Une lecture conjoncturelle de l’inflation qui permet d’occulter un problème structurel
Sous l’effet du retour de l’inflation à l’échelle mondiale depuis ces derniers mois, la question de la défense du pouvoir d’achat redevient centrale dans les préoccupations des Français et le débat public. Pour l’heure, la communication des autorités officielles politiques et monétaires, ainsi que des services publics de statistiques, est très bien rodée, à l’image des derniers points conjoncturels de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) (1), qui fait état d’une hausse des prix à la consommation de 6,1 % sur un an en juillet dernier et prévoit une inflation à l’horizon de la fin de l’année à un niveau proche de 7 % en glissement annuel (5,5 % en moyenne annuelle en 2022 contre 1,6 % en 2021). Le discours officiel se limite en effet à une simple analyse descriptive des faits, à savoir qu’après une longue période de 35 ans de très grande « sagesse » des prix, l’inflation a fait son retour en 2021, déclenchée par une reprise économique synchrone sur tous les continents au sortir de la crise du Covid-19 face à une offre productive déstabilisée par la crise sanitaire ; et qu’elle connaît une nouvelle aggravation en 2022 du fait des conséquences de la guerre en Ukraine et des confinements répétés en Chine, décidés par les autorités chinoises dans le cadre de leur politique sanitaire « zéro Covid ».
Même s’il n’y a rien à redire sur la véracité des faits explicatifs conjoncturels ainsi mis en avant, l’économiste et le sociologue à la tête bien faite et de bonne foi intellectuelle ont cependant de quoi rester sérieusement sur leur faim et objecteront bien volontiers, et à raison, que cette présentation officielle, faite par la doxa néolibérale, est un peu courte, et qu’elle ignore insidieusement toute l’importante dimension structurelle de l’inflation relevant du conflit dans la répartition des richesses créées (la valeur ajoutée dans le jargon de la comptabilité nationale) entre le travail et le capital, une conflictualité centrale dans la dynamique de la lutte des classes. Et pour cause ! La prise en compte de ce conflit dans la répartition de la valeur ajoutée entre les travailleurs et les capitalistes nous plonge inévitablement au cœur même des principales contradictions internes d’un capitalisme actionnarial climaticide. Par ailleurs, le silence radio en la matière permet aux gouvernants actuels de se limiter à ne proposer que des pansements ponctuels, bien éloignés des véritables enjeux posés par le regain inflationniste actuel, en laissant totalement de côté les indispensables transformations structurelles concernant un partage de la valeur ajoutée aujourd’hui historiquement défavorable aux salariés. Or, ce sont pourtant des mesures oeuvrant en faveur de ces mutations structurelles qui apparaissent indispensables pour répondre à la fois à la question de la protection du pouvoir d’achat des Français de façon durable et aux objectifs d’une transition écologique ambitieuse, ces deux aspects socio-économique et écologique étant inséparables.
https://blogs.mediapart.fr/yves-besancon/blog/271022/sous-les-cieux-inflationnistes-lentetement-dun-pouvoir-au-service-du-grand-capital