Le besoin de croire : est-il inhérent au doute ?
Cet essai est une réflexion épigone, qui ne demande qu’à être agrémentée...
Le besoin de croire est mieux synthétisé par le kantisme que, selon Jacques Prévert, dans le stupide pari pascalien. Le besoin de croire reste néanmoins un sentiment d'espérance de la condition humaine, surgi probablement très tôt dans notre évolution, il demeure un antidote à la violence primitive, permettant une éclosion de l’évolution sociale. Pour René Girard, le sacré n’est que la traduction de l’abnégation de la violence mimétique endémique primitive, inhibée dans le bouc émissaire totémique. L'agneau de Dieu serait celui de notre culture judéo-chrétienne, sublimé par les symboles de l’eucharistie pour perpétuer la mémoire du Christ par un rituel liturgique d’une mímêsis romaine occidentale, qui diffère dans l’art de l’empire romain d’Orient (byzantin \ Constantinople).
L’humain évolue selon des conditions d’adaptation biophysiques issues du hasard et de la nécessité naturelle et sauvage. Apparemment, cette évolution n’obéit pas à la même notion de temps, que celle imposée par les besoins d’organisation sociétale de certaines structures idéologiques que sont les vrais communautarismes.
Selon la métapsychologie, c’est par la sublimation de nos pulsions animales, que nous transcendons peu à peu notre état sauvage. Comme l’écrit Sophie de Mijolla-Mellor : « le génie qui préside à nos choix, n’est-il pas aussi celui qui nous permet de rencontrer le plaisir dans nos activités sublimées ? »
Le contemplatif, tout en demeurant dans l’intimité et l’individualisme, par une totale abnégation, dans un état de grâce privilégié, entretient une relation intemporelle et universelle de la sublimation, ce que certains penseurs ont attribué à une communion universelle cosmique (la quintessence). Toutefois, même s’il suffit de consulter le tableau périodique des éléments pour en connaître le nombre actuel, nous savons aujourd’hui que l’univers primordial est probablement composé d’hélium et d’hydrogène. Le spirituel, par la pensée théosophique, refoule et sublime les pulsions violentes primitives. Le mystique, par la prière, refoule et sublime les pulsions empiriques liées à la "chair" (selon le terme de la théologie de St Paul dans l’épître aux romains 8-3 (1) ). Le croyant, par sa foi humaniste, sublime également ses pulsions animales. Il en va de même pour les laïcs ou les agnostiques qui, par leurs éducations dans la réflexion du doute, par les savoirs, les connaissances et humanismes, subliment également l’Homme primitif. Et encore et sans cynisme, pour reprendre une formulation à l’emporte-pièce : « les voies de Dieu sont impénétrables… »
Le danger idéologique guette toujours les croyances pour les déprécier en fanatisme déshumanisé. Aussi bien de l’intérieur, par l’idéologie intégriste de ses propres membres ou de l’extérieur, par idéologie nihiliste religieuse de groupes défendant d’autres idéaux et voulant créer un renouveau en interdisant ou en éradiquant les autres tendances idéologiques. A vrai dire, et en y réfléchissant, je ne vois pas comment on pourrait s’y prendre pour retirer à l’Homme sa liberté de croire en ce qu’il veut. Il est également dangereux pour l’humanité de laisser croire que notre seule conscience d’hédoniste individualiste moderne soit capable de gérer par la seule morale kantienne et le droit, les pulsions de violence primitive de l’homme sauvage. Cela reste viable dans une coalition pour la paix des pays modernes soutenus par une justice de droit commun, ayant les moyens de déployer des forces de l’ordre pour éventuellement faire respecter le droit. A contrario, il faut avoir à l’esprit que même si ce n’est pas la seule structure sociale possible, la croyance est probablement la matrice de l’organisation sociétale humaine, et nous en sommes consciemment ou pas les héritiers. La naissance de la croyance primitive est probablement d’origine chamanique et totémique, évoluant lentement du parricide sauvage vers l’idéal du père bienfaiteur de l’humanité. La sublimation du père s’est renforcée à travers les âges avec le sentiment de désarroi devant la violence endémique au sein de l’espèce humaine. La croyance est peut-être tout simplement générée par l’impulsion du doute devant la cruauté du règne primitif animal de l’homme.
Ce doute originel est également entretenu dans l’angoisse de notre plus petite enfance, lorsque le nourrisson pleure dans l’attente de retrouver sa confiance par le retour de la présence maternelle. Et plus tard (vers 6 mois), le doute prend ses premières applications dans un réflexe de méfiance, quand l’enfant découvre les nouveaux objets qui l’entourent. Nous avons besoin de douter pour être libre de croire, et nous laisser transporter par la confiance idéologique qui nous lie aux communautés humaines. C’est principalement pour cette raison que Freud refuse la foi religieuse, car elle instaure chez les croyants le tabou de l'interdit du doute, qui fait de la connaissance religieuse un interdit de penser à tout ce qui pourrait remettre en cause la conviction partagée par le groupe (frontière intellectuelle ou rempart de l’hérésie ou encore rempart de la foi).
Pour Kant, c’est la raison qui fonde la morale, ce n’est pas la foi. La religion n’a pas l’exclusivité de la morale ; on n’a pas besoin de croire en l’existence de Dieu, ou à celle d’une vie meilleure, pour être moral ou immoral. La morale se suffit à elle-même et c’est elle-même qui engendre le besoin religieux. Pour Kant, la religion est fondée sur la conscience du bien inhérent à la raison de tout humain. La religion de sagesse et de raison ne fait qu’éveiller l’Homme de bon sens dans sa libre volonté, afin de l’affranchir de ses instincts naturels. Même si ce raisonnement tend à faire penser que le mal est l’absence du bien, Kant considère le mal comme une entité ontologique en le qualifiant de « Mal radical ». L’idée rejoint la métaphore de la désobéissance d’Adam et du « péché originel 1 » dogmatisé par l’église.
La compréhension que nous avons du mal et du bien a souvent incité les débats chez la plupart des penseurs. Et surtout chez les judéo-chrétiens ; St Paul disait (Epître Rom. 7-19) : « je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas ». Il est d’ailleurs intéressant de constater que St Paul use de ce cynisme pour rattacher les esprits à la raison du péché originel qui vient à la ligne suivante (aux versets 20 et 21 de ce même chapitre 7). St Paul n’est pas un illuminé et la façon dont il pratique la sophistique fait de lui un habile homme politique. Il aurait été plus difficile d’écrire au peuple de l’époque : un mendiant m’a quémandé à manger et je lui ai donné ce que j’avais de meilleur dans mon garde-manger. Dans sa précipitation à dévorer ces mets appétissants de première fraîcheur, il est tombé raide mort étouffé et je n’ai pu le sauver malgré tous mes effort pour le réanimer. Dans ce scénario, pour la raison judéo-chrétienne, St Paul aurait fait le bien, mais le mal ontologique (péché originel) a frappé par fatalisme. Si malgré tout, St Paul se sentait coupable et se disait, j’aurais dû refuser de donner à manger au mendiant, il aurait quand même eu un sentiment de faire mal ; choix cornélien pour un moindre mal… Dans notre raisonnement logique moderne (cartésien), le mendiant est mort parce qu’il est mortel et parce qu’il aurait dû prendre son temps pour manger ; Paul a fait un geste humaniste pour le bien, mais Dieu ou le hasard en a voulu autrement. Après examen du PV de sa déposition, Paul suit éventuellement quelques séances de psychothérapie s’il est atteint de psychotraumatisme ; affaire classée… Par contre, s’il s’avère que le mendiant est en fait un homme honorable qui souffrait d’une amnésie et que sa famille le recherchait depuis une semaine, dans ce cas et hors d’éventuelles poursuites en procédure civile ou pénale, Paul sera mis en cause à hauteur de 50%, par la responsabilité civile de l’assureur du "mendiant", pour que son assurance participe à l’indemnisation du préjudice subi par la famille du soi-disant mendiant …etc. …etc. Voyez-vous, rien que dans cet exemple, les facettes possibles que peut prendre une situation d’accident ? Où est le bien, où est le mal dans tout cela ? La loi de Dieu, la loi des hommes, celle de Jacques ou encore de Paul ; tout cela n’est que rhétorique et littérature ! Seul compte le droit positif en adéquation avec la vie sociale du moment. Le droit est un élément vivant qui se doit de répondre à la sécurité et protection des biens matériels et immatériels des personnes en évoluant dans les bonnes mœurs sociétales et savoirs du moment ; point n’est besoin de droit et de loi dans le règne animal sauvage…
Si nous partons du principe cartésien du : « je pense, donc je suis », il en va d’une conscience raisonnée qui se met au principe d’un besoin ordonné inhérent à la raison d’être de la morale. La raison n’est, à mon sens, qu’une prise de conscience éducative des repères socio-culturels et de ses axiomes établis par l’organisation communautaire humaine (sociologie). La pensée subjective, par l’éducation et la connaissance, engendre la raison, et la raison la prise de conscience de l’application de raison. S’il y a discordance entre la raison et la prise de conscience de son application, c’est que cette raison est biaisée par des éléments immatériels ou subjectifs. La raison ne peut être que réelle dans la confirmation par la prise de conscience de son application dans une dimension matérielle. De cela, la pensée cartésienne pose les règles de la méthode scientifique moderne et de l’autocontrôle de vérification matérielle de la raison. Donc, quand nous pensons que nous disposons de toutes les variables et éléments pour rationaliser, nous doutons tant que la reproductibilité de l’action logique n’est pas avérée, matérialisée et contrôlée. Toutefois, cet aspect de la raison reste concis dans le domaine scientifique et des sciences exactes théoriques, mais devient plus abstrait dans la physique relative dont les valeurs ouvrent inéluctablement une autre porte de la raison dont la réflexion irait au-delà de la matière sensible, rendant possible l’accès métaphysique à la raison ou plutôt, à l’entendement. Alors, sans vouloir user de dialectique, mais juste pour interpeller sur le sujet : « Si la raison rationalise avec la conscience, l’entendement ne rationalise pas, mais il apprend dans la contemplation d’une autre dimension ».
La raison peut être biaisée par nos sens ou par notre éducation sociétale et créer des discordances avec la rationalité, traduisant la difficulté de prise de conscience de l’inadéquation de celle-ci au réel. Sans parler de schizophrénie, mais plutôt de déraisons liées à des névroses et disfonctionnements identitaires humains qui sont peut-être à craindre, la psychanalyse éclairera peut-être mieux ces phénomènes ultérieurement. Certains intellectuels mystiques comme Martin Luther blâmaient la raison en la traitant de : « belle putain et fiancée du diable ! » « Il n'existe sur Terre, parmi tous les périls, rien de plus dangereux qu'une raison adroite et bien pourvue, surtout si elle s'occupe de questions spirituelles qui touchent à l'âme et à Dieu ». Les mystiques mènent un combat sans répit pour l’obtention de la grâce et pour la pensée de la raison pure. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que certains humains perturbés et errants dans la déraison, assouvissent leurs actes compulsionnels au détriment de victimes, et cela même si leur raison connaît les interdits de la loi et les peines juridiques encourues. Devant les dérèglements psychiatriques, on comprend mieux la réticence de certains penseurs envers les droits naturels et du bien inhérent à l’humain.
Pour revenir à Kant : le paradoxe kantien est que par ailleurs, il n’aborde que très peu le droit naturel, il le place sous le signe de la raison et souhaiterait le reformuler comme un droit universel de la raison où tous les hommes se reconnaissent ; ce qui revient un peu au même… Contrairement au droit positif, où Kant se sent plus à l’aise avec le devoir citoyen pour le respect communautaire des règles établies. Sans être aussi catégorique que Stendhal, mais moins humaniste que Rousseau, le concept des droits naturels aristotélicien est en conflit avec la pensée kantienne. Dans son esprit de table rase (à la Descartes), Kant s’oppose à l’empirisme et donc inévitablement à l’idée que l’Homme colporterait en lui l’origine du droit fondamental universel. Kant évite, et à juste titre, cette impasse du droit, dont l’appréciation diffère selon les cultures et civilisations, ainsi qu’à travers les millénaires d’évolution humaine. Cette notion subjective de la loi de Dieu, des droits naturels ou de droit fondamental ou encore universel, sera reprise par l’abbé Sieyès dans les droits de l’Homme aux articles 2 et 4 des 17 articles qui furent retenus par la commission parlementaire pour la : « Déclaration solennelle, des droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme ». Si, pour notre civilisation judéo-chrétienne, il s’agit de formuler le grand axe du droit naturel par : « ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse », il en va tout autrement pour les autres communautés humaines des civilisations de l'antiquité et de la protohistoire, dont les cultures et mœurs diffèrent considérablement des nôtres ; sauf pour l’aptitude à la croyance.
L’idéologie prend ses racines dans l’autosuffisance d’une croyance sans impliquer la notion de doute. Cette croyance peut également très bien être une idéologie mécréante ou athée. Rappelons que, pour la pensée scientifique, l’absence de preuve ne constitue pas une preuve ; cela reste un ou des indices et non une certitude : « Les données négatives ne constituent, par principe, que des indices ». L’idéologie est entretenue par un groupe qui se complaît cognitivement dans un même schème de pensée, cette action est perpétuée sociétalement par la mémétique. Socialement, de nos jours il est plus facile d’être enfant d’artiste notoire qu’enfant de politique ; les différentes tentatives d’enfants d’homme politique aux responsabilités d’Etat sont systématiquement déclinées en népotisme (ou droit du sang). Populairement, il est mieux admis qu’un fils d’artiste monte sur les planches, qu’à un fils de politique d’entrer dans la scène du pouvoir. On remarquera que l’on observe rarement un enfant d’une personnalité de droite se positionner à gauche et inversement ; globalement, c’est sensiblement similaire sur les autres théâtres sociologiques… L’idéologie se cristallise souvent en des convictions sans avoir une réelle connaissance des résultats physiques. A ce titre, elle relève de la croyance primitive et n’obéit pas à un raisonnement agnostique de la méthode scientifique. Il est donc clair que nous croyons plus que ce que nous raisonnons, tout en nous autopersuadant que nous ne sommes pas croyant… Ceci parce que nous sommes dans une démocratie laïque à forte tendance hédoniste nihiliste, dont le travail médiatique et culturel a posé ses axiomes. Il en aurait été tout autrement, si nous vivions à l’époque de René Descartes ; c’est ce qui explique en partie, que le père de la pensée moderne scientifique était croyant. Croire, c’est accorder du crédit à un objet dont la réalité est hypothétique ; donc, c’est une liberté. Si la réalité de cet objet était démontrée, nous ne serions plus libres d’y croire, car cela deviendrait une réalité pour tous. Nous avons besoin de croire pour ne pas nous en tenir à ce qui existe, pour voir au-delà des limites de ce qui est su et démontré. Croire, c’est croire en une possibilité ou espérer à une autre possibilité que la réalité avérée. Dans un régime totalitaire, on peut contraindre à réciter des prières ou à idolâtrer des objets, à adopter des coutumes et rituels, mais on ne peut jamais réellement contraindre à croire. Seul l’homme libre peut croire ou ne pas croire ; nonobstant, il croit pour se sentir libre. Le marxisme a également échoué dans sa seule vision des religions anesthésiantes. Tout comme l’homme libre peut croire, l’homme qui est contraint à ne croire en rien ne se sent pas totalement libre de son intimité. Ce qui, et à juste titre, développera un sentiment de persécution, ainsi qu’un sentiment renforcé de théorie du complot.
Celui qui croit à la possibilité d’une forme de vie éternelle au mérite, se projettera malgré le doute dans l’effort pour devenir meilleur et rendre le monde meilleur. Ce qui est probablement moins évident, pour celui qui est persuadé d’avoir la vie éternelle. Et sans trop m’attarder sur celles et ceux qui sont persuadés que nous n’avons qu’une seule vie. Oui ! Mais laquelle, celle qui nous est offerte d’être nés au bon endroit et au bon moment ? Je suis d’accord, car j’en jouis également… Certaines options d’appréciation de la raison nous conduisent inéluctablement à un manque empathique. Nous avons besoin de savoir, de connaître et de croire, mais à la condition de savoir que croire n’est pas une connaissance. Croire, c’est aussi se projeter au-delà des choses visibles et par le génie trouver comment modeler dans la réalité ce que nous sublimons. Pour Kant, il nous faut être libres pour accomplir la loi morale et devenir ainsi dignes d'obtenir l’état de grâce.
Une forme plus chrétienne est la notion de foi (fides), qui signifie faire confiance ; une autre formulation d’appartenance à un groupe précis du christianisme est formulée par la confession de foi communautaire. Pour d’autres religions, on observe toujours un rituel d’intronisation avec un principe général de foi, mais sans besoin d’égrener les filioque dogmatiques. Le fait de ne pas dogmatiser sur le sujet ne valorise pas plus les autres religions, mais démontre qu’elles ont préféré ne pas reformuler le principe théologique du monothéisme « Il n'y a pas de dieu en dehors de Dieu ». C’est notre culture romaine qui pousse à légiférer sur tous les sujets pour les synthétiser et les figer dans le temps historique (que cela soit écrit). Il faut cependant être prudent, car la théologie nous laisse également croire que la foi est un don de Dieu. Toutefois, il est difficile de croire que la foi soit distribuée d’une façon hasardeuse, car de nos jours, on observe peu d’incrédules devenir chrétiens, mais bien au contraire les églises sont désertées ; la foi (confiance) s’érode, mais elle reste intrinsèquement liée à la croyance. La foi chrétienne moderne, par économie du sacerdoce et des contraintes sociétales, a plutôt accéléré une tendance individualiste de confiance directement liée au message du Christ, se dépouillant encore plus du rituel ecclésiastique ; peut-être que cela s’inscrit dans une variable de la théologie déjà engagée par Martin Luther. Il faut également être prudent avec des tendances qui ne sont pas canalisées et peuvent donner lieu à des dérives de la compréhension de la foi, récupérées par des manipulateurs de consciences. Certaines dérives ont même fait bonne figure dans d’autres temps, comme les fol-en-Christ, les stylites ou certains pères du désert qui proclamaient préférer le Christ à la vérité, dans l’unique but de démontrer la divine puissance de la foi et l’amour inconditionnel pour le Christ. Toutefois, la vérité est la seule adéquation de la réalité ou des réalités successives vérifiées dans l’espace-temps. Par ailleurs, dire préférer le Christ à la vérité, découle plus d’idolâtrie gratuite que d’élève appliqué. Si le Christ est la Vérité (le logos, celui qui fait voir), nul besoin de dire le préférer à celle-ci, sauf si ce n’est pour tromper l’esprit, afin d’acculer les récalcitrants démons du doute…
Le doute dans l’ambivalence est bien celui qui va nous permettre de pouvoir encore croire tout en nous maintenant à distance des dérives de la conviction. Le doute est plus dynamisant que la foi, car il nous projette dans un esprit scientifique tout en conservant nos croyances et en nous préservant de toute conviction idéologique : « je doute, donc je peux croire ». Appliquer le principe du doute cartésien à tout n’inhibe pas les croyances, mais les canalise et maintient notre esprit dans un équilibre d’exploration permanente. Cependant, il faut aussi dire que si le doute permet d’ouvrir une porte sur la croyance, il permet de la refermer également. Le doute, s’il n’est pas tabou ou diabolisé, permet à la raison d’explorer librement plusieurs croyances et différents thèmes. Cela pourrait être une des raisons qui ont poussé les organisations sociétales primitives à chérir la foi et à diaboliser le doute trop compliqué à gérer ; car si la raison pratique ouvre aux vertus morales, elle peut également suivre les pulsions de l’immoralité. Le doute engendre la possible croyance qui appelle à l’analyse de raison d’où émerge la curiosité positive scientifique, qui correspond au désir de connaissance. Ceci met le doute sur un même piédestal que la croyance ; pour qu’il y ait croyance ou confiance ou foi (adhésion possible de l’esprit à une théorie incompréhensible ou à un objet inconnu), il faut que le doute soit à l’origine. Pourtant on aurait tendance à nous apprendre le contraire, en nous disant qu’il ne faut pas trop douter, se poser trop de questions ou se triturer les méninges... De nos jours (je n’aime pas cette expression de temps), le fait de ressentir encore le besoin d’adhérer à une croyance religieuse ou à une quelconque croyance idéologique, prouve ce besoin de réconfort social pour satisfaire le vide laissé par le doute. Le doute est une sorte de substrat de la croyance et un garde-fou de celle-ci, pour en éviter la dérive en conviction (irréversible). La croyance sans le doute est un axiome posé par l’ordre social, qui dérive inéluctablement vers la croyance névrotique absolue aboutissant à un retour de la violence primitive, inhibant même notre instinct de survie. L’équilibre des deux est important et par déduction, le doute fait partie de la conscience coordonnée et doit bien être au principe du besoin de croire. Pour reprendre Pascal et rendre hommage à la subtilité de la pensée pascalienne, le pari prend sa valeur dans le doute qui entrouvre la porte à la possible croyance, mais ce doute peut s’inhiber en se cristallisant dans une unique croyance ; d’où émergeront des certitudes limitant le raisonnement aux seuls objets dont la connaissance individuelle dispose pour se projeter dans le réel.
