Faut-il supprimer le Juge d’Instruction ?
Il y a eu l’affaire d’Outreau et le scandale qu’elle a provoqué, qui a été clôturé par une Commission d’Enquêtes Parlementaire, qui, en fait, n’a pas provoqué une mutation, une évolution, vers une réforme demandée par certain, condamnée par d’autres et qu’un Gouvernement, frileux et entrant en période électorale, a résolu en jugeant qu’il était très urgent … d’attendre.
(source : GOOGLE Images)
La montagne n’a même pas accouché d’une souris ! Les conclusions de la Commission d’Enquête Parlementaire sont restées lettre morte, à la grande satisfaction des attentistes : on verra bien … demain !
Les affaires Patrick DILLS ou Loïc SECHER, des innocents pourtant condamnés, et incarcérés, en raison, en grande partie, d’une Instruction défaillante.
Toutes les juridictions, Cour d’Assises et Cour d’Assises d’Appel, devant rejuger ces affaires, ont stigmatisé l’insuffisance de l’Instruction. Ces Magistrats – adossés à l’intime conviction de « leurs » jurés – ont tous sévèrement condamné leurs collègues de l’Instruction, égratignant au passage, les Magistrats de la Cour d’Appel, constituant, nous le verrons, les « Chambres de l’Instruction », structure de contrôle et de censure des Magistrats Instructeurs.
En effet, c’est devant ces Juridictions appartenant au second degré, que sont portés les litiges de l’Instruction. Elles sont saisies par l’une des parties – Avocats du mis en examen, Avocats des victimes, Procureur de la République, qui contestent une décision – ou l’absence de décision – du Juge de l’Instruction.
Si une partie, qui avait saisi la « Chambre de l’Instruction, est mécontente d’une décision rendue par la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel, peut saisir la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation.
Mais cette juridiction suprême, n’examinera pas l’affaire sur le fond (c’est a dire en s’attachant aux faits) mais seulement sur la forme (c’est à dire : la Loi a-t-elle était violée pour prendre la première décision – Juge d’Instruction – ou la seconde – Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel.)
La Cour de Cassation tranchera en dernier recours et « purgera » toutes les nullités éventuelles du dossier. L’Instruction qui avait été suspendue - d’où les délais importants, incompris par les Français – peut alors reprendre. Cette suspension – qui peut paraître inadmissible à certains, notamment les familles des victimes – est parfaitement justifiée. En effet, le Juge peut-il continuer son travail si tout ou partie est passible d’une annulation par la Cour de Cassation ? Bien sur, le Code de Procédure Pénale – et son application – alourdit la procédure. Les recours sont souvent nombreux. C’est la démocratie – la certitude du procès équitable – qui est en jeu. Ceux qui veulent une justice expéditive, ne voudraient pas se la voir appliquée s’ils étaient mis en cause.
Pourtant c’est ce système même qui semble devoir être remis en cause. Parce que trop lourd, trop long, dans lequel, parfois, des innocents s’empêtrent et de véritables coupables peuvent échapper aux rigueurs de la Loi.
La question posée est donc : Faut-il supprimer le Juge de l’Instruction et le modus operandi de l’Instruction, supposée se faire à « charge et à « décharge » et le remplacer par un système bi-céphale où il y aurait d’un côté « l’accusation » menée par le Procureur de la République s’opposant à la « défense » menée par un ou des Avocats. Les Avocats représentant les parties civiles (les victimes) auraient les mêmes devoirs que les autres parties.
Petit aparté : ne faudrait-il pas modifier l’appellation donnée aux victimes qui ne sont que « partie civiles » et les nommer « parties pénales » afin de leur conférer les mêmes droits ?
Revenons à la question de la suppression du Juge d’Instruction : après l’affaire d’Outreau, la question avait été posée et le Président SARKOZY avait clairement affirmé son choix en faveur de la réforme de l’Instruction. Une levée de boucliers, corporatistes, menée par des Magistrats et Avocats orientés politiquement, a finalement repoussé le débat sur la réforme.
Mais le problème est resté entier et Thémis boitille !
Le débat est devenu politique : la droite étant, globalement « pour » la suppression du Juge d’Instruction. Et la gauche, obsédée par l’alternance, a choisi le contre-pied et s’est prononcée pour le statut quo, renvoyant l’examen de cette question aux calendes grecques.
