La politique impérialiste de Poutine

La guerre en Ukraine trouve davantage son origine dans un affrontement entre deux puissances impérialistes que dans un conflit entre deux pays. C’est l’opposition entre les USA/OTAN et la politique de Poutine qui en est la cause principale. Nombreux sont ceux qui en sont convaincus mais beaucoup ne voient pas en cela un affrontement entre deux impérialismes. En effet nombreux sont également ceux qui considèrent que seuls les USA forment une puissance impérialiste.
Il convient donc, en premier lieu, de préciser ce que nous appelons l’impérialisme. Il s’agit de la politique d'un État qui vise à mettre d'autres États sous sa dépendance politique. Cela consiste à agir agressivement auprès de pays étrangers avec l’intention de gagner ainsi pour le profit de son propre pays. C’est estimer qu’un pays a le droit de tirer du profit d’un ou de plusieurs autres pays. La constitution d’empires coloniaux a été une forme d’impérialisme. La volonté d’élargir le territoire d’un pays en empiétant sur les territoires des voisins en est aussi une forme. La volonté de domination sur le plan économique aussi...
Il est évident que les USA/OTAN sont une puissance impérialiste parce que, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, ils veulent dominer le monde. D’ailleurs, à propos de la guerre en Ukraine, les faits établissent certes que la responsabilité criminelle du régime de Poutine est une évidence. Mais, cette guerre s’inscrit aussi dans un contexte marqué par l’escalade militaire et les provocations répétées depuis des mois et des mois par l’impérialisme américain et son bras armé l’OTAN. Ainsi, les USA avec tous les gouvernements capitalistes des pays membres de l’OTAN ont aussi une écrasante responsabilité dans la situation qui a abouti à cette guerre. Je crois que tout le monde en est convaincu. Il est donc inutile que j’en dise davantage à ce sujet.
Quand des troupes françaises interviennent en Afrique, c’est aussi une politique impérialiste. C’est du néo-colonialisme c’est-à-dire une réminiscence de notre ancien passé colonial. Il s’agit de défendre les intérêts de sociétés capitalistes liées à la France. Nous nous opposons aussi à l’aide indirecte que la France apporte à des forces réactionnaires en leur livrant des armes. C’est le cas actuellement quand la France vend des armes à l’Arabie Saoudite qui combat les houthis au Yémen. En mai 2019, les dockers de Marseille qui ont refusé de charger des armes destinées à l’Arabie Saoudite donnent l’exemple. Nous saluons et soutenons leur initiative.
Il est pour moi évident aussi que Poutine mène une politique impérialiste pour la Russie. Mais ce point étant loin de faire l’unanimité, je vais essayer d’en faire la démonstration. Je vais d’abord montrer que Poutine énonce lui-même les principes de sa politique ultra-nationaliste. Celle-ci l’amène à considérer que tous les territoires qui faisaient partie de la Russie des tsars et de la Russie de Staline doivent revenir dans le giron de la Grande-Russie. Je montrerai ensuite qu’il ne se contente pas à ce sujet de déclarations mais qu’il a commencé les conquêtes impérialistes visant à étendre le territoire de la Russie.
Lors des guerres impérialistes, les internationalistes considèrent que le principal ennemi de la classe ouvrière dans chaque pays, est son propre gouvernement. En France, l’AGIMO non seulement demande le retour de toutes les forces françaises qui sont en « opération » à l’étranger mais elle demande aussi que la France quitte immédiatement l’OTAN. Nous demandons l’exemplarité et, bien évidemment, il n’est pas acceptable pour les militants de la classe ouvrière que leur pays soit partie prenante dans le conflit en appartenant à l’un des camps. Nous demandons aussi la sortie de l’UE car il est évident que l’extension de l’UE vers l’Est était destinée à repousser la zone d’influence de l’impérialisme US et de l’OTAN dans cette direction. Alors que les élections présidentielles approchent, il faut exiger que tous les candidats qui se réclament du mouvement ouvrier adoptent ces positions. Oui ! L’ennemi principal est dans notre propre pays et les traitres du mouvement ouvrier se mettent à son service.
Mais, puisque la confusion règne, je vais montrer que Poutine mène lui aussi une politique impérialiste. Ce qu’il dit pendant les 15 premières minutes de son discours du 21 février 2022 est particulièrement significatif à ce sujet. Il s’agit du discours qui précédait celui de sa déclaration de guerre du 24 février 2022. Il dit clairement que les territoires de la Grande-Russie des tsars et de Staline font partie de la Russie et qu’il est donc légitime, de son point de vue, de les récupérer. Il nous livre, par la même occasion, les fondements de son idéologie ultra-nationaliste. Il nous sert pour cela, comme bien d’autres, une version de son « histoire de la Russie » accommodée à sa sauce. Il s’agit pour lui de montrer que l’Ukraine, comme d’autres républiques indépendantes de la périphérie russe fait partie, par essence, de la Russie. Il considère que l’Ukraine est une création artificielle qui serait, de plus, gouvernée par des fascistes. De son point de vue, l’Ukraine serait, un morceau de la Russie qui en aurait été indûment détaché. Il prétend que la Grande Russie est l’héritière naturelle de la Rus’ Kiévienne. Je vais donc me livrer à un exercice de lecture commentée pour que chacun puisse vérifier que ce sont bien ses explications. Je serai amené à préciser quelques vérités historiques avec lesquelles Poutine prend un peu de liberté. Je prendrai la traduction immédiate faite sur la vidéo. Elle a le mérite de l’authenticité même si elle reste discutable. De multiples autres versions existent sur internet. Ce sont le plus souvent des rédactions plus lisibles faites après-coup mais elles frisent souvent l’interprétation peu conforme à la réalité. A 0mn50s, il dit :
« L’Ukraine, ce n’est pas seulement notre voisin mais c’est également une partie de notre histoire, de notre espace culturel. Ce sont nos proches, nos collègues. Ce sont nos amis mais ce sont aussi les gens de notre famille. Nous avons des liens de sang avec ces personnes. Depuis très longtemps, une partie des habitants des territoires au sud-ouest faisaient partie du même peuple. C’était déjà le cas à l’époque où ces territoires ont rejoint la Russie il y a des siècles. Tout le monde connaît cette histoire. Ce sont des faits connus par tout le monde. Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Pour expliquer les motivations de la Russie, je pense parler quand même, revenir à l’historique de ce sujet. ».
Le ton est donné. Une telle affirmation est en elle-même bien proche d’une déclaration de guerre. Cela rappelle les deux points de vue opposés lors des guerres mondiales à propos de l’Alsace et la Lorraine. Il assène que, par nature l’Ukraine est russe. Elle n’a, de son point de vue, aucune raison d’exister en dehors de la Russie.
Il exprime ensuite toute sa haine et sa rancœur à l’égard des bolchéviks, de Lénine et de la révolution d’octobre. Le principal reproche qu’il ait à leur faire c’est d’être à l’origine de la reconnaissance d’une indépendance pour les peuples qui le voulaient. D’après lui, ils ont inventé cette idée d’Ukraine indépendante qui n’avait pas lieu d’exister (01mn55s).
« Tout d’abord, l’Ukraine moderne a été créée entièrement, de toute pièce, par la Russie des bolcheviks, par la Russie communiste. Ce processus a commencé pratiquement tout de suite après la révolution de 1917. D’ailleurs Lénine et ses compagnons l’ont fait de manière assez brutale vis-à-vis de la Russie c’est-à-dire qu’ils ont séparé de la Russie, ils ont coupé une partie des territoires historiquement russes et des millions de personnes qui vivaient sur ce territoire n’ont pas pu exprimer leur avis. »
Ensuite, il donne quelques précisions supplémentaires sur la construction de l’Ukraine (entre 2mn32s et 3mn20s) en évoquant les ajouts de nouveaux territoires entre 1939 et 1954. Vous trouverez facilement plus de détails sur ces questions notamment sur la Wikipédia.
« Ensuite, à la veille de la grande guerre patriotique et après la grande guerre patriotique, Staline a rajouté des terres qui appartenaient à la Pologne, à la Roumanie et à la Hongrie. C’était en quelque sorte une compensation en donnant à la Pologne une partie des territoires allemands. Ensuite, Khrouchtchev a pris aux russes la Crimée et l’a donnée à l’Ukraine. Voilà comment s’est formé le territoire de l’Ukraine soviétique. Maintenant, je devrais également vous parler de la période du tout début de l’existence de l’URSS et c’est très important de revenir à ses débuts. Il faut revenir bien en arrière. »
Remarquons bien que ce qu’il dit sur la création initiale de l’Ukraine est entièrement faux car c’est avant que les bolchéviks prennent le pouvoir que les ukrainiens ont déclaré leur indépendance. La Wikipédia précise :
« Ils (les ukrainiens) créent dès le 17 mars 1917 la Rada centrale dont Mykhaïlo Hrouchevsky devient président le 27 mars et le reste jusqu’au 29 avril 1918. Le 20 novembre, la Rada centrale proclame la République populaire ukrainienne, reconnue par la France et la Grande-Bretagne en janvier 1918, et déclare son indépendance le 22 janvier 1918. Cependant, l’offensive des Bolchéviks contraint le gouvernement à quitter Kiev en février 1918. »
Cet acte de déclaration de la rada centrale stipulait :
« Sans se séparer du reste de la Russie, sans rompre avec l'Etat russe, est-il proclamé dans cet acte, le peuple ukrainien doit avoir sur son territoire le droit de disposer lui-même de sa propre vie... Toutes les lois visant à établir l'ordre ici, en Ukraine, ne peuvent être promulguées que par notre assemblée ukrainienne ; quant aux lois qui établiront l'ordre sur toute l'étendue de l'Etat russe, elles doivent être l'œuvre d'un parlement de toute la Russie. »
Le peuple ukrainien demandait donc « le droit de disposer lui-même de sa propre vie » sans pour autant se « séparer du reste de la Russie ». C’est effectivement ce qui sera réalisé en 1922 avec l’URSS. Cependant, nous voyons que ce ne sont pas les bolchéviks qui ont donné leur indépendance aux ukrainiens puisqu’ils l’ont ainsi obtenue dès la fin du tsarisme à l’issue de la révolution de février 1917. Rappelons qu’à ce moment personne ne pouvait prévoir qu’une seconde révolution pourrait, quelques mois plus tard, amener les bolchéviks au pouvoir. La révolution de février 1917 a certes sonné le glas du tsarisme mais elle a mis en place un régime capitaliste avec à sa tête Kérensky. Ce n’était nullement une révolution socialiste. C’était plutôt une révolution comparable à la révolution française de 1789-93.
Si Lénine n’est pour rien dans cette décision puisqu’il n’était nullement au pouvoir, il l’a par contre complètement approuvée. En juin 1917, dans le journal « La Pravda » il écrivait dans un article intitulé « Ukraine » :
« Il (Le peuple ukrainien) réclame l'autonomie, sans nier le moins du monde la nécessité et l'autorité supérieure d'un « parlement de toute la Russie ». Pas un démocrate, pour ne rien dire d'un socialiste, n'osera contester l'entière légitimité des revendications ukrainiennes. Pas un démocrate, de même, ne peut nier le droit de l'Ukraine à se séparer librement de la Russie : c'est précisément la reconnaissance sans réserve de ce droit, et elle seule, qui permet de mener campagne en faveur de la libre union des Ukrainiens et des Grands-Russes, de l'union volontaire des deux peuples en un seul Etat. Seule la reconnaissance sans réserve de ce droit peut rompre effectivement, à jamais et complètement, avec le maudit passé tsariste qui a tout fait pour rendre étrangers les uns aux autres des peuples si proches par leur langue, leur territoire, leur caractère et leur histoire. Le tsarisme maudit faisait des Grands-Russes les bourreaux du peuple ukrainien, entretenant systématiquement chez ce dernier la haine de ceux qui allaient jusqu'à empêcher les enfants ukrainiens de parler leur langue maternelle et de faire leurs études dans cette langue »
Après la révolution socialiste d’octobre 1917 (novembre 1917 avec notre calendrier), l’Ukraine a immédiatement été déchirée par une guerre civile. Cette guerre a opposé de multiples camps parmi lesquels se trouvaient déjà les ennemis jurés de Poutine : les nationalistes ukrainiens de Symon Petlioura. Ils s’opposaient aux armées allemandes mobilisées dans le cadre de la guerre 14-18. Ensuite les armées polonaises et leurs alliés locaux avec les armées blanches nationalistes russes soutenues militairement sur le terrain par la France jusqu’en 1919 ont tous ensemble combattu les bolcheviks. A cette occasion, un certain De Gaulle qui n’était pas encore général est allé porter main forte aux ennemis de la révolution russe. Ce sont certainement les russes blancs qui auraient la préférence de Poutine si celui-ci ne passait pas un peu rapidement sur cette période.
Ensuite des combats ont opposé d’un côté les armées socialistes-révolutionnaires et anarchistes ukrainiennes, avec notamment « les bandes de Machno », et de l’autre l’armée rouge. Ce fut donc une période d’affrontements multiples avec la fin de la guerre 14-18 et des révolutions avec trois camps (les rouges, les blancs et les noirs) mais aussi des mutineries de marins en Mer Noire en 1919. Les bolchéviks ont finalement triomphé et c’est donc seulement en mai 1919 qu’ils ont reconnu une République socialiste d’Ukraine. Ils ne pouvaient prendre aucune décision auparavant pour un pays déchiré par des conflits armés. Remarquons d’ailleurs qu’ils ont entériné un état de fait au sujet duquel ils n’avaient aucune raison de s’opposer. Nous sommes donc très loin de l’affirmation de Poutine : « des millions de personnes qui vivaient sur ce territoire n’ont pas pu exprimer leur avis. ».
Arrêtons-nous sur le cas de la Crimée dont il est maintenant beaucoup question. Cette péninsule avait été annexée par les tsars en 1783. Dès le lendemain de la révolution, les bolchéviks s’y sont intéressés. Le peuple tatar profite alors d’une courte période de reconnaissance de ses droits car Lénine lui octroie un statut d’autonomie. Le 18 octobre 1921, la république qui voit le jour en porte la trace dans son intitulé, puisqu’il s’agit de la « République socialiste soviétique autonome de Crimée ». Ce fait historique est complètement absent de toutes les « histoires de la Russie » revues et modifiées par les poutinolâtres. Ils ne parlent pas davantage de ce qui est advenu depuis des tatars. Je vais donc citer un article d’Aurélie Campana, professeur de sciences politiques au Québec, consacré à « la mobilisation des Tatars de Crimée pour leur réhabilitation ».
« Le 18 mai 1944, les Tatars de Crimée, une minorité turcophone musulmane du sud de l'Ukraine, ont été massivement déportés par le régime soviétique. Selon un schéma éprouvé lors des déportations massives organisées dans les années et les mois précédents, 190 014 Tatars de Crimée ont été expulsés de force en trois jours et dispersés sur le territoire soviétique. La minorité tatare de Crimée a été rayée de la carte des nationalités soviétiques. Dans le même temps, on les privait de leurs droits les plus élémentaires, faisant d’eux, selon la nomenclature soviétique, des “colons spéciaux”. Les effets multiples de la déportation ont été prolongés par l’exclusion de fait des Tatars de Crimée des processus de réhabilitation initiés par Khrouchtchev au lendemain du XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) en 1956. Les Tatars de Crimée recouvrent certes leurs droits à titre individuel, mais toute existence collective leur est déniée. De plus, ils sont interdits de retour en Crimée. » (…)
« En 1956, lors du XXe congrès du Parti communiste, Nikita Khrouchtchev dénonce les crimes du stalinisme, au nombre desquels les déportations massives qu’il qualifie de “crimes arbitraires et illégaux”. Pourtant, la liste des peuples déportés qu’il mentionne dans son discours est tronquée : les Tatars de Crimée, les Turcs meskhètes et les Allemands de la Volga, entre autres, ne sont pas cités. »
S’il est vrai qu’en 1954, Nikita Khrouchtchev a donné la Crimée à l'Ukraine, il est cependant certain que les tatars n’ont aucunement été rétablis dans leurs droits puisque leur retour en Crimée leur était interdit. Le 17 avril 2014, Poutine a encore interdit l’entrée sur le territoire de la Crimée à Moustafa Djemilev, l’une des figures politiques des tatars.
Revenons à la période qui suit la révolution, à ce moment l’idée de proclamer l’URSS n’est pas la préoccupation première de Lénine. Cela ne se fera qu’en 1922. Son seul objectif est alors la révolution socialiste mondiale et, de ce point de vue, son regard se porte principalement vers l’Allemagne. Pour illustrer cela, je rappelle le petit discours qu’il a fait le 3 avril 1917, lors de son retour d’exil. A son arrivée à la gare de Pétrograd, alors qu’il est acclamé par la foule. Voici ce qu’il dit :
« Chers camarades, soldats, marins et ouvriers ! Je suis heureux de saluer en vous la révolution russe victorieuse (il s’agit de la révolution bourgeoise de février 1917), de vous saluer en tant que détachement d’avant-garde de l’armée prolétarienne mondiale...La guerre de rapine impérialiste est le commencement de la guerre civile dans toute l’Europe... L’heure n’est pas loin où, à l’appel de notre camarade Karl Liebknecht, les peuples tourneront les armes contre leurs exploiteurs capitalistes... L’aube de la révolution socialiste mondiale luit...En Allemagne, tout est en ébullition... D’un moment à l’autre, chaque jour, on peut s’attendre à l’écroulement de tout l’impérialisme européen. La révolution russe que vous avez accomplie en a marqué les débuts et a posé les fondements d’une nouvelle époque. Vive la révolution socialiste mondiale ! »
Je renvoie ceux qui veulent plus de renseignements sur cette période à mes deux articles : « Le combat des bolchéviks » et « L’histoire de l’humanité bascule ».
Quand l’URSS a été créée, quelques années plus tard, en 1922, Lénine voulait effectivement en finir avec l’empire russe des tsars qu’il dénonçait comme « une prison des nations ». Il voulait voir en l’URSS une association libre de différentes nationalités, libérées du joug tsariste, sur le fondement d’une égalité totale de droits. C’est cette idée des bolchéviks qui révolte Poutine. Celui-ci veut rétablir une Grande-Russie. Il estime que l’Ukraine est une nation artificielle. Il condamne la décision prise par les bolchéviks d’avoir séparé l’empire russe en républiques nationales au sein d’une fédération.
Poutine continue sa critique des bolchéviks en ne s’intéressant toujours qu’à la question des nationalités (3mn20s).
« Depuis le coup d’Etat de 1917 (Poutine ne dit pas « la révolution ») et ensuite de la guerre civile, les bolcheviks ont commencé à bâtir un nouvel État. Ils avaient d’ailleurs des dissensions assez sévères. En 1922, Staline était à la fois le Secrétaire général du Parti communiste russe (bolcheviks) et aussi le Commissaire du peuple des nationalités. Il a proposé l’autonomisation, c’est-à-dire qu’il a proposé aux républiques et aux régions autonomes une grande autonomie mais il y avait également d’autres voix. Celle de Lénine notamment qui était très critique vis-à-vis de cela. Donc, à l’époque, quand on construisait l’Union Soviétique ça a été déjà à la base. En 1922, on a créé l’URSS et après, à la mort de Lénine, dans la constitution de l’URSS on a introduit cette question d’autonomie et on se pose beaucoup de questions. La question principale est : pourquoi on l’a fait ? Pourquoi il y avait besoin de répondre et de satisfaire ces ambitions nationalistes parce que ces républiques soviétiques avaient de grands territoires et on ajoutait, à cause de ces ambitions, pour satisfaire ces ambitions, on ajoutait des territoires et on a donné un statut et la forme de formation étatique à ces unités. Question : pourquoi fallait-il faire ces cadeaux généreux ? Des nationalistes radicaux ont pu ainsi être satisfaits donc, on a donné à l’Ukraine ce droit d’avoir un statut d’Etat. Il y a une explication. Pourquoi ça a été fait ».
