Explosion d’AZF : de piste en piste
Après le non-lieu prononcé en faveur de Gilles Fauré, le manutentionnaire inculpé pour « homicides et blessures involontaires » dans l’enquête sur l’explosion de l’usine AZF qui a ravagé Toulouse, c’est toute la piste du mélange de produits chimiques incompatibles qui s’affaiblit.
Sur les 13 personnes mises en examen à la suite de l’explosion qui a ravagé Toulouse le 21 septembre 2001, 12 ont donc été acquittées par la justice, il ne reste que Serge Biechlin pour la société Grande Paroisse de Total, dont la dernière demande de non-lieu a été rejetée fin juillet. Toute la chaîne de responsabilité depuis le manutentionnaire, son supérieur hiérarchique et jusqu’à la Surca responsable de la formation de Gilles Fauré, est donc mise hors de cause : c’est toute la piste de l’explosion unique provoquée par un mélange DCCNa-nitrate d’ammonium, déjà écornée par une tentative de reconstitution désastreuse, qui est progressivement discréditée.
C’est exactement à cette même période que le magazine Valeurs Actuelles, qui s’est déjà illustré à plusieurs reprises par ce qui constitue ni plus ni moins qu’une enquête parallèle sur les évènements ayant mené à l’explosion du hangar 221 d’AZF, propose publiquement une nouvelle piste : celle du gaz UDMH.
Premier indice : les brûlures et lésions cutanées de plusieurs victimes, associées aux nombreux témoignages faisant état d’une forte odeur d’ammoniaque et de poisson pourri portée par le vent venant de l’usine. Les traces de brûlures et lésions correspondent à une intoxication à l’hydrazine, un gaz plus lourd que l’air qui a une odeur âcre et ammoniaquée.
Second indice : les phénomènes lumineux observés par les témoins directs, comparés à des éclairs. Ces effets lumineux peuvent très bien avoir été des inflammations de nappes de gaz, une hypothèse abordée dans le rapport d’expertise remis au juge Perriquet. Autre point significatif : l’explosion d’une nappe de gaz au sol a un impact sismique important.
Troisième indice : une forme de gaz hydrazine, l’UDMH, est fabriquée à la SNPE voisine d’AZF pour servir à la fabrication du carburant de la fusée Ariane. C’est même une spécialité locale puisque ce site est seul en France, et l’un des rares au monde, à en fabriquer. Il se trouve justement que le site de fabrication de ce gaz se trouve en droite ligne du hangar 221 d’AZF et de la tour verte de prilling, que les témoins ont vu être "frappée par la foudre" et décoller lors de l’explosion. Le 21 septembre 2001, ce site était arrêté pour maintenance, et on apprend qu’une grande quantité de gaz UDMH avait été libérée dans les 48 heures suivant la catastrophe.
Un déroulement possible des évènements se dessine : du gaz UDMH, présent en grande quantité à la SNPE ce jour-là, s’échappant à cause des opérations de maintenance, formant de grandes nappes au sol, se serait répandu de la SNPE jusqu’à l’usine AZF (il n’y a aucun obstacle sur le chemin), porté par le vent qui, ce jour-là, souffle exactement dans cette direction. Au niveau de la tour de prilling, le gaz est aspiré et remonte dans la tour : normalement cette circulation d’air sert à refroidir le nitrate fondu pour en faire des granulés. De là l’air chaud est évacué à l’extérieur via deux grands ventilateurs. Le mélange air chaud - UDMH évacué ce 21 septembre 2001, en s’enflammant, a très bien pu prendre l’aspect d’un éclair frappant la tour, tandis que l’explosion de ce mélange, à l’intérieur, aurait suffit pour faire décoller le bâtiment entier.
L’UDMH aurait aussi continué de se répandre jusqu’au hangar 221 contenant un grand tas de nitrate d’ammonium, et dont le sas est à ce moment ouvert et exposé au vent. L’UDMH réagit avec les nitrates pour former ce qui s’appelle de l’astrolite, l’explosif conventionnel le plus puissant en utilisation, connu sous la classification américaine BLU-73. Il est utilisé dans les mines anti-char et les bombes anti-bunker. Ce composé a pu se former dans la tour de prilling et dans le hangar 221, aggravant la situation.
Il reste à expliquer ce qui a mis le feu à tout ça : Valeurs Actuelles revient sur cette piste début août avec les faits suivants : 11 kilos de trioxyde de chrome avaient été dérobés dans le laboratoire d’AZF quelques jours avant l’explosion. Cet oxyde est utilisé pour mesurer le taux de gaz carbonique sur le site. C’est un oxydant très puissant, qui réagit violemment en présence de substances réductrices et, comme le mentionne le site de l’Université de Metz-Nancy, en particulier ... l’hydrazine et les nitrates. Le contact provoque une réaction d’oxydoréduction qui libère assez de chaleur pour, si les conditions sont réunies, déclencher une explosion. L’un des experts mandatés par la justice, Jean-Luc Géronimi, a relevé des traces de chrome sur les vêtements et sous les semelles de plusieurs victimes de la catastrophe.
Suivant l’endroit où l’allumage se serait fait, plusieurs explosions ont pu se produire, simultanément ou pas. Il n’est pas exclu par exemple qu’une première explosion en sous-sol, due à l’accumulation de l’UDMH plus lourd que l’air dans des galeries ou des égouts, n’explique la première explosion sourde apparaissant sur les enregistrements audio et dans les innombrables témoignages des habitants des environs. De là l’explosion se serait propagée à l’usine AZF, à la tour de prilling et jusqu’au tas de nitrate d’ammonium du hangar 221. Il est aussi possible qu’un arc électrique, déjà évoqué dans de précédentes pistes, ait pu allumer le mélange UDMH-air.
Accident industriel ? Accident militaire ? Attentat ? Les
zones d’ombre demeurent. Qui a dérobé le trioxyde de chrome et dans quel
but ? Combien de victimes y a-t’il eu exactement dans les locaux d’AZF et
ceux de la SNPE ? Comment s’expliquent les nombreux incidents électriques
relevés alentour peu de temps avant la catastrophe ? L’odeur ammoniaquée
relevée par les témoins se trouvant sous le vent par rapport au site
pourrait-elle avoir été causée par de l’hydrazine ? Malheureusement,
l’expertise n’a étudié qu’un seul gaz pouvant former des mélanges
explosifs : le méthane, plus léger que l’air et inodore.
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