Il faut abolir l’esclavage
Avec le revenu de base, une révolution sociale se prépare. Une révolution sociale dont l’ampleur est aussi importante que l'abolition de l'esclavage et dont les conséquences sont plus grandes encore.
L'esclavage est-il vraiment aboli ?
Nous le savons tous, il existe, y compris en France, des personnes qui sont contraintes à travailler sans contrepartie salariale. La presse se fait régulièrement l'écho de ces travailleurs étrangers qui sont retrouvés dans des caves et à qui l'on a pris les passeports pour qu'ils ne s'enfuient pas. Cependant, il s'agit là de situations illégales, et réprimées dès lors qu'elles sont connues. En effet, l'esclavage est interdit.
Mais qu'est-ce que l'esclavage, en fait ? C'est simplement le fait de contraindre un être humain à travailler sans contrepartie financière. En bon gestionnaire, un propriétaire d'esclave doit toutefois veiller à ce que ses travailleurs mangent et dorment bien, pour avoir des forces et travailler dur, et à ce qu'ils soient convenablement habillés pour ne pas attraper froid au risque de diminuer leur rendement. Au final, quelle différence y a-t-il donc avec les millions de travailleurs d'aujourd'hui qui, certes, sont payés, mais ont à peine de quoi se loger, se nourrir et s'habiller ?¹
Le NAIRU, épée de Damoclès au dessus de la tête des travailleurs
Combien même de nombreux travailleurs n'auraient que de quoi « survivre », il existe une différence fondamentale avec l'esclavage : la liberté de circulation. Les esclaves qui voulaient quitter leur exploitation, même si c'était pour se rendre dans celle du voisin, en espérant être mieux nourri, prenaient des risque énormes, d'être mutilés voir exécutés. Aujourd'hui, cette contrainte semble avoir disparu, mais en réalité, n'a-t-elle pas simplement pris une autre forme ?
Vous pensez que nos dirigeants essaient par tous les moyens d'amener les pays au plein-emploi ? Je pense que vous vous trompez. Connaissez-vous le NAIRU ? Ce terme est en fait un acronyme américain qui désigne le taux de chômage « idéal » insufflant suffisamment de peur dans la tête des travailleurs pour qu'ils ne réclament pas d'augmentations de salaire². Bien sûr, lorsque les médias n'ont de cesse de nous parler de la crise, cela n'incite pas à quitter son emploi, quel que soit ce que son patron demande de faire !
Le revenu de base : un remède miracle ?
Comme souvent, la solution réside peut-être dans une idée toute simple : donner à chaque individu un montant minimum lui permettant de vivre décemment. Sans contrainte. Sans besoin de justifier de sa pauvreté. Sans besoin de justifier d'une éventuelle recherche d'emploi. Un revenu universel et inconditionnel.
Ce revenu, bien entendu, viendrait en remplacement de toutes les autres allocations (RSA, allocations familiales, allocations logements, etc.) C'est d'ailleurs ici que ce trouve la plus grosse partie de son financement : les aides qui ne seront plus versées, et la suppression de tout ce que certains appellent « gendarmes du social », c'est-à-dire ceux qui cherchent à débusquer les fraudeurs touchant une aide à laquelle ils n'ont pas droit.
Ce revenu permettant tout juste de vivre, libre à chacun d'avoir une activité rémunérée en plus, afin d'apporter du beurre dans les épinards. Ou de préférer s'investir dans des activités sans valeur marchande, comme le bénévolat, le militantisme, ou, plus simplement, l'éducation de ses enfants…
La désincitation au travail
En général, une personne à qui l'on évoque le revenu de base pour la première fois oppose le même argument : pourquoi les gens continueraient-ils à aller travailler si un revenu arrive sur leur compte tous les mois quoi qu'ils fassent ? La réponse est simple : les gens iront travailler parce qu'ils en ont envie, parce qu'ils y trouvent un intérêt, et non par contrainte. Et cela, tout le monde s'accorde à le dire, est très bon pour le rendement !
Imaginons la situation suivante : depuis que le revenu de base existe, tel salarié a quitté son emploi, son travail n'est plus fait. Face à cette situation, nous avons trois réponses possibles :
Finalement, je peux faire ce travail moi-même. Par exemple, pourquoi payer quelqu'un pour me livrer ma pizza ? Je peux peut-être simplement prendre le temps d'aller la chercher…
Quand on regarde de près, ce travail n'est peut-être pas utile. Comme l'explique l'anthropologue américain David Graeber³, on crée de plus en plus d'emplois inutiles pour préserver la croissance, comme le faisaient les anciens états socialistes, tel l'URSS.
Ce travail est indispensable, il va donc falloir trouver quelqu'un qui veuille bien le faire et pour cela le rémunérer à sa juste valeur. En effet, si l'on regarde de près, on se rend compte que les emplois les plus indispensables sont souvent les plus mal considérés, et donc les plus mal payés.
Si l'on regarde les différentes expériences qui ont été menées sur le revenu de base, on se rend compte que la désincitation est en réalité très faible. Au contraire, en général, on constate une augmentation de la productivité dans les régions qui ont testé ce système. Finalement, un système où, comme aujourd'hui, celui qui trouve un emploi perd certaines allocations pour au final avoir moins d'argent en fin de mois n'est-il pas le vrai système qui incite à ne pas travailler ?
Deux visions possibles
En fait, si l'on réfléchi bien, il y a deux visions possibles face au revenu de base. Soit l'on considère que la vie doit se mériter, et que chacun doit obligatoirement apporter sa pierre au système, que le mérite doit être valorisé, et que celui qui est fainéant, ou peut-être simplement n'a pas eu de chance, devra se débrouiller pour survivre. Il faut donc accepter que certaines personnes meurent de ne pas avoir suffisamment pour vivre ou, par nécessité, trouvent des moyens illégaux pour survivre. Dans ce cas, le revenu de base est une hérésie !
L'autre vision, c'est qu'il est inacceptable de laisser des personnes mourir de faim ou de froid, quels qu'aient été leurs actes. Dans ce cas, le revenu de base est la solution la plus simple et la plus efficace pour éviter cela (si toutefois quelqu'un aurait une meilleure solution, l'auteur serait heureux de la connaitre).
Par contre, les personnes qui se disent contre le revenu de base, et qui sont donc prêtes à accepter qu'une partie de la population ne meure de pauvreté, mais qui se disent en même temps favorable à la solidarité et trouvent scandaleux que l'on puisse mourir de faim ou de froid, on un raisonnement incohérent (ou alors, il leur faudra tenter de l'expliquer à l'auteur de cet article)…
Pourquoi pas le plein emploi ?
Finalement, pourquoi, plutôt que de chercher d'autres solutions, ne pas tout simplement essayer d'amener la population vers le plein emploi ? Dans les années 1930, l'économiste J. M. Keynes avait prédit que d'ici la fin du siècle, grâce à la mécanisation, chacun de nous pourrait se contenter de ne travailler que 15 heures par semaine. Avait-il tort ?
En fait, lorsque l'on regarde l'augmentation de la productivité, on se rend compte qu'en effet, si la finance ne récupérait pas une part gigantesque des richesses produites, on pourrait se contenter de travailler si peu. Et cela va aller de plus en plus loin : la mécanisation du travail va diminuer de plus en plus la quantité de travail à faire… Et c'est tant mieux !
Même si, comme le dit D. Graeber³, on tente de créer de nouveaux emplois « inutiles », cela ne rattrape pas la quantité d'emplois détruits. Le plein-emploi est donc devenu une utopie. Nous allons forcément vers un monde dans lequel de plus en plus de personnes seront des chômeurs. La seule solution est donc d'enlever le côté intensément péjoratif lié à ce terme « chômeur » et faire en sorte que les activités sans valeur marchande soient également bien considérées. C'est ce qui arriverait avec un revenu de base.
Les effets de bord
La conséquence directe du revenu de base semble évidente : c'est la suppression de la pauvreté. Mais il y a en réalité une multitude d'effets de bords, certains ayant été révélés par les diverses expériences et étant plutôt inattendus⁴ :
l'entrepreneuriat est favorisé par la diminution du risque pris par le créateur d'entreprise qui voit son revenu assuré pendant la période de démarrage de sa société,
la suppression du salaire minimum permet la création d'emploi à faible valeur ajoutée,
l'insécurité diminue par la suppression de la pauvreté et donc de la nécessité pour certain de trouver des solutions alternatives de survie,
le niveau global de santé s'améliore grâce à la diminution du stress au travail et à la part plus importante de temps que les citoyens prennent pour s'occuper de leur corps,
le niveau d'étude augmente en supprimant le besoin pour certains étudiants de travailler en parallèle de leur formation,
les activités se trouvent relocalisées, provoquant des économies de transport et un rééquilibrage entre les villes surpeuplées et les villages déserts…
Avec le revenu de base, c'est en fait une société complètement nouvelle et humaniste que nous sommes en mesure de faire émerger…
Références
[1] Les travailleurs pauvres : http://www.inegalites.fr/spip.php?article905
[2] Le NAIRU : http://fr.wikipedia.org/wiki/Taux_de_ch%C3%B4mage_n%27acc%C3%A9l%C3%A9rant_pas_l%27inflation
[3] Traduction de l'article « Bullshit jobs » de David Graeber : http://www.lagrottedubarbu.com/2013/08/20/emplois-foirreux-bullshit-jobs-par-david-graeber/
[4] Argumentaires sur les conséquences du revenu de base : http://revenudebase.drupalgardens.com
[5] Site français sur le revenu de base : http://revenudebase.info/
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