Crèche Baby loup, la Cour de cassation casse la décision qui lui était favorable : Défendre la laïcité passe par une nouvelle loi !
La Cour de cassation vient de casser, par un arrêt rendu ce 19 mars 2013, la décision de la Cour d’appel qui avait donné raison à la directrice de la crèche Baby loup contre une de ses salariées qui, revenant de congés parental, avait décidé de porter le voile. Le principe de laïcité se trouvait dans le règlement intérieur de l’établissement en bonne place, autrement dit, l’exigence d’une neutralité philosophique et religieuse envers ses usagers, les enfants et leurs parents. N’était-ce pas le moins que l’on pouvait demander, qu’aucun salarié ne s’autorise à imposer à quiconque ses convictions religieuses de façon ostensible dans un tel cadre ?
La Cour de cassation en a décidé autrement et c’est un méfait, car il y a là un refus de regarder l’état des choses en face tout en désarmant les défenseurs de notre République laïque déjà tant attaquée. Car si l’on veut bien y prêter attention, c’est donner un très mauvais signe à notre société, un repère de plus que l’on fait voler en éclat ciment de notre vivre ensemble, de la mixité sociale, qui a permis jusqu’alors d’éviter que l’on vive les uns à côté des autres mais au contraire les uns parmi les autres. Deux tribunaux n’avaient-ils pas jugés qu’il y avait ici matière à évoquer le principe de laïcité ? Ne faut-il donc pas réagir face à une offensive nouvelle du religieux qui entend affirmer sa volonté de réencadrement de notre société ?
Laisser s’affirmer le voile partout est un péril pour nos principes républicains
et pour la liberté de choix des musulmans
N’y aurait-il pas nécessité, face à l’affirmation d’un mouvement d’enfermement d’une partie de la population de notre pays sur les fondements d’une certaine lecture de l’islam, se manifestant par le refus de se mélanger au-delà de la communauté de croyance, dont le voile est le symbole d’allégeance grandissant, de donner une autre réponse que celle qui vient de tomber ?
Comment ignorer les risques que la logique communautaire fait courir aux libertés des individus au regard du poids grandissant dont elle joue en faveur d’une assignation des musulmans qui réservaient jusque-là la pratique de leur religion à la simple sphère privée. C’est ainsi non seulement un péril pour les valeurs communes mais tout particulièrement pour les musulmans voire encore plus pour les musulmanes, qui ne veulent pas de ce communautarisme auquel on donne de plus en plus d’arguments pour les y assigner.
« Le droit est sans prise sur la foi » comme aiment à le dire dans leur livre les deux avocats de la mosquée de Lyon et de Paris (Droit et religion musulmane, Dalloz, pages 35-36) au nom de vivre sa religion de façon authentique, portant ainsi la croyance au-dessus de nos beaux principes communs. Faudrait-il ignorer ce fondement du rejet de l’intégration républicaine ?
Comment ne pas voir que le voile est l’expression même de la volonté de peser en faveur de revendications identitaires dont le but est que soit octroyé un droit à séparation et à dérogations qui mine l’autonomie de l’individu, sur laquelle reposent précisément nos principes républicains, dont l’égalité hommes-femmes, au regard d’une conception religieuse prônant le retour à la tradition qui voit la femme par nature inférieure à l’homme et soumise à lui (Coran, Sourate IV versets 38).
En laissant faire, n’est-ce pas donner aussi un très mauvais signe à toutes ces femmes dont la religion est l’islam pour les encourager à renoncer à une émancipation à laquelle elles ont aussi droit comme au progrès des libertés pour tous ?
La Cour de cassation oublie qu’une crèche n’est pas une entreprise marchande
et que ses usagers ont des droits
Que nous dit la Cour de cassation pour justifier cette décision ? Que « s’agissant d’une crèche privée, qui ne peut dès lors, en dépit de sa mission d’intérêt général, être considérée comme une personne privée gérant un service public, la Cour de cassation rappelle que le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. Le principe de laïcité ne peut dès lors être invoqué pour priver ces salariés de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail. »
Voilà une contradiction de taille, une énorme erreur que de lancer pareille généralité. C’est méconnaitre la réalité du secteur social et médico-social, où les missions relevant du droit public, c’est-à-dire des politiques sociales inscrites dans le code de l’action sociale et des familles, sont exécutées en majeure partie dans le cadre d’établissements de type associatif. Qu’ils soient de caractère privé ne retire rien à la nature des missions qui leurs sont confiées et relèvent de l‘égal accès aux mêmes prestations et donc d’une égalité de traitement qui, si elle n’était pas respectée, romprait avec des droits dont la loi a doté les usagers (Loi 2002-2 du 2 janvier 2002) protégés par la norme constitutionnelle : « L'exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. » La liberté de conscience et de penser n’en fait-t-elle pas partie et la manifestation de signes ostensibles ne s’y oppose-t-elle pas ? « Le respect de sa dignité, de sa vie privée » n’auraient-il ici rien à voir avec une nécessaire réserve du personnel intervenant auprès de l’usager ? Lorsqu’on exprime dans cette loi comme droit « Une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité favorisant son développement, son autonomie et son insertion, adaptés à son âge et à ses besoins, respectant son consentement éclairé qui doit systématiquement être recherché lorsque la personne est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. A défaut, le consentement de son représentant légal doit être recherché », cela ne correspondrait-il pas précisément à la situation d’enfants, fusent-ils pris en charge dans une crèche privée associative. Ces derniers ne seraient-ils pas avec leurs parents des usagers comme les autres avec les mêmes droits ?
Précisément, selon la Cour de cassation « Selon les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail intégrant les dispositions de la directive de l’Union européenne du 27 novembre 2000 prohibant les discriminations fondées notamment sur les convictions religieuses, les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. Tel n’est pas le cas de la clause générale de laïcité et de neutralité figurant dans le règlement intérieur de l’association Baby Loup applicable à tous les emplois de l’entreprise. »
Une crèche peut-elle être simplement ainsi assimilée à une entreprise de droit privé ? Les services qu’on y rend ne seraient-ils ici que des marchandises comme les autres, et les enfants n’auraient-ils pas des droits en propre à y opposer ? L’autorité parentale censée guider l’enfant dans ses choix n’aurait ainsi pas voix au chapitre face à la liberté religieuse qui deviendrait supérieure aux droits les plus fondamentaux ? C’est inique.
François Gaudu (Agrégé des facultés de droit, professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Paris 1), auditionné par le Haut Conseil à l'intégration le 18 mai 2011.) souligne justement qu'il serait dangereux pour les juristes de pousser "à l'absurde les raisonnements qui favorisent l'individualisme religieux au détriment des intérêts collectifs dont le droit du travail doit rendre compte" (Revue Droit social, 01/2010).
La nature de la tâche à accomplir est ici au fondement de l’éducation,
qui justifie un respect d’une stricte neutralité philosophique ou religieuse
Concernant la nature de la tâche à accomplir, les crèches n’ont-elles pas une tâche à accomplir qui, impliquant les droits de l’usager et avec eux l’autorité parentale, relève de l’éducation ? N’y trouve-t-on pas des Educateur de jeunes enfants, à moins que le nom de leur diplôme ne soit que décoratif ? La nature de la tâche à accomplir, éducative dès les premiers pas de l’enfant ici, ne devrait-elle pas ainsi prendre en compte une nécessaire neutralité qui seule peut permettre de respecter les convictions personnelles de tous, le libre-arbitre de chacun, le droit de croire ou de ne pas croire, en assurant un traitement égal de chacun, favorisant la qualité du lien social et prévenant de plus contre tout risque de discrimination.
Et encore, faudrait-il aussi oublier le rôle d’utilité sociale de cette crèche, qui renvoie à une action sociale qui implique la continuité avec nos institutions, puisqu’il s’agit de faire des enfants qu’elle accueille, l’air de rien, de futurs citoyens, et le sens que cela prend pour tous ces parents qui y prennent part, dans un cadre plus large de cohésion sociale à laquelle sa mission participe.
D’ailleurs, c’est bien cela que la loi 2002-2 du 2 janvier 2002 qui rénove l’action sociale et médico-sociale affirme : « L’action sociale et médico-sociale tend à promouvoir, dans le cadre interministériel, l’autonomie et la protection des personnes, la cohésion sociale, l’exercice de la citoyenneté, à prévenir les exclusions et en corriger les effets. (…) Elle est mise en œuvre par l’Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les organismes de la Sécurité sociale, les associations, ainsi que par les institutions sociales et médico-sociales au sens de l’article L 311-1. » Les crèches associatives seraient –elles ainsi en dehors de ce champ de l’action sociale, du champ associatif concerné, du droit des usagers ?
Rappelons le caractère exemplaire de cette crèche : « Elle propose dans un milieu défavorisé une offre d'accueil à la petite enfance et œuvre pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier, tout en favorisant le maintien du lien social par des activités ouvertes aux parents et aux habitants de la commune ; qu'ainsi, pour répondre aux besoins des parents, la crèche est ouverte 24 heures sur 24. » Elle accueille pour beaucoup des mères seules avec enfants souvent de nationalités étrangères dans le respect des croyances et de la diversité de tous grâce à l'obligation faite au personnel d'un principe de neutralité qui est la manifestation d'un contrat de haute responsabilité citoyenne.
Un coup terrible porté contre la laïcité, du communautarisme à l’extrême droite !
Au passage, rappelons que la femme voilée avait demandé pour ce licenciement qu’elle jugeait discriminatoire, rejointe depuis sur ce point par la Cour de cassation, plus de 100 000 euros de dommages et intérêts. Une somme qui, si la crèche avait été condamnée aurait entraîné la fermeture de celle-ci inscrite pourtant comme un exemple dans le tissu social local, essentiel à cette ville du 78. Voyez où pourrait mener cette décision contraire sur tous les plans à la justice si ce mot peut avoir valeur de portée sociale !
C’est aussi malheureusement, un signe terrible lancé à une extrême droite qui va pavoiser et tirer du feu ces marrons offerts sur un plateau en or pour crier au « tous pourris », en jouant sur les ressentiments pour mieux désigner l’autre comme l’ennemi. Elle trouve là une nouvelle arme, dans ce holdup sur la laïcité qu’elle a opérée ces dernières années que dénonce le journaliste Patrick Kessel[1] ô combien à raison. Mais ceux-là ne voient rien, n’écoutent rien, et laissent libre cours à ceux qui veulent coudre nos lèvres pour nous faire nous étrangler avec nos cris d’alarme.
Laïcité et petite enfance, un combat qui passe maintenant par une loi
Enfin, que devient donc aussi la notion d’entreprise de « tendance » avec cet arrêt ? C’est-à-dire ces associations, établissements ou entreprises (particulièrement nombreuses au sein de l’Église catholique) « dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions », selon la définition qu’en a donnée une directive européenne en 2000 : « Une attitude de bonne foi et de loyauté est en droit d’être sollicitée du salarié envers l’éthique de l’entreprise de tendance ». Cette crèche avait clairement signifié son attachement au principe de laïcité et à sa philosophie, dans son règlement intérieur. Alors, que faut-il donc entendre derrière ce coup d’arrêt à l’application jusqu’à ce point de la référence à la laïcité, serait-elle moins acceptable que la référence à une foi et ne pourrait-elle pas être une conviction ici au mois autant respectée ? D’autant rappelons-le que c’est la laïcité qui autorise, par le fait de ne faire prévaloir aucune différence sur une autre mais le principe d’égalité sur toutes, toutes les foi et convictions, et garantit ainsi la liberté de conscience, le libre-arbitre de chacun. Un arrêt qui pose plus de questions qu’il n’en résout concernant bien des contradictions auxquelles on livre ainsi notre lien social.
On a bien compris qu’il faudrait en passer par la loi pour imposer la cohérence de notre droit et ne pas laisser la liberté religieuse devenir supérieure aux autres libertés. Le Haut Conseil à I’Intégration défend dans son avis sur La neutralité religieuse dans l’entreprise (Septembre 2011), que « le principe de laïcité régissant les services publics doit être étendu aux structures privées des secteurs social, médico-social, ou de la petite enfance, chargées d'une mission de service public ou d'intérêt général, hors le cas des aumôneries et des structures présentant un caractère propre d'inspiration confessionnelle ». C’est d’ailleurs dans ce sens que va la proposition de loi de la sénatrice Françoise Laborde en faveur de l’extension du principe de laïcité relativement aux structures de prise en charge de la petite enfance et de ses personnels. Cette bataille est devant nous !
Mobilisation générale des laïques pour l’idéal républicain !
Il faut en appeler à un nouveau mouvement de résistance qui porte haut les valeurs de notre République et pèse avec le peuple dans le sens de son intérêt, en reflet du rôle d’utilité sociale de cette crèche et de sa directrice formidable de courage, Mme Baleato. C’est notre République indivisible, laïque, démocratique et sociale sous le signe de sa devise Liberté, égalité et fraternité qu’il faut renforcer ! Rien n’a été fait de plus beau et de meilleur dans l’histoire jusqu’à plus ample informé. S’il fallait cela pour que l’on se réveille, il est temps et même grand temps que les laïques prennent la mesure de ce qui se joue là devant l’histoire : rien de moins que la vie ou la mort d’une forme de liberté, cette égalité d’avoir tous les mêmes droits qui crée les conditions de la liberté d’un choix individuel. Une liberté qui est en même temps une responsabilité collective comme bien commun qui ne peut être garanti que par la séparation du politique et du religieux, de toute influence d’une Eglise envers lui. Laïques de tous les quartiers et communes de France, unissons-nous !
Guylain Chevrier
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