Tous ces territoires devraient, selon Poutine, faire partie de la Grande-Russie pour la seule raison qu’il le dit et qu’allait dans un autre sens serait s’opposer aux rêves de puissance et de domination de l’ultranationalisme russe. Les formules qu’il emploie sont déjà belliqueuses : « Pourquoi il y avait besoin de répondre et de satisfaire ces ambitions nationalistes… pourquoi fallait-il faire ces cadeaux généreux ? ». De son point de vue, seul le nationalisme russe doit être valorisé. Il est scandaleux que « Des nationalistes radicaux ont pu ainsi être satisfaits donc, on a donné à l’Ukraine ce droit d’avoir un statut d’Etat ». Poutine reproche aux bolchéviks de ne pas avoir imposé un seul pays : La Grande Russie, symbole à ses yeux d’un impérialisme grandiose et triomphant qui reprendrait l’idéologie nationaliste qu’il affectionne. Ah ! ces salauds de bolchéviks qui écoutent les peuples au lieu d’imposer un nationalisme Grand-Russe. Non ! En effet, ce n’était pas l’objectif des bolchéviks de faire une Grande Russie. Ils voulaient une république universelle des hommes dans laquelle il n’y aurait plus du tout de nationalisme puisqu’à terme la notion même de nation devrait s’estomper puis disparaître. En attendant, ils se concentraient sur la nécessité d’étendre la révolution à d’autres pays, notamment à l’Allemagne, pour sortir la révolution russe de son isolement.
Poutine explique ensuite à sa façon pourquoi les bolcheviks ont mené cette politique (5mn46s) :
« Il y a une explication. Pourquoi ça a été fait ? Après la révolution, les bolcheviks voulaient à tout prix garder le pouvoir. Je souligne : à tout prix. C’est pour cela qu’ils ont été prêts à tout. A la paix de Brest (Brest Litovsk) quand l’Allemagne et ses alliés étaient déjà dans une situation très difficile. On connaissait la fin pratiquement de la première guerre mondiale. Ils étaient prêts à satisfaire n’importe quelle demande des nationalistes. »
Les bolcheviks avaient en effet l’intention de sortir vainqueur de la guerre civile qui était en fait une guerre contre toutes les puissances capitalistes d’Europe lesquelles étaient coalisées pour soutenir les armées blanches. Poutine reproche aux bolcheviks d’avoir accepté le compromis signé à Brest-Litovsk. Il s’improvise en donneur de leçons à peu de frais. A son avis, il ne fallait rien lâcher et écraser l’adversaire. Outre que c’est facile à dire, cela donne une idée de son état d’esprit belliqueux actuel. Heureusement Lénine n’a jamais rencontré un guerroyeur fou de cet acabit pour lui donner des leçons. Il justifiait la signature de ce compromis en ces termes :
« Aujourd'hui, lorsque j'entends attaquer, comme le font par exemple les "socialistes-révolutionnaires", la tactique que nous avons suivie en signant la paix de Brest-Litovsk, ou lorsque j'entends cette remarque que me fit le camarade Lansbury au cours d'un entretien : "Nos chefs anglais des trade-unions disent que les compromis sont admissibles pour eux aussi, puisqu'ils l'ont été pour le bolchevisme", je réponds généralement tout d'abord par cette comparaison simple et "populaire " : Imaginez-vous que votre automobile soit arrêtée par des bandits armés. Vous leur donnez votre argent, votre passeport, votre revolver, votre auto. Vous vous débarrassez ainsi de l'agréable voisinage des bandits. C'est là un compromis, à n'en pas douter. "Do ut des" (je te "donne" mon argent, mes armes, mon auto, "pour que tu me donnes" la possibilité de me retirer sain et sauf). Mais on trouverait difficilement un homme, à moins qu'il n'ait perdu la raison, pour déclarer pareil compromis "inadmissible en principe", ou pour dénoncer celui qui l'a conclu comme complice des bandits (encore que les bandits, une fois maîtres de l'auto, aient pu s'en servir, ainsi que des armes, pour de nouveaux brigandages). Notre compromis avec les bandits de l'impérialisme allemand a été analogue à celui-là. »