Certes, le clivage n’est peut-être pas aussi net, mais globalement, il est bien affiché droite/pour et gauche/contre.
De plus il faut bien savoir que l’Instruction étant devenue lourde – donc chère – ne traite plus que 5% des crimes et délits. Seuls les crimes et les délits importants, sont soumis au travail des Magistrats instructeurs. Cela permet d’éluder le débat sur l’existence du Juge d’Instruction.
Les délits sont maintenant « instruits » par les policiers et les gendarmes, qui adressent leurs procès-verbal de synthèse au Procureur de la République qui prend – seul – la décision soit de classer l’affaire « sans suites » ou de la renvoyer devant le Tribunal Correctionnel, en comparution immédiate ou sur convocation à une audience ultérieure, mais déjà fixée.
Il n’est pas certain, devant cette précipitation, que la Justice y trouve son compte. Devant la recrudescence des infractions et avec des moyens financiers toujours en net recul, la tentation d’instituer une Justice expéditive, à minima, qui, en définitive, engendre un sentiment irréel d’insécurité et de laxisme judiciaire.
Cette impression est fausse. La Justice, trop rapide, est souvent répressive en raison de dossiers insuffisamment renseignés et préparés.
Alors que la perception du grand public est contraire, les peines tombent, les prisons sont surchargées et les poses de « bracelet électroniques » augmentent.
La menace d’asphyxie est importante. La gauche et le Gouvernement de Jean-Marc AYRAULT – plus particulièrement, en la personne de la Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Christiane TAUBIRA – sont « au pied du mur ». Ils se sont opposés à la réforme, par pure posture politicienne lorsqu’ils étaient dans l’opposition, et doivent, peut-être, maintenant saisir le problème a bras le corps, dans le cadre d’une rigueur budgétaire sans précédent.
Supprimer ou non le Juge d’Instruction n’est plus au cœur du débat. C’est devenu une question subsidiaire. Le seul leitmotiv est de restreindre le budget, ou plus exactement : comment faire plus en gardant les mêmes dépenses ?
Pourtant les « erreurs judiciaires » coûtent cher au Ministère de la Justice.
On se souviens des grosses indemnisations obtenues par les acquittés d’Outreau », de la jolie somme versée à Patrick DILLS.
Loïc SECHER, cet agriculteur nantais, condamné à 16 ans de prison par la Cour d’Assises de Nantes (condamnation confirmée par la Cour d’Assises d’Appel de Rennes), libéré après plus de sept années de détentions (passées à crier son innocence) par la Cour de Révision des Condamnation Pénales au motif que sa « victime », devenue majeure, avait adressé une lettre au Procureur de la République de Nantes, aux termes de laquelle elle l’innocentait totalement.
En juin 2011, Maître Eric DIPONT-MORETTI – reprenant le dossier après la mort de son avocate parisienne Maître Corinne LE SAINT, terrassée par le cancer – après trois jours de débats a obtenu son acquittement, devant la Cour d’Assises de Paris. Dans son réquisitoire, l’Avocat Général avait reconnu « l’erreur judiciaire » et avait demandé que Loïc SECHER soit acquitté.
Libéré par la Commission de Révision des Condamnations Pénales (fait rarissime qui ne s’est produit que six fois, avant Loïc SECHER, depuis la libération !) il n’est pourtant pas un présumé innocent comme tous un chacun. Les brimades ont continué. La Justice ne lache pas ses proies comme ça !
Tout d’abord, la Commission de Révision aurait pu très bien trancer la question et déclarer nulle les condamnations des Cour d’Assises de Rennes et de Nantes. Son jugement aurait totalement blanchi SECHER, pour toujours.
Non ! La Commission a accordé la « suspension » de la peine, la levée d’écrou mais a exigé une nouvelle comparution devant une Cour d’Assises (celle de Paris). Pour être bien certaine qu’un éventuel coupable n’échappe pas ses foudres. Cela peut être jugé comme l’expression d’une Justice qui doit « passer ». Mais cela coûte cher et surtout cela prolonge le calvaire de celui qui a été frappé d’erreur judiciaire à cause de l’incurie d’un Juge (qui est trop seul !)
