De qui et de quoi les commentateurs sportifs peuvent-ils se moquer aux JO ?
Mais des noms à coucher dehors de certains athlètes, bien évidemment !
Certes, ce n’est pas très charitable, mais il faut les comprendre, ces présentateurs : aux JO, le choix des vacheries à distiller est très limité ! Dans cette noble ambiance, impossible de décharger son adrénaline ou de cracher sa bile comme jadis, en s’étonnant ou en ironisant sur un Kenyan qui courait pieds nus – ils mettent maintenant des baskets made in China, comme tout le monde, ni sur une série ou une finale, à laquelle ne participeraient que des gens de couleur non claire – ce serait le renvoi assuré, assorti d’une plainte pénale pour incitation au racisme, méritée ajouterai-je, car je n’ai pas plus envie qu’eux d’être poursuivi.
Se moquer des jeux paralympiques ? Ça va pas, non ? De toute façon, la majorité des commentateurs seront rentrés et n’assisteront pas aux jeux paralympiques, en raison d’obligations professionnelles urgentes à Paris.
Alors, lancer quelques fines plaisanteries à connotation sexuelle, au sujet des tenues moulantes, des maillots à ras du pubis ? Bof, banal à l’heure où les pubs érotiques ne font même plus tourner la tête des travailleurs pressés sortant du RER ou du métro. D’ailleurs, dans l’Antiquité, les champions ne couraient-ils pas tout nus, le corps n’était-il pas glorifié, y compris dans ses parties que la morale judéo-chrétienne a parfois jugées impures ?
Supputer les chances d’un athlète plus petit que les autres au saut en hauteur ? Attention ! Possible mais limite, à effectuer avec doigté... Pareil pour un athlète trop grand pour sa discipline, pour une maigrichonne qui concourt au lancer de marteau – sauf si elle va en finale auquel cas on peut s’émerveiller de sa performance accomplie malgré un physique inadapté.
Se moquer des Chinois qui sont dans quasiment toutes les épreuves, sur le thème "ils sont nombreux, ils sont partout" ? Banal, déjà fait par des politiciens gaffeurs... et de très mauvais goût, quand on est invité par ce grand pays, cette civilisation prestigieuse et plurimillénaire.
Rappeler leurs méthodes si particulières de surentraînement des enfants... ou l’aspect si juvénile de leurs championnes de gymnastique "âgées de 16 ans" ? Délicat, on critique la main qui nous fait vivre, on attente à la gloire du sport. Si le règlement changeait ou si le CIO vérifiait réellement l’âge des gymnastes, imagine-t-on les concours de gymnastique féminine avec des vieilles de 20 ans pas fichues de faire un nœud avec leurs vertèbres ?
Non, décidément, il est bien difficile de trouver un sujet de moquerie qui soit à la fois convivial et politiquement correct dans cette grand-messe des nobles valeurs sportives, cette communion mondiale dans la ferveur et l’exaltation du courage et de l’effort. Une pique contre le nationalisme qui sous-tend les Jeux ? Contradictoire quand on comptabilise plusieurs fois par jour les médailles françaises.
Alors, le Tibet, le dopage ? Bof, on peut l’évoquer de temps à autres pour meubler les longues périodes d’attente entre les épreuves, histoire de rappeler qu’on n’est pas dupes du sport-spectacle, du sport-business, du sport-politique, mais c’est devenu d’un banal... Et puis, c’est de la politique : depuis quand les journalistes sportifs piquent-ils des sujets à leurs collègues généralistes ?
Non, on ne se moque pas des JO. C’est tout, c’est net, c’est carré, c’est sacré.
Pourtant, pourtant, il existe bien un domaine où nos présentateurs peuvent discrètement ironiser : ce sont les noms imprononçables de certains athlètes, les étranges graphies de leurs patronymes à consonnes multiples, si nombreuses que seul un entraînement digne d’un champion – justement - pourrait permettre à un présentateur standard de prononcer correctement ces noms bizarres, exotiques, alors qu’il serait si facile de s’appeler Dupont, Durand ou Machin, voire Tao ou tout autre nom chinois, car nous avons fait un effort de formation sur les noms des athlètes du pays hôte.
Bon, se moquer des noms, oui, mais desquels ? La question est délicate, car à tout moment on risque de franchir la frontière floue du politiquement correct : pas de noms africains, on se ferait taxer de néocolonialisme, de racisme ; pareil pour les noms asiatiques... Imagine-t-on un journaliste ricaner "Hi, hi, c’est dur à dire Jongajouéômajong !" ? Mentalité coloniale et paroles vexatoires envers le continent hôte.
