Le mariage pour tous, un projet de Loi constitutionnel ?
Beaucoup de juristes s’interrogent sur la constitutionnalité de la Loi ouvrant le mariage et l’adoption d’enfants aux couples du même sexe.
Les principaux griefs fais à cette Loi sont l’inconstitutionnalité de la Loi en raison de la violation par le législateur d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République ou de principes à valeur constitutionnelle, qui réserveraient l’institution du mariage et de la filiation aux couples hétérosexuels.
- Le mariage hétérosexuel : l’impossible principe fondamental reconnu par les lois de la Républiques
- Définition des PFRLR
Ce que nous, juristes, appelons « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », constituent un certain nombre de principes dégagés par le juge constitutionnel et qui remplissent des conditions particulières. Ces conditions ont été dégagées par le Conseil constitutionnel (CC, 20 juillet 1988 et du 4 juillet 1989) :
- d’abord, pour qu’un principe soit reconnu comme étant un PFRLR, il doit être tiré d’une législation républicaine antérieure à 1946, c'est-à-dire une législation adoptée sous un régime républicain antérieure à la IVe République, donc soit sous la Ière République, soit sous la IIème République ou soit sous la IIIe République (le plus fréquemment).
- ensuite, les principes fondamentaux reconnus par les lois de République doivent être d’application constante et ne jamais avoir été contestés par des Lois postérieures. La doctrine s’accorde à dire que les Lois concernées doivent être elles aussi républicaines (ce qui exclu, en fait, les textes adoptés durant le régime de Vichy)
- enfin, le principe doit revêtir d’un caractère suffisamment général et non contingent (CC, 20 juillet 1993 "Réforme du Code de la nationalité").
- Le mariage hétérosexuel n’est pas un principe fondamental reconnus par les lois de la République
Sur ce point, nous ne discuterons pas longtemps. L’ouverture du mariage homosexuel ne peut pas être censurée au motif que cette dernière contreviendrait à un PFRLR.
En effet, si l’on applique au principe selon lequel le mariage serait réservé aux couples hétérosexuels, les critères posés par le Conseil constitutionnel, le mariage hétérosexuel contrevient à un critère majeur du PFRLR, celui relatif à une adoption parlementaire sous un régime républicain. Effectivement, le mariage tel qu’il est aujourd’hui défini dans le Code civil (plus pour longtemps d’ailleurs) date de 1804. Cette législation a donc été prise sous un régime impérial.
- Le mariage hétérosexuel : l’improbable principe à valeur constitutionnelle
Il arrive au Conseil constitutionnel de dégager des principes ayant valeur constitutionnelle sur le fondement d’aucun texte. Ce sont par exemple les principes de protection de la dignité de la personne humaine (CC, 27/07/1994, Loi relative au respect du corps humain…), les principes de continuités de l’Etat et du service public, le respect de la vie privée, le principe d’intelligibilité de la Loi.
Sur le mariage homosexuel, union civil et juridique entre deux personnes du même sexe, il est improbable que le juge constitutionnel considère qu’un principe selon lequel le mariage est réservé aux couples hétérosexuels, s’oppose à ce que la Loi soit promulguée.
D’autant plus que sur la simple question du mariage entre personnes du même sexe, le Conseil constitutionnel a rendu une décision claire en 2010 (CC, Décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2010) : il ne s’estime pas compétent pour définir ce qu’est le mariage, c’est au législateur de le faire, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés à l’art. 34 de la Constitution, de fixer les règles concernant « les obligations civiles ». Dans ce domaine, il laisse au législateur un pouvoir général d’appréciation discrétionnaire ; (« Que l'article 61-1 de la Constitution, à l'instar de l'article 61, ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; que cet article lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit »).
- L’adoption par les couples homosexuels : cause d’une possible censure partielle
Néanmoins, sur l’adoption plénière par les couples homosexuels, le Conseil constitutionnel peut avoir un raisonnement moins conciliant.
Pour écarter l’adoption plénière par les couples homosexuels, il pourrait se fonder sur le principe de clarté et d’intelligibilité de la Loi.
Le principe de clarté qui découle de l'article 34 de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent, d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques (CC, 2001-455 de 2002). Or, pour nombreux opposant au texte, le projet de Loi prévoit que les enfants adoptés par des couples homosexuels voient leurs actes de naissance modifiée. En effet, les enfants « sont nés » de deux pères X et Y ou de deux mères X et Y. Et pourtant, selon un article du code civil non modifié, les enfants doivent avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère (art. 310 du Code civil).
Effectivement, Il me semble que le législateur ait commis une erreur de composition. Il suffit au législateuride remplacer les termes « père et mère » par « deux parents » dans l’art. 310 du Code.
Par ailleurs, certains juristes estiment que selon ce même principe, le législateur devrait respecter la vérité biologique. En effet, le législateur ne peut méconnaitre les vérités scientifiques. Cette dernière deviendrait, par là même, inintelligible.
Par exemple, si cette dernière affirme qu’entre 12h et 14h, il fait nuit, et que durant la nuit, il n’est pas possible d’accéder à un service public X. Le citoyen peut être déstabilisé et tenté de ne pas respecter cette règle, puisqu’en réalité, il ne fait pas nuit entre 12h et 14h.
Pour les opposants au projet, un enfant adopté par deux parents de même sexe, ne peut pas être « né de » ces deux parents homosexuels puisque biologiquement, deux hommes ou deux femmes ne peuvent procrées seuls. Les enfants sont issus d’un homme et d’une femme.
Selon moi, le juge constitutionnel peut tout à fait souligner cette incohérence. Néanmoins, il peut estimer que cette incohérence est justifiée par des motifs d’intérêt général. En effet, cette formule « né de » utilisée par le législateur a vocation à rester « administrative » et à permettre aux deux parents homosexuels d’exercer les mêmes pouvoirs vis-à-vis de l’enfant que ceux qu’exercent des parents hétérosexuels sur leurs enfants biologiques.
D’autre part, le raisonnement présenté par les opposants au projet manque de cohérence pour différentes raisons. L’enfant adopté par un couple hétérosexuel est confronté à la même incohérence invoquée, puisqu’administrativement il est né « d’un père et d’une mère » qui ne lui ont pas donné naissance en réalité, qui ne lui ont pas transmis des gênes.
En effet, la filiation civile est une construction juridique qui ne reflète pas toujours la réalité biologique (et ce, depuis longtemps). Les règles juridiques de la filiation n’ont pas vocation à modifier les règles de la nature, elles constatent un état de fait à un moment X et une situation familiale.
En résumé, je ne pense pas que le Conseil constitutionnel s'oppose, dans leurs principes, aux mariages homosexuels et à l'adoption plénière par les couples homosexuels. S'il le faisait, il prendrait là une attitude nouvelle.
28 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON