A propos des suicides à France Telecom : interview
France Telecom est la chasse gardée de la caste des X télécoms, ces poytechniciens qui se considèrent comme l’élite de la nation , qu’ils sont l’Etat et que celui ci leur doit privilèges et opulence et qu’un haut fonctionnaire a tous les droits.
La privatisation a accentué leur arrogance et leur avidité lesquelles ont donné la marque à leur manière de gérer le personnel, ce qui a une incidence désastreuse sur les conditions de travail au sein de l’entreprise et explique en partie l’épidémie de suicides dont elle est le lieu.
Pigripi : Combien de temps avez-vous travaillé à France Télécom ?
Sophie : J’ai travaillé à FT de 1981 à 2002 quand j’ai été gentiment invitée à prendre une préretraite. J’ai effectué toute ma carrière dans des services d’étude à
Pigripi : Comment était l’ambiance à cette époque ?
Sophie : J’ai eu la chance de travailler dans des services atypiques qui n’avaient pas de contact avec le public et nous avions beaucoup de liberté pour organiser notre travail. Mais, à la direction générale, le poids du politique était très lourd : politique nationale et politique interne. La politique interne était dictée par les X télécom qui contrôlaient le fonctionnement, les objectifs et le style de gestion de l’entreprise.
J’ai eu malgré tout des collègues sympathiques et intelligents que je rencontrais de temps en temps en dehors du bureau car une fausse familiarité était de mise, calquée sur le modèle que les X entretiennent avec les membres de leur « corps », une sorte de secte intégriste, macho et impitoyable pour les « étrangers » à ce corps d’élite, produit dont
Pigripi : Pouvez-vous donner des exemples de ces apparences ?
Sophie : Oui, nous avions l’impression que nous étions tous pareils et que nous avions les mêmes droits mais le jour où j’ai voulu commander un fauteuil ergonomique pour soulager mon dos, le directeur a refusé de signer le bon de commande et m’a fait dire que ce modèle était réservé aux directeurs. Idem pour le nombre de fenêtre et de mètres carrés de bureaux. Cela ne dépendait pas de nos besoins mais de notre grade. C’était encore la même chose pour les privilèges tacites comme par exemple la liberté de publier des articles ou des ouvrages. Les X et les énarques faisaient absolument ce qu’ils voulaient mais les autres devaient demander une autorisation et se voyaient imposer des obligations lourdes et forcément décourageantes.
Nous bavardions de tout mais lorsque nous touchions à des sujets « chasse gardée » ou sensibles, nous étions sèchement remis à notre place et j’ai vite découvert que les discussions informelles étaient contrôlées, codifiées et toujours politiques (au sens de politique interne).
Nous bénéficions d’une grande liberté pour recueillir de la documentation pour alimenter nos travaux et nous étions souvent libres de choisir et proposer des sujets ce qui nous laissait imaginer que si nous faisions un bon travail, nous évoluerions dans nos carrière. En réalité, la nature, l’efficacité et l’intérêt de notre travail ne comptait pas pour les promotions. Les barèmes ne tenaient compte que du diplôme initial et de l’ancienneté. Un X ou un énarque qui se consacrait au montage de son entreprise ou à l’écriture de son bouquin se voyait automatiquement promu et augmenté en fonction de ces barèmes car ce n’était pas sa productivité qui était évaluée mais son statut d’élite. La nature et la qualité du travail n’étaient pas prises en compte pour eux. Par contre ils usaient de ces arguments pour justifier la stagnation ou la faible évolution des carrières des autres, les « hors corps », les parias.
Pigripi : Les X et les énarques sont toujours présents à FT et Orange, pensez-vous qu’ils ont toujours une influence, malgré la privatisation, sur le management des ressources humaines ?
Sophie : Bien entendu. France télécom et ses clones sont la chasse gardée des hauts fonctionnaires et, en particulier de ceux qui sont sortis suffisamment bien placés de Polytechnique pour intégrer le corps des télécoms. Ils ne risquent pas lâcher un aussi bon fromage qui est aussi leur raison d’être.
A force de séminaires, de voyages d’études, de fréquentation de cercles élitistes à commencer par ceux des anciens de l’X, ils adoptent les stratégies et philosophies ainsi que les méthodes de management de tous les puissants du monde. Ils mangent au même râtelier. Entreprise publique ou entreprise privée, rien ne change vraiment pour eux. Ils ont des positions inamovibles. Quand on aurait licencié tous les petits et moyens fonctionnaires, il resterait les X et les énarques pour organiser le dégraissage, brader le patrimoine et liquider les acquis et les biens.
Je pense que la privatisation partielle de FT, au lieu de les rendre plus modestes les a au contraire rendus plus féroces en leur laissant les coudées franches pour gérer le petit personnel selon des méthodes ultra libérales qui ne s’embarrassent pas de sentiments. On leur a demandé de rentabiliser, ils rentabilisent avec les méthodes les plus cyniques et les plus dures. Les X ne sont pas des humanistes et même pas des patrons paternalistes.