Dans un processus psychosocial et dans les limites de la compréhension individuelle, le doute peut également adhérer par procuration aux intellectualismes sociaux et donner sa confiance (la foi). Si le sujet s’en remet par procuration à la connaissance culturelle ou scientifique des experts du moment, dans un scénario où les découvertes probables ne suivraient pas les schèmes habituels, la pensée se renferme et se replie dans le paradigme des limites des savoirs avérés et reproductibles, laissant entre parenthèses des faits non-reproductibles (variable de l’agnosticisme). Les professionnels de la communication ont saisi cette prédisposition de notre croyance qui reste ouverte, quand le doute s’en remet aux vérités par procuration. Les marchands du XXI° siècle savent que nous faisons confiance aux scientifiques, donc ils intègrent dans leur marketing la notion du « scientifiquement prouvé », pour vendre des produits qui ne sont même pas soumis à de réels essais randomisés. La communication journalistique et la politique usent également des courants psychosociaux ; une revue scientifique mettra en avant un scientifique (à la retraite), faisant partie d’un célèbre centre scientifique pour soutenir le bienfait d’un certain OGM ou d’un produit alimentaire distribué. Une pseudoscience de la santé distribuera ses potions par l’exclusivité des pharmacies pour donner du crédit à l’effet thérapeutique escompté. Et les politiques nous évoqueront du « politiquement correct », comme s’il était possible (médiatiquement parlant), que l’incorrect existe au sein d’une même famille politique (vanitas vanitatum omnia vanitas …).
Donc, si nous avons avantage à croire pour nous permettre de nous sublimer aux seuls éléments matériels existants, c’est surtout dans le doute que naîtra la réflexion de l’incertitude et du : « c’est peut-être possible ! » ; sans pour autant laisser à la croyance, qu’elle soit athée, théologique ou ésotérique, le terrain de la certitude inhibant le doute. Et par ce fait, refermer la porte au sentiment de la croyance ou plutôt refermer la psyché à d’autres possibles croyances ou espérances de connaissances. Sans un dérèglement et une fixation de la folie du doute, notre psyché à l’air de fonctionner comme une trilogie cyclique perpétuelle, avec le doute qui appelle à la croyance, qui elle-même fait appel à la raison, et la raison nous ramène au doute et ainsi de suite pour chaque élément traité. Notre esprit passe ainsi à la moulinette les données de représentations matérielles et immatérielles perçues, il en extrait la curiosité positive qui engendre les savoirs d’où découlent les connaissances et l’expérience. L’ensemble de ces données sont transmissibles sociologiquement pour améliorer l’expérience et développer les connaissances. Blaise Pascal, un peu confus sur le positionnement de la raison, nous dit que : « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » ; même si la raison à ses secrets, il est difficile de concevoir qu’elle engendre à elle seule la notion du bien kantien. A défaut, comment expliquer au Pater Familias romain qu’il était dans l’erreur, lui qui ne faisait qu’appliquer son droit de Vitae Necisque Potestas ; quelle raison, quelle conscience par rapport à nos valeurs humanistes actuelles ? Pour Henri Beyle (dans son roman : le rouge et le noir), "Il n'y a point de droit naturel : ce mot n'est qu'une antique niaiserie. Avant la loi, il n'y a de naturel que la force du lion, ou le besoin de l'être qui a faim, qui a froid, le besoin en un mot."
Certes, avant la loi, c’est le règne animal et celle de la jungle. Toutefois, dans cet état sauvage, on observe quelque rares cas d’enfants sauvages adoptés par ce milieu hostile, ce qui, dans le principe même de l’ignorance de leur vécu, donne du fil à retordre à l’analyse ontogénique scientifique ; la constatation observée est la difficulté irréversible dans l’apprentissage trop tardif du langage. Ce qui nous amène à penser que l’homme intelligible, au sens platonicien, est celui qui a une histoire, une évolution, celui qui a une éducation socialement transmissible. Et encore, tout comme l’animal qui a un référentiel biophysique naturellement transmissible pour apprendre à voler, à nager… l’Homme se tient debout et délaisse progressivement le mimétisme pour laisser place au protolangage, au langage, à l’écriture, aux savoirs, et au "Zoon Politikon"…
Quand, au cours d’une interview sur la vie de Chateaubriand, Madame Léa Salamé demande à Monsieur Jean d'Ormesson la définition de l’Art, il répond que : « l’on pourrait vivre sans art, mais que la vie serait beaucoup moins bien ! » Dans l’immensité du temps qui passe, parmi les vestiges qui s’étiolent, les paléontologues et anthropologues ont pu découvrir des contenus, chamaniques, totémiques, mythologiques, qui élèvent Homo sapiens à l’origine de la croyance et de la symbolique du sacré, témoignée par des œuvres d’art figuratives. Alors, je doute un tant soit peu, que l’on puisse retirer le rêve, la croyance et l’Art à Homo Aestheticus (évoqué par Luc Ferry*), sans qu’il soit réduit en Homo erectus et acculé à l’unique besoin de survie. Au vu du besoin de croyance de l’Homme que Jean d'O défend dans ses livres, je pense qu’il fait une distinction entre l’Art "profane" et l’Art sacré intrinsèque aux croyances religieuses, mais il a un peu raison, car un exemple sans art existe, où l’art est inhibé par la conviction religieuse (²). Toutefois, pour Claude Roy, la notion d’art reste imprécise, ineffable et irritante, qu’il s’agisse de l’art préhistorique, nègre, crétois ou impressionniste... « L’art, c’est ce qui maintient vivante l’idole morte en tant qu’idole. L’art c’est ce qui dans un objet continue à servir quand il ne sert plus à rien. » (L’Art à la source. Tome1, Folio, p. 143). Ce besoin est exprimé par l’art figuratif préhistorique déjà pratiqué il y a plus de 35 000 ans ; il est inhérent à l’homme et le projette dans l’espérance et le besoin de croire en l’humanité ; il est au principe même de l’évolution. Alors, tout cela amène à penser, que l’homme peut vivre sans art mais qu’il peut difficilement évoluer sans la sublimation des choses représentées par l’Art ; Soit ! Douter, espérer, croire, évoluer…
*Lorblanchet Michel \ CNRS : « L'origine de l'art », Diogène 2/2006 (n° 214) , p. 116-131 »
********************************************************************************************************
(1) L’arbre de la connaissance du bien et du mal ou le mal radical de Kant, c’est l’histoire biblique de la genèse avec la chute d’Adam. Ce récit mythologique de la genèse est peut-être la résultante des désordres sociologiques à Canaan, tout comme ceux des tragédies grecques, repris dans les analyses de Freud, Lévi-Strauss et Girard. Je n’épiloguerai pas sur le texte de la genèse, qui est un texte métaphorique issu peut-être de tradition orale et qui a probablement été adapté et transcrit vers l’an 620 av-JC et revisité jusqu’au IIème av-JC.
Malgré la création d’Adam (humanité), suivi de sa chute et son exclusion du jardin d’éden, il n’y a pas vraiment de référence précise au péché originel dans le livre de la Genèse. Sur ce point, seul le christianisme se différencie des autres religions monothéistes avec les développements théologiques de St Paul, Origène et St Augustin. Et comme toutes les représentations artistiques et intellectuelles, elles forment l’éducation sociétale entremêlant et introduisant des erreurs aux traditions orales qui dérivent dans le temps jusqu’au rivage des idées reçues. Rien que pour cette partie de texte, il faut savoir qu’il n’est pas fait mention de pommier dans le jardin d’éden et encore moins de péché originel… Ni même encore, comme le prétendent certaines traditions populaires, que l’homme aurait une paire de côtes de moins que la femme. De plus, il n’est pas écrit qu’ils cachent leur sexe avec une feuille de vigne, mais qu’ils se font des ceintures avec des feuilles de figuier cousues…
C’est cela, les biais cognitifs de la croyance ; il ne faut pas avoir lu plus des trois premières pages de la Bible, pour s’apercevoir des dérives véhiculées par des traditions qui n’avaient pas l’accès facile à la lecture et à l’écriture. Par ailleurs, que doit-on penser des dérives fanatiques qui introduisirent, revisitèrent ou détruisirent des textes pour remodeler l’histoire au cours des siècles... ?