En effet libéré, Loïc SECHER a été « assigné à résidence », il a été contraint de séjourner dans le Morbihan – ayant l’interdiction formelle de se rendre en Loire Atlantique (où vivait ses parents âgés et sa famille) ou en Ille-et-Vilaine (on ne sait pas trop pourquoi : parce qu’il y avait été condamné en dernier ressort ? Les voies de Thémis sont impénétrables, elles aussi !) où des amis de son Comité de Soutien l’hébergeaient. Il vivait seulement du RSA.
Au début Juillet, Loïc SECHER, assisté de sa nouvelle Avocate Maître Alice COHEN-SABBAN, est venu demander son indemnisation pour réparer son immense préjudice ( 7 ans de vie perdue, ce n’est pas rien !), devant le Premier Président de la Cour d’Appel de Rennes.
Il estimait celle-ci à la somme de 2,4 Millions d’€ (et l’indemnisation de son père, sa mère et ses frères et sœurs) Il a raconté, devant la Cour, les affres de ces sept années et trois mois de détention injustifiée, l’agression par les autres prisonniers du « pointeur » et ses deux années passées après sans sortir de sa cellule.
L’Avocat Général, a acquiescé : « Tout cela est vrai », déplore-t-il.
Maître BILLON, l’Avocat du Trésor Public, a proposé quant à lui, une somme de 500.000 €, déclarant aux termes de sa plaidoirie : « Sa souffrance doit être partagée, mais nous sommes dans une rigueur judiciaire extraordinaire ».
En fait, le Ministère des Finances reconnaît parfaitement que l’erreur judiciaire doit être indemnisée, mais s’excuse, à cause de la crise, de ne pas pouvoir faire plus.
Loïc SECHER a demandé, par la voix de son Avocate, quand même une provision car il souffre encore des suites de sa condamnation, en végétant, vivant du seul RSA (417€/mois) alors qu’au jour de son arrestation il était agriculteur et exerçait en plus, l’activité de pépiniériste dans un golf de la banlieue de Nantes..
La Justice est bonne fille, capable de reconnaître – un peu tard ! – ses erreurs, mais il ne faut pas la chatouiller trop : Loïc SECHER attendra le 25 Septembre 2012, pour se voir indemniser. Les effets de l’erreur judiciaire perdurent et malgré tout ce qu’il a déjà vécu il va encore passer l’été comme un indigent. En prison il a rencontré la « foi » et aborde cette période avec une certaine philosophie, mais quand même !
Si cet homme est dans cette situation c’est à cause de l’Instruction bâclée, menée exclusivement à charge, par la Juge d’Instruction de Nantes.
Il faut inclure la responsabilité de la Chambre d’Instruction de la Cour d’Appel – qui a confirmé systématiquement tous les refus de mesures supplémentaires (analyse ADN, audition de témoins, etc …) prononcés par la Juge aux demandes formulées par Maître Yann CHOUCQ, l’Avocat nantais de SECHER, à l’époque.
Il faut aussi rappeler la responsabilité collégiale de la Cour d’Assises de Loire Atlantique et de la Cour d’Assises d’Appel d’Ille-et-Vilaine, qui ont toutes les deux, l’une confirmant la décision de l’autre, condamné SEICHER à 16 ans de réclusion criminelle.
Si ce n’est que le système est vicié, comment expliquer une telle accumulation d’erreurs ? (qui est la même que dans les affaires « Outreau, MACHIN, DILLS » et d’autres encore.
En fait, tout repose sur le travail du Magistrat Instructeur.
Du temps qu’il consacre au dossier.
Des rapports qu’il entretient avec las policiers ou gendarmes qui accomplissent l’enquête.
Du fait, qu’il accepte – ou non – de faire des auditions, des confrontations, des mesures d’expertises, supplémentaires. Toutes ces demandes formulées par les Avocats ou le Parquet retarde la résolution de l’Affaire et coûtent cher. L’opinion et la presse exigent un résultat rapide ! le Juge doit rendre des comptes à sa hiérarchie – et, on le sait : le budget de la justice est proche d’epsilon.
En conclusion : faut-il supprimer les Juges d’Instruction ? Les remplacer par le système accusatoire Anglo-Saxon (on ne serait pas obligé de prendre le « mauvais » !) ?
(source : article de Pierrick BAUDAIS, quotidien OUEST-FRANCE, daté des 7/8 Juillet 2012)
La question doit faire débat. Vous avez, amis lecteurs, une opinion et j’espère avoir vos commentaires.
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