Al Qaida est mort, et après ?
Les RDV de l’Agora : interview de François Heisbourg à propos de son livre Après Al Qaida-La nouvelle génération du terrorisme (éditions Stock)
« Les actes de violence non conventionnelle destinées à frapper de terreur populations et dirigeants sont une constante de l’histoire des sociétés humaines », écrit François Heisbourg en introduction de son nouvel ouvrage, Après Al Qaida, la nouvelle génération du terrorisme (éditions Stock).
La définition même du mot « terrorisme » est aussi insaisissable que les terroristes eux-mêmes. Ce qui est certain, c’est que, comme le rappelle François Heisbourg, les manifestations spécifiques du terrrorisme « sont à durée limitée, avec un début, une apogée et un déclin ».
Al Qaida existe-t-il encore ? A-t-il muté ? Al Qaida, selon des analystes tels que François Heisbourg, connaît peut-être déjà son déclin. Ne nous réjouissons pas. Cela ne signifie pas que nous en avons fini avec le terrorisme. « Puissance terroriste déterritorialisée », Al Qaida a innové. Et a fait des petits.
L’arsenal des terroristes du futur sera constitué d’armes biologiques, radiologiques, nucléaires, chimiques. Ils investiront le cyberespace. Pas besoin pour ça de gros moyens, pas besoin de troupes nombreuses. Insaisissables. Ce n’est pas de la science fiction : « les instruments de destruction vont continuer d’être de plus en plus disponibles, techniquement et financièrement. »
L’ère des attentats-suicides, des détournements, des armes par destination (avions, navire, etc.), des prises d’otages, méthodes « coûteuses » pour les terroristes eux-mêmes pourrait finir. Mais un autre défi bien plus complexe se profile. Face à ce défi comment se comportera l’anti-terrorisme, et quel sera l’impact sur notre vie, sur nos libertés ? Quel genre d’anticorps nos démocraties seront capables de produire pour rester en vie ?
François Heisbourg, président du Conseil d’administration de l’International Institute for Strategic Studies (IISS), ancien membre de la représentation permanente de la France à l’ONU, ancien conseiller au ministère français des Affaires étrangères, ancien directeur de la Fondation pour la recherche stratégique est également membre du comité international de parrainage de la revue Politique américaine. Il a également fait partie de la commission sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et a publié sur le réseau Voltaire.
Il est enfin l’auteur de plusieurs ouvrages tels que Le terrorisme en France aujourd’hui (Les Equateurs, 2005), L’épaisseur du monde et Iran, le choix des armes (tous deux parus chez Stock en 2007).
Pour les RDV de l’Agora, il répond aux questions d’Olivier Bailly
Olivier Bailly : Votre livre est consacré à la nouvelle génération du terrorisme. Il aurait tout aussi bien pu l’être à la nouvelle génération de l’anti-terrorisme.
François Heisbourg : Oui bien sûr puisqu’à défi nouveau a priori il faut des moyens, des approches, une doctrine nouvelle. Mais l’anti-terrorisme est quelque chose qui définit négativement. L’anti-terrorisme n’a de justification propre seulement par l’existence d’un risque ou d’une menace terroriste. Donc il est nécessaire de s’intéresser d’abord au risque et à cette menace.
OB : En l’occurrence cette menace s’appelle Al Qaida. Mais qu’est-ce qu’Al Qaida ?
FH : Al Qaida a une vingtaine d’années. En tant qu’organisation terroriste conduisant ses propres opérations, elle ne sévit que depuis une douzaine d’années. Donc c’est un phénomène relativement récent. Al Qaida a totalement dominé la scène du terrorisme international à partir de la fin des années 90. Il a beaucoup été écrit là-dessus, y compris sous ma propre plume, sur le caractère de holding ou de franchisé d’Al Qaida. Ce qui est nouveau dans mon livre, c’est bien la description de l’affaiblissement d’Al Qaida et surtout le fait que la menace qu’il représente ne va plus structurer, dans les 10 ou 20 années futures, la menace terroriste. On va revenir à quelque chose de relativement plus classique, en ce qui concerne la diversité de la menace, que ce qu’on a pu connaître dans les années 70 ou 80 où il y avait toutes sortes de menaces terroristes différentes. Donc retour à un certain classicisme à cet égard, mais sur toile de fond d’un accroissement très notable de la capacité de destruction des terroristes, quels qu’ils soient. Et c’est ça qui représente le défi nouveau. Al Qaida ne va pas disparaître, ou du moins pas rapidement. L’organisation a proliféré, son action a été relayée par toutes sortes d’organisations affiliées. Al Qaida restera sur la scène, mais ne la dominera plus comme il l’a dominée pendant ces douze dernières années.
OB : Doit-on s’attendre à une mutation de ce groupe ou de cette marque. Peut-on d’ailleurs appeler Al Qaida ainsi, selon vous : une marque ?
FH : C’est une marque, c’est une affiliation, c’est, à l’époque de la mondialisation, dans le domaine terroriste, ce que peut être une politique de marque pour tel ou tel bien de consommation grand public. Encore une fois, ça, c’est plutôt le passé et pas l’avenir. L’avenir c’est plutôt la ré-émergence de terrorisme en tout petit groupe, voire au niveau d’individus sans affiliation ni même revendication d’appartenance par rapport à la marque Al Qaida, c’est probablement aussi le retour au terrorisme d’état qui avait beaucoup sévit dans les années 70 et 80, je pense aux attentats du Hezbollah, des Libyens, j’allais dire de « mercenaires » du terrorisme comme Abou Nidal qui travaillait tantôt pour les uns et tantôt pour les autres, donc un monde beaucoup plus compliqué que le monde relativement simple que nous avons connu depuis la fin des années 90 où il n’y avait qu’une seule vraie menace qui était celle d’Al Qaida.
OB : Vous pensez à l’Iran, également ?
FH : Oui, à l’Iran à travers le Hezbollah qui depuis sa création il y a un quart de siècle à toujours eu un code génétique mixe : organisation libanaise et arabe d’une part, organisation iranienne d’autre part avec une toile de fond religieuse qui est le chiisme. C’est suivant ce double code génétique que le Hezbollah a été créé dans la deuxième moitié de 1982 et c’est comme ça qu’il a toujours fonctionné depuis lors, en partie organisation autonome, en partie bras séculier des gardiens de la révolution iraniens. Hezbollah avait depuis une grosse quinzaine d’années maintenant consacré l’essentiel de son activité au Liban même, ou aux confins du Liban avec Israël, mais il est à craindre, compte tenu de la dégradation des relations entre l’Iran et une bonne partie de la communauté internationale, que le Hezbollah soit amené à opérer à nouveau en dehors de son pré-carré.
OB : Puisque vous évoquez le terrorisme d’état, mettons en parallèle l’anti-terrorisme, d’état (par définition). On le voit bien les mesures de sécurité pèsent plus que jamais sur la liberté des citoyens. Peut-on imaginer que la société deviendra de plus en plus liberticide à force de traquer le terrorisme ?
FH : Il y a un double défi en ce qui concerne l’anti-terrorisme dans les circonstances que je viens de décrire. Le premier est celui que vous venez d’évoquer. C’est un défi fondamental. Le combat contre le terrorisme est perdu d’avance si les modes d’action de l’anti-terrorisme commencent à ressembler à ceux des organisations contre lesquelles on souhaite combattre. Les sociétés ouvertes, démocratiques, libérales, doivent conserver leur caractère intrinsèque sinon elles ont à moitié perdue la bataille. C’est ce qui s’est passé après le 11 septembre dans la politique américaine, notamment avec Guantanamo, le recours à la torture, les transferts extra-légaux de prisonniers vers des pays pratiquant la torture, etc. Tout cela a été du pain béni pour Al Qaida.
Autrement dit avec le besoin de sécurité de nos sociétés et de nos états il faut en même temps trouver un mode d’organisation qui soit respectueux de la loi, sachant que la loi elle-même peut évoluer. Il faut rester à l’intérieur, constamment. C’est la boussole qui doit guider l’anti-terrorisme. J’ajoute que le caractère potentiellement liberticide d’une certaine façon de faire de l’anti-terrorisme n’est pas simplement le produit du « lobby » anti-terroriste. Il est peut-être davantage encore le résultat de la revendication de l’action brutale et décisive de la part des sociétés victimes du terrorisme. Si Guantanamo, Abou Graïb, la torture ont pu se développer aux Etats-Unis après le 11 septembre c’est bien parce que la population américaine voulait, réclamait des mesures aussi dures que possible.
Les défis pour l’anti-terrorisme ce n’est pas de savoir simplement réfréner sa propre volonté d’être efficace potentiellement en dehors de la loi. Plus difficile à assumer est le défi face à une opinion publique qui elle-même réclamera des résultats fussent-ils par des méthodes complètement contraires au droit et à la morale. Il ne sera jamais difficile de trouver après un gros attentat terroriste une majorité de gens qui voudront du sang. Il ne faut vraiment pas perdre de vue cela.
L’autre aspect important en ce qui concerne l’anti-terrorisme c’est la nécessité de lever le nez du guidon. Depuis qu’Al Qaida est monté sur le devant de la scène il y a une douzaine d’années, progressivement, dans à peu-près tous les pays industrialisés, les services de lutte anti-terroriste (renseignement, police, justice, etc.) se sont fortement réorganisés par rapport à cette menace principale, au détriment de ce qui pourrait suivre. Et ça c’est un des éléments les plus importants que je développe en détail dans mon livre : comment faire en sorte de ne pas être pris de cours lorsque nous allons nous trouver dans un monde où la menace terroriste sera plus diverse qu’elle ne l’a été depuis une douzaine d’années. La lutte contre le terrorisme a été difficile, mais elle a été simple en même temps. On savait qui était l’ennemi.
OB : En ce qui concerne les mutations du terrorisme, vous évoquez dans votre ouvrage les néos-convertis. C’est à dire que la menace semble se diluer, être plus diffuse, donc plus insaisissable...
FH : Une des tentations dans la lutte anti-terroriste face à Al Qaida, tentation face à laquelle on n’a pas toujours su résister, ça a été de partir du principe que puisqu’Al Qaida se réclame de l’Islam, puisque les premiers attentats d’Al Qaida ont été conduits par des ressortissants de pays musulmans (Arabie Saoudite, Egypte, Emirats, etc.) l’approche efficace devait passer par le fait de s’intéresser en priorité aux populations musulmanes et à prêter une attention particulière aux ressortissants, soit des pays musulmans, soit des émigrés en provenance de ces pays. Or ce qui se passe est beaucoup plus compliquée : Al Qaida est une idéologie, un détournement de religion, ça concerne un très petit nombre d’individus. On n’est pas dans une logique de grand nombre où Al Qaida serait le reflet d’un mouvement social. S’agissant d’une idéologie partagée par un petit nombre d’individus on se trouve face à quelque chose d’assez similaire à ce qu’on a pu connaître pendant les décennies précédentes, c’est-à-dire un terrorisme qui attire un certain profil d’individu fasciné par la recherche de la pureté, la radicalité, et même l’aventure, ceci tout à fait indépendamment des origines familiales des personnes concernées. Au Pays-Bas, en France, au Royaume-Uni, en Belgique ce qui est très frappant c’est le rôle majeur de ceux qu’on appelle des convertis dans des organisations affiliés ou se réclamant d’Al Qaida démantelées par les services de renseignement.
Du point de vue de l’anti-terrorisme cela ne sert rigoureusement à rien de s’en prendre à une population en fonction de ses origines ethniques ou religieuses. Il faut en fait devenir intelligent, s’intéresser aux individus qui se livrent aux activités terroristes ou qui pourraient conduire au terrorisme et non pas s’intéresser à une population tout entière parce que là on débouche sur un renforcement des discriminations, sur ce que j’appellerai l’anti-terrorisme pour les nuls. On passe à côté de gros poissons parce qu’on ne s’y est pas intéressé car ils étaient si je puis dire blonds aux yeux bleus et qu’ils ne correspondaient pas au profil supposé. Forte heureusement, dans la plupart de nos pays cela a été assez bien compris. L’anti-terrorisme est de ce point de vue-là assez intelligent.
Là où il m’inquiète d’avantage c’est précisément parce qu’il s’intéresse peut-être trop à la menace immédiate du moment venant d’organisations se réclamant d’Al Qaida et s’intéressant peut-être moins à l’émergence potentielle d’autres groupes, d’autres tendances idéologiques. Tout ça doit être fait avec beaucoup de nuances, de discernement pour qu’on ne se retrouve pas non plus avec des grands shows anti-terroristes vis-à-vis de personnes qui ne sont pas forcément des terroristes, je pense à l’affaire des caténaires de la Sncf en France.
OB : Quel est votre point de vue sur cette affaire ?
FH : Je ne sais pas si les incriminations invoquées face aux personnes qui ont été mises en garde à vue s’imposent ou non, tout simplement je pense qu’il serait plus prudent dans ce genre de situation de démarrer avec des incriminations moins lourdes de conséquences potentielles qu’une incrimination de type terroriste. Si, au fur et à mesure de l’enquête, il apparaît qu’une incrimination pour terrorisme se justifie, à ce moment-là on peut toujours déboucher sur une incrimination de ce type. Alors que là, dès le départ, on les a traités comme des terroristes avant même que l’enquête ait eu le temps matériel de se dérouler pleinement. Je crois qu’il faut surtout faire très attention dans ce genre d’affaires. Je ne suis pas sûr qu’on ait toujours fait très attention.
OB : Une partie de la population, en Europe et aux Etats-Unis estime qu’Al Qaida est une pure invention de la CIA, que le 11 septembre est un complot...
FH : Je pense que les familles des 3000 victimes sont ravis de l’apprendre... Il est totalement affligeant que des personnes en France puissent exprimer ce genre de thèse sans être totalement et immédiatement discrédités. Que des théories de la conspiration puissent fleurir dans le sud profond, dans le Ku Klux Klan, que sais-je, cela ne surprend personne. Que cela puisse fleurir dans des sociétés soumises à des stress politiques ou sociaux très grands ? comme c’est le cas au Moyen-Orient, ça se comprend et ça s’explique. Mais dans un pays où en principe l’esprit critique, l’examen attentif des faits, les valeurs des Lumières sont sensées nous guider, c’est assez affligeant, d’autant plus affligeant de voir le nom du grand Voltaire piraté par des gens soutenant ce type de thèses dont je considère qu’elles sont des fantasmes, ne méritent pas une entrée en débat.
OB : Ma question n’était pas terminée : d’après vous, qu’est-ce qui a permis l’éclosion de cette thèse ?
FH : L’anti-américanisme et l’anti-démocratisme d’un segment de l’opinion française - on est tout de même dans le pays de Vichy aussi. Il n’y a pas si longtemps il y avait une fraction de l’opinion qui considérait que les totalitaires avaient un meilleur dossier à défendre que les horribles anglo-américains avec leurs bombardements terroristes sur des populations innocentes. Si ça existe dans notre pays c’est bien à cause du traumatisme de l’après mai-juin 1940. Quelque part on ne s’est toujours pas remis de la défaite que l’on a subi à cette époque. La perte de repères qui s’en est suivi, quand on est face à un cataclysme historique de cette ampleur, il faudra bien un siècle pour que les séquelles en disparaissent, pour autant qu’elles disparaissent jamais. Je considère que ce type de fantasme se situe dans le droit fil de la réaction d’un peuple humilié, impuissant, qui cherche toujours à rendre responsable de ce qui arrive des forces obscures, apatrides, Américaines quand elles ne sont pas simplement Juives. C’est horriblement malsain et j’ai trouvé personnellement insupportable que de grands journaux français aient accordé une place à ces fantasmes, fussent en les critiquant. Lorsque l’on consacre à ces fantasmes de pleines pages dans les journaux, comme ça a été le cas après la publication du premier livre de M. Meyssan, d’une certaine façon lorsqu’on accepte d’en parler on rentre dans le jeu.
