L’interrogatoire judiciaire : la psychologie de l’aveu
Lundi 29 janvier 2018, les gendarmes interpellent l'époux d'Alexia Daval dont le corps avait été retrouvé partiellement calciné au mois d'octobre. Jonathann commence par nier être l'auteur de l'homicide avant de passer aux aveux une trentaine d'heures plus tard, après s'être entretenu avec ses conseillers. Peu après leur emménagement il y a deux ans, des tensions sont apparues au sein du couple, en cause ? le désir d'avoir un enfant. Selon maître Schwerdorffer. « À un moment, il y a eu des mots de trop, une crise de trop, qu’il n’a pas su gérer » .
L'enquêteur doit faire parler la personne afin d'obtenir d'elle des informations qu'elle a peut être l'intention ou intérêt à taire. L'interrogateur est un acteur qui écrit ses propres dialogues et joue différents rôles, il peut se transformer en « père », en juge, en « grand-frère », etc. L'interrogateur doit motiver la personne interrogée afin d'en obtenir la coopération la plus complète possible. L'interrogateur commence par se situer socialement à l'autre, cela se fait généralement par le rapprochement de points communs qui ne servent qu'à briser la glace et à faciliter la prise des repères sociaux. La collaboration pleine et entière de la personne auditionnée n'est jamais acquise totalement ni définitivement, et encore moins rapidement. Des réticences, voire une résistance nouvelle peut apparaître surtout s'il s'agit de questions embarrassantes appartenant au domaine de sa vie privée. La collaboration peut être partielle, sélective, déniée et remise en cause devant le juge d'instruction ou le tribunal.
L'état émotif peut parasiter l'interrogatoire, l'interrogé formule des réponses évasives, fait montre d'une difficulté à fixer son attention, ne parle que pour son propre compte, ou bien est incapable de répondre : étranger, muet, ou muré dans le silence. Le mutisme peut être absolu, partiel, continu ou intermittent, volontaire ou involontaire. L'intelligence a un effet sur les capacités de jugement, le raisonnement, l'attention, et une répercussion sur la capacité d'imagination, imagination qui peut être diminuée, accrue, pervertie (erreur, délire). Le langage est généralement associé à l'intelligence, l'interrogateur peut y déceler des éléments significatifs de la personnalité (prétention, timidité, etc.). En ce qui concerne la modification de la voix au cours de l'interrogatoire, cela peut traduire le trouble, le doute, la crainte ou trahir l'histrionisme.
Le choc de l'arrestation peut suffire chez certains à déclencher une bouffée délirante ou un état maniaque : mégalomanie, humilité, indignité, auto-accusation, persécution jusqu'alors passé inaperçu. Une personne souffrant de confusion mentale éprouve l'incertitude et présente une désorientation dans le temps et l'espace, ses réponses peuvent être : vagues, embrouillées, incohérentes, et elle éprouve la plus grande difficulté à fixer son attention. La logorrhée peut venir contaminer l'inter-relation et l'interrogé confondre les périodes, les faits, les lieux. Un étude de Binet a établi que les erreurs dans un interrogatoire peuvent osciller entre 26 et 60 % !
La mémoire d'un individu peut être exagérée, diminuée, être plus ou moins sélective pour n'atteindre que certaines parties du vécu, pervertie (jamais vu, déjà vu, déplacement dans le temps, lieux), abolie (amnésie globale ou lacunaire pouvant favoriser une affabulation ou suggestibilité). L'impossibilité à se souvenir d'un acte, de la chronologie de son exécution est souvent le signe d'obtusion, d'obnubilation, ou d'une amnésie de fixation, sans oublier les dysfonctionnements ou infirmités, le sourd ne peut parler de ce qu'il a entendu, ni l'aveugle de ce qu'il a vu.
Les interrogateurs vont tenter de susciter chez l'individu le désir de parler, de s'expliquer, de se justifier. Tout enquêteur sait que la première chose à faire pour inciter une personne à parler est d'entraîner chez elle un état de dissonance cognitive en l'obligeant à soutenir, en même temps deux idées ou deux opinions inconciliables, comme l'honnêteté et la déshonnêteté, le bien et le mal, etc., (études de Festonner et Carlsmith). La situation étant désagréable, l'individu cherche à faire disparaître la tension par tous les moyens à sa disposition, et cela lui sera d'autant plus facile que l'interrogateur va lui proposer des circonstances minorantes : « parlez, le juge en tiendra compte, à votre place j'aurais agi de même », etc., et la tension du moment venir s'opposer à tout auto-contrôle
L'interrogatoire est une situation limite dans laquelle l'interrogateur est à l'origine chez l'interrogé de mécanismes de défense plus ou moins bien adaptés à la situation. L'enquêteur qui empêche un citoyen de quitter le commissariat, d'aller aux W-C, de fumer, de se reposer, etc., contribue à l'apparition d'un stress actif externe, tandis que la tension psychique entre les besoins contradictoires (la gêne à mentir par exemple) peut être à l'origine d'un stress interne.
L'attitude psychologique de l'un ou l'autre des protagonistes peut transformer la situation, et l'interrogé de traduire :
-
une attitude hostile empreinte de colère dirigée vers autrui ;
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se culpabiliser et retourner l'agressivité vers lui ;
-
une réaction d'embarras en cherchant à concilier les différents points de vue en cause.
La réaction de l'individu peut se modifier au cours de l'interrogatoire. L'individu peut commencer par se culpabiliser, puis agacé par la situation, son agressivité apparaître et entraîner une réaction hostile. L'inverse est tout aussi possible. D'autre part, un individu peu combatif, naïf, immature pourra ne pas prendre parfaitement conscience de ce qu'il risque et se « déboutonner ».
Voici la sainte trinité de nombre d'interrogateurs pour déstabiliser l'interrogé : la culpabilité qui va entraîner une mauvaise conscience - la faute qui est susceptible d'entraîner la honte - la crainte, la peur, ou l'indulgence ! Rappelons que la culpabilité naît du non respect d'une loi, tandis que la honte serait plutôt une entorse à la loi morale capable entraîner à son tour une douleur morale. Il est possible d'avoir honte sans pour cela éprouver la moindre culpabilité. Les raisons pour entraîner la honte chez l'interrogé ne manquent pas : utilisation de certains comportements connus de sa vie privée, l'obliger à laisser la porte des toilettes ouverte et placer un garde pour le surveiller, utiliser une infirmité, un complexe, faire rejaillir sur lui la honte d'une famille, lui faire éprouver la honte d'avoir honte. L'individu peut aussi se sentir honteux de s'être laissé piégé ou d'avoir peur. La honte est une arme redoutable, puisqu'il est possible d'entraîner chez une personne un sentiment de honte alors qu'elle pensait faire le bien.
« La situation n'a de réalité que par la représentation que l'on s'en fait et de la propre estime que l'on a de soi. » Pour éprouver de la culpabilité, point n'est besoin que l'interrogé ait transgressé les lois, il suffit qu'il est transgressé un interdit, ne fusse que culturel. La culpabilité naît d'un conflit entre le Moi et le Sur moi. L'individu peut aussi ressentir cette culpabilité d'avoir peur comme une faiblesse et ne pas tarder à avoir honte de se sentir coupable. On notera que l'appartenance éthique a une répercussion sur le ressenti de la honte ou de la culpabilité. Les civilisations africaine et asiatique seraient plus sujettes à la honte, et la civilisation occidentale à la culpabilité.
Les policiers sont susceptibles d'employer plusieurs techniques (une cinquantaine), en voici quelques-unes :
Le Choc psychologique : la personne arrêtée qui est sous l'emprise d'un choc émotionnel est interrogée immédiatement.
La Perte de dignité : le fait que le suspect se voit privé de ses lacets, ait été dépossédé de sa cravate, sa ceinture, ses lunettes, et soit passé à la fouille, voilà déjà de quoi le diminuer psychologiquement et lui faire comprendre qu'il ne tient qu'à lui que cette dévalorisation cesse.
Le Feu rapide : l'interrogateur pose des questions les unes derrière les autres sans attendre les réponses du suspect pour le déstabiliser et à le frustrer de la parole coupée. l'interrogé va être sur la défensive et finir par se contredire.
La Provocation : technique qui vise à provoquer le suspect pour qu'il commette une faute (coup et blessure, rébellion, bris de matériel), faute qui deviendra un atout policier.
Les Remords : reposent sur le sentiment de culpabilité d'avoir fait quelque chose de mal chez les personnes socialisées ou religieuses. Inutile de dire que cette approche ne fonctionne pas avec des psychopathes ni avec des individus ayant des valeurs diamétralement opposées.
Prouvez votre innocence ! : On dit à l'individu qu'on ne le croit pas, à lui de livrer des détails prouvant ce qu'il avance.
Promesse mensongère : approche blâmable, un fonctionnaire de police ne dispose d'aucun moyen pour tenir certains engagements. En aucun cas les magistrats se sentent engagés par les promesses des policiers.
La fatigue : le suspect est appelé au milieu de la nuit pour être interrogé quelques minutes avant d'être renvoyé en cellule, pour de nouveau être rappelé quelques instants plus tard ou lui fait tenir une position fatigante.
Audition à décharge : l'enquêteur dit que son audition est à décharge ou qu'il ne lui appartient pas de juger. Il tente de réunir les éléments en faveur de l'interrogé et semble disposé à atténuer la responsabilité.
La Crainte des retombées : elle s'appuie sur la « publicité » que l'acte va déclencher sur l'interrogé, ses proches, ses affaires, et qu'il est préférable de parvenir à une solution.
La Dramatisation : l'interrogateur tient un discours paternaliste : « Si vous êtes vraiment coupable, vous allez avoir besoin d'un bon avocat, et pas n'importe lequel. Il faudra prendre le meilleur qui soit pour avoir une petite chance de ne pas en prendre pour le maximum. Si vous êtes innocent, cela va vous conduire à jeter l'argent par les fenêtres, et le juge pensera peut être que pour prendre un bon avocat, c'est que vous êtes impliqué lourdement, et renoncer à un ténor, c'est aussi la certitude d'en prendre pour le maximum. Il ne tient qu'à vous de minimiser votre participation, c'est de me raconter l'histoire ».
A la limite des conventions humanitaires : sous alimentation, retarder les besoins naturels, de soins, privation de sommeil, privation de tous ses vêtements, l'isolement, le respect d'un règlement mesquin dont la moindre omission entraîne des sanctions, des brimades, voire des sévices.
Selon le type de personnalité et les circonstances, certaines de ces pratiques peuvent conduire la personne interrogée à l'auto-mutilation ou au suicide. Parmi les individus les plus à risque : l'intoxiqué, le drogué, le mélancolique, l'halluciné, le mystique, l'épileptique, le déséquilibré. Des signes précurseurs peuvent exister : refus d'alimentation, mutilation, avilissement, prosternement, phrase en suspens. Le calme apparent de l'individu peut être le signe d'une décision déjà prise. Un seul moment d'inattention suffit pour le passage à l'acte.
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