Les Bienveillantes
A la fin du mois de janvier, Les Bienveillantes de Jonathan Littell, prix Goncourt et Grand prix de l’Académie française, va sortir en format poche. L’occasion pour nous de revenir sur ce livre époustouflant et éreintant.
La Seconde Guerre mondiale est un sujet de livres fréquents. Des dizaines et des dizaines de romans traitent de cette période. Mais un roman dont le personnage principal est du côté allemand, cela n’est pas fréquent.
Les Bienveillantes, de Jonathan Litell, se met dans le camp allemand et déroule son histoire. Ce roman, épais et fourni, permet de mettre à bas une perception de l’armée allemande que les films traitant du sujet ont longuement construite. Beaucoup pensent que cette armée était efficiente et efficace, structurée et organisée, avec des soldats disciplinés et forts, avec des soldats froids et sans états d’âmes. L’histoire des Bienveillantes, bien que ce ne soit ni un documentaire ni une enquête historique, met à bas cette perception.
Dans Les Bienveillantes, les soldats doutent et hésitent. Les soldats pleurent et s’interrogent sur les ordres reçus de la hiérarchie. L’armée est loin d’être extrêmement organisée. Les officiers et le commandement se posent des questions, ne savent pas, s’interrogent. Notamment lors des scènes qui se déroulent à Stalingrad.
Rien que pour cette mise au tapis de la perception de l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale, Jonathan Litell a du mérite.
L’histoire en elle-même est simple : Maximilien Aue, officier, raconte son histoire durant la guerre de son travail d’observateur et de bourreau. Et ceci jusqu’à la France, en passant par Stalingrad, le front de l’Est, la visite des camps et le ministère de l’Intérieur...
Certaines scènes symbolisent parfaitement l’ordinaire d’un nazi complètement intégré au travail de l’exécution d’un homme. Un travail parmi d’autres pour cette Allemagne devenue criminelle : ainsi, cette scène ou un homme, âgé, est arrêté par les Allemands. Il est conduit au poste. Une discussion s’engage entre cet homme et Maximilien Aue. L’homme arrêté tient la discussion du fait de sa culture et de son expérience. Il sait qu’il va être exécuté dans l’heure qui suit. Il demande alors à choisir le lieu de son enterrement. L’officier Aue accepte. Maximilien Aue et un soldat accompagne l’homme sur son lieu d’exécution et le soldat creuse alors un trou pour le corps. Et là, dans le récit, le lecteur peut se demander si l’officier va réellement exécuter cet homme. Où est l’intérêt peut-on se demander, où se trouve l’utilité de l’exécution d’un homme âgé, le sens de la guerre en sera-t-il réellement changé ? Qu’importe, cet homme est exécuté et tombe dans le trou. Une exécution parce qu’il faut éliminer les Juifs selon l’armée allemande.
Cette scène permet de bien cerner la barbarie nazie qui a imprégné toute la chaîne de commandement allemande.
L’auteur, par ailleurs, utilise des descriptions simples, sans grande rhétorique. Il y a peu de place pour l’onirisme. Les faits sont là avant tout pour décrire l’histoire du personnage Aue et l’immerger dans la barbarie nazie qui prévalait alors.
Mais Les Bienveillantes ont été accusé d’humaniser un officier allemand. C’est le cas, en général, de toutes les œuvres qui tente de traiter la Seconde Guerre mondiale du côté allemand. Cela l’était pour le film La Chute, d’Olivier Hirschbiegel, sorti en 2004 en Allemagne.
Qu’importe ! Chacune et chacun est capable de faire la part des choses. La barbarie nazie a été présente et personne ne peut remettre en cause ce génocide.
Les Bienveillantes reste un long roman à lire. Tant pour le sujet qui n’est pas fréquent en littérature que pour l’histoire racontée simplement.
Mathieu Dufain
http://mathieudufain.hautetfort.com
34 réactions à cet article
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Jamais réussi à finir ce bouquin. Il est extraordinairement documenté, plutôt bien écrit. On se sent tout à fait immergé dans l’éclosion de la barbarie. Ca touille profond dans les recoins de l’âme humaine. Et ça m’a écoeuré, plusieurs essais de suite.
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Gazi BORAT 28 janvier 2008 14:22Passionnant ouvrage et solidement documenté.
Je suis allé jusqu’au bout..
