Religion et plaisir (1)
Dieu est amour, on a du mal à s’en apercevoir !
D’une certaine manière, la crucifixion peut être considérée non comme le sacrifice ultime d’un homme-Dieu pour sauver ses semblables (les sauver de quoi d’ailleurs, on se le demande ?), mais avant tout comme la performance athlétique d’un sportif de haut niveau qui a subi la flagellation, les épines et les clous comme une compétition. Quand le Christ déclare « tout est consommé », cela doit être interprété comme un cri de victoire, comparable à la joie d’un Sergei Bubka après avoir effacé une barre de 6 m 15 à la perche. On ne fera pas mieux avant longtemps ! La dimension sacrificielle ne peut être retenue que comme le cheminement vers l’exploit. Un exploit qui dépasse la souffrance physique et qui peut se résumer à la quête de l’impossible. Cette vision nietzschéenne de l’effort physique, du dépassement de soi est à comparer avec l’éthique de vie des stoïciens, mais des stoïciens qui aimeraient les médailles et les podiums. D’ailleurs, le philosophe allemand Peter Sloterdijk, très à la mode outre-Rhin, ne s’y méprend pas en faisant remarquer que l’ascèse, du grec askesis, veut initialement dire entraînement. Il voit dans l’exercice physique une école du « savoir souffrir » et conseille à chacun « Tu dois changer ta vie ». Comment et pourquoi en changer est plus nettement plus important que le changement en soi. Car bien qu’hostile aux religions et à leur totalitarisme inéluctable, Sloterdijk se fait l’apôtre d’une écologie cosmopolite à l’échelle mondiale qui sent à plein nez le culte classique qu’il récuse. Quand il constate avec amertume que presque tous les virtuoses du piano et du violon sont désormais asiatiques, il regrette qu’aucun européen ne soit plus capable de subir pendant des heures la férule d’un maître qui lui apprend la perfection de la pratique d’un instrument. Ce regret est d’ailleurs étrange, car quand on écoute du Chopin ou du Paganini, peu importe que le soliste soit Coréen, Chinois ou Luxembourgeois. Sloterdijk aurait-il osé cette comparaison hasardeuse, si les meilleurs solistes étaient majoritairement noirs ou arabes ? Mais qu’en est-il des non-culturistes, de ceux qui ne glorifient pas le sport comme un aboutissement ? La dimension sportive du Christ est, pour un chrétien éduqué dans le dogme officiel, de l’ordre de l’hérésie, car elle donne au personnage une composante égoïste, orientée et nombriliste. Cela est à l’opposé du message universel de sacrifice et d’incommensurable don de sa personne, véhiculé par les docteurs de la foi et les exégètes qui veulent expliquer et justifier la Passion. Pourtant, cette vision reste « religieuse » dans le sens où elle peut être considérée comme un accomplissement édifiant, comme une marche à suivre pour atteindre la félicité. Un Christ athlète se nourrit de sa propre exemplarité, il ne peut donc être sous anabolisant ou antidouleur, il doit gagner sainement sans tricherie et subir les épreuves sans artifices et sans produits de synthèse. Sa démarche doit être édifiante et positive et quand Simon de Cyrène l’aide à porter sa croix, ce temps de pause doit être décompté de la performance. Pour arriver à ce résultat, il doit obligatoirement faire l’impasse sur les autres distractions profanes. Les troisièmes mi-temps concernent une catégorie de sportifs non exemplaires. Ceux ou celles qui s’adonnent à des cabrioles post-natatoires ou à des prestations rémunérées d’après match avec des professionnelles mineures ou non entrent dans la même catégorie des champions dilettantes. Quand un excès de produits dopants en arrive à conclure l’épisode sportif par la mort, comme dans les cas Tom Simpson ou Marco Pantani, alors le héros crucifié dans l’effort retrouve une dimension christique et passe du statut de réprouvé à celui de victime sacrifiée sur l’autel du profit et du sport-spectacle. Richard Virenque a été vilipendé, menacé de procès et couvert d’infamie car il n’est pas mort de ses excès. Seul son statut de Français issu des couches populaires lui a évité l’opprobre absolu et le bannissement. Lance Armstrong, car Américain a été plus aisément traité de tricheur et traîné dans la boue par la presse