Qui veut la peau du CNRS ?
Premier organisme de recherche français par le nombre de chercheurs et d’ingénieurs et techniciens, le CNRS est de nouveau aujourd’hui la cible de très nombreuses attaques. Celles-ci ne visent plus seulement à le déstabiliser, mais tout simplement à le faire disparaître du paysage de la recherche. Analyse des causes, conséquences et dissensions qui risquent de conduire à l’affaiblissement durable du système de recherche scientifique en France.
Le président de la République l’avait annoncé : la remise en cause du dispositif de recherche français est en route [1]. Elle avancerait même à grande vitesse, dans l’ambiance feutrée de bureaux ministériels. Au centre du projet, la remise en valeur des universités, et leur promotion ultra rapide au niveau du nec plus ultra de la recherche en France. Si l’on peut qu’apprécier de voir les universités jouer un plus grand rôle dans le dispositif de recherche, la disparition du CNRS et de l’Inserm pourrait conduire à l’effet inverse des buts affichés, à savoir l’affaiblissement de la recherche en France.
Le CNRS, opérateur de
recherche majeur
Avant d’analyser les causes qui ont conduit à cette situation, rappelons simplement que la recherche en France était portée jusqu’à présent par les universités et par les organismes de recherche, tel l’Inserm, l’Inra ou le CNRS, chaque institut ayant des missions différentes [2]. Le CNRS, avec plus de 25 000 membres, dont plus de 11 000 chercheurs, reste le premier organisme français de recherche, et l’un des tout premiers organismes européens. Ce rang ne reflète pas seulement le nombre de ses membres, mais également la qualité du travail qui y est fait.
Une des premières missions du CNRS est de produire des connaissances et de les diffuser. Il le fait au travers d’articles dans des revues scientifiques, appelés publications. Une étude bibliographique assez récente montrait que le CNRS publiait à lui seul presque 70 % des articles français dans les domaines fondamentaux que sont la physique, la chimie, la biologie, les sciences pour l’ingénieur, les sciences de l’univers. Le CNRS publie en physique autant que l’ensemble des chercheurs britanniques réunis, et 15 % de l’ensemble des publications européennes en chimie sont le fait de laboratoires CNRS, proportions qui s’établit juste au-dessus de 10 %, toutes disciplines confondue [3]. L’impact moyen des publications, un facteur lié à la qualité de la revue que l’on estime refléter l’intérêt scientifique de la publication du CNRS (en d’autres termes un article dans Le Figaro vaut plus qu’un article dans un magazine « people ») est supérieur à l’impact moyen européen dans les domaines de la biologie, fondamentale et appliquée, et de l’écologie. Il est comparable à celui de nos compétiteurs britanniques et allemands dans le domaine des sciences pour l’ingénieur, ou de la chimie [3].
Que reproche-t-on au
CNRS
Les reproches objectifs que l’on peut faire au CNRS sont multiples. L’organisme souffre sans aucun doute du poids de son administration, sorte de « lobby d’intouchables », constitué le plus souvent de non-scientifiques qui pensent pour une part non négligeable que tout irait mieux dans cet organisme sans les chercheurs ! Il souffre aussi de son organisation des thématiques, groupées pour l’examen de l’activité des laboratoires et chercheurs au sein de sections. Cette organisation, extrêmement rigide, conduit à favoriser le développement d’axes de recherches bien identifiés, au détriment de recherches interdisciplinaires prometteuses, mais aux contours plus flous. On peut aussi reprocher une certaine passivité du CNRS vis-à-vis des profiteurs du système, les chercheurs qui ne publient pas ou qui bénéficient de placards dorés. Ceux qui connaissent bien cet organisme savent que la proportion de ces individus est très faible (autour de 0,5 % des chercheurs environ) surtout dans un environnement où il n’existe aucune « carotte ». Enfin dernier reproche, la taille de l’organisme le rend ingouvernable. Cet argument, qui ressemble à un propos d’après boire (Renault, Peugeot, tous les grands groupes industriels seraient alors aussi ingouvernables !) n’est pas récent. Georges Pompidou l’avait déjà évoqué dans les années 70 : « [le CNRS] est un énorme organisme ingouvernable, une juxtaposition de coteries ».
Alors quels sont les « véritables » reproches faits à cet organisme, ceux qui pèseront lors de la décision. Ceux-ci sont multiples et s’inscrivent dans le courant de pensée dit libéral. Certains d’entre eux sont aussi très anciens. Citons le même Georges Pompidou, qui disait du CNRS qu’il est « ... un rassemblement de chercheurs fonctionnarisés installés dans leur fromage jusqu’à la retraite, sans autre souci que de s’adonner à leurs marottes, qu’elles débouchent ou non sur des découvertes... Ces gens-là dépensent de l’argent public sans aucun scrupule ». Les connaisseurs du système admettront que ce n’est pas la façon dont le CNRS fonctionne ni celle dont ses personnels sont évalués à tous les niveaux, et dans presque toutes les phases de leurs activités [2]. Ils sauront aussi que ces attaques ciblent parfois toute la recherche française, et qu’elles sont incessantes, relayées régulièrement dans des journaux comme La Recherche [4], Le Monde [5], Capital [6], ou Les Echos [7] avec des chiffres souvent erronés et des présentations trompeuses.
Derrière la charge, on distingue cependant un deuxième argument : une bonne partie des recherches faites par le CNRS n’est pas finalisée, entendez par là qu’elles ne rapportent rien en termes financier. Parmi ces recherches souvent qualifiées d’« improductives », on trouvera une part non négligeable des travaux des sciences humaines et sociales, ou de certains branches des sciences biologiques ou physiques, telles la sociologie, la paléontologie, l’anthropologie, l’ethnologie, l’exobiologie, etc. C’est oublier que le nombre totaux des brevets CNRS a été multiplié par 3 en 10 ans (période 1992/2002) et que l’Inpi (Institut national de la protection industrielle) a classé en 2004 le CNRS en 6e position des « entreprises » déposant les plus de brevets [8], devant le CEA et l’IFP, alors même que le dépôt de brevet n’est pas une mission première du CNRS !
Semble aussi remis en cause le fonctionnement collégial et partiellement « autogéré » du CNRS, avec des systèmes d’évaluation internes (les premiers à avoir fonctionné dans des organismes de recherches), à la fois paritaire et ouvert sur le monde extérieur, incluant des représentant du personnel, des universitaires, des membres d’autres instituts de recherches, bref nombre de personnalités extérieures au CNRS.
Enfin dernier point, incontournable, le bilan financier. Comme tout organisme de recherche, le CNRS est un centre de dépense. On constate que des doublons existent avec d’autres organismes (Inserm, universités, IRA, IRD) et qu’il est donc simple de faire des économies d’échelle en supprimant tous ces doublons. On peut donc en toute légitimité (financière) fusionner les sciences du vivant du CNRS avec l’Inserm et l’Inra, les sciences physiques avec le CEA, etc. Il suffit d’oublier que les logiques et les rôles des organismes divergent.
Qui sont les acteurs,
qui sont les commanditaires ?
Depuis des années, des politiques conservateurs appellent à la disparition du CNRS que certains considèrent toujours comme un repère de dangereux gauchistes. Parmi ces personnalités, on trouve au premier rang Nicolas Sarkozy. Un fin connaisseur de la situation, le biologiste A. Trautmann, fondateur de « sauvons la recherche » expliquait voilà peu : « [Nicolas Sarkozy] ne supporte pas que les chercheurs aient une trop grande indépendance de pensée et d’organisation. Une structure comme le CNRS y était favorable, il a donc décidé de la casser. La suppression du CNRS est dans les cartons de Nicolas Sarkozy. Il l’a annoncé ».
On trouve derrière le président ses collaborateurs, F. Fillion et V. Pecresse chargés d’organiser l’opération. Comment s’y prennent-ils ? En ôtant au CNRS ses moyens de fonctionner. Ainsi, l’évaluation des chercheurs et unités du CNRS a-t-elle été retirée au CNRS et transférés à une « agence », l’AERES, dans une opacité certaine. La composition de l’agence regroupe uniquement des « nommés ». Les chercheurs du CNRS s’en sont émus, et on relevé dans un communiqué « qu’au mépris des principes [de transparence et de représentativité], la loi de programme [met] en place une agence d’évaluation dirigiste, entièrement constituée de nommés. Ses avis et notations concernant les unités de recherche seront d’autant moins légitimes que le dispositif ne tient aucun compte de la diversité de la communauté scientifique ». En vain ! Deuxième façon de déposséder le CNRS de ses moyens, lui ôter des crédits. Elle interdit au CNRS d’agir de façon incitative en accord avec sa prospective scientifique, incapacité qui justifie que le ministère de la Recherche se substitue à l’organisme. Cette stratégie est une stratégie de longue haleine. Dès 2004, Pierre Tambourin (directeur de Genopole, membre du conseil supérieur de la recherche et de la technologie) avait publié une tribune intitulé "La mort lente et programmée du CNRS" dans laquelle il affirmait [9] « Depuis près de quinze ans, maintenant, constatant que le CNRS et l’Inserm n’étaient plus en mesure de lancer de nouvelles politiques ambitieuses (et pour cause ! ) Le ministère de la Recherche s’est progressivement transformé en véritable agence de programmes. C’est ainsi que sont nés et se sont développés, au nom de l’intérêt général et au cours du temps [des systèmes de financement de la recherche] qui finissent par arriver, bien entendu, dans les laboratoires ou les entreprises, mais très tardivement et sur des actions parfois discutables sur le fond comme dans la forme. »
Face à ces efforts, et à cette disparition programmée, on ne peut que s’étonner de l’assourdissant silence de la direction actuelle du CNRS. La présidente, Catherine Bréchignac et le directeur général Arnold Migus, n’ont jamais répondu aux attaques dont le CNRS a été victime, laissant ce soin à quelques directeurs scientifiques courageux [7]. Ils ont également accepté la création de l’AERES. Pire, ils ont parfois alimenté la polémique. Ainsi Catherine Bréchignac déclarait elle en 2006 « Dans les sciences de la vie, je suis bien décidée à faire des choix. (...) Si on continue à faire croître le budget des sciences de la vie (...) tout le budget du CNRS ira à cette discipline (...) et ce serait une grave erreur. Avec tout l’argent que nous avons injecté dans les sciences de la vie, je trouve que le rapport qualité/prix n’est pas terrible ». Tout faux au vu des résultats des biologistes du CNRS, en rien honteux (voir plus haut). Réaction rapide de SLR : « La dénonciation publique d’une discipline scientifique - la biologie - par un responsable d’organisme qui a pour charge de la développer, est peu acceptable. Elle l’est d’autant moins qu’elle se fonderait sur une évaluation des valeurs relatives des différents champs disciplinaires, qui ne répond pas aux critères normaux d’une évaluation (transparente, collégiale, contradictoire) ». Mais le mal était fait.
Et aujourd’hui ?
Le CNRS subit donc les pires attaques de son existence, en dépit de ses résultats plus qu’honorables. Ainsi, la dernière réunion du conseil scientifique du CNRS, marquée par l’annonce du prix Nobel de physique à l’un de ses membres, le physicien Albert Fert, a vu le représentant du ministère de la Recherche demander au CNRS de différer la remise de son projet stratégique, un document que le ministère réclame aux organismes de recherche d’ailleurs ! Jacques Fossey, membre du conseil d’administration du CNRS et membre du syndicat SNCS affirme : « Par une lettre de la Direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI) au directeur général du CNRS, le ministère de la Recherche vient de faire savoir que le schéma stratégique du CNRS n’est plus d’actualité, [...] La mise à sac du CNRS continue. Après lui avoir enlevé ses moyens propres d’intervention en créant l’ANR (Agence nationale de la recherche), l’évaluation des laboratoires par la création de l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) et la gestion des UMR, le gouvernement veut l’empêcher maintenant de définir sa propre politique scientifique et placer son personnel sous l’autorité administrative des présidents d’université » [10]. Du jamais vu jusqu’a présent !
Autre groupe de pression pas fâché de l’affaiblissement du CNRS : certains présidents d’universités qui ont appelé pendant des années au rattachement du CNRS à leurs organismes avec l’idée qu’on pourrait habiller Paul en déshabillant Pierre. Tous ces présidents ne sont pas sur la même longueur d’onde heureusement. Les plus intelligents ont compris qu’un tel afflux de chercheurs serait pour le moment catastrophique pour l’université. Un d’entre eux avoue en privé qu’il ne « souhaite pas le rattachement des personnels CNRS à l’université » car dit il « cela poserait des problèmes de gestion » qu’il ne pourrait résoudre. Il ajoute « l’université n’a pas la culture CNRS ... l’évaluation y est moins transparente ». Il conclut que sa crainte principale est que « la disparition programmée du CNRS et de l’Inserm ne conduisent à l’effet inverse de buts affichés, à savoir l’affaiblissement de la recherche en France ». Néanmoins, cette disparition obéissant en grande partie à des motifs idéologiques, il y a fort à craindre que cette considération en pèsera pas bien lourd au moments des choix décisifs.
Références
[1] P. Le Hir. Nicolas Sarkozy veut de « profondes réformes » du système de recherche. Le Monde - 7 Juin 2007. Extraits : « Je mènerai à bien les profondes réformes que nous avons trop tardé à engager, comme l’autonomie de nos universités ou la rénovation des modes de financement de notre effort de recherche »
[2] http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=23790
[3] http://www.sg.cnrs.fr/ipam/publications/bibliometrie/bib2004.pdf
[4] http://recherche-en-danger.apinc.org/spip.php?article5&var_recherche=audier
[5] http://recherche-en-danger.apinc.org/spip.php?article1536
[6] http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=25508
[7] http://www.lesechos.fr/info/analyses/4617678.htm
[8] http://www.dr3.cnrs.fr/lettre/2005/lettre-43/brevets.htm
[9] http://recherche-en-danger.apinc.org/spip.php?article267
[10] http://www.sncs.fr/article.php3?id_article=1022
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