Jean-Jacques Rousseau, dans son mémoire à l’abbé Gabriel Bonnot de Mably, dénonce comme une injustice l’idée du péché originel : « pour lequel nous sommes punis très justement des fautes que nous n’avons pas commises ».
Pour Pierre Teilhard de Chardin, la genèse est inscrite sur une cosmogenèse (faisant référence au bigbang) et non pas sur un seul jardin d’éden terrestre où l’Homme serait le centre de l’univers.
Pour l’anthropologie scientifique, le vêtement est présent très tôt dans l’arrivée d’Homo sapiens et dans tous les cas, il distance inconsidérément dans le temps les capacités sociales de transmission orale traditionnelle. En 2003, une première analyse, reposant sur l’ADN mitochondrial, réalisée par des chercheurs allemands du Max Planck Institut for Evolutionary Anthropology de Leipzig, avait démontré, suite à une étude génétique sur des variétés de poux humains, que l’invention des vêtements était une innovation africaine datant de 70 000 ans environ ; donc relativement récente. Les nouvelles révélations de 2011, basées cette fois sur des prélèvements d’ADN nucléaire, avancent cette date de 100 000 ans. Tout cela, sans tenir compte que le vêtement de peau d’animal peut également concerner Homo erectus et des variétés de poux disparues.
(2) L’exception de la religion abrahamique par excellence, à l’origine du monothéisme, est une variante de la religion cananéenne, où le Père de tous les Dieux était « EL », époux de la déesse Asherah et aussi un Dieu commun avec les Phéniciens (similaire à Rê, Dieu de l’univers en égyptologie). Afin d’affirmer la différence avec le polythéisme et de combattre l’idolâtrie, les hébreux par la loi des écritures (la Bible), s’opposent à toutes vénérations de Dieu par le biais de représentation artistique (Exode 20:4, 5 et Isaïe 42:8). De ce fait, l’Art figuratif fait défaut aux hébreux et à la culture judaïque, l’Art sacré se limitant à l’art utile (soit l’artisanat). L’église primitive des premiers siècles ne connaît que très peu d’images ou de représentations symboliques du Christ ; cela évolua rapidement avec la liberté de culte à la fin des persécutions chrétiennes sous le règne de Constantin Ier. Par la suite, plusieurs vagues iconoclastes se référant à la Bible se sont succédé, elles ont été régulées et apaisées par différents conciles s’appuyant notamment sur une exception biblique (Exode 25:18-19). Plus tardivement, seule l’église réformée échappa à la règle, après de lourdes et longues persécutions historiques. Cependant l’église réformée n’est pas tant iconoclaste qu’elle le prétend et entretient quelques paradoxes avec la représentation des images. Par exemple, au 16e siècle, pour les protestants allemands, l’image eut un rôle important dans la propagande de diffusion idéologique de la réforme ; tout comme, Lucas Maler et Albrecht Dürer, prodigieux peintres qui plébiscitèrent l’idée de la Réforme… Le second concile de Nicée, qui eut lieu en 787, mit en évidence qu’on ne peut rejeter ou même détruire les icônes représentant le Christ, des saintes et saints sans manquer de respect aux autres objets sacrés. Le concile rejeta l’accusation d’idolâtrie et autorisa les images et autres représentations au même titre que les reliques et la croix. Les pères de l’église confirmèrent que les images ne sont qu’une lecture iconographique des écritures saintes permettant à tous une connaissance des récits bibliques ; à ce titre, ces images impliquent un respect par l’encadrement théologique dans la tradition de la foi. Pour les théologiens : Si certains passages de la Bible ont pu interdire les images dans l'Ancien Testament, Dieu se laisse voir dans le Nouveau par l'incarnation du Christ. Il est donc désormais permis de représenter ce que l'on a vu, dès lors que « l’honneur rendu à l’image remonte au modèle original ». Concernant l’Islam, aucun passage du Coran n’interdit la représentation des êtres vivants. Cependant, à certaines périodes, la représentation de Mahomet a été controversée ; la représentation de Dieu est interdite et il n’est pas fait affichage d’image sacrée comme support de prière dans les lieux de culte. Par ailleurs, en principe, les représentations artistiques sacrées sont acceptées sous petites tailles (médaillons), ou pour des motifs de tapis et décoration ou dans l’Art islamique des scènes de la vie courante. Dans tous les cas, le but étant que les images ne puissent entraîner une dévotion idolâtre.
19 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON