La Constitution française n’est plus qu’un bout de papier
Il est des livres qui valent plus que d’autres dans une bibliothèque. Anciens, fragiles, rares ou riches de par leur contenu, on les manipule toujours avec délicatesse, de peur de les marquer à tout jamais. La Constitution en fait partie. C’est un « texte fondamental » dont l’histoire remonte à la Révolution française.
La Constitution française a une valeur "supérieure", au même titre que la Déclaration des droits de l’homme. Il s’agit d’un "texte fondamental", fondant et organisant la République. Le Conseil constitutionnel en est son protecteur. Le président de la République en est théoriquement le gardien. Pourtant, les déclarations récentes à son sujet sèment le trouble.
En 2004, Dominique Perben lançait la fronde. Après avoir proposé une loi "rétroactive" sur les récidivistes, dans l’émotion d’une actualité cruelle, il déclarait ouvertement, en substance : le Conseil constitutionnel ne sera saisi que si quelqu’un ose le saisir. Qu’il le fasse ! Étant sous-entendu que celui qui le fera se mettra du côté des délinquants... Scandale. Il fera marche arrière. Mais le principe même de la Constitution est bafoué : la Constitution devient un obstacle potentiel, et non plus une référence absolue.
Affaire suivante. En 2007, après son élection, Nicolas Sarkozy propose une loi rétroactive et inégalitaire sur l’accès à la propriété des primo-acquérants. Retoquée par le Conseil constitutionnel. Commentaire du président : Moi, j’ai voulu le faire, le Conseil constitutionnel l’a rejeté. Adressez-vous à lui, il a pris ses responsabilités. Dont acte, la faute au Conseil constitutionnel, qui empêche la réalisation des promesses électorales. Les promesses ne s’alignent plus sur la Constitution, mais la Constitution devrait s’aligner sur les promesses.
Dernier affront, le 22 février, Nicolas Sarkozy a demandé au premier président de la Cour de cassation "de faire toutes les propositions" pour permettre "une application immédiate" de la loi qui crée des centres d’enfermement à vie pour les criminels dangereux, après la censure partielle du Conseil constitutionnel. Tollé chez les syndicats de magistrats. La Constitution interdit l’application d’une loi ? Qu’à cela ne tienne, il faut trouver un moyen de la contourner. Le principe même de la Constitution est remis en cause, qui précise, à l’article 62 : "Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours". Tant pis pour la Constitution.
La Constitution n’est plus un phare, c’est une bougie chancelante qu’on tente d’étouffer. Ce n’est plus un "texte fondamental", c’est un obstacle qu’il faut contourner à tout prix. Le mot "constitutionnaliste" va bientôt devenir, dans la bouche de Sarkozy, une insulte du même niveau que "droit-de-l’hommiste". Le président de la République française est le gardien de la Constitution, mais il pense en être le propriétaire...
Les mots ont un sens... disait-il récemment.
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