française. Décidément le Christ ne peut être sous EPO lors de la montée du Golgotha au risque de passer pour un tricheur petit bras. Le Christ athlète rejoint d’une certaine façon l’acrobate, le funambule de Nietzsche. Mais du fait de sa dimension universelle, il doit impérativement se débarrasser de sa composante de bateleur de foire, il n’est pas un boxeur de fête foraine mais l’égal si ce n’est le modèle de Mike Tyson ou de Carlos Monzon, en dépit de leur dimension violente hors du ring. Et sa composante humaniste lui donne la grandeur et le désintéressement d’un Max Schmeling, le boxeur du Reich se débattant pour se débarrasser de l’amitié encombrante des dignitaires nazis. Vu sous cet angle, son adversaire noir américain Joe Louis devient le deuxième larron, mais du fait du désir de vaincre du boxeur américain, il serait plutôt Barrabas, le fameux combattant de l’Evangile. Le Christ lutte avant tout pour le plaisir de la performance, et si celle-ci peut servir d’exemple aux gens du commun, et bien tant mieux, mais il ne semble pas que ce soit le but essentiel de la démarche. Certains y verront un comportement masochiste, mais celui-ci est le lot commun de tout sportif de haut niveau. Il faut souffrir pour battre des records, la performance s’obtient dans la douleur. Ceux qui font la fête comme Yannick Noah, ou s’exhibent dans les magazines comme Laure Manaudou ou Marie-Jo Pérec ne font en général qu’une carrière sportive en dent de scie ou éclair, à l’image, certes fort avenante, d’Anna Kournikova. La gloire et l’argent ne font que partiellement oublier les souffrances de l’entraînement et de la compétition. Seul l’athlète pur est capable de subir les affres de l’entraînement et ses contraintes. Hélas le sport moderne est loin de l’idéal des premiers amateurs. Il est devenu un moyen d’enrichissement et a perdu en spontanéité. On a longtemps fustigé les écoles de gymnases roumaines et chinoises, les lanceuses de poids et de marteau soviétiques et d’Allemagne de l’Est et leur moustache, mais elles ont été remplacés par les écoles d’athlétisme à l’américaine qui ne valent guère mieux. L’athlète contemporain peut cependant être un équivalent du Christ quand on le débarrasse de sa coquille mercantile et médiatique. Il n’y a pas que les cyclistes amateurs participant à d’obscurs critériums régionaux et les anonymes vainqueurs du biathlon ou du water-polo pour souffrir dans l’indifférence. Les sportifs célèbres souffrent aussi, mais leur douleur est masquée par l’argent des contrats publicitaires et les photos sur papier glacé des magazines. Le Dieu de la Bible est un dieu malsain, vengeur, égocentrique et castrateur. Il empêche les humains de baiser en rond. On comprend mieux dans ces conditions que les gnostiques l’aient réfuté comme Dieu d’amour. Dans les trois monothéismes, Dieu s’oppose au plaisir de l’homme qui n’est l’affaire que de pécheur et d’hérétique. L’homme libre a par contre envie de crier aux autres hommes s’il est athée et à la face de Dieu s’il est croyant, « vive le péché et l’hérésie car ils sont libérateurs et donnent un sens à la vie ! ». Le chrétien parfait qui éprouve un petit plaisir en mangeant une pomme ou une simple tomate, se privera de pomme ou de tomate par recherche de la pénitence et par la traque permanente du péché, au lieu d’en manger deux. Mais contrairement à ce que professe le courant chrétien d’ascèse et de mortification, la luxure est un luxe qui mène à la liberté. Pour les juifs et les chrétiens le plaisir est une tentation démoniaque qui mène l’homme à son avilissement. Le salut réside en l’abandon de soi à Dieu et l’obéissance à ses Lois. La pénitence est cependant une forme de masochisme en l’attente d’un hypothétique monde meilleur dans un au-delà fort douteux. Pour les chrétiens, le bonheur est illusoire et éphémère, le plaisir mène l’homme à sa perte. S’y adonner, c’est se fourvoyer, se détourner de la seule voie qui en vaille la peine, celle de l’adoration de Dieu et de l’obéissance à ses Lois. Le plaisir, dans ces conditions est condamnable et seuls les impies et les hérétiques peuvent s’y laisser tenter. On peut malgré tout se demander si la voie choisie par Raspoutine a plus de chance d’attirer le regard du Tout Puissant. En effet, si Dieu est omnipotent et omniprésent, il est donc très occupé, il n’a que faire du petit pécheur avec ses fautes minables et étriquées. Seul celui qui commet des abus en tous genres, qu’ils soient de sexe, d’alcool, de table, de vol, de viol ou de rapines peut se faire remarquer de Dieu. Après s’être vautré dans l’infamie, il suffit alors d’exprimer un repentir sincère et spectaculaire à l’égal de la faute. Inutile de dire que cette optique est profondément hérétique pour ne pas dire néo-gnostique aux yeux des gardiens du dogme et de la foi. Le christianisme par contre cultive le mysticisme et l’ascèse. On loue Dieu en se privant et en se mortifiant. L’hagiographie est remplie d’exemples édifiants tirés de la vie des saints. L’austérité du monothéisme des mystiques comme Jean de la Croix, sainte Thérèse d’Avila ou Marie Alacoque est une quête de l’Eden (certains analystes de la pensée chrétienne y ont vu une recherche d’orgasme à travers l’alibi de Dieu ; la mortification, le cilice et les macérations sont pour certains d’excellents moyens masochistes pour exprimer leur foi). Le paradis sur terre n’existe plus depuis les temps bibliques, il s’opposait à celui des Dieux de l’Olympe et des Vikings, au libertinage romain et de la Régence ; il faut donc le chercher ailleurs. La spiritualité doit impérativement s’opposer aux travers et penchants humains et à leurs illusoires chimères. « Le plaisir extrême est proche de la douleur » nous déclare Paul Valéry. Voit-il dans la crucifixion l’ascèse ou l’orgasme ! Que dire de plus pour décrire le mysticisme chrétien ? Mais Valéry parle-t-il de l’extase du martyr ou de celle de jouissance sexuelle extrême ? Peut-être des deux, finalement. Pour le monothéiste, Dieu a créé l’homme à son image, or contradiction évidente, l’homme est jouisseur par nature et Dieu veut canaliser sa jouissance par une série d’interdits, ce qui de prime abord semble paradoxal, à moins que Dieu soit censé considérer l’homme comme un animal imparfait qu’il faut sevrer et brimer en permanence pour son bien. Dieu serait une sorte de dompteur de lions dans un cirque, mais ce faisant, il doit toujours être méfiant et ne jamais baisser sa garde, car le fauve a tendance à se rebiffer. L’histoire d’Eve et de la pomme est à l’origine de la réglementation de la sexualité et de la connaissance par la religion allant jusqu’au puritanisme. En admettant le plaisir comme un accomplissement et non comme un péché, Dieu bien au contraire, ne peut se vivre et se louer que dans l’excès. Sinon, le croyant reste un être tiède et inaccompli, c'est-à-dire un vermisseau aux yeux du Tout-Puissant. Pour les pères de l’Eglise, (mais curieusement pas dans les paroles du Christ rapportées dans les Evangiles), Satan est dans le sexe illicite même quand il ne s’habille pas en Prada. On le retrouve dans la fornication hors mariage pour les trois monothéismes, car la sexualité à des fins non reproductive c’est le mal absolu, au même niveau que le parricide et le blasphème. Mais en y regardant bien, ce mal peut très bien se retrouver dans un verre de gnôle ou une choucroute garnie pour les moralistes chrétiens, musulmans ou juifs, car tout plaisir est suspect. L’alibi de la reproduction et de la fondation d’une famille pour ne pas dire d’une lignée est là pour renforcer une ligne de conduite qui accepte la sexualité comme un mal nécessaire à la reproduction. Le christianisme est l’invention de Paul un misogyne à tendance homosexuelle refoulée qui a réussi à détourner les paroles supposées d’amour de son modèle pour en faire un culte mortifère. Le judaïsme n’est guère plus reluisant concernant les plaisirs de la chère et de la chair, en plus des interdits alimentaires qui privent ses membres de choucroute et de boudin, son approche de la sexualité est aussi faite de prescriptions et de recommandations des plus strictes sur la fidélité, la menstruation et le respect des traditions patriarcales. On ne peut que constater que les parents juifs ayant mangés des raisins verts ce sont leurs enfants spirituels chrétiens et musulmans qui en ont eu les dents gâtées.
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