Mes anciens collègues qui sont encore à FT ou à Orange me racontent que l’atmosphère y est insupportable. Si les X pouvaient mener leurs troupes à la schlague, ils ne s’en priveraient pas.
Pigripi : Pouvez-vous préciser ce qui caractérise le comportement des X Télécom que vous avez côtoyés pendant toutes ces années ?
Sophie : Prétention, vanité, égocentrisme, élitisme, discrimination, pédanterie, culot, absence de scrupules, grenouillage, opportunisme, cynisme et mentalité martiale. J’ai eu dernièrement à entendre le discours d’un directeur de service public sans savoir qui il était mais j’ai tout de suite pensé, à la manière odieuse dont il parlait à ses collaborateurs et son vocabulaire militaire que c’était un X et, vérification faite, je ne m’étais pas trompée.
Tout le monde doit savoir que dès la prépa, ces gens – une majorité d’hommes- sont choyés, adulés, admirés, protégés et qu’on leur répète et démontre à tout bout de champs qu’ils sont l’élite de
Rien n’est trop beau pour eux qui puisent tout à fait légalement dans les caisses. Quand le nouveau siège de FT a été construit rue d’Alleray, le Directeur général de l’époque, Marcel Roulet a fait daller l’entrée du garage de marbre, s’est fait construire un superbe appartement en terrasse et une salle à manger privée avec ascenseur particulier dans un immeuble qui, à l’époque était destiné à un service privé.
Pigripi : Avez-vous été témoin de suicide pendant votre activité à FT ?
Sophie : Non, pas directement mais il y a eu un cas dans mon service. Nous avions le devoir d’embaucher des CES et surtout l’intérêt de le faire puisque ça ne nous coutait rien. Les CES étaient généralement mal vus par les petits fonctionnaires qui les considéraient comme des concurrents potentiels, surtout quand ils étaient qualifiés.
Un jour, nous avons reçu un jeune beur qui s’était mis sur son 31 pour faire bonne impression à
Pour avoir analysé des dossiers psychiatriques je sais parfaitement que, dans notre civilisation, le suicide est un projet de mort, que la plupart des gens qui font une première tentative récidivent et que dans un suicide il y a indiscutablement une part très intime et personnelle qui décide de passer à l’acte. Mais on ne saurait ignorer les facteurs déclenchant comme une mauvaise ambiance de travail, du harcèlement psychologique, la dévalorisation du travail, l’absence de reconnaissance de l’effort travail par un salaire correct et l’absence de respect de la part des hiérarchies. Nous passons une grande partie de notre vie au travail et il est légitime d’espérer y trouver toutes sortes de satisfactions matérielles et psychologiques.
Pigripi : Gardez-vous un bon souvenir de votre présence à France Télécom ?
Sophie : Non, pas du tout. J’y ai beaucoup souffert. Pour faire court, je dis toujours que c’est une sale boite. Je n’ai pas été surprise par le comportement méprisant et inhumain de Didier Lombard, l’actuel PDG a qui il a fallu une dizaine de jours avant de s’adresser au personnel et de manifester quelque compassion vis-à-vis des suicidés et de leur famille. Il n’a même pas su être poli vis-à-vis du personnel de France Télécom, l’impolitesse liée à l’&rrogance étant une caractéristique de la caste des X télécoms.
Lorsque j’y ai été embauchée, je pensais intégrer un service public et, à ma grande surprise, je me suis retrouvée dans un commerce où il n’était question que de pognon, de business plan, de management des ressources humaines et de calculs politiques. Je suis tombée de très haut.
J’ai tenu parce que j’étais privilégiée de part la nature de mon travail qui était intéressant et mon statut de cadre sup, que je bénéficiais de pas mal d’avantages en nature, que j’ai beaucoup appris en observant les hauts fonctionnaires et que j’ai eu des collègues formidables avec lesquelles j’ai gardé de belles amitiés.
J’ai aussi beaucoup appris en observant mes collègues qui, en fins stratèges se comportaient comme sur un terrain de foot en feintant, bottant en touche, déstabilisant l’adversaire et essayant l’air de rien d’obtenir les faveurs du directeur arbitre. Ils utilisaient aussi souvent un terme de billard : jouer à trois ou cinq bandes. Souvent, on les voyait le matin que pour demander à la secrétaire le planning du patron. Ainsi, ils étaient présents quand le patron était présent et absents quand le patron s’absentait. Pour obtenir ces renseignements ils n’hésitaient pas à charmer la secrétaire, lui offrir de petits cadeaux et l’inviter au restaurant. Ils stationnaient dans son dos tandis qu’elle rédigeait des courriers ou tapait des notes, tout en lui faisant la conversation, histoire d’espionner l’activité du directeur afin de se rendre indispensables pour pouvoir obtenir de gros budgets et un coup de pouce pour occuper une position plus prestigieuse.
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