et le roi Salman. Les deux dirigeants, qui se sont entretenus vendredi soir, "ont souligné l'importance de continuer à travailler ensemble en complète coopération", selon une source à la présidence turque parlant sous le couvert de l'anonymat. Précisons ici que cette manière de parler (le fameux "anonymat") ne confirme absolument en rien l'existence réelle de cette conversation et encore moins la véracité de la source. M. Erdogan et le roi Salman ont très certainement échangé des informations sur les enquêtes respectives de leurs pays sur l'affaire Khashoggi, mais à ma connaissance rien d'officiel ne vient confirmer ni détailler pour le moment les termes précis de cet entretien, même si M. Erdogan et le roi ont eu dimanche dernier une première conversation sur la disparition du journaliste.
III- Un étrange grain de sable
Critique envers le prince héritier, Jamal Khashoggi vivait en exil aux Etats-Unis depuis 2017. Des responsables turcs ayant affirmé que la victime avait été assassinée par un commando spécialement envoyé de Ryad, jusqu'à ce samedi matin, la direction saoudienne avait toujours démenti être impliquée dans sa disparition.
La reconnaissance de sa mort est toutefois finalement intervenue alors que l'administration de Donald Trump avait adressé vendredi une nouvelle mise en garde à l'Arabie saoudite, évoquant de possibles sanctions s'il s'avérait qu'elle était d'une manière ou d'une autre responsable de la disparition du journaliste, ce qui était déjà en soi un secret de Polichinelle. Interrogé vendredi, M. Trump avait prévenu qu'"il pourrait" y avoir des "sanctions" contre son allié saoudien, précisant alors, manière de laisser officiellement une marge de manoeuvre, qu'il était encore trop tôt pour tirer quoi que ce soit comme conclusions.
IV- Les cancrelats en pleine lumière
Après l'annonce de Ryad, les Etats-Unis ont réagi rapidement mais avec prudence. "Nous sommes attristés d'apprendre que la mort de M. Khashoggi a été confirmée", a déclaré la porte-parole de la Maison Blanche, Sarah Sanders. "Les Etats-Unis prennent note de l'annonce par le royaume d'Arabie saoudite que l'enquête sur le sort de Jamal Khashoggi progresse et que le royaume a entrepris des actions à l'encontre des suspects qui ont été pour l'instant identifiés", a ajouté la porte-parole. Le lecteur sera pleinement rassuré.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, s'est à son tour déclaré dans un communiqué "profondément troublé par la confirmation de la mort" de Khashoggi. Que dire de plus ? Il ne manque plus à ce tableau touchant que la propre contrition du Saint-Père.
Ménageant dans un premier temps le royaume sunnite au nom des intérêts stratégiques communs, Donald Trump avait admis pour la première fois jeudi que ce journaliste était très probablement mort, menaçant l'Arabie saoudite de "très graves" conséquences.
"Nous allons certainement envisager une large gamme de réponses potentielles" si Ryad est responsable, avait précisé vendredi dans une interview à Voice of America, Mike Pompeo, le secrétaire d'Etat américain revenu d'une visite à Ryad et qui a donc jugé utile de préciser que l'important était "que les faits apparaissent au grand jour". Tant de bonne volonté pour ne pas aborder pour le moment les éventuelles sanctions qui pouvaient être prises par les Etats-Unis alors que les dirigeants américains ont manifesté leur intention de travailler de concert avec le Congrès, où plusieurs élus républicains se sont dits outrés par les circonstances de la disparition du journaliste. Mais voilà, tout cela était la position adoptée avant la confirmation de la mort de J. Khashoggi. Et ensuite, demandera-t-on ?
V- Business as usual ?