Mais Poutine, grand admirateur de la Russie tsariste est aussi nostalgique de la Russie stalinienne. Pourquoi admire-t-il Staline ? Tout simplement parce que c’était un dictateur. Staline effaçait les différences entre toutes les républiques de l’URSS qui, du coup, fonctionnaient à l’unisson et au même rythme comme s’il s’était agi d’un seul pays. Tant pis si cela c’était fait au prix des millions de morts des années 1930. Ce fut d’abord la « dékoulakisation », les déportations, les collectivisations forcées et toute cette politique aberrante qui a abouti à des grandes famines. Ce fut ensuite la grande terreur avec les procès de Moscou comme partie visible de l’iceberg. Rappelons que pendant environ 500 jours Staline a fait fusiller en moyenne 1 500 personnes par jour et qu’il en a déporté 1 600 autres. A ce prix-là en effet les rêves de Grande Russie de Poutine ont vu le jour sous Staline. Il faut décoder ce qu’il dit. Il commence par affirmer que la politique de Lénine était pire qu’une erreur et que c’est cette politique qui est à l’origine du conflit avec l’Ukraine (6mn20s) :
« Ces principes de la construction de l’État appliqués par Lénine étaient une grosse erreur. Mais, bien plus que cela. En 1991, à la dissolution de l’URSS c’est devenu évident que c’était une grosse erreur. On ne pouvait plus changer le passé. Mais, aujourd’hui, nous devons cependant dire honnêtement ce qui s’est passé sans essayer de le camoufler de manière politique »
Cette conception de la vérité d’après Poutine est simple : l’Ukraine est une invention contre nature des bolchéviks. Nous avons vu que tout cela est entièrement faux. L’existence de l’Ukraine avait été décrétée deux ans avant que les bolcheviks aient pu prendre le pouvoir sur cette région. De plus le mouvement nationaliste ukrainien y était puissant avec son leader Symon Petlioura qui fut le commandant suprême de l’armée et le troisième président de la république populaire d’Ukraine. Rappelons que de multiples camps s’opposaient. La guerre civile ne se réduisait pas à une lutte entre les rouges et les blancs. Les soi-disant anarchistes des bandes de Machno formaient surtout un mouvement paysan opposé à la fois aux blancs et aux rouges. Ils avaient étripé quelques blancs pour se partager leurs terres et ils s’opposaient aux réquisitions des rouges. Ajoutons que les nationalistes n’étaient pas tous ralliés aux bolchéviks et des combattants changeaient parfois de camp. Voilà tout ce que Poutine gomme rapidement en parlant très sérieusement d’ « honnêteté » et en affirmant qu’il ne faut rien « camoufler ». Il martèle ensuite, avec le bel aplomb des fieffés menteurs, que « ce sont des faits historiques » et que « c’est comme cela que ça s’est passé ». Il continue (6mn56s)
« Et, aujourd’hui, on peut dire que jamais on ne doit se fier justement à ses désirs et ambitions politiques du moment pour prendre des décisions aussi importantes. Je ne veux accuser personne. Evidemment, à cette époque, la situation était extrêmement complexe et critique. Mais, aujourd’hui, je dois vous dire que ce sont des faits historiques. C’est comme cela que ça s’est passé. »
Il insiste et martèle encore et encore pour faire passer ses vessies pour des lanternes : Ce serait Lénine qui aurait inventé l’Ukraine. Lénine n’a rien inventé. Il a entériné une situation de fait : l’Ukraine existait et elle n’avait pas besoin de lui pour exister (7mn33s).
« Suite à cette politique des bolchéviks, on a créé l’Ukraine soviétique. Donc, c’est l’Ukraine du nom de « Vladimir Ilitch Lénine ». C’est son auteur et c’est son architecte. Cela peut être démontré par les documents des archives et d’ailleurs Lénine a donné des directions concrètes concernant le Donbass ».
Pour tenter de nous convaincre, il nous envoie finalement l’argument suprême qui est habituellement celui d’Annie Lacroix Riz : « cela peut être démontré par les documents des archives ». Mais évidemment nous ne voyons pas ces prétendues preuves. (8mn04s).
« Aujourd’hui, les descendants reconnaissants ont construit des monuments à Lénine dans ces territoires donc c’était la décommunisation. Bien sûr, nous sommes d’accord pour décommuniser mais il ne faut pas s’arrêter à mi-chemin, il faut continuer ce processus. »
Il trouve une nouvelle preuve de la paternité de Lénine dans le fait que les staliniens ont érigé d’énormes statues de Lénine lequel n’avait jamais demandé cela. Avec la fin du communisme, Poutine propose de revenir sur cette prétendue décision de Lénine de fabriquer l’Ukraine. Il affirme ensuite que le vaste territoire de la Grande Russie ne pouvait pas être gouverné avec les principes de Lénine. Les « traditions » exigeaient plus d’intransigeance (8mn30s) :
« Mais, je voudrais revenir encore une fois dans l’histoire. En 1922, dans l’espace de l’ancien empire russe, on a créé l’union soviétique : l’URSS. Mais, tout de suite, on a vu que c’était très complexe de gérer ce grand territoire. Ce territoire amorphe. Il n’y avait pas le lien avec les traditions. »
Mais, Poutine considère qu’une solution a été apportée pour retrouver « l’ancien empire russe » avec la terreur de Staline. Voilà enfin un remède aux dérives de ce pauvre Lénine ! (9mn02s) :
« Ensuite, il y a eu l’époque de la terreur de Staline : la nationalisation, le système planifié de l’économie. Tout cela a mené au fait que les principes qui ont été déclarés de cette construction étatique n’ont pas pu fonctionner. C’est-à-dire que ces républiques n’ont pas pu avoir de vraies volontés. En pratique, on a créé un système très centralisé donc c’était un Etat unitaire. Staline a pratiquement réalisé sa vision et non pas la vision de Lénine de construction de l’Etat. »
Le gouvernement mis en place par Staline n’avait aucun rapport avec ce que Lénine avait voulu. Nous sommes bien évidemment d’accord avec lui. En conséquence, les principes de Lénine n’ont pas été appliqués sous Staline « Tout cela a mené au fait que les principes qui ont été déclarés de cette construction étatique n’ont pas pu fonctionner ». Car, en fait, avec Staline « on a créé un système très centralisé donc c’était un Etat unitaire » et donc, du point de vue de Poutine, tout allait bien. Les républiques fédérées existaient sur le papier mais en fait elles n’avaient plus aucune existence puisque, dans tous les cas, tout le monde obéissait à la dictature stalinienne comme s’il s’agissait d’un seul pays. Contrairement à Lénine, Staline a donc toute la sympathie de Poutine. Cela se comprend car Staline était lui-même un nationaliste. Lénine en avait fait la remarque. Dans un texte qu’il dicte le 30 et 31 décembre 1922, il qualifie en effet Staline en des termes peu flatteurs de « Géorgien qui accuse dédaigneusement les autres de “social-nationalisme” alors qu’il est lui-même non seulement un véritable et authentique “social-nationaliste”, mais un grossier argousin grand-russe ».
Il reste que, pour Poutine, autre « grossier argousin grand-russe », Staline a commis une grave erreur : il ne suffisait pas de supprimer dans les faits les républiques fédérées. Pour Poutine, Staline aurait dû aussi les supprimer sur le papier, dans les textes constitutifs de l’URSS (9mn45s).
« Mais, on n’a pas fait de modification à la constitution et les principes qui ont été déclarés par Lénine n'ont pas été formellement démentis. Mais, de toute façon, c’était un régime totalitaire. Ça fonctionnait de toute façon et de l’extérieur on avait une bonne image d’un pays démocratique. Mais, quand même, il est à déplorer que on n’ait pas purgé toutes ces idées dans les bases juridiques. Ce sont des principes tout-à-fait fantaisistes. On n’a pas réfléchi à l’avenir comme d’habitude. Les leaders du parti communiste (il veut dire du « parti stalinien ») étaient persuadés qu’ils avaient réