Hadopi sur Canal+ : Benoît Hamon Vs. Arthur H & Cast
Le porte-parole du PS Benoît Hamon et le chanteur Arthur H étaient les invités mardi 5 mai du Grand Journal de Canal+. Sujet du débat : la loi Création et Internet, dite HADOPI. Face à un présentateur et des chroniqueurs acquis à la cause de la loi HADOPI, Benoît Hamon a été totalement contre-productif : le seul message qu’il a réussi à faire passer, c’est que s’opposer à HADOPI c’est mettre en place une nouvelle taxe - pour financer la licence globale.
Ce soir, mardi 5 mai, dans l’émission le Grand Journal (Canal+), qui est toujours assez mauvaise à part trois ou quatre séquences marrantes (le Petit Journal, le SAV des émissions, le zapping, les Guignols) et donc que je regarde quand même d’un oeil distrait (de toute façon y a rien d’autre), étaient invités Benoît Hamon, le porte-parole du PS, et Arthur H, le porte-parole du jour des artistes pour Hadopi.
Et le sujet, donc, était la loi Création et Internet, dite Hadopi. Enfin une émission sur une grande chaîne, à une heure de grande écoute, qui met ce débat sur la place publique, me dis-je. Mais la raison me rattrape aussitôt : le risque que le débat se transforme en opérationde propagande est très élevé. Cette sombre prophétie se réalisera en une vingtaine de minutes, résumées ci-après.
Bien évidemment, le maître de cérémonie Michel Denisot et les différents chroniqueurs, tous employés de Canal+, groupe Vivendi-Universal, étaient parfaitement neutres dans cette affaire. La preuve, Michel Denisot lance le sujet en indiquant que la loi est soutenue par la majorité des artistes, y compris ceux de gauche (cf. l’immense Pierre Arditi), mais rejetée par le PS (bon, il oublie de mentionner les députés de l’UMP qui sont également hostiles au projet, mais ce n’est qu’un détail de l’histoire, n’est-ce pas ?).
Alors pourquoi tant de haine, Benoît Hamon, se demande immédiatement Madame Michu, qui regarde l’émission en imaginant le sort de son idole Eddy Mitchel, livré à lui-même face à des hordes de pirates numériques assoifés de mp3 des Chaussettes Noires, pirates qui sont d’ailleurs probablement pédophiles et terroristes puisqu’ils traînent sur internet ? Pourquoi, M. Hamon, pourquoi ?
Arthur H se lance en expliquant que la musique c’est énormément de travail, parfois ça demande des mois pour réaliser un album, ça demande aussi énormément de talent, les gens ne se rendent pas compte (c’est vrai, quelle bande d’ignorants flemmards, ces gros nuls qui téléchargent notre musique et qui se lèvent tard), pour créer toutes ces "oeuvres d’art" (sic - NB : cette définition inclut également les disques de Florent Pagny), et que donc c’est pas normal qu’on télécharge gratuitement, et que donc la loi Hadopi c’est bien.
Oui, parce que n’oublions pas que tous les artistes qui s’expriment sur le sujet en faveur d’Hadopi arrêtent leur raisonnement au postulat suivant : "le téléchargement illégal c’est mal, donc Hadopi c’est bien". Y a-t-il d’autres solutions envisageables ? Le dispositif Hadopi pose-t-il des problèmes par rapport aux libertés publiques ? Mais attendez on est des artistes surchargés de boulot, on n’a pas le temps de réfléchir à ces conneries, il faut qu’on crée des nouvelles comédies musicales et qu’on enregistre des nouveaux CD de reprises de Jacques Brel, c’est vrai quoi laissez-nous bosser. Et puis depuis quand les artistes s’intéressent à la liberté et au partage, d’abord ?
Arthur H indique que parler de répression pour Hadopi c’est exagéré, "on n’est pas en Chine", on reçoit juste un avertissement par mail. Bon alors oui, Arthur H oublie que la vraie sanction prévue est une coupure de l’accès internet pour l’ensemble du foyer (avec maintien du paiement de l’abonnement), parce qu’un des membres de la famille (voire un voisin adepte du piratage de réseau Wi-Fi) a téléchargé 2 fois des compilations de Johnny Haliday et une fois le dernier CD de Faudel, mais bon c’est un détail.
Benoît Hamon répond mollement, et finit par se laisser entraîner dans le piège tendu par Michel Denisot : parler de la licence globale, que son interlocuteur impartial qualifie immédiatement de taxe, voilà le gros mot est lâché, c’est plié, le débat est terminé, les gens chez eux auront parfaitement compris que la seule question qui se pose est donc :
"Préférez-vous :
(a) Aider des artistes qui travaillent jour et nuit pour créer des oeuvres d’art ?
(b) Payer une taxe comme le souhaite le PS, ce qui serait une forme de pénalité pour ceux qui ne téléchargent pas (remarque totalement neutre de Michel Denisot) ?"
Un peu plus tard dans l’émission, la Miss Météo Pauline Lefebvre, qui maîtrise parfaitement le sujet de la transformation de l’économie sous les effets du développement des technologies numériques, arrive avec une baguette de pain. Comme le plombier polonais en son temps, la baguette de pain et la fameuse théorie de la multiplication gratuite des articles de boulangerie s’invite dans tout bon débat sur le téléchargement, c’est inévitable dès lors que les participants ont un certain niveau. Une variante est possible avec les oranges (Frédéric Lefebvre, in "Moi, Frédéric Lefebvre, expert ès médias et nouvelles technologies", 2009). Bon, faisons simple, pour que Madame Michu comprenne bien : ce qui est important, c’est de retenir que tout fonctionne exactement comme dans un grand supermarché de la création (Nicolas Sarkozy, in "J’ai tout compris à internet et je le prouve - Petit guide en 10 leçons", 2009).
Miss Météo explique aux pauvres cons que nous sommes, en partageant sa baguette de pain : voilà, les deux options face à HADOPI, c’est soit la position du PS, qui distribue des morceaux de pain gratuitement à tout le monde et crée une taxe, soit la position de "ceux qui défendent les artistes" (sic, sous les applaudissements du public, qui aime donc certainement les artistes au point d’accepter d’être obligé d’installer chez soi un logiciel espion contrôlé par l’Etat).
Arthur H ne manque pas la perche qui lui est tendue : "Voilà c’est ça, la licence globale c’est comme si vous payiez 5 euros par mois et que vous preniez tout ce que vous voulez dans la boulangerie."
Oui, bon, d’accord, des petits malins qui s’amusent à couper les cheveux en quatre expliqueront qu’on ne peut pas répliquer un pain au chocolat comme un fichier informatique, mais finalement le téléchargement c’est du vol, c’est évident que c’est du vol (Guillaume Canet, in "Pensées sur l’évolution du marché de la culture : du matériel à l’immatériel", 2008).
Et Benoît Hamon ne répond pas. Il laisse couler. On dirait, au choix :
(1) qu’il s’en fout,
(2) qu’il ne maîtrise pas assez le sujet pour répondre,
(3) les deux.
Bref, c’est bien triste. A un moment, le porte-parole du PS tente vaguement de lancer le sujet de la mise sur écoute des connexions internet, nécessaire au fonctionnement du système Hadopi. Mais sans vraiment développer. Il y avait là une énorme occasion d’attirer l’attention du téléspectateur lambda sur les problèmes posés par Hadopi (parfaitement résumés en 5 lignes en bas de cet article, par exemple), ben voilà c’est complètement raté.
Voilà donc en résumé, mission accomplie pour Canal+ et le Grand Journal, sous la houlette du charismatique et pertinent Michel Denisot : les téléspectateurs qui ne lisent pas Numerama ou les communiqués de la Quadrature du Net auront bien compris que le gentil gouvernement veut simplement protéger les artistes, et que les méchants opposants à Hadopi veulent juste créer une nouvelle taxe.
Merci à Arthur H pour son soutien aux artistes. Je ne connaissais pas spécialement son oeuvre, mais maintenant je sais que je déteste le personnage. Un jour peut-être il se réveillera et comprendra ce qu’il y a vraiment derrière la loi Hadopi, mais ce sera trop tard.
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