@ Réveil
Ci-dessous le lien vers un article de Jacquiau publié dans le Monde Diplo :
http://www.monde-diplomatique.fr/2007/09/JACQUIAU/15101
Max Havelaar ou les ambiguïtés du commerce équitableLeader mondial du commerce équitable, Max Havelaar prétend répondre à une demande de consommation « différente » placée sous le signe de la solidarité entre consommateurs du Nord et petits producteurs du Sud. Toutefois, l’entreprise semble effectuer un tournant « pragmatique » en se liant à de grands groupes très éloignés de ses préoccupations d’origine. Il n’est pas certain que les producteurs et les citoyens s’y retrouvent.
Comment apporter aux petits paysans pauvres un revenu qui leur permette de prendre en charge leurs besoins fondamentaux, de préserver leur environnement et de fonder des relations humaines sur d’autres valeurs que celles prônées par le « tout libéralisme » planétaire ? C’est lors de la première Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), en 1964, que l’idée « Trade not aid ! » (« le commerce, pas l’aide ») donne naissance au commerce équitable. Jusque-là réservée à une clientèle d’initiés, la vieille idée d’une relation plus juste entre le Nord et le Sud se popularise alors auprès d’un public que l’on qualifie volontiers d’« alterconsommateur ».
« Créé en tant que commerce solidaire, rappelle la sociologue Virginie Diaz Pedregal, le commerce équitable a été fortement marqué à ses débuts par l’humanisme des mouvements religieux chrétiens, ainsi que par une conception protestante de l’éthique (1). » D’essence caritative, mais influencé ultérieurement par une approche politique plus tiers-mondiste, ce commerce solidaire se transforme en acte d’opposition au système capitaliste. Il devient alors « alternatif ». Jusqu’à ce que...
« Nous étions et sommes toujours anticapitalistes, opposés aux transnationales », rappelle le prêtre ouvrier Frans van der Hoff, cofondateur en 1988 de la marque Max Havelaar (2). Pourtant, happé par la vague néolibérale, la démarche « solidaire » puis « alternative » a muté, au tournant des années 2000, jusqu’à devenir un « commerce équitable » largement dépolitisé. « L’heure n’est plus à la révolution mais à la réforme, souligne Diaz Pedregal. L’objectif du mouvement est de bonifier le système libéral en le modifiant de l’intérieur. »
Présent dans de nombreux pays du Nord et principal promoteur de cette mutation, Max Havelaar se trouve au cœur d’un vaste débat renvoyant la démarche à ses fondements, historiques et politiques. D’un côté, les tenants de la marchandisation des produits équitables. De l’autre, les promoteurs d’un modèle exigeant davantage de contenu social et environnemental tout au long des filières, au Sud comme au Nord, avec en filigrane une interpellation sur la question essentielle de la répartition des richesses. En ce sens, l’affaire du coton africain estampillé Max Havelaar – au-delà des polémiques qu’elle suscite – est emblématique du trouble que traverse le monde de l’équitable.
Du retrait de la France coloniale – ayant permis la nationalisation des filières cotonnières africaines au bénéfice des Etats émancipés – aux privatisations imposées à ceux-ci par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, conduisant de fait à la réappropriation de leurs richesses par de puissants oligopoles privés, le coton est révélateur d’une certaine instrumentalisation du commerce équitable.
La rémunération des petits paysans africains producteurs de coton est désormais fixée par le marché, où opèrent de puissants groupes financiers ou agroalimentaires, comme la société française Dagris (Développement des agro-industries du sud), détentrice d’un quasi-monopole sur le secteur cotonnier de l’Afrique de l’Ouest. Entreprise jusque-là publique, Dagris est aujourd’hui en cours de privatisation (lire « Paris brade le coton subsaharien »). « Le maintien de Dagris dans la sphère de l’Etat [risquait] de l’exclure de certaines privatisations, les Etats africains s’opposant fréquemment à ce que des organismes majoritairement publics contrôlent les filières cotonnières privatisées », précise un rapport du Sénat français, très favorable à sa dénationalisation, en mars 2005 (3). Désormais, la volonté du groupe de servir de confortables dividendes à ses actionnaires s’opposera à l’espérance des paysans de recevoir une équitable rémunération. Pour couper court à toute contestation, Dagris s’est tourné vers le « commerce équitable » : sur les deux cent quarante mille paysans producteurs de coton pour la société, trois mille deux cent quatre-vingts ont été sélectionnés pour bénéficier du système Max Havelaar (4).
Elimination des petits paysansUn tel compagnonnage est contesté par Mme Aminata Traoré, ex-ministre de la culture du Mali : « Le commerce équitable fait partie des solutions au drame africain, à la condition que Max Havelaar ne se mette pas avec Dagris. Dagris fait partie du problème. » Mais d’autres considérations emportent la décision de Max Havelaar. « En 2003, l’association affichait un déficit de 350 000 euros, plus 600 000 euros de dettes et un arriéré d’impôts dépassant 700 000 euros. Max Havelaar France se refait une santé financière avec la fibre textile », constate la presse française (5). De fait, l’association est aussitôt récompensée : 610 000 euros lui sont versés par le ministère des affaires étrangères français, 500 000 par le Centre pour le développement de l’entreprise (CDE). Au total, plus de 1,7 million d’euros, toutes subventions comprises, pour la seule année 2004 (6).
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