L’étrange avion qui démontre les faiblesses cruciales du F-22 (1)
Ça y est, on a enfin sorti la diva de son hangar pour aller lui faire faire un tour en l'air, du côté de la Syrie. Le F-22, chasseur intercepteur pensé au départ pour effectuer des combats tournoyants contre les ennemis de toujours (la Russie et désormais la Chine) devenu par un coup de baguette magique bombardier, a enfin connu là-bas le baptême du feu... sans pour autant convaincre, comme on va le voir, tant sa mission présentée comme délicate aurait pu être effectuée les yeux fermés par un pilote juché sur une machine bien plus ancienne, qui aurait fait tout aussi bien, sinon mieux. Pire encore, quand on va découvrir que l'appareil n'aurait pas pu remplir sa mission sans l'aide d'un autre avion, sorti en... 1963. La diva n'est pas aveugle, mais elle est en effet complètement sourde... aux appels de ses collègues, et a besoin d'un traducteur dont on a ressorti un exemplaire de son cimetière en plein désert... tout le paradoxe d'une armée de l'air US devenue complètement délirante ...
Le F-22 en opérations extérieures, on en a eu que peu d'images de l'intervention de la merveille des merveilles US, l'avion qui vaut son pesant d'or au sens premier du mot. Il a donc fallu attendre les premiers articles de presse pour avoir quelques informations plus denses sur son comportement : comment a évolué la danseuse hors de prix, a-t-elle su se débrouiller seule, quelle a été sa disponibilité, etc... neuf ans après avoir été déclaré opérationnel... et 28 ans après la signature de son contrat de mise en chantier... On a tendance à l'oublier, mais cet avion qui n'avait jusqu'ici participé à aucun conflit a trente ans d'âge. C'est le numéro de mai de la revue anglaise de Key Pubklishing Air Forces Monthly (ici à droite) qui nous donne quelques détails. L'article s'intitule "Enter the Hunter" et occupe quatre pages, dont une remplie par une photo d'un appareil en train de ravitailler. Sans surprise, il nous indique que les engins du 1rst Fighter Wing de Langley–Eustis, en Virginie ont décollé de Al-Dhafra, en Arabie Saoudite. Six seulement, en rotation régulière depuis avril 2012 à Al-Dhafra. L'article s'étend sur la crainte d'une réaction syrienne, alors qu'on sait aujourd'hui qu'Assad avait conclu un accord pour le survol du pays et qu'aucun missile ne serait tiré contre eux. Les Manpads de l'Isis (Etat Islamique) ne pouvant rien en altitude, en prime. La distance à atteindre étant de 1930 km, soit deux heures de vol selon le magazine, avec 30 minutes de supplément accordé. Les vents rencontrés en altitude ont augmenté le temps de vol, obligeant à un ravitaillement supplémentaire, prévus au dessus de l'Irak via des DC-10 (l'histoire ne dit pas si parmi eux il y avait celui d'Omega Tanker, firme privée. Arrivés sur cible, deux paires de F-22 ont augmenté leur vitesse à Mach 1,5 , et ont grimpé à 40 000 pieds (12,192 m) au dessus de la Syrie. Deux seulement bombardaient, les deux autres les couvrant. Résultat ; seules quatre bombes ont été larguées, au total (on verra un peu plus loin si elles ont toutes touché au but). Les Etats-Unis ont construit 187 exemplaires du bidule, chacun revient à la somme colossale de 377 millions d'euros, on attendait sa sortie en situation de guerre depuis... 25 ans et au final, c'est pour larguer 4 malheureuses bombes ? Eh oui, c'est cela aussi le paradoxe du Pentagone !
La procédure suivant celle de l'essai réussi de 2006 avec une Mk83. A 4 heures du matin, quatre bombes JDAM de 454 kgs (1000 livres), des GBU-32 guidées par GPS tombaient (2 par appareil), pour aussitôt repartir... ravitailler au dessus de l'Irak. Contactés au retour par un Awacs pour rester en l'air pour protéger un B-1 ; ils avaient répondu qu'il ne pouvaient le faire, manquant déjà de pétrole : un vieux KC-135 au bord de la frontière iranienne est venu les rejoindre pour aller aider le B-1 et rester en vol environ 40 minutes de plus.... et redemander un autre ravitaillement. Le troisième ! L'article précisant que les cibles avaient été choisies au préalable par un U-2 Senior Span, le magazine montrant l'exemplaire U-2S 80-1089 sur la base d'Al-Dhafra.
Le résultat ? Un bâtiment soigneusement choisi et présenté comme étant de Raqqah, alors qu'on en est à 100 km, une construction décrite comme centre de commandement d'ISIS (Daesh), étrangement séparé de tout autre bâtisse. Avec un coup au but, et un autre sur le côté du bâtiment, toujours debout (et un incendie propagé jusqu'à un hangar voisin, visiblement). Pour la revue spécialisée ARES, pas vraiment de quoi pavoiser. A bien regarder, en effet, le bâtiment sélectionné est une cible inratable, même par le plus mauvais des bombardiers existants, ou un pilote borgne : il est à part de toute conurbation (le seul village à proximité est Tichrin, isolé et hautement reconnaissable, comme l'est son emplacement, situé à proximité d'une station électrique 630MW alimentée par un barrage fort visible de très haut, celui de Tichrin, justement (sa visite guidée est ici, faite par des islamistes qui ne sont pas de l'EI). Voir quelques vues ici datant de quelques années (elles datent de 2001).
Pas besoin non plus d'électronique coûteuse pour trouver le chemin. La région est cartographiquement bien documentée, une expédition archéologique française ayant arpenté le site de 1995 à 1999. Le barrage de Tichrin avait été saisi par les activistes le 26 avroil 2012, par la Free Syrian Army... soutenue par les USA !!! Bref, on lui a nettement et largement facilité la chose, à l'enclume reine de l'Air Force ! Pas vraiment de quoi fanfaronner, effectivement !!! Même un avion sans radar l'aurait trouvée à vue, la cible, car l'opération s'est faite de jour ! Plus étonnant encore, un commentaire sur la frappe laissait entendre que celle de Tishrin avait été faite comme à la parade : "la vidéo publiée par CENTCOM suggère que les États-Unis ont surveillé la frappe avec drone". Un Predator aurait fait des ronds dans le ciel à proximité !!! Preuve qu'il n'y avait bien aucun danger : le Predator vole à... 130 km/h et culmine à 7000 mètres maxi. Le bombardement des F-22 pouvait donc se faire dans un fauteuil !!! On remarque vite aussi que si la presse a présenté des clichés de vols et de ravitaillement de nuit, les opérations de bombardement du F-22 ont bien eu lieu... de jour, étant filmées par un drone. Jamais, durant toute la mission, les F-22 n'ont donc été en danger. L'avion le plus moderne du monde fait des missions de retraité en pantoufle (il est furtif, il est vrai !)...
Un autre avion de l'inventaire des forces US, type F-15, aurait pu en effet faire la même chose, selon elle, et de transformer en bombardier un avion conçu comme appareil de supériorité aérienne paraît un peu incongru. Même commentaire chez The National Interest, qui rappelle que les Syriens, question défenses du territoire, se sont faits avoir par les avions israéliens à au moins deux reprises. Le magazine évoquant une autre raison pour l'avoir envoyé là-bas : celui de prouver que ces problèmes d'oxygène asphyxiant ses pilotes étaient (enfin) résolus. "Mais la véritable mission du F-22 - la raison pour laquelle le contribuable paye des milliards de dollars pour seulement quelques centaines d'avions - était d'éliminer les avions ennemis du ciel. Si tout ce dont avait besoin était un camion à bombes pour larguer une bombe intelligente, un avion moins cher l'aurait fait. Pour Aviation Week, ses débuts sont en effet 'ironiques". Chez beaucoup de commentateurs est évoqué l'idée d'un "passe-droit" obtenu auprès de Bachar el Assad en personne pour l'autorisation du survol de la Syrie : le F-22 n'avait strictement rien à craindre comme menace au sol ou en l'air !!! Bien entendu ; chez Fox News, on trompettait tout autre chose : "Les responsables militaires ont dit que la capacité des avions pour éviter la détection par les systèmes de défense aérienne syriennes était une des raisons avancées pour l'utiliser." Un flagrant délit de mensonge, à l'évidence ! Pour appuyer le coup, on fait parader l'appareil, avec un pilote arborant à bord la bannière étoilée sur son tableau de bord. L'avion n'est pas des plus efficaces, mais en com' il cartonne ! A Fort Worth, où il a été construit, on est dithyrambique, allant jusqu'à remonter au vol du premier Bleriot XI au dessus de la ville par Roland Garros en personne pour célébrer l'événement !
L'excellent site Aviatonist ouvre une autre piste, à propos de la mission. Le F-22 est vanté aussi pour son électronique supérieure (mais imaginée il y près de 30 ans !), rappelle le site qui parle "d'electronic warfare enabled sensor-rich aircraft", terme utilisé par le Pentagone pour le décrire. Selon lui le F-22 aurait ou servir aussi de désignateur de cible pour les USS Arleigh Burke et l' USS Philippine Sea pour leurs lancements de missiles BGM-109 Tomahawk T-LAM, lancés aussi de sous-marins (rappelons qu'ils il valent un demi-million de dollars pièce). Cela semble en fait improbable. Car si le F-22 possède des moyens électroniques, il est fort handicapé pour les partager. Il est, on le sait, hors-normes dans de domaine. L'avion, à sa sortie en 1990, clamait avoir la puissance de deux ordinateurs Cray2 (il en faisait 800). Or un I-Pad2 développe à lui seul 1,5 gigaflops, largement devant le Cray2. Le cerveau du F-22 n'est do,c pas plus grand que celui d'un Ipad de deuxième génération. Un iPad Air actuel fait... 115 gigaflops (L'IPad 4 en faisant déjà 74).
En fait d'informatique, l'appareil est en effet... un dinosaure, comme l'a appelé récemment Air&Cosmos dans son numéro de décembre dernier. Car mettre à jour le bidule valant son poids en or est un casse-tête sans nom. Certaines puces de ses composants électroniques ne sont même plus vendues sur le marché : voilà le Pentagone à faire le tour des magasins RadioShack pour en dégotter dans leurs réserves : "do it together", dit il est vrai le slogan de la chaîne. Faites le vous-même ! En cherchant les pièces là, ou chez le chinois d'AliBaba... Les ordinateurs du F-22, élaborés avant sa construction en 1990, tournent en effet à... 25 mhz. C'est 56 fois plus lent que celui qui tourne dans l'i-Phone 6, note The Daily Beast. "Les processeurs archaïques du F-22 ne sont qu'un des moyens des milliards de dollars gaspillés par les contribuables par les processus de développement lourdement lents du Pentagone. Souvent, le Département de la Défense se retrouve à émettre un ordre spécial de petits lots de pièces obsolètes provenant de sources douteuses, qui ont parfois été tracées à des endroits comme la Chine pour soutenir ces technologies désuètes. Cela est parce que les parties ne sont plus fabriqués aux États-Unis En outre, dans la plupart des cas, un seul grand entrepreneur qui a développé le matériel est la seule entité qui est capable de modifier ou mettre à niveau un système en raison de sa nature exclusive, souvent à un coût exorbitant pour le contribuable. Pris dans leur ensemble, des milliards sont gaspillés chaque année" ajoute le magazine, décrivant amèrement le déploiement de la Rolls du combat aérien (ou présenté comme tel en fait). Le magazine fait ses comptes : le Raptor a coûté 74 milliards de dollars à développer. Le 196 eme exemplaire (prototypes inclus) et dernier a été terminé le 14 décembre 2011. Chaque brique volante vaut aujourd'hui ses 377 millions de dollars pièce ! Un prix moyen car si l'on compte l'amortissement des développements, on monte à... 678 millions l'exemplaire !!! Le Pentagone prévoyant en effet de rajouter 59 milliards de dollars de plus pour le maintenir en vol et renouveler ses composants dans les années à venir !!! Chaque engin, de toute façon, coûtera donc plus d'un demi milliard !!! Ce qui a une incidence sur son coût de vol à l'heure : en 2009, on estimait déjà l'heure de vol du F-22 à 44000 dollars. On comprend un peu mieux pourquoi elle ne sort pas souvent, la Rolls de l'air. Un seul crash et c'est un demi-milliard de dollars qui part en fumée !
Il n'y a pas que ça qui le handicape sérieusement. Il y a aussi le logiciel de bord. Et là, on tombe de haut, comme le secrétaire de la Navy John Lehman qui dans un article de presse avait écrit avec humour : "Au moins, [les F-22] sont protégés des cyber-attaques. Personne en Chine ne sait comment programmer le vieux logiciel IBM de 1983 qui les gère"... et en effet, car les CIP-3 (CIP pour Common Integrated Processors) à bord ont leur logiciel écrit en un langage ADA... aujourd'hui devenu un des plus archaïques au monde. Un logiciel que l'on salue d'un "cocorico", basé sur le Pascal, écrit dans les années 89 par le français Jean David Ichbiah, un ingénieur français disparu le à Boston. à la tête d la compagnie Alsys (Ada Language Systems), devenu TSP. Le nom de son langage de programmation étant un hommage à Ada Lovelace, considérée comme la toute première programmeuse au monde. L'ADA avait été sélectionné par le Pentagone à la suite d'un appel d'offres datant de 1974... un langage obsolète, au point que le très sérieux Software Engineering Institute l'a déclaré "mort" en 2003... au moment pile où le premier F-22 du 43rd Fighter Squadron, débarquait sur la base de Tyndall AFB en Floride !!! La photo est belle, mais l'informatique à bord de l'engin est complètement obsolète lorsqu'il se pose pour devenir opérationnel ! Quel paradoxe des temps modernes !
Un ordinateur poussif, un langage de programmation disparu (on ne forme plus personne à l'ADA, il faut trouver des retraités - en pantoufles- pour le comprendre), et... pire encore, l'absence de liaisons de données avec les autres avions, apparus avant comme après lui, voilà de lourds handicaps. C'est en fait sa faille majeure. Car pour une raison aberrante, le F-22 utilise le vieux mode IFDL (Infra Flight Data Link) au lieu du MADL, le Multifunction Advanced Data Link répandu partout. Ainsi décrit comme étant un plus pour l'avion :"incluse dans le système CNI, il ya une liaison de données Inter / Intra-Flight (IFDL) qui permet à tous les F-22 en vol de partager des données de cibles vers le système, automatiquement, sans appels radio. Un des objectifs initiaux pour le F-22 était d'augmenter le pourcentage de pilotes de chasse de faire des "kills" (atteindre les cibles, cf les autres avions) Avec l' IFDL, chaque pilote est libre de fonctionner de manière plus autonome car, par exemple, le leader peut dire un coup d'œil où en est l'état de carburant de son ailier d'aile est, ou combien lui reste-t-il de munitions, et pendant qu'il cible l'avion ennemi. Ce lien permet également aux F-22 supplémentaires en vol de s'ajouter au maillage d'un groupe pour un vol multi-coordonné". Sur le papier c'est en effet... parfait. A condition de n'avoir que des F-22 en vol : hors, lors de la sortie en Syrie, on l'a vu, les appareils ont évolué conjointement avec des F-15, voire de vieux EA-6B Prowler (le Super Hornet Growler a mis un temps fou à se déployer et n'est efficace que depuis 2011) et un Awacs ou deux, pour effectuer leurs missions. Or tels quels, les F-22 ne pouvaient communiquer avec l'ensemble des autres appareils de la mission : le chasseur, dans son genre, comme j'ai pu l'écrire est un véritable... autiste. L'engin dispose d'un super-radar de bord. Mais ne peut pas en extraire les données vers les autres... seul. Le lingot d'or volant a besoin de petits amis traducteurs pour causer à ses petits camarades de mission !
C'est bien une tare de conception, masquée par des explications de "sécurité" : "en raison de considérations de sécurité, l'accès aux informations fournies par certains des capteurs les plus avancés actuellement disponibles dans le théâtre est très limité. Par exemple, les renseignements et l'image de la situation générée par F-22 Raptors ne peuvent pas être transférés à des F-15, F-16 ou AWACS même si les deux unités participent à la même opération. Comme les avions furtifs, F-22 ne sont pas équipés de liaisons de données classiques tels que Link-16 qui peut être facilement repéré par les SIGINT ennemis. Au lieu de cela, ils utilisent un unique de furtivité qualifié, à faisceau étroit Intra-Flight Data-Link (IFDL) conçu pour transmettre des données et de synchroniser une image de la situation seulement chez les Raptors. Comme cette liaison de données furtivité est incompatible avec tous les autres appareils de communication, les Raptors ne peut pas communiquer avec un autre aéronef amical."
Comment a-t-on donc réussi une mission où le F-22 a côtoyé ses collègues et réussi- enfin - à communiquer avec eux, nous le verrons demain, avec un autre mystérieux appareil appelé en renfort...
77 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON