un article du Fig du 10 oct 2005 ; qui n’a pas vieilli ; les chiffres des déficits ont simplement augmenté ; toute rêverie sur l’écroulement des US est vaine ; il faut attendre l’arrivée de contrepoids comme la Chine ; l’augmentation du budget militaire chinois va dans ce sens ; c’est évidemment souhaitable
Le hold-up financier des Etats-Unis sur le reste du monde
Depuis longtemps, les Cassandre pronostiquent l’effondrement du dollar. Avec un argument simple : lui seul pourra résorber les déficits jumeaux de la balance commerciale et du budget américains. Pourtant, le billet vert tient toujours. Deux jeunes Français, Hélène Rey, chercheur à l’université de Princeton (New Jersey), et Pierre-Olivier Gourinchas, à Berkeley (Californie), ont donc décidé de regarder ce sujet de plus près. Leurs travaux, diffusés par le National Bureau for Economic Research et le Center for Economic Policy Research (1), revisitent les vieux raisonnements, en tenant compte de l’intégration financière de plus en plus étroite au niveau mondial.
Pour eux, il ne faut pas se focaliser sur les déficits américains, mais plutôt regarder le bilan du pays, en comparant les actifs détenus par les Américains à l’étranger (libellés en monnaies autres que le dollar) et la dette émise (libellée en dollars). Pour 10 000 milliards de dollars de dette, les Etats-Unis ont 7 000 milliards de dollars d’actifs en devises étrangères. Résultat, si le dollar se déprécie de 10 %, les actifs américains à l’étranger s’apprécient d’autant. « Cela représente alors un gain équi valent à 5 points de produit intérieur brut (PIB), soit l’ordre de grandeur du déficit de la balance commerciale », commente Pierre-Olivier Gourinchas. Ce qui rend le déséquilibre des comptes courants quasi indolore.
Il est d’autant plus indolore que, bien que leur dette soit supérieure à leurs actifs, les revenus financiers perçus par les Etats-Unis sont plus élevés que les intérêts qu’ils paient. Depuis 1973, le rendement des actifs étrangers des Américains a été supérieur de 3 % par an aux intérêts qu’ils ont payés sur leur dette.
Les Etats-Unis ont-ils gardé, après la fin du système de Bretton Woods, une forme de « privilège exorbitant » du dollar, que dénonçaient le général de Gaulle et Valéry Giscard d’Estaing ? Pour les deux économistes, l’Amérique, qui offre des actifs liquides et sans risques (donc peu rémunérés) aux épargnants du monde entier, investit surtout mieux son argent, dans des actifs plus risqués mais plus rentables, notamment des actions. Les Etats-Unis sont devenus le « capital risqueur » du reste du monde, écrivent les deux économistes.
Cela n’exonère toutefois pas l’Amérique de rééquilibrer ses comptes, insistent les deux économistes, dont les travaux sont suivis avec d’autant plus d’attention à Washington, qu’ils sont voisins de ceux de Ben Bernanke, nommé conseiller économique à la Maison- Blanche en juin. En effet, si les investisseurs étrangers soupçonnent que les Etats-Unis ont une stratégie délibérée de dépréciation de leur dette, ils changeront de monnaie de réserve. Surtout, la dette gonfle si vite que l’écart entre les revenus et les intérêts payés risque de disparaître. Le déficit des comptes courants connaîtra alors un effet boule de neige. Dans ces deux cas, une crise violente est à prévoir.
(1) From world banker to world venture capitalist : US external adjustment and the exorbitant privilege, NBER et CEPR, août 2005.
Le NBER
Le National Bureau of Economic Research (NBER) constitue un réseau américain de chercheurs universitaires, basé à Cambridge dans l’Etat du Massachusetts, et qui permet d’assurer une plus grande diffusion à leurs travaux. Son équivalent européen est le Centre for Economic Policy Research (CEPR) qui se trouve à Londres.
www.nber.org/www.cepr.org