J’ai particulièrement retenu en mémoire la description de la bande "d’enfants sauvages" dans la débacle qui précède la fin du conflit..
gAZi bORAt
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@gazy je confirme connaissant bien cette histoire que ce livre est une mine d’informations historiques ce qui déroute dans un roman, je ne le classerais pas la dedans d’ailleurs. Mais j’ai dû m’u reprendre à plusieurs mois pour le lire tellement c’est dense. Deux ou trois volumes n’eussent pas été de trop.
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@ Gazi
Je vous ai connu plus exigeant.
N’y voyez-vous pas plutôt des clichés de Kulturpessimismus ?
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chuis d’accord avec Serge ...euh non Actias
et oui les nazis étaient pour la plupart des gens comme nous, comme les tutsis du rwanda, euh non, les huttus, euh...en fait, tous.
Ce qui m’a géné dans ce gros pavé, c’est l’étalage un peu complaisant sur les beuveries et la vie (homo)sexuelle du héros, les scènes de massacre (en tout cas dans mon souvenir) ou d’interêt vraiment historique passant un peu au second plan. Les péripéties tout à fait rocambolesques de la fin m’ont aussi pas mal irrité, la pseudo intrigue policière enlève de la crédibilité à l’ouvrage à mon avis.
Au final, un livre qui n’est pas un document historique mais qui est quand même indigeste de références administratives (effet littéraire pour montrer la lourdeur de l’appareil ?), un héros au profil un peu trop chantourné et une "intrigue" franchement trop improbable sur la fin.
l’intention, ou en tout cas celle qu’ont cru voir les détracteurs, était franchement intéressante, le résultat ne m’a pas laissé sur ma faim, mais plutôt gavé au sens "djeunz" du terme.
(regardez "europa europa" d’agnieszka holland plutôt, je trouve ce film trop méconnu)
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Merci pour ce rappel salutaire que je dois absolument me plonger dans cet ouvrage, moi qui supporte très peu le genre romanesque, sauf lorsque le style et/ou le sujet tranche(nt) sur l’ordinaire.
Pour profiter de l’occasion, je conseille à tous "La Morue de Brixton" de Bogousslavski, un joyau stylisitique. Cf mon article, Langue à croquer.
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Excellent article, qui m’a convaincu de me lancer dans la lecture de ce livre, qui me faisait un peu peur, je l’avoue.
Je le trouvais à priori trop...favorable aux nazis.
Mais, comme beaucoup l’on fait remarquer, les executants était eux aussi des êtres humains. De plus, l’Histoire etant écrite par les vainqueurs, ceux-ci n’ont pas interet à montrer leurs ennemis sous le meilleur jour.
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Dans "Les Bienveillantes", les soldats doutent et hésitent. Les soldats pleurent et s’interrogent sur les ordres reçus de la hiérarchie. L’armée est loin d’être extrêmement organisée.
C’est extrêmement flatteur pour les vaincus du printemps 40...
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Primo Levi avait déjà prédit l’arrivée d’écrivains de seconde zone qui feraient recette avec la purée sadienne mâtinée d’allusions culturelles pour public cultivé en manque de sensations fortes (c’est quand même plus noble qu’un jeu video...)
"Nazi, Ô toi, mon prochain" est ce que semble nous vendre la "littérature" exterminationniste en vogue depuis plusieurs décennies.
Je range cet auteur dans la catégorie du "pathos sur l’extermination".
Il ne m’est d’ailleurs plus possible de lire George Steiner après cette époustouflante démystification ...
Et quand on sait que c’est Léon Degrelle qui a été l’intertexte principale de l’ouvrage de Littell, on se demande à qu’elle hauteur il faut se situer.
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Salut Kabyle,
"Nazi, Ô toi, mon prochain" est ce que semble nous vendre la "littérature" exterminationniste en vogue depuis plusieurs décennies.
C’est une lecture possible effectivement. J’en propose une autre. Ce qui nous a été vendu jusqu’ici, c’est le mythe d’un peuple marqué par un pêché originel de façon quasi-génétique(les Allemands) face à un monde de "Justes" qui a de rares exceptions prêts (souvent sous-estimé) s’est opposé à la barbarie.
Les grands penseurs juifs de la Shoah ne sont pas non plus infaillibles, malgré tout le respect que nous leur devons, je citerai ici Hannah Arendt, admirable par ailleurs :
"La mort des juifs aurait-elle été un moindre mal s’ils avaient été un peuple sans culture, comme par exemple les Gitans qui ont été exterminés eux aussi ?"
La grande tragédie du XXè siècle, qui aurait du nous garer de toute vision dualiste du monde n’a finalement fait que nous y conforter, ’c’est peut-être dommage.
