L’abolition : après mûre réflexion...
J’avais à peine 8 ans quand a été abolie la peine de mort en France. Cependant, bien des années après, je faisais encore partie de ces Français, longtemps majoritaires, qui étaient favorables à son rétablissement et qui ne comprenaient pas cette obstination qui avait mené ce Robert Badinter à tout mettre en oeuvre pour l’abolir.
Pour moi, le meurtrier d’un enfant ou d’une personne âgée, l’assassin sans scrupule d’un innocent, celui qui se rendait coupable d’un crime atroce, ne pouvait s’en tirer sans que sa tête ne roule à terre après le passage de la lame aiguisée de la guillotine. Je ne pouvais imaginer que cet être ignoble allait passer quelques années en prison pour en sortir un jour et respirer à l’air libre l’oxygène qu’il avait à tout jamais ôté des poumons de sa victime.
Comment, en effet, avoir de la compassion pour celui qui peut tuer de ses propres mains un enfant et anéantir la vie d’une famille ? Quelles peuvent bien être les circonstances atténuantes qui vont venir à son secours ? Toutes les explications du monde, tous les discours portant sur son enfance malheureuse, sa vie tragique et sa grande faiblesse psychologique n’y peuvent rien : il ne mérite nul apitoiement et seule une sentence implacable sera de nature à rendre justice.
A bien réfléchir, si je devais connaître le malheur de tenir à ma merci l’auteur d’un crime odieux à l’encontre d’une personne que j’aime, je pense que j’appliquerai sans nul doute la loi du talion.
Mais cette attitude, toute personnelle qu’elle soit, n’illustre plus ce que je pense de la peine de mort en tant que sanction ultime de notre code pénal. Je distingue la loi du talion de la peine de mort. En tant qu’individu, je défends la loi du talion. Comme citoyen, je prônerais, si elle existait encore, l’abolition de la peine capitale.
A ce moment de mon billet, je dois rendre un hommage appuyé à Messieurs Badinter et Mitterrand qui ont défendu cette abolition alors qu’une très grande majorité de Français y étaient opposés. Il en fallait du courage politique pour défendre cette position et aller au bout de cette conviction. J’ai assez souvent stigmatisé les prises de position et les choix politiques de François Mitterrand pour pouvoir ici lui reconnaître cette qualité d’avoir été, en certaines grandes occasions, un vrai grand chef d’Etat...Et l’abolition fut l’une de ces grandes occasions.
Cela fait quelques années maintenant que ma conviction en ce domaine, a évolué. Depuis mes 8 ans, j’ai pu réfléchir à ce problème. Si durant de nombreuses années, je l’écrivais plus haut, je suis resté convaincu de la nécessité de cette peine, j’ai évolué en plusieurs étapes pour en arriver aujourd’hui à croire que son abolition est consubstantielle à l’idée même que nous pouvons nous faire de la Justice et de l’Etat de Droit.
D’une part, il a été prouvé, sans discussion possible, que la peine de mort n’a jamais été un rampart contre les crimes odieux : elle n’est pas dissuasive. Voilà déjà l’argument le plus fort en faveur de son maintien qui ne tient plus. En effet, si elle était dissuasive, nous pourrions être tentés de penser qu’il vaut mieux la conserver dans l’arsenal judiciaire et l’appliquer de temps à autre pour l’exemple.
D’autre part, certaines erreurs commises par l’institution judiciaire sont ici sans appel. Un condamné à mort, une fois que sa tête aura été coupée, n’aura plus jamais l’occasion d’être réhabilité si jamais sa culpabilité venait à être remise en cause par de nouveaux éléments de l’enquête. On peut toujours remettre en liberté un homme 20 ans après son incarcération (malgré tout ce qui ne lui sera jamais rendu), mais on ne recollera jamais une tête sur un corps sans vie...
Enfin, et c’est le coeur même de ce qui est ma réflexion, une société démocratique basée sur l’Etat de Droit, au sens propre et philosophique de ce que signifie cette expression, ne peut, selon moi, condamner à mort une personne pour quelque crime odieux et abominable que ce soit. Tuer un homme n’est pas la solution et revient à ajouter du sang au sang déjà versé. Ce sang qui viendra couler au pied du bourreau ne sera jamais que le sang d’un homme ; or, notre société en déclarant le caractère sacré de la vie, ne peut vouloir verser ce sang. Il en va de la nature même de notre société.
Alors bien sûr, on me rétorquera qu’à défaut d’être dissuasif, la grande qualité de la peine de mort est de régler définitivement le sort d’une personne qui ne mérite plus de vivre au sein de notre société parce que trop dangereux pour elle. En ce cas, évidemment, je suis pour l’incompressibilité de la réclusion à perpétuité. Il n’est pas admissible que notre société condamne à mort ; il n’est pas non plus admissible qu’un certain laxisme permette à des assassins de sortir de prison après une peine de 30 ans. Je n’admets pas qu’un homme de 25 ans ayant violé et tué un enfant puisse sortir un jour de prison et reprenne une vie normale à la cinquantaine.
Evidemment que les conditions d’enfermement n’auront pas été faciles tous les jours pour cet homme...il ne manquerait plus que ça...Evidemment que rester enfermé de l’âge de 25 ans à l’âge de 55 ans ne doit pas être une sinécure...Il ne manquerait plus que ça...Evidemment que cet homme a pu réfléchir à ce qu’il a fait, qu’il a peut être guéri des troubles psychologiques qui l’ont amené à commettre l’irréparable...Mais quoi ? Faudrait-il lui donner une seconde chance ?
Mon opposition à la seconde chance dans ces cas-là est tellement proche de mon opposition à l’abolition que j’éviterai d’être catégorique. Mais, j’ai la faiblesse de croire que si notre société ne peut donner la mort, elle se doit d’être intraitable dans certaines situations. La perpétuité doit être réelle et le condamné doit purger jusqu’à la fin de ses jours cette peine entre quatre murs. Cette position heurtera sans doute celles et ceux qui croient profondément à la rédemption ou encore à la guérison sincère de ceux qui se sont rendus coupables. Un homme peut-il changer ? Oui, sans doute... Mais faut-il pardonner ? La question demeure ouverte...
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