C’est pour ça qu’il est nécessaire non pas de « libérer », mais de
« réguler » positivement l’économie, afin que chacun puisse vivre
dignement du fruit de son travail. Et surtout, afin que personne ne puisse accumuler suffisamment de richesse, d’influence, etc. — pour dominer le système social, politique, et économique ainsi créé.
J’approuve totalement votre message ; il résume bien ce que je voulais dire par l’expression « les gros mangent les petits ».
Un petit entrepreneur n’a actuellement que très peu de chances de s’en sortir face au système dirigé par les gros de la finance et de l’industrie, qui mangent jusqu’à nos institutions démocratiques.
C’est pour ça qu’il est nécessaire non pas de « libérer », mais de « réguler » positivement l’économie, afin que chacun puisse vivre dignement du fruit de son travail.
Ce n’est pas tant le pouvoir qui a rongé notre système, que la corruption qui, en l’absence de réel contre-pouvoir, s’est emparée de lui et l’a conduit à en faire mauvais usage.
Je ne crois pas qu’une démocratie « libérée » puisse, en l’absence d’autorités suprêmes bienveillantes, aboutir à autre chose qu’une oligarchie — les citoyens ne sont pas moins corruptibles que leurs « élites ».
Je vous rejoint donc sur le constat, mais pas sur la solution... cordialement
Je vous répondrai en deux temps (et en essayant de faire plus court, cette fois-ci).
D’abord une question : qu’est-ce qui vous dit que je ne suis pas informaticien ? À aucun moment — sauf erreur de ma part — je n’ai évoqué ma propre vie professionnelle. Je ne suis pas écrivain. Je ne suis pas artiste. Je ne suis pas boulanger. Et je n’ai pas l’intention d’en dire davantage —
Ensuite... une question
Partant de l’hypothèse selon laquelle je serais effectivement boulanger, pourquoi faudrait-il nécessairement, pour gagner ma vie, que je me convertisse à ce domaine de l’informatique qui me serait (hypothétiquement) étranger ? Est-ce l’individu qui doit s’adapter aux besoins de l’économie, ou à l’économie de s’adapter à ceux de l’individu ? En d’autres termes : l’économie doit-elle être un outil contribuant au bonheur des hommes, ou à l’inverse, sont-ce les hommes qui doivent être les outils de cette chose non-organique — et créée par eux-mêmes — qu’est l’économie (un peu à la manière de la créature du Dr Frankenstein) ?
Vous allez me dire qu’on peut retourner la chose, encore, et dire que l’économie tourne effectivement autour de nos besoins (puisqu’elle est régulée selon la demande en matière de consommation). Sauf que dans le secteur de la banque, par exemple — ou du commerce, plus largement —, on parle de « créer le besoin » pour nourrir la bête, pour faire tourner ladite économie. Et ces besoins qu’on « crée » ne sont pas ceux, naturels, de l’homme ou de la femme ; ils sont ceux qu’éprouve la machine économique afin de s’auto-alimenter.
Les besoins réels des hommes et des femmes sont beaucoup plus simples que ceux qu’on nous vend. Il est plus important, plus fondamental pour l’épanouissement de l’individu, de permettre à ses talents réels de s’exprimer. S’il aime pétrir, qu’il puisse devenir boulanger. S’il aime écrire, qu’il puisse le faire ; ou divertir par la musique, le théâtre ou le cinéma. Et s’il aime coder, qu’il puisse coder tout son saoûl... mais qu’il ait le choix de faire quelque chose qui lui plaît, une activité dans laquelle il puisse s’épanouir.
Ce choix, de nos jours, est extrêmement limité.
La seule contrainte qui me semble légitime pour imposer à l’individu l’exercice d’un métier, c’est la pénurie de nourriture. Parce que se nourrir soi-même est un réel besoin, contrairement à celui qui consiste à nourrir la bête. Mettre l’individu au service de l’économie, et non l’inverse, me semble une négation très inquiétante de l’être — et c’est précisément à cela que conduit le libéralisme économique (cf. les suicides, « tout simplement »).
Vous défendez un point de vue singulier, l’auteur.
Je sens bien que vos intentions sont positives, au fond ; mais vous ne vous rendez pas compte de votre égoïsme.
Mon « plein aux as » était volontairement provocateur. Mais que vous le soyez réellement ou non, le problème reste le même.
C’est facile pour vous de prôner le libéralisme, l’autonomie, l’absence de contrainte et — inversement — d’assistance à l’individu. Les temps vous donnent raison, parce qu’ils vous permettent d’envisager ceci sereinement. Ce n’est pas le cas pour tout le monde.
Un vrai démocrate humaniste et noble d’intention penserait aux autres, au collectif, pas qu’à lui-même.
Vous affichez fièrement votre CV d’érudit doctorant dans une discipline qui a le vent en poupe : l’informatique. Vous n’avez pas besoin d’aide, d’assistance, parce que vous avez déjà de la chance. Il se trouve que votre passion et votre métier sont les rouages de ce qui, aujourd’hui, intéresse fortement les gens. Il y a beaucoup de travail dans ce domaine actuellement ; et probablement, pour de nombreuses années à venir. Vous êtes donc à l’abri. Que vous la jouiez freelance ou partie d’une grande entreprise omniprésente, vous trouverez toujours quelqu’un — un professionnel, riche d’allègements fiscaux et d’avantages sociaux qui le poussent à entreprendre et à faire tourner le business — qui a besoin d’un logiciel de travail spécifique, d’un réseau local à installer ou à maintenir, de machines à monter ou à entretenir, etc. — la crise, c’est pas pour vous. Les affaires marchent bien.
Ce n’est pas le cas dans tous les secteurs d’activité. L’artisan n’a pas vu sa demande augmenter pour le pain, les produits traditionnels, ou la petite distribution. En revanche il a vu le poids de la concurrence augmenter de façon drastique voire dramatique. Voire tragique, pour ceux qui se suicident « tout simplement ». Celui qui a étudié les arts souffre également : en temps de crise, les gens n’ont plus de quoi s’offrir ses œuvres — ils se contentent de l’essentiel : la bouffe, le logement, la bagnole, les impôts. Les rares artistes qui font fortune aujourd’hui, ne sont pas ceux qui contribuent à enrichir la culture, la pensée, la spiritualité de leurs pairs. Ceux qui font fortune et — plus simplement — s’en sortent sont ceux que l’industrie du disque, les éditeurs, les médias, critiques, etc. — ont décidé de soutenir et de « vendre » au public (sachant le plus souvent que l’effet produit sur les masses, va précisément dans le sens de leurs intérêts : abêtissement de la population, culte de la consommation, du sexe, des choses superficielles — tout ce qu’il faut pour détourner le citoyen des « vrais » problèmes). La seule récompense qui attende les autres pour leur sincérité et leur réelle démarche intellectuelle, c’est la précarité. L’exercice de l’art implique aujourd’hui le choix d’une vie d’abnégation et de rejet.
En vertu de quoi celui qui code un logiciel, si pratique soit-il, a-t-il droit à une vie digne et confortable, sans peur du lendemain ; cependant que l’écrivain ou le musicien méconnu en est privé ?
Est-il plus utile de produire des logiciels, que de contribuer à faire évoluer notre pensée ?
Je n’en suis pas convaincu.
Viendra un moment, l’auteur, où vous réaliserez que vous n’êtes strictement rien. Le domaine dans lequel vous excellez n’a strictement rien de fondamental. On peut se passer d’informatique. On peut se passer de cette discussion. En revanche on ne peut se passer de nourriture, qu’elle soit physique (comme le pain du boulanger) ou spirituelle (comme un livre). Les temps vous donnent raison, mais attention : ils changent constamment...
Le monde dont je rêve n’est pas un monde libéral ou dérégulé, dans lequel les gros — ceux qui ont de la chance, ceux à qui les temps donnent raison — auraient le droit de manger les petits — ceux dont les talents ne se révèlent pas à la bonne époque. Les petits doivent être protégés, et peuvent l’être sans pour autant tomber dans ce que les anglais appelaient le « nanny state », l’État providence, la grosse flemme. Il est nécessaire d’imposer à l’économie — et à la politique, plus globalement — des règles interdisant aux gros de manger les petits, pour qu’au lieu de devenir des « assistés », ceux-ci puissent développer pleinement leurs talents qui, quels qu’ils soient, seront utiles à la société. Constatez seulement le gâchis de compétences et de valeur humaine tout autour de vous, tout le temps, et osez me dire ensuite — et encore — que je débloque.
Ce n’est pas parce que j’adopte un point de vue différent du vôtre (car global, et non centré sur vous), que pour autant je dis des « conneries ».
Une dernière chose : si je partage vos inquiétudes quant à la professionnalisation de la politique, de la justice, etc. — j’aimerais là encore vous dire une chose très simple...
Le peuple qui s’auto-gère est un bel idéal ; c’était sans doute l’idée de départ quand il s’est agi de créer la « démocratie ». Mes notions d’histoire ne me permettent pas d’avoir une idée précise du nombre d’habitants que comptait la Grèce antique, par exemple ; mais je sais qu’aujourd’hui, nous ne sommes pas loin des 7 milliards d’individus sur Terre. Le fonctionnement véritablement démocratique dans lequel toutes les décisions seraient prises collectivement, par le peuple et non par ses représentants « professionnels », me paraît difficilement tenable en de telles conditions. Même en mettant de côté tous nos loisirs, notre temps libre, et même le temps de travail, nous n’en épargnerions toujours pas assez pour comprendre, appréhender, et finalement pouvoir juger, décider, résoudre tous nos problèmes.
La Lybie, le fantôme d’Ousama, le nucléaire, etc. — autant de sujets dont l’analyse n’est pas simple et requiert des compétences expertes, lesquelles ne peuvent être acquises qu’à force de pratique « professionnelle ». Sans compter que le peuple est largement abêti, de nos jours. Bercé d’illusions et de désirs superficiels ; lobotomisé, entraîné à ne plus penser. Convaincu même de n’en être plus capable... un long travail de prise de conscience « collective » (et non « personnelle ») est nécessaire, au préalable, avant que le peuple soit digne de s’auto-gérer. N’allez pas croire que ça me réjouit, mais c’est ainsi.
Dans son « retour au Meilleur des Mondes », en 1958, Aldous Huxley résume notre système ultra-libéral par cette simple phrase : « les gros mangent les petits ».
Peut-être votre situation d’éditeur doctorant plein aux as vous permet d’y croire, l’auteur ; et qui sait, peut-être même que ça vous arrange. Mais quand vous parlez de ces pauvres petits agriculteurs, dans votre article, on serait tenté d’en rire si ce n’était tragique.
Les gros mangent les petits.
Les gros sont libres de manger les petits.
Les roxxors de la grande distribution sont libres de vendre une baguette de pain 35cts, quand le petit boulanger les fait payer le double.
Je n’irai pas jusqu’à dire que tous les boulangers sont « pétris » de bonnes intentions ; mais tout de même, je doute qu’ils puissent concurrencer de tels rivaux. Le petit passe donc pour un escroc pratiquant des prix abusifs, et par conséquent, la clientèle le boude. Elle préfère s’approvisionner à l’hyper du coin, dont les tarifs sont nettement plus abordables (surtout en période de crise).
Peu leur importe la qualité du produit.
Peu leur importe la valeur humaine du pain « artisanal » (qui se fait bien rare), pour eux la machine fait tout aussi bien que l’homme.
Peu leur importent, globalement, les moyens de production de ces choses qu’ils consomment : Chine ou France, avec un salaire digne ou sous la contrainte, l’important pour eux, c’est qu’ils obtiennent le « produit ».
Ils engraissent donc encore le gros supermarché, cependant que le petit boulanger court à la ruine. Il en va de même de nos épiceries d’antan ; nos coordonniers ; nos matelassiers ; etc. — sans oublier notre pauvre petit agriculteur.
Je me fiche de savoir qui raflera le César 2012 du « meilleur éditeur doctorant ». Ce qui m’intéresse, et ce pourquoi je prends le temps d’écrire ces quelques lignes, c’est un monde dans lequel chacun aurait une chance de vivre dignement des fruits de son travail. Les petits comme les gros. Et le seul moyen qui me semble pouvoir éviter les dérives que nous connaissons actuellement, ce n’est certainement pas le libéralisme : c’est un gouvernement réellement démocratique, proche du peuple, et « sain » (pas corrompu comme le nôtre, ici comme à Bruxelles ou encore New-York).
Le pouvoir corrompt tous ceux qui s’emparent de lui ; le libéralisme donne à chacun les moyens de s’en emparer. Vous êtes, à vous lire, l’archétype de la prochaine génération d’oligarques, attendant sagement que les petits fassent leur révolution, pour ensuite les réconforter, leur faire plein de promesses, et remettre en place exactement le même système. Le pouvoir serait le même, il aurait simplement changé de mains... votre hypocrisie me donne, sincèrement, la nausée.