La dépénalisation du droit des affaires : une mesure salvatrice ou bien une imposture ?
Nicolas Sarkozy a annoncé jeudi devant l’université du Medef son intention de réformer « rapidement » le droit des sociétés afin de libérer les chefs d’entreprise « du risque pénal à la moindre erreur de gestion ». Cette annonce a bien évidemment mis les juges en émoi et provoqué la colère du Syndicat national de la magistrature.
Quel est le but manifestement visé par le chef de l’Etat ? M. Sarkozy envisage cette réforme de la législation "pour rendre aux Français le goût d’entreprendre".
"Comment avoir le goût d’entreprendre si au risque financier s’ajoute
systématiquement le risque pénal, et si la moindre erreur de gestion
peut vous conduire en prison" a-t-il ajouté. Il voudrait à terme que le
dispositif législatif pénaliste français ne pénalise plus les
dirigeants de société ayant commis des "erreurs de gestion" dans le
cadre de l’exercice de leurs fonctions aussi fortement qu’aujourd’hui.
Il convient dans un premier temps d’éclairer la notion d’"erreur de gestion". Il s’agit en clair tout simplement d’un
acte délictueux commis au détriment de l’intérêt de la société ou bien
dans un but lucratif strictement personnel ou concernant une minorité
dirigeante. Il existe en plus de l’erreur de gestion tout un
ensemble de fraudes fiscales comme la présentation de bilans financiers
truqués, les détournements de fonds ou bien les abus de biens sociaux
et les emplois fictifs.
La jurisprudence actuelle des juridictions civiles et pénales disposent en ces termes que le chef d’entreprise détient une obligation de loyauté envers la société :
en effet le dirigeant de l’entreprise doit en permanence agir afin de
défendre les intérêts de sa société selon la loi de 1966, au sein de
laquelle existent de nombreuses possibilités d’incriminations.
Déjà,
suite à la promulgation de la loi, c’est-à-dire au début des années 60,
un mouvement de dépénalisation du droit des affaires, plus
particulièrement du droit des sociétés, a suivi, mais il a sauvegardé les fautes les plus graves susceptibles d’enfreindre cette fameuse obligation de loyauté,
considérée comme un principe fondamental : présentation de comptes
inexacts, distribution de dividendes fictifs, abus de biens sociaux... la
dépénalisation prônée aujourd’hui par Nicolas Sarkozy vise en fait à
faire aboutir à son terme le mouvement commencé il y a plus de quarante
ans en abrogeant les dispositions pénales existant à l’encontre des
fautes les plus graves. A terme, il voudrait une
réforme du droit des sociétés où le contentieux ne relèverait plus que des tribunaux de commerce,
c’est-à-dire, à strictement parler, des juridictions civiles et non
plus pénales. Il convient de rappeler qu’une juridiction civile ne peut
condamner un prévenu qu’à une peine d’amende uniquement ou bien au
versement de dommages et intérêts, donc la sanction est uniquement
pécuniaire. Comment accepter le fait qu’un chef d’entreprise
délinquant, ayant agi pour son seul profit et au détriment de sa
société soit seulement condamné au versement d’une somme et non pas à
une sanction pénale ?
Que
diriez-vous de quelques éclaircissements quant à la jurisprudence
actuelle en matière des délits en droit des sociétés ? En clair, la
jurisprudence dégage trois critères cumulatifs indispensables afin de
pouvoir incriminer un chef de société :
- Il faut un acte d’usage : en clair un détournement, ou une simple utilisation provisoire du bien.
- Il faut un risque anormal : l’acte doit faire courir à la société un risque anormal notamment d’un point de vue financier.
- Il faut une volonté de la part du prévenu de s’avantager personnellement : le dirigeant doit avoir méconnu l’intérêt de la société, et avoir voulu un intérêt personnel à travers son action. Il doit avoir agi de mauvaise foi à des fins personnelles, ou pour favoriser une autre société que la sienne.
Une incrimination d’un dirigeant d’une société nécessite en résumé surtout qu’il ait agi dans le but d’un avantage personnel quelconque.
La jurisprudence admet un avantage matériel à son profit ou de
quelqu’un de son entourage, un avantage moral (relation avec un homme
politique, homme d’affaires, une femme...) ou un intérêt d’ordre purement
professionnel.
Les réactions au discours du locataire de l’Elysée ne se sont pas fait attendre. Pour Michel Sapin, député PS de l’Indre, cette
réforme législative et jurisprudentielle va tout bonnement "limiter le
contentieux des entreprises aux juridictions civiles". De son côté, le
Syndicat national de la magistrature a estimé que Nicolas Sarkozy avait
"choisi le camp" des patrons "indélicats". "La pénalisation du droit
des affaires ne vise rien d’autre que des fraudes à la loi, lorsqu’un
chef d’entreprise agit contre les intérêts de sa société", a rappelé
Emmanuelle Perreux, présidente du SNM.
Le seul argument valable aujourd’hui pour justifier une telle réforme serait celui de la surcharge des juridictions pénales,
"accablées de dossiers" relevant du droit des sociétés. Il reste à se
pencher sur la manière dont les Etats-Unis traitent leurs délinquants
en col blanc, n’hésitant pas à ériger des faillites d’entreprise en
véritables scandales nationaux relayés par tous les médias comme l’affaire Enron, ainsi que le rappelle Bruno Thouzellier, de l’Union syndicale des magistrats.
C.D.G.D.P
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