La « folie » de Sarkozy entre les mains de quelques brodeurs freudiens...
Entendons-nous bien : je n’ai pas voté pour Nicolas Sarkozy. Mais je ne vais quand même pas laisser passer cette occasion : dire deux mots sur ces psychanalystes qui se sentent obligés de l’analyser et le diagnostiquer, alors qu’ils ne l’ont pas eu comme patient, ne lui ont jamais adressé la parole. C’est l’occasion ou jamais pour certains lecteurs de comprendre ce qu’est un psy qui « dit » n’importe quoi, qui brode, d’un psy sérieux. Un psy sérieux est un psy qui sait se la fermer, ne donne pas de diagnostics hâtifs, et n’étale pas son savoir à la télé sur des personnes vues à la télé.
Tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à la psychanalyse ont peut-être en tête ce que Wilhelm Fliess avait dit ou écrit à Freud : « Celui qui cherchera à lire dans les pensées d’autrui n’y lira que les siennes ».
Fliess l’avait dit en 1901 ! Où en est-on aujourd’hui ? Cent sept ans plus tard (le chiffre est bon), c’est précisément ce qui continue à se faire : tous ces psys, que je ne manquerai pas de citer plus loin, persistent à jouer le rôle ni plus ni moins de voyants. Ils font de la psychanalyse avec des jumelles. Des interprétations médiocres et souvent haineuses simplement parce qu’il s’agit du chef de l’Etat. « Un os à ronger », comme l’a rappelé à juste titre le psychanalyste Jean-Pierre Winter, même s’il n’a pas pu, métier oblige, se retenir de glisser sa petite interprétation lui aussi, à l’instar de ses confrères. Les uns dans les livres, certains dans des magazines féminins (et masculins), d’autres dans des émissions matinales, etc.
Avec Ali Magoudi, on a même réinventé la psychanalyse post-mortem sur le squelette de François Mitterrand (Rendez-vous, éd. Maren Sell.). Personne n’avait osé ça avant lui. Magoudi a malgré tout récidivé, curieusement sous pseudonyme cette fois, sur Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, juste avant la présidentielle. Vous vous rappelez sûrement de quelques extraits alléchants publiés dans Libération. Je précisais « sous pseudonyme », car voici ce qu’il en dit aujourd’hui : « Je ne veux rien dire sur le cas de Sarkozy en tant que personne, ce serait de la psychanalyse mal appliquée. Mais on peut s’intéresser aux effets de son élection et de sa politique sur le corps social ».
« Mais on peut, dit-il, on peut s’intéresser aux effets de son élection… » Peut-être pour faire oublier ces pages palpitantes publiées dans Libé ? En tout cas, il nous sera très difficile de gommer de notre mémoire qu’Ali Magoudi a été l’analyste d’un mort. Il ne nous reste plus qu’à espérer que la cure soit réussie.
Mais il n’est pas le seul. D’autres exemples :
La plus affolante est Sophie Marinopoulos. A l’en croire, elle est spécialiste plutôt dans les cures des nouveaux-nés. Mais elle n’a pas que cette spécialité-là à son actif. Sophie Marinopoulos a acquis la certitude que notre chair dit tout de nous : questions irrésolues, souvenirs heureux ou mal digérés. Soit. Mais alors comment a-t-elle pu comprendre la personnalité de notre président, sans l’avoir tripoté comme elle le fait avec les nouveaux-nés ?
Réponse : pour elle, Nicolas Sarkozy intéresse les Français plus que les anciens présidents parce qu’il évoque son enfance, ses ruptures et ses conflits. Quant au complexe d’œdipe de Nicolas Sarkozy sur la personne du président Jacques Chirac, elle avance qu’il a été « réglé grâce à la mise en scène que Nicolas Sarkozy avait déployée pour tuer le père symbolique qu’était l’ancien président ».
On est franchement abasourdis d’apprendre que Nicolas Sarkozy nourrissait un complexe d’œdipe sur Jacques Chirac, lequel, sans vouloir le vexer, était presque un octogénaire en fin de mandat. Sophie Marinopoulos, il ne lui est pas venu à l’esprit par exemple que Nicolas Sarkozy doit son élection parce qu’il était déjà en campagne électorale depuis cinq ans, que Jacques Chirac a été élu à deux reprises, qu’il a 76 ans, et qu’il n’avait aucune chance d’être réélu une troisième fois. Elle n’a tenu compte de rien, pas plus de la position de l’ancien chef de l’État dans les sondages les semaines qui ont précédé le début de l’élection. Pour la spécialiste des nouveaux-nés, c’est père symbolique, complexe d’œdipe et mise en scène.
Serge Hefez, lui, c’est thé et café aux aurores. Là où il y a de la bonne tisane et des femmes inquiètes (souvent pour rien), il est là, pour rassurer, donner du « sens » à ce qui se dit autour de lui, et prononcer ensuite la phrase qui fera « effet » chez la jeune maman. Mais, avec Nicolas Sarkozy, il n’y va pas avec le dos de la cuillère. Pour lui, le chef de l’Etat n’est rien d’autre qu’un « pervers narcissique ». Rien de moins. Et qu’est-ce donc qu’un pervers narcissique pour Serge Hefez ? Accrochez-vous, car il l’avoue lui-même volontiers : « il est étonnant à quel point l’article "Pervers narcissique", dans l’encyclopédie en ligne Wikipedia, fait irrésistiblement penser à quelqu’un... » Voici le lien dans Wikipedia pour pervers narcissique. A vous de (vous reconnaître) ou de reconnaître la personnalité du chef de l’Etat dans ce très long article.
Dresser des diagnostics aussi graves sur des gens qu’on n’a eus ni comme patients ni comme amis, c’est génial. Si on oublie tous ces constats et ces analyses (souvent contradictoires) qui foisonnent sur le chef de l’État deux minutes, la devise de chaque psychanalyste sérieux devrait être la suivante : « Si vous pensez avoir compris, vous avez sûrement tort ». Cela évitera toute interprétation tordue. Sans ça, il serait souhaitable de faire un autre métier.
Au lieu de cela, sur Nicolas Sarkozy, Serge Hefez le traite de « pervers narcissique » ; Pierre Lembeye carrément de « psychopathe » ; Jean-Pierre Winter de « personnalité politique qui a détruit l’ordre symbolique dans lequel nous vivions jusque-là la fonction présidentielle » ; Sophie Marinopoulos, d’une nouvelle forme d’être humain doté (à notre grande frayeur) d’un complexe d’œdipe. Et fin novembre, l’hebdomadaire Marianne titrait courageusement : « Sarkozy est-il fou ? »
Qu’il rende fou, cela ne fait aucun doute
La seule analyse convaincante, sur les discours politiques et sociaux du chef de l’Etat, est celle du psychanalyste Gérard Miller, une vidéo de huit minutes trente vue par plus de cinq cent soixante-dix mille personnes. Gérard Miller ne se hasarde pas à « psychanalyser » ou à formuler des concepts, encore moins quand il est à la radio ou à la télé. Dans cette vidéo, vous entendrez des mots comme « repentance », sur la colonisation, et le fait que la France ait été indigne d’elle-même. Sur le « on » du mépris sarkoziste, le « on » des pires moments du colonialisme, le « on » de celui qui ne respecte pas ceux auxquels il s‘adresse. Ou quand il reprend la théorie de Le Pen : « laissez-moi dire tout haut ce que chacun pense tout bas » reprise et formulée différemment par le chef de l’Etat durant la campagne. Ou encore sur le « Monsieur Mohamed… » de Le Pen. A aucun moment, vous n’entendrez Gérard Miller prononcer les mots « complexe d’œdipe », « psychopathe » ou « pervers narcissique ».
Il faut que les Français sachent qu’il existe des "psys" plus sérieux qui travaillent dans le secret de leur cabinet ou dans des établissements publics, loin des médias. Et heureusement, ils sont nombreux. J’ai assisté à quelques présentations de malades dans des CMP. Rares étaient les psychiatres ou les psychanalystes qui se hasardaient à livrer des diagnostics aussi incertains et formels. Ce n’est pourtant pas l’endroit ni l’état du patient, qui les en empêcherait. Ils parlaient avec celui ou celle qu’ils avaient en face d’eux, l’écoutaient, et partageaient ensuite leurs points de vue.
On assiste depuis quelques mois à une véritable hystérie médiatique de la part de nos psys, qui se livrent à des « examens psychologiques » sur le chef de l’État aussi injustes qu’exagérés. Si toutes ces nosographies qui ont été proférées ici et là avaient au moins un quelconque rapprochement les unes avec les autres, on comprendrait. Mais elles sont toutes laconiques, tranchées et contradictoires.
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