Bien à toi
PS et hors-sujet : es-tu bien toi et moi bien moi ? je pense que tu comprendras
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"La mort des juifs aurait-elle été un moindre mal s’ils avaient été un peuple sans culture, comme par exemple les Gitans qui ont été exterminés eux aussi ?"
...oui, c’est sans doute pour cela qu’il est plus facile de s’identifier à un Nazi en unifrome qu’à un "Noir" en machette.
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Ps et hors-sujet @ Masuyer : j’ai été heureux d’être toi
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Gazi BORAT 29 janvier 2008 12:56à kabyle d’espagne & Masuyer
Désolé de répondre si tard sur un ouvrage qui ne laisse pas indifférent.
Je comprend la réaction de K. d’ES. sur l’humanisation d’un bourreau mais ce qui est toujours mystérieux, c’est non le fait que les bourreaux soient des hommes ordinaires, mais que les hommes ordinaires deviennent des bourreaux.
Le héros, cependant, n’est pas un homme ordinaire et sa sexualité est particulièrement complexe, notamment son amour incestueux pour sa soeur.
On peut aussi effectuer une comparaison intéressante de l’ouvrage de Litell avec un roman d’Alberto Moravia :
"Le Conformiste"
qui met en scène un homme marqué par une expérience homosexuelle traumatisante (car suivie d’un meurtre) en sa jeunesse et qui devient ensuite un fasciste zêlé dans l’Italie mussolinienne. Le film qui en fut tiré par Bertolucci est, à mon sens, un pur chef d’oeuvre du cinéma italien..
Pier Paolo Pasolini avait ainsi relevé, dans plusieurs de ses écrits qu’une homosexualité refoulée ou mal vécue pouvait générer chez un individu la culpabilité d’appartenir à une catégorie marginale et, par compensation, générer le besoin d’implication dans une idéologie réactionnaire qui le réintègre dans la norme sociale.
Il semblerait que le héros du livre de Litell puisse être rattaché à ce type de fonctionnement..
gAZi bORAt
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Gazi BORAT 29 janvier 2008 14:31@ kabyle d’Espagne
Merci pour vos liens que je parcours actuellement.. Le "Pathos sur l’extermination" est intéressant mais contribue à aboutir, à mon sens, trop vers une "unicité de la Shoah" que j’aurais tendance à récuser..
Concernant le rapprochement entre Maximilian Aue et Léon Degrelle, celui-ci apparait sur de nombreux forums si l’on consulte le Net mais, pour ma part, j’ai plutôt du mal à les comparer tant leurs trajectoires comptent de dissemblances.
Je lirai par contre "Le sec et l’humide" que Litell va consacrer à Degrelle.
Il est un point, à mon sens sulfureux, qui a été peu commenté, c’est ce personnage à patronyme juif, entouré tel Kadhafi d’amazones (ici des gretchen blondes) et qui, présenté comme une sorte de capitaliste "tireur de ficelles dans l’ombre" finit par s’échapper à la fin vers l’Union Soviétique.
On peut y voir une sorte de validation à l’extrème du thème antisémite du "complot juif"..
gAZi bORAt
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@ Gazi
Je vais, avec ta permission, me permettre de te tutoyer, à cause de la profonde sympathie que j’ai pour toi.
Par manque de temps, je serai bref.
Mais disons que mes griefs portent plutôt sur l’esthétisation du crime par les "romanciers" sur l’extermination.
Un auteur de "littérature de l’extermination" comme Lévi disait en substance qu’aucun homme normal ne pourrait s’identifier à ces agents du meurtre de masse comme les Nazis (préface au Auschwitz de Poliakov).
Quant à François Rastier, l’ayant lu à plusieurs reprises et ayant assisté - presque par hasard - à la présentation de son livre sur Lévi, je peux te dire qu’il n’est pas un zélateur du dogme de "l’unicité de la Shoah".
Une remarque sur Degrelle : ce n’est pas la personne qui a servit au personnage (Aue) mais c’est plutôt le livre de Degrelle "La campagne de Russie 1941-1945" qui a fait office de palimpseste pour Littell.
.. je tiens cette info d’un article de Rastier dans La Vanguardia du 15/11/07 (je ne retrouve plus la feuille du canard, désolé).
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Kabyle,
Un auteur de "littérature de l’extermination" comme Lévi disait en substance qu’aucun homme normal ne pourrait s’identifier à ces agents du meurtre de masse comme les Nazis (préface au Auschwitz de Poliakov).
C’est à mon avis une erreur. Parce que le Nazisme est un système d’élimination de masse qui a du composer avec la nature humaine. La psychologie sociale s’est d’ailleurs par la suite penché sur ces systèmes. La thèse est la suivante : pour accomplir la Solution Finale, il faut mobiliser au moins 2 millions de personnes. Vous aurez énormément de mal à trouver 2 millions de tueurs froids ’(qui relèvent de la psychopathie). Il faudra donc organiser le système pour que les gens ne se sentent pas directement impliqués dans le crime. Le conducteur de train n’a fait que son travail, il a conduit des trains. Le directeur de camp de concentration à fin son travail de directeur de lieu de détention, etc..... D’où l’importance de tout le travail administratif.
D’ailleurs le livre de Littell évoque la Shoah par balles et les difficultés qu’elle a finalement posé à l’armée allemande.
Désolé Kabyle, je n’ai pas le temps de chercher ici des références, étant en train de rédiger un article (qui est d’ailleurs un peu en rapport avec notre débat)
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Gazi BORAT 29 janvier 2008 16:05à Kabyle d’Espagne
La question de l’esthétisation de la Shoah s’était déjà présentée avec le film "Kapo" de Gilo Pontecorvo..
Sur ce lien :
http://www.dvdclassik.com/Critiques/kapo-pontecorvo.htm
se voit illustré le fameux travelling sur les barbelés que le critique et cinéaste Jacques Rivette qualifia "d’abjection". L’idéal pour ce type de film étant alors l’extrèmement austère "Nuit et brouillard" d’Alain Resnais.
Jean Luc Godard dit alors : "ce qu’il aurait fallu filmer à Auschwitz, c’est l’administration".
Pour ma part, mais c’est personnel, j’ai apprécié le film de Pontecorvo mais j’ai eu plus de mal à supporter l’esthétisme d’un Spielberg dans "La liste de Schindler", esthétisme qui provoqua à la sortie du film moins de rejet que celui de Kapo..
Ce qui m’a, par contre, le mieux évoqué ce drame, ce sont les travaux de l’artiste contemporain Christian Boltanski.. même si celui-ci s’en défend, son travail tourne autour de ce sujet, dans une obsession de la trace et de la disparition..
Il intervint en Allemagne, sur des terrains vagues où des immeubles furent démolis en 1938 et jamais reconstruit, et installa des panneaux portant les noms des anciens occupants..
Ses oeuvres, pourtant extrèmement sobres sont impressionnantes et dérangeantes..
gAZi bORAt
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Le danger avec ce roman c’est que toute distortion par rapport à la réalité documentée (pour autant que celle-ci existe) risque de modifier notre perception d’une réalité bien démontrée, celle de l’oeuvre d’extermination nazie. On ne peut pas s’abriter derrière la licence poétique si la discussion de l’oeuvre tourne presque toujours autour de son contexte historique et moins autour de ses mérites littéraires.
Pour renouer avec les remarques ci-dessus (notamment celles de Gazi) le danger avec le livre de Littell c’est qu’on attribue la monstruosité du personnage à ses orientations sexuelles - faisant le lit de plusieurs sites d’ultra-conservateurs américains qui ne se contentent pas de nier les persécutions anti-homosexuelles (de fait, on sait que Roehm était homo, il eût été impossible qu’il fût juif ou tzigane) mais soutiennent que le nazisme était consubstantiel avec l’homosexualité.
Peut-être qu’il aurait fallu mettre en scène un Aue parfaitement banal, qui exécute les basses oeuvres de l’hitlérisme simplement parce que ce "déplacement de la coordonnée" effectuée par la bureaucratie allemande, rayait les Juifs de l’"univers d’obligations", autrement dit de l’espèce humaine reconnue, et les condamnait à l’élimination, la discipline et la soif de l’approbation des exécutants faisant le reste.
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Bonjour Armand,
content de vous revoir d’autant plus avec un commentaire qui pose des questions très pertinentes.
Cordialement
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Gazi BORAT 29 janvier 2008 16:31@ armand
Que l’orientation sexuelle du héros de Litell soit utilisée par des homophobes américains est bien sûr regrettable mais, sans me fixer sur la question sexuelle, je pense pour ma part qu’une culpabilité individuelle liée à une marginalité ressentie (en d’autres domaines) peut influer sur la tendance au conformisme d’un individu.
Je pense que cela a pu faciliter la tâche de Litell car cela rend plus crédible le basculement de son héros dans l’obéissance aveugle. Pour ma part, ce que j’ai eu du mal à intégrer, c’est cette identité bi-nationale de Aue que je trouve peu vraisemblable.
Le p^roblème que vous soulevez est celui de la fiction historique, qu’il faut considérer avant tout comme construction romanesque et ne surtout pas y chercher l’explication de phénomènes historiques.
Pour la compréhension de cette époque et de la "Shoah par balles " d’Ukraine, est irremplaçable l’ouvrage (un travail de recherche) de Christopher Browning :
Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, Les Belles Lettres, Collection Histoire, 1994, 284 p
http://histoforum.org/histobiblio/article.php3?id_article=515
gAZi bORat
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Gazi BORAT 29 janvier 2008 17:53INSPIRATION
Il y a, en effet beaucoup de choses à dire sur cet ouvrage, et notamment sur les inspirations de l’auteur.
Kabyle d’Espagne a mentionné les souvenirs de Léon Degrelle pour la partie qui concerne l’évocation du front russe. Pour ma part, je reste persuadé, pour la psychologie du personnage, d’une influence du "Conformiste" de Moravia..
Pour la partie "policière", à savoir l’acharnement des deux inspecteurs berlinois de la Police Criminelle à essayer de "coincer" Aue pour un délit de droit commun, on ne peut s’empêcher de penser à "la nuit des généraux" d’Hans Helmut Kirst où plusieurs inspecteurs essayent successivement d’arrêter un général, par ailleurs auteur de crimes de guerre, pur des assassinat de prostituées relevant eux, de crimes de "droit commun.
A noter que, dans le film d’Anatole Litvak, Peter O’Toole fit une remarquable interprétation d’un officier nazi dont la ressemblance avec Reynardt Heydrich..
http://www.holocaustresearchproject.org/holoprelude/images/heydrich.jpg
.. l’un des principaux artisans de la Shoah, était époustouflante..
On peut ainsi voir aussi dans l’ouvrage de Jonathan Litell une sorte de "patchwork" d’éléments tirés de tout un ensemble de littérature ayant pour thème cette époque.
Il existe d’autres exemples, plus mineurs, d’emprunts à d’autres ouvrages au sein des "Bienveillantes".
Par contre, il ne me semble pas avoir trouvé de traces visibles du livre de Robert Merle "La mort est mon métier" qui montre, lui, un personnage de "bourreau ordinaire", sorte de cadre stressé par une obligation de résultats et sans autres états d’âme que la peur d’un échec devant sa hiérarchie..
Il y eut, je pense, au sein de l’appareil nazi, beaucoup d’hommes comme lui et aussi quelques Aue..
Des hommes ordinaires..
gAZi bORAt
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Gazi BORAT 29 janvier 2008 17:56ADDENDUM
Oublié sur le commentaire précédent, et concernant "La nuit des généraux"..
http://www.impawards.com/1967/posters/night_of_the_generals.jpg
gAZi bORAt
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@ Gazi B.
Ton lien n’est pas bon...
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Gazi BORAT 30 janvier 2008 06:05@ ZEN
Celui-ci alors... mais la qualité de l’image est moins bonne..
gAZi bORAt
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Gazi BORAT 30 janvier 2008 06:44@ Zen
http://www.moviegoods.com/Assets/product_images/1010/102354.1010.A.jpg
Décidément, ce sujet est maudit.
gAZi bORAt
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Bonjour Masuyer, content de vous revoir aussi.
Gazi :
Le problème de la fiction historique est fascinante, surtout que nombre d’écrivains et de cinéastes se font un devoir de ne pas omettre le moindre bouton de guêtre. Pour ce qui est des ’mindsets’ c’est beaucoup plus difficile, et certains critiques ont reproché à Littell (qui n’est pas germaniste, d’ailleurs) de ne pas munir Aue du baggage culturel usueld’un officier allemand de l’époque.
Fort bien si réellement on considère ce livre comme une création romanesque. Mais le sujet est si sensible qu’il est inévitable que certains y voient la mise en narration de faits avérés.
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Gazi BORAT 30 janvier 2008 06:59@ armand
Il s’agit d’un sujet "sensible" et vous avez raison de le rappeler car peut-être cela influe-t-il trop sur nos attentes d’un ouvrage "définitif" qui répondrait à nos interrogations sur le fonctionnement d’un bourreau comme a pu le faire "Si c’est un homme" de Primo Levi sur le vécu des victimes..
Et même, pour le livre de Primo Levi, il est, à mon sens presque trop "parfait".
J’ai eu l’occasion de recueillir, par ma grand-mêre, des évocations du camp de Ravensbrück. Cela était très particulier car il était quasi impossible de la questionner directement par contre, hors de propos, elle pouvait se mettre à tout moment à raconter une anecdote - toujours terrible - comme une soupape de sécurité qui laisse échapper un filet de vapeur sous pression..
Et pourtant -elle est décédée maintenant - je trouve avec le recul ces anecdotes elles aussi trop parfaites, comme une reconstruction qui se serait effectuée lentement dans sa mémoire, restructurant une narration, lui donnant toujours une dimension morale..
Je pense aujourd’hui qu’affaiblie par la faim, le stress, les nécessités de la survie, elle ne pouvait in situ se placer en position de recul par rapport à ce qu’elle vivait et que cela affectait aussi ses capacités cognitives.. Ce n’est que plus tard qu’elle dut se mettre à une quête du sens de cette parenthèse dans sa vie..
Peut-être en était-il de même pour un fonctionnaire nazi, pris dans le chaos de la guerre, les nécessités du service, l’entrainement collectif qui devaient surement l’engager aussi dans une vision à court terme et l’impossibilté de s’extraire de "l’ici et maintenant".
Qu’il s’agisse de la fiction romanesque ou du témoignage, l’évocation réaliste de phénomènes aussi "extrèmes" relève de l’impossibilité...
gAZi bORAt
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Merci, Gazi, pour la liste de films (je dois d’ailleurs en [re]voir certains).
Aveu : ce n’est que l’hiver dernier que j’ai consenti à voir La liste de Schindler. J’ai trouvé Le pianiste plus poignant.
Pour l’inspiration : l’univers axiologique de Littell est surtout sadien, vaguement "postmoderne" (après-culture, post-humain) avec un bon coup de pioche dans la fausse du Kulturpessimismus.
Comme le remarque Armand, on ne touche pas du doigt le Zeitgeist qui devrait marquer ou construire le personnage principal.
L’univers sadien (Littell a traduit du Sade) est en revanche là : inceste et culotte de fillette gazée, pénis turgescent et dégoulinant de sperme pour le supplicié, etc.)
(pourquoi pas une branlette dans les cavités orbitaires, histoire de mieux voir l’étendue du désastre ?)
Littell abuse de la figure du Civilisé barbare (le cruel marquis) amateur de Bach et de bon vin alors que les goûts frustres des nazis allaient surtout pour la musique (marches) militaires.
... et là on touche un point essentiel : la Culture. Il est peut-être plus gratifiant de se laisser piéger par l’identification entre un lecteur et le narrateur aryen qu’avec un bon massacreur de jeu video, un tueur en série de mégapole américaine, ou un tyran africain ou asiatique ...
Cette caricature de Übermensch nous survivra sans doute tant que de tels livres trouveront des oreilles attentives.
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Gazi BORAT 30 janvier 2008 06:37@ Kabyle d’Espagne
Je ne suis pas étonné par les références sadiennes de Litell. Pier Paolo Pasolini dans son célèbre "Salo ou les cent-vingt journée de Sodome"..
http://fr.wikipedia.org/wiki/Sal%C3%B2_ou_les_120_journ%C3%A9es_de_Sodome
...transpose directement Sade dans l’éphémère République Sociale Italienne, dernier soubresaut du fascisme italien, entre la déposition de Mussolini et la libération de l’Italie.
Les années 1970 virent une exploitation forcenée du thème NAZISME / FASCISME / EROTISME, et certains films exploités en salle et relevant de la série Z ne pourraient plus être diffusés dans ces circuits aujourd’hui, comme la série des "Ilsa" :
http://www.sfmag.net/article.php3?id_article=2562
D’autres fictions cinématographique n’échappèrent pas à l’écueil de la fascination et de l’érotisation du sujet, même si la qualité générale était nettement supérieure tel les Damnés de Luchino Visconti
http://www.filmreference.com/images/sjff_01_img0087.jpg
et sa fameuse scène de l’orgie qui précède le massacre des SA lors de la "Nuit des Longs couteaux" et aussi, plus intimiste et, à mon sens plus complaisant le scandaleux "Portier de nuit" de Liliana Cavani..
Le problème qu’avec Armand vous soulevez est celui de l’identification du lecteur avec le héros du livre et celle-ci peut paraïtre évidemment "dangereuse" quand celui-ci est historiquement un "salaud" avéré. Pour ma part, en dehors du témoignage littéraire de protagonistes d’époque, je trouve que le cinéma, même si le mécanisme d’identification reste aussi fort, se prête mieux à de tels sujets car il évite l’écueil du "monde intérieur" et la transcription des pensées du personnages, lorsque celui-ci est le narrateur...
On attend évidemment de l’auteur d’un tel livre qu’il nous présente le "nazi modèle" tel que personnellement nous nous en sommes chacun construit une représentation : pour les uns brute vulgaire enivrée de schnaps, pour d’autre aristocrate prussien aux goûts délicats....
Ils étaient, je pense, tout cela à la fois..
gAZi bORAt
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@ Masuyer (ainsi qu’à vous tous)
J’ai mentionné Primo Levi surtout dans l’axe identification lecteur/narrateur. Car dans la vraie vie, les commanditaires nazis ne se comportaient pas tous comme notre "héros" :
- ils ont nié
-ils ont minimisé
- ils se sont enfuis
-ils se sont donnés la mort
Ça nous change de l’adresse du narrateur au lecteur aux accents vaguement térenciens.
Lorsque le Mal est donné à penser sous l’angle métaphysique, il y a place à l’oubli de la responsabilité historique. On est alors happés et appelés à se faire bourreau de soi-même le temps d’un caprice littéraire.
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Je viens de lire tout ce que vous avez écrit sur le livre de Littell et je m’étonne que personne n’ait fait référence à ce petit livre d’Amélie Nothomb "ACIDE SULFURIQUE", qui soit dit en passant m’a fait froid dans le dos, mais sur lequel mon commentaire en tant que membre du jury livre de poche 2007 a été le suivant :
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A l’époque des Cathares et des Vikings la violence faisait Loi.
Au temps des Romains, les arénes de Romes étaient le tribunal.
Pour Kant "l’homme est un loup pour l’homme".
La seconde guerre mondiale a su nous démontrer à quel point l’homme pouvait être immonde.
En 200 pages, Amélie Nothomb nous dévoile un futur inspiré d’un "sublime" mélange du passé et du présent afin de mettre à jour deux facettes de l’homme qui nous sont à tous inhérantes : la barbarie que l’on peut avoir envers son prochain et l’espoir que l’on peut éprouver avec nos semblables.
La politique et l’armée ont servi de toile de fond à la terreur de cette histoire. Ici la religion n’a pas été impliquée mais je ne peux m’empêcher en conclusion d’évoquer ce passage de la Génése :"....et dieu créa l’homme à son image,c’est à dire,bon....". Ce livre nous permet de mieux appréhender, que pour être bon, encore faut il être intelligent et tolérant,ce qui est rarement le cas de la nature humaine.
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Il ne faut pas oublier que la science fiction d’hier est notre demain et que malheureusement nous apprenons rarement de nos erreurs ce qui fait que l’Histoire est souvent un perpétuel recommencement sous une autre forme.
Il est certain que tous les auteurs confondus, qui abordent le théme de la seconde guerre mondiale et des horreurs qui en ont découlés, ont sciemment ou non donné leur opinion.
Que l’on se cache derriére l’image du monstre pour se rendre plus humain ne changera rien au fait qu’une majotité de notre civilisation a "un besoin de violence" au quotidien, ce qui fait le bonheur financier de certains réalisateurs et pour ne citer que leurs "oeuvres" : Stalingrad - Apocalipse now- Lord of war....ne sont certes que des films mais combien d’êtres Humains sont conscients que tout ceci est tiré de FAITS REELS..... ?
Seul des personnes ayant vécu cette horreur pourraient avoir une vision "objective" des faits dans leur narration même si implicitement cela implique un ressenti personnel.
Dans cette éternelle lutte "du bon et du méchant" je me demande ce que penserait le personnage de Littell s’il devait nous donner ses impressions aprés la lecture du Journal d’Anne Franck" !
Cordialement.
Sarah.
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Soirée " Les Bienveillantes" sur ARTE hier soir :
1/ Sur ARTE.TV Daniel Cohn Bendit questionnait, en français , Jonathan Littell à Berlin , après une lecture publique en allemand.
2/ Sur la chaine ARTE " Les Bienveillantes : un phénomène littéraire" documentaire de Hilka Sinning ( Allemagne , 2008 , 55 mn ) très bien fait sur le roman de J. Littell . Rediffusion la nuit les 8 et 18 mars 2008.
Sur le canal ARTE.TV donc , Daniel Cohn Bendit pose la question : J.L êtes vous curieux du destin de votre livre en Allemagne ? Depuis la guerre les Allemands ont eu un grand et long débat intellectuel sur le nazisme et la Shoah. Ils pourraient voir d’un mauvais oeil l’intervention d’un franco-américain sur le sujet.
Il apparaît dans la discussion et les réponses de J.L que l’intellectuel franco-allemand Max Aue est aussi une figure de la droite collaborationniste française ( européenne au sens large) Les Allemands ne seront peut être pas aussi sensibles que nous , français, à l’accumulation de termes allemands parfois mal orthographiés qui donnent au livre un côté kitsch. Max Aue raconte tout ce qu’il voit , sauf ce qu’il fait ( le meurtre des Moreau - métaphore des principes mor[e]aux ? ). Selon un historien français peut être que Max Aue ment ( approche originale ). C’est une possibilité du texte et cela donne de l’importance à l’interprétation du lecteur . Autre exemple d’interprétation : Max est blessé à Stalingrad : son trou dans la tête pourrait être une métaphore du trou de mémoire du peuple allemand qui a été blessé à Stalingrad.
Il y a donc 2 histoires : l’Histoire de l’humanité et l’histoire personnelle.
Il y a une extrême violence et de la trangression dans les 2 plans.
Et 2 structures : la musique ( suites de Bach pour éviter Wagner dixit J.L. ) et l’Orestie , tragédie grecque.
Le paradoxe : l’écrivain d’origine juive ne serait pas là pour écrire ce roman si le III Reich avait gagné la guerre. Jonathan et Max s’en sortent , mais pas indemnes.
Le roman est écrit à la première personne du singulier par une figure atypique (Intellectuel franco-allemand) du nazisme.
Registre de la citation dans un roman réaliste. L’horreur apporte un effet de Réel.
Mais il y a aussi l’Irréalité : délires, rêves et hallucinations au fur et à mesure que l’histoire du nazisme et de Max se déglingue.
Max Aue a un portrait de synthèse qui permet au lecteur de voyager.
Observateur lucide et bourreau. Bisexualité , régime pulsionnel , homosexualité. La pulsion , le corps. Le déchaînement pulsionnel est excitant. Des choses similaires se passent dans les mondes virtuels ( Internet ) ou éloignés ( Afrique , colonies ) . Régimes criminels puis/ et psychopathologie criminelle.
Tissage complexe et effets de moiré entre les trames .
Effet d’entrainement du lecteur qui s’accroche à la tâche de lire un objet massif.
On dit : J’ai lu les bienveillantes comme on dit j’ai eu un accident.-
En Allemagne la critique des Bienveillantes est souvent féroce :
- « Quand un tambour du Ghana un joueur de sitar indien et un pianiste danois jouent ensemble, on parle aujourd’hui de musique du monde - world music. Par analogie, Les Bienveillantes sont de la world littérature. Car Littell offre dans un seul ouvrage un porno, un roman policier, un film d’horreur, un witz plein d’imagination, une tragédie, un roman trivial kitsch, un guide de randonnée, et une nouvelle monographie sur l’Holocauste », décrit Burkhard Scherer dans la Berliner Zeitung. Sarcastique, le critique berlinois compare ainsi le narrateur, le fonctionnaire nazi Max Aue, avec ses sentences de soirée arrosée, « la guerre est la guerre et le schnaps est le schnaps », accumulant les crimes sur les traces de la guerre d’extermination, « au Forrest Gump des monographies sur l’Holocauste : soudain, encore un de plus au tableau ».Il n’y a pas une seule raison de lire ce pavé, écrit le chroniqueur de la Berliner Zeitung, qui pense que l’avertissement de Max Aue, disant au lecteur qu’il peut refermer le livre et le jeter à la poubelle, vient un peu tard, à la page 1094.
( Voir l’article d’Yves Petignat dans Le Temps, ( Suisse ) du 27 février 2008 )
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Un aspect des Bienveillantes n’a pas été abordé : la musique. Summum de la sublimation , la musique est importante pour Maximillien Aue. Il s’agit d’un cliché bien connu : les nazis exécutaient d’autres êtres humains mais n’étaient pas insensibles à un Lied ou une toccata.
Pour en finir avec ce cliché je vous recommande un petit tour sur DEsencyclopédie :
http://desencyclopedie.wikia.com/wiki/Les_Bienveillantes#Une_com.C3.A9die_musicale
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