Entre dénégations et protestations officielles, perquisitions, preuves recueillies et non communiquées, fausses pistes ou spéculations technologiques sur un enregistrement des circonstances de l'assassinat de l'intéressé par une équipe de tueurs venus pour "traiter" celui qui apparaît comme un opposant politique ou à tout le moins un personnage devenu gênant, les spéculations sont donc allées crescendo. On aura ainsi vu dans la balance les promesses de l'Ami Américain expliquant qu'il ne tolèrerait pas de tels dérapages brusquement mises en sourdine au regard d'un contrat d'armement qu'il importe de sanctuariser au nom de raisons économiques et financières.On aura entendu les cris d'indignation poussés par de multiples intervenants soucieux d'éviter de se commettre avec des partenaires économiques devenus infréquentables en décidant de ne pas se rendre à un "Davos des sables", sorte de forum économique organisé par le prince Mohammed ben Salman (dit MbS), puissance montante et maître officiel du royaume - pour le moment -, animé d'une volonté de modernisation incarnée par une "Vision" à l'horizon 2030 de la situation économique de l'Arabie Saoudite.
Le fait est que l'Arabie Saoudite est actuellement sous les feux de l'actualité et que toutes les tentatives de normalisation ne réussiront pas à effacer la réalité rampante et sordide d'un crime curieusement distingué parmi de multiples autres actes de cruauté sanglante, des décapitations en public, par exemple.
VI- Une question intéressante
N'est-il pas anormal qu'un assassinat soit venu fausser l'ordonnancement d'une passation de pouvoir dans l'ordre dynastique et remettre très probablement en cause l'avenir immédiat de l'Arabie Saoudite ?
C'est à l'heure actuelle et par-delà le caractère sensationnel de la disparition de l'intéressé le seul élément tangible dont dispose une analyse de la situation dont les ramifications et les conséquences à venir sont toutes autres.
Empêtrés dans une diplomatie qu'ils ne maîtrisent pas, pris dans les rêts d'intérêts contradictoires avec la Syrie, la Russie, la Turquie, Israël, les Etats-Unis, le Qatar et l'Iran, soumis à des pressions américaines paralysantes en matière de production d'hydrocarbures, courant à la ruine financière avec le désastre militaire d'une guerre impitoyable qui conduit le Yémen à un état de debellatio affreux sur fond de querelle avec l'Iran, le prince saoudien et son royaume sont en réalité dans une situation critique désormais teintée de réprobation internationale pour des agissements qui ne peuvent être que criminels et qui n'ont rien de surprenant dans un pays où la vie ne vaut rien.
Le Satrape étant devenu insortable, il est donc fort possible que les autorités tutélaires de l'opulent royaume aient très probablement décidé d'effectuer un changement de décor et de personnage en trouvant appui chez le propre père de l'intéressé, sans doute âgé mais suffisamment rusé pour savoir que malgré une poigne de fer, la royauté ne saurait tolérer tous les excès, sauf à vouloir courir à sa perte.
On se souvient en effet que le président des États-Unis, Donald Trump, particulièrement en verve et n'ayant aucun scrupule pour parler comme un suzerain à son feudataire, a déclaré lors d’un rassemblement organisé dans le Mississippi que l’Arabie saoudite et son roi ne dureraient pas “deux semaines” sans le soutien militaire américain.
“Nous protégeons l’Arabie Saoudite. Diriez-vous qu’ils sont riches ? Et j’aime le roi, le roi Salman. Mais j’ai dit " Ô Roi - nous vous protégeons – vous pourriez ne plus être là en deux semaines sans nous – vous devez payer pour votre armée ! ”, a en effet déclaré le président.
L'allocution et la vidéo valent le détour et illustrent bien ce que "parler vrai" ou dire les choses "cash", signifient dans le concert international :
S'il convient de préciser que D.Trump n’a pas dit quand il a tenu ces propos devant le monarque saoudien, on notera toutefois qu'ils ont été prononcés dans un contexte de hausse des prix du pétrole aux États-Unis.
L’Arabie Saoudite est en effet le premier exportateur mondial de pétrole et le leader de facto du bloc des producteurs de pétrole, l’OPEP, qui a été critiquée par D.Trump pour les prix élevés du pétrole.
D.Trump ayant appelé le roi Salman pour discuter des efforts déployés pour maintenir les approvisionnements afin d’assurer la stabilité du marché pétrolier et la croissance économique mondiale, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman s’est rendu au Koweït pour s’entretenir avec l’ émir koweïtien Cheikh Sabah al-Ahmad al Jaber Al Sabah, afin de travailler sur l’accroissement de la production de pétrole.
S’exprimant lors de l’ Assemblée générale des Nations Unies à New York au mois de septembre, M. Trump a aussi déclaré que les membres de l’OPEP étaient “comme d’habitude en train d’arnaquer le reste du monde”.
Les prix du pétrole sont à la hausse. Le baril de pétrole coûte actuellement environ 75 dollars, une augmentation par rapport à l’année dernière. Le prix du baril était d’environ 50 dollars en octobre 2017. Il devient donc urgent de ne pas laisser les choses s'envenimer.
VII- Une onde de choc ingérable ou quand la satrapie a décidé de chasser le satrape
Il y a en effet le feu aux puits et voilà que le quotidien le Figaro note dans sa livraison du 17 octobre que les grandes manoeuvres ont très probablement commencé en coulisses. La visite éclair de Mike Pompeo dépêché par Donald Trump en visiteur plénipotentiaire et extraordinaire aura très probablement permis de prendre la température et d'aboutir à une conclusion à laquelle on ne sait si le principal intéressé aura participe bon gré ou malgré.
Comme l'écrit en effet le journaliste G. Malbrunot : " face aux pressions après la disparition de Jamal Khashoggi, les Sages de la famille régnante se penchent sur le cas MBS." Depuis plusieurs jours, le comité des sages de la famille régnante saoudienne est réuni dans la plus grande discrétion, affirme au Figaro une source diplomatique à Paris. Une information confirmée par un Saoudien contacté à Riyadh."
Si pareille information relève de l'approche toujours discutable rangée sous la forme habituelle du "une source bien informée" ou "un correspondant qui a décidé de garder l'anonymat", moyen bien commode usé jusqu'à la corde pour parler de quelque chose sans disposer de source ou de source fiable, il n'en demeure pas moins qu'il se passe effectivement quelque chose à Riyad. Composée d'un délégué représentant chacun des clans - sept au moins - de la famille royale, cette instance, chargée des problèmes de succession, et qui n'a pu se réunir que sous décision et autorité du vieux monarque Salman ben Abdulaziz, examine la situation créée par la "disparition" de J. Kashoggi dont on finit par comprendre qu'il est devenu un opposant, "frère musulman" devenu insupportable aux yeux des wahabbites qui ont décidé de l'éliminer, mais aussi et peut-être agent d'influence au service de la Turquie et des Etats-Unis.
La fiction qui voudrait, selon Donald Trump, que le roi Salman et son fils, le prince héritier, Mohammed Ben Salman (MBS), « ignorent » quel est le sort de l'opposant, comme la promesse faite au secrétaire d'État américain Mike Pompeo d'une « enquête approfondie et rapide qui n'exempterait personne », est intenable.
Alors que les pressions internationales s'intensifient, la famille royale se pencherait donc sur le "cas MBS", vers lequel convergent les soupçons et qui a amplement montré qu'il était devenu le "usual suspect" susceptible de répondre de ses agissements excessifs devenus dangereux pour la sécurité et le pérennité du royaume.
VIII- Arrivée du prince Khalid ben Salman ?
Plus jeune que son frère, âgé de 28 ans, pilote de chasse engagé en combat aérien sur près de cinquante missions en Syrie et au Yémen, conseiller auprès du Ministre de la Défense et ambassadeur à Washington depuis avril 2017, le prince Khalid ben Salman qui a été rappelé en urgence a semble-t-il assisté à l'entretien entre le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo et le prince héritier en place.
On formulera ici une pré-conclusion en forme d'hypothèse. Il y a probablement eu avec l'affaire Khashoggi qui aurait servi de "plastron" une sorte de "coup d'Etat" interne, l'idée étant que la continuité du développement économique de l'Arabie Saoudité ne peut plus être sérieusement menée avec le "prince héritier" MbS, devenu trop impétueux, trop imprévisible, trop dangereux pour le contexte géopolitique, géostratégique et géofinancier des seuls intérêts qui comptent dans une monarchie dont la sécurité est née du Pacte du Quincy conclu sur le croiseur du même nom entre le président américain F.D. Roosevelt et le roi Ibn Saoud, fondateur du royaume d'Arabie saoudite, le 16 février 1945 : ceux des Etats-Unis.
IX- Le véritable enjeu : perspectives économiques et financières d'un royaume en difficulté
Le pacte du Quincy (du nom du navire USS Quincy où se sont rencontrés Roosevelt et Abdelaziz ibn Saoud), datant de 1945, est donc à l'origine de "l'alliance" entre les deux maisons, blanche et Saoud, autour d’un accord tout aussi simple qu’il était informel : pétrole contre protection militaire. Le pacte du Quincy a fait de l’Arabie « un pays dhimmi (protégé) qui paye en retour un tribut, une capitation sous forme d’avantages pétroliers », capitation devenue encore récemment un piètre moyen de résistance ou de chantage vis-à-vis de l'encombrant "Allié".
Comme l'explique Cynthia Fleury dans un article intéressant , trois éléments feront la puissance de l’Arabie : le pétrole, l’avion et les médias. L’avion fournira les pèlerins en quête de spiritualité, le pétrole lui offrira une surface financière des plus enviables, et la stratégie communicationnelle et d’irrigation de subventions tous azimuts… le reste. L’Arabie sponsorise en effet pléthore d’instituts académiques, cultuels, culturels, scientifiques, dans le monde entier.
On y ajoutera les menées politiques empreintes de terrorisme.
En fait, le pacte du Quincy est fort utile pour couvrir un autre pacte, plus ancien celui-là, celui de Nadjd (1745) entre Muhammad ibn Saoud et Muhammad ibn Abd Al Wahhab.
L'historien Hamadi Redissi écrit à ce propos : « Né à l’abri des interférences étrangères, le wahhabisme est la dernière secte médiévale par sa forte immersion dans l’imaginaire médiéval, son univers langagier, ses hantises et ses caprices. Mais le wahhabisme est aussi la première des hérésies modernes. (…) En fait, on ne peut comprendre l’entente entre le wahhabisme et l’islamisme sans expliquer que les liaisons dangereuses, loin d’être accidentelles ou fortuites, se ressourcent dans une matrice commune. D’un mot, les thèses de l’islam millénariste, misanthrope, indompté, belliqueux, antichrétien, antisémite et misogyne se trouvent à l’état brut dans le wahhabisme. »
Au XIXe siècle, une relation s'est donc nouée entre le wahhabisme, le salafisme et le nationalisme. L’intuition de Redissi est que ces trois mouvements se sont fédérés autour d’une triple hostilité, celle contre le colonialisme, la cléricature et les confréries. Enfin, entre wahhabisme et islamisme, le dernier chaînon manquant est celui des Frères musulmans d’Hassan Al Banna, apparu et monté en puissance tout au long du XXè siècle, lui-même bâtissant son programme autour de propositions intégristes de réislamisation.Les tensions demeurent aujourd'hui, à ceci près qu'elles se heurtent ou doivent composer aux XXIè siècle avec la nécessité vitale pour le royaume d'Arabie saoudite, travaillé de l'intérieur par un tropisme intégriste et psychologiquement médiéval, d'investir et d'utiliser intelligemment et efficacement - pour un futur immédiat - tout en essayant de mettre les gens au travail en les coupant d'une économie de rente -, des ressources fossiles et financières qui ne seront pas éternelles.
X- Protéger les piliers et regarder vers l'avenir : une délicate équation
L'un des objectifs clés de Vision 2030, le projet du prince héritier MbS, http://vision2030.gov.sa/en , est donc d'élargir le rôle du secteur privé dans l'économie du royaume. Pour que cela se produise, les autorités saoudiennes doivent attirer des investissements massifs à l'étranger afin de stimuler les industries manufacturières et d'autres secteurs.
">Dans le cadre du processus visant à attirer des entreprises et des gouvernements étrangers, l’Arabie saoudite organise une grande conférence sur les investissements plus tard ce mois-ci, dénommée officieusement « Davos dans le désert ». ">Un certain nombre de sociétés internationales clés ont déclaré qu’elles ne participeraient plus. ">Le président Trump a souligné l'importance du royaume en tant qu'acheteur d'armes et le danger que la Chine ou la Russie interviennent si les États-Unis se retiraient. ">L'hésitation des entreprises étrangères ne veut pas de la vision 2030. ">Mais tant que l’affaire du consulat d’Istanbul demeure un sujet de mystère et de spéculation, il est peu probable que les principaux dirigeants économiques et financiers
Depuis que Khashoggi n’a pas réussi à sortir du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul et que des accusations de plus en plus sinistres se sont fait jour sur son sort, la liste des participants à la conférence sur l’investissement s’est réduite.
Cela ne veut pas dire que "Davos dans le désert" ne se produira pas, d'une manière ou d'une autre, maintenant ou plus tard. Les gouvernements et les entreprises qui investissent déjà en Arabie saoudite, notamment dans le secteur de la défense, ne songeront certainement pas à se retirer.
Mais la liste embarrassante des absents, avec plusieurs autres entreprises qui n'ont pas encore confirmé leur présence, signifie que la conférence sur l'investissement ne sera pas en mesure d'envoyer un signal fort d'un engagement international solide en faveur du programme de réformes de l'Arabie saoudite.
Si, au cours des prochains jours, une explication sans équivoque de la disparition de Khashoggi, est susceptible de dissiper le soupçon de suspicion sur l'Arabie saoudite, les parties qui choisiraient d'éviter la conférence sur l'investissement pourront peut-être reconsidérer leurs décisions.
Bon nombre d'objectifs du programme national de transformation intermédiaire à l'horizon 2020 sont déjà en train de déraper, et certains objectifs plus ambitieux de Vision-2030 semblent ttout d'un coup trop ambitieux. Il y a urgence.
Y a-t-il eu avec l'affaire Khashoggi une sorte de "coup d'Etat" interne, l'idée étant que la continuité du développement économique de l'Arabie Saoudite ne peut plus être sérieusement menée avec le "prince héritier" MbS, incontrôlable et trop dangereux pour le contexte géopolitique, géostratégique et géofinancier des seuls intérêts qui comptent et qui sont ceux des Etats-Unis ?
L'hypothèse ne peut être écartée.
On verra prochainement ce qu'il en est avec la montée ou non aux affaires du prince Khalid, arrivé dans les valises américaines, et qui sait ? la déposition de son frère aîné.
A moins que tout ne soit désormais rentré dans l'ordre une fois reconnu le décès d'un grain de sable gênant et l'élimination de ceux qui l'ont tué, à défaut des commanditaires. L'ordre doit régner à Riyad. On peut continuer à pomper et à exporter.
“The Kingdom expresses its deep regret at the painful developments that have taken place and stresses the commitment of the authorities in the Kingdom to bring the facts to the public opinion, to hold all those involved accountable and bring them to justice,” a statement on the SPA said.
"Le Royaume exprime son profond regret devant les développements douloureux qui ont eu lieu et souligne l'engagement des autorités du Royaume de porter les faits à l'opinion publique, de s'emparer de tous les responsables concernés responsables de leurs actes et de les traduire en justice", selon un communiqué du l'agence SPA.
Sources et notes :
https://ctc.usma.edu/ctc-sentinel/
https://www.goodreads.com/book/show/16284953-never-let-a-serious-crisis-go-to-waste
https://www.humanite.fr/les-deux-pactes-nadjd-et-quincy-619725
Hamadi Redissi, le Pacte de Nadjd. Ou comment l’islam sectaire est devenu l’islam (Seuil, 2016) http://www.seuil.com/ouvrage/le-pacte-de-nadjd-hamadi-redissi/9782020960816
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