Avec les noms hispanisants on se débrouille, et la plaisanterie tomberait à plat. Avec les Norvégiens on a l’habitude : ça finit toujours par -ssen, et avec les États-Uniens, l’anglais étant devenu quasiment obligatoire à l’école, on sait quand même prononcer "Alien", "Star Wars" et même le gauchiste "Michael Mouuure" et "George Bouche" ne posent aucun problème de prononciation à nos journalistes.
Non, à y bien réfléchir, ne restent que les pays d’Europe centrale : les Baltes, Slaves, Lettons, ex-Yougoslaves, toute la région comprise entre la France à l’ouest et la Chine à l’est, la Suède au nord et Italie au sud, qui fait l’affaire.
Par exemple :
Chicherova (qu’il faudrait prononcer Tchitcherova)
Slesarenko (en russe : Слесаренко, qu’il faut prononcer Slessarenko)
Vlasic, Croate, née dans l’ex-Yougoslavie, à prononcer Vlachitche, car la vraie graphie de son nom est Blanka Vlašić, avant que les officiels ne lui enlèvent ses signes diacritiques
Beata Mikolajczyk, athlète polonaise, à prononcer Mikolaïtchik
Ferenc Gyurkovics (Hongrie), à prononcer Férents Durkovitch
Milosevic - le tristement célèbre Slobodan Milošević, à prononcer Milochevitch…
La première raison à ces difficultés est d’ordre linguistique : c’est la question plus générale de la transcription des noms propres, particulièrement ceux d’une langue ayant un autre alphabet. L’écriture des noms utilisant l’alphabet cyrillique reflète assez mal leur vraie prononciation...
De même, les combinaisons inhabituelles (pour eux) de consonnes déroutent les Français.
En polonais, les consonnes "sz" se prononcent "ch", et la combinaison "rz" - "ch" ou "j".
En tchèque, "c" se prononce souvent "ts" comme pour Václav Havel (Vatslav Havel).
Divers autres exemples existent, mais, en bon Français peu familier des langues slaves, même européennes, j’ai déjà une migraine.
A ce sujet, rappelons que, plutôt que d’imposer l’anglais à l’école primaire, comme on l’a fait (rares exceptions), il eut été possible de soutenir le projet Evlang (Éveil aux langues) qui aurait eu l’avantage de familiariser les enfants avec divers alphabets et diverses langues européennes, à l’âge où leur oreille musicale est plus performante. Des choix politiques en ont décidé autrement...
La deuxième raison est que nos commentateurs ont probablement utilisé des documents fournis par les autorités organisatrices des Jeux, à savoir les Chinois, qui, bien qu’ayant fait de petits gestes pour épargner notre amour-propre, ont massivement utilisé l’anglais comme langue officielle, et donc leur transcription approximative. Car on ne peut attendre des Étas-Uniens qui font des remakes des films plutôt que d’aller les voir doublés, qu’ils fassent un effort de transcription phonétique de noms tout à fait exotiques pour eux !
En outre, certaines langues perdent leurs signes diacritiques une fois passées entre nos mains ! N’est-ce pas un peu choquant ? Accepteriez-vous qu’on vous enlève un morceau de votre anatomie ?
A noter que même dans une langue utilisant l’alphabet latin, cette question peut se poser : Georges Bush devrait être transcrit George Bouche, et Michael Moore, Michael Moure.
La meilleure solution – valable dans tous les cas et tous les alphabets – serait de systématiquement indiquer la graphie d’origine suivie de la transcription en français (pour la France), de cette façon :
Václav Havel (Vatslav Havel)
Blanka Vlašić (Vlachitche)
Par sympathie envers les difficultés des commentateurs sportifs et en signe d’encouragement, nous leur signalons l’existence sur internet de nombreux sites, sur lesquels ils pourront – pendant les quatre ans qui nous séparent des JO de Londres – peaufiner leurs connaissances linguistiques. Par exemple : "Apprendre à parler croate".
Ainsi, nous avons bon espoir que, dans les prochaines années, plutôt que la navrante remarque "ça, c’est pas facile à prononcer", nous aurons la joie d’entendre d’autres formulations, moins vexatoires, qui seront soit formulées dans le registre humoristique :
— Avec ce qu’on me paye, je vais quand même pas devenir linguiste !
— Je suis commentateur sportif, pas traducteur à l’ONU !
Soit dans le registre neutre ou cultivé :
— Je ne sais pas prononcer ce nom.
— Je vais me renseigner.
— Cher confrère, pardonnez mon ignorance, mais pourriez-vous me rappeler comment ça se prononce ?
Voire enthousiasmé par sa nouvelle mission éducative, bien dans l’esprit du service public :
— Chers téléspectateurs, j’ai le plaisir de vous apprendre, si vous ne le savez déjà que "Xztlcqsugopk" se prononce en fait tout simplement : "Tchaojedémissionneetjefaisunstagedeplombierça payebienparaît-il" !
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