OB : Est-ce que selon vous les tenants de cette théorie jouent auprès d’Al Qaida le rôle d’"idiots utiles" ?
FH : Je n’ai pas l’impression que les « thèses » complotistes aient joué un rôle majeur dans le recrutement. Mais je reste très prudent là-dessus.
OB : Dans votre ouvrage vous citez le Livre blanc de la défense et expliquez que sa réflexion en ce qui concerne l’anti-terrorisme ne se situe pas suffisamment dans le long terme. C’est assez inquiétant...
FH : Concernant le Livre blanc, sur ce point précis de l’anti-terrorisme, on a l’impression que par moment les gens avaient un peu trop le nez sur le guidon. Mais c’est humain. C’est facile de critiquer. Je procède à cette critique, mais je sais aussi que c’est très difficile à faire. Un responsable dans un service de sécurité qui ne se concentre pas suffisamment sur la menace du moment aura l’air "plus que con" si un attentat correspondant à cette menace principale a lieu sur ces entrefaites. Il serait accusé d’avoir failli à sa tâche avec des conséquences désastreuses en terme de vies humaines. Donc on comprend très bien que les gens aient le nez sur le guidon. Mais justement mon rôle d’analyste consiste à mettre la pression pour pointer la nécessité de se projeter davantage dans l’avenir. Il est vrai que, c’était d’ailleurs une des conséquences du Livre blanc, le ministère de la défense a mis en place des moyens de prospectives, de projections dans l’avenir qu’il n’avait pas jusque là. On verra à l’usage comment ça fonctionne. Il est vrai que ça a été fait avec difficultés, il y a eu de vrais débats souvent difficiles sur ce sujet, mais en l’occurrence ça a été fait, donc je ne peux pas dire que les gens comme moi n’aient pas été écoutés. Alors savoir si la dynamique va se maintenir, on verra ça à l’usage.
OB : Concernant le cyberespace vous dites que cela permet à Al Qaida de créer une Oummah virtuelle. Al Qaida n’a déjà pas de base populaire, pensez-vous que cette "Second life" islamiste permettra de s’en constituer une ?
FH : Le cyberespace est un des éléments les plus dangereux, un des plus efficaces dans le processus de recrutement et d’organisation. On a des cas très concrets, notamment aux Pays-bas et au Royaume Uni, de jeunes qui voulaient rompre avec le piétisme de leur famille d’origine, c’est le cas de certains des kamikazes des attentats du 7/7 2005 à Londres. Ils voulaient être de bons musulmans, mais pas à la façon de leurs parents ou grands-parents. Ils ne voulaient pas de mariages arrangés, ils ne voulaient pas que tout ça finisse dans le village d’origine au Cachemire. Ils voulaient vivre dans une grande ville occidentale, puisque c’est là qu’ils avaient toujours vécu. Ils n’avaient pas de sentiment d’appartenance par rapport au village d’origine. Ils voulaient sortir avec la fille de leur choix , bien sûr bonne musulmane, mais pas choisie par le grand-père. Et ils découvraient à travers des contacts personnels, mais surtout à travers la discussion sur Internet qu’ils pouvaient être des musulmans rigoureux, mais d’une façon « moderne ».
C’est pour ça que dans mon livre je fais la comparaison un peu tirée par les cheveux et qui n’est pas très gentille pour la théologie de la libération catholique, notamment en Amérique latine dans les années 60 et 70. Pas très gentille car cette dernière n’avait rien de terroriste, ne débouchait pas sur ce type de comportement, mais avait un petit peu ce genre de processus, c’est à dire comment être bon chrétien sans rester dans le moule de l’organisation sociale et familiale classique. Là on a un peu le même phénomène et l’apport qu’est Internet, qui permet à des gens très distants les uns des autres de communiquer et de partager a joué et joue toujours un rôle important à cet égard d’où d’ailleurs l’importance du suivi de ce type de site, suivi qui ne pose pas de problèmes éthiques puisque ces sites sont accessibles à tout un chacun, donc il est normal que le contre-terrorisme puisse y avoir accès comme tout un chacun. Importance de suivre ça, importance de comprendre aussi comment une organisation terroriste comme Al Qaida est un rejeton de la modernité.
Tout en revendiquant une inspiration religieuse qui est supposée puiser aux origines le mode d’organisation, le mode d’approche de la société est résolument moderne et dans le cas d’Al Qaida mondialisé à travers des supports comme notamment internet. On a vu ça aussi au Pays bas et en Belgique avec des gens qui ne se manifestaient pas à la mosquée du coin, même quand il s’agissait d’une mosquée « dure », très intégristes. Non, leur mosquée était devenue l’internet.
OB : Pensez-vous que l’importation en France du conflit israélo-palestinien est une opportunité pour la création d’un éventuel Al Qaida en France ?
FH : Je n’y crois pas vraiment. D’abord Al Qaida étant un mouvement mondialisé n’a pas comme cœur de métier le conflit israëlo-palestinien. Alors bien sûr l’existence de ce conflit sert d’élément de motivation et de recrutement dans Al Qaida, mais ce n’est pas Al Qaida qui est moteur dans ce conflit. Si on est à la recherche d’un mouvement terroriste ou activiste dans la région il y a le Hammas ou le Hezbollah, mais il n’y a pas vraiment Al Qaida qui d’ailleurs fait figure de mouche du coche qui n’est pas particulièrement mobilisant par rapport à ceux qui s’enflamment dans nos sociétés pour ce qui se passe au Moyen Orient.
Al Qaida a été beaucoup plus efficace en terme de recrutement dans nos pays et de mobilisation à travers l’Afghanistan à la fin des années 90 et au début des années 2000 et en Tchétchènie et en Irak d’autre part. Deuxième aspect : le conflit israélo-palestinien provoque une résonance très large dans la population française, tant du côté de ceux qui dans la population se sentent plutôt proches des palestiniens que ceux qui se sentent proches des israélien, on est dans une logique de mouvement social, d’organisation large, dans des organisations d’adhérents et non dans des phénomènes de groupuscules de type terroriste. Mais mutatis mutandis c’est ce à quoi on a un peu assisté avec les émeutes en banlieue en 2005. A l’étranger on disait tout de suite « c’est l’Intifada en France, c’est la menace du terrorisme islamique qui se profile », etc. Pas du tout.
Les mouvements sociaux, les mouvements de masse ne sont pas ce qui fait le terreau d’une petite organisation comme Al Qaida ou ses franchisés. Pour faire un parallèle avec les mouvements d’inspirations marxistes communistes du 19ème siècle on pourrait dire d’Al Qaida que c’est un mouvement blanquiste, c’est à dire un mouvement non pas d’avant-garde du prolétariat, mais un mouvement cherchant à travers des groupuscules isolés à changer la société toute seule, en éclairant les masses au passage, si je puis dire. Mais avec une déconnexion entre les noyaux agissant et le mouvement social. Autant je m’inquiète en tant que citoyen, en tant que républicain, des polarisations que le conflit israélo-palestinien peut introduire en France comme ça a été le cas lors de la première Intifada, autant je considère que le lien avec Al Qaida et le recrutement pour cette organisation est ténue. Il n’est pas inexistant. De ce point de vue-là, je considère que les services de renseignements ont été plutôt bien inspirés de se focaliser, il y a trois ou quatre ans, sur les filières d’exfiltration vers l’Irak et la Tchétchène parce que c’est là que pouvait se faire la socialisation des recrues potentielles d’Al Qaida vers l’action terroriste.
A lire aussi sur Agoravox :
. Les attentats de Londres ne sont donc pas liés à Al Qaida
. La stratégie des islamistes : avoir les Etats-unis à l’usure
. Le nouveau chaos mondial
. Al Qaida sonde l’opinion
. Où en est "la guerre au terrorisme", interview d’un expert du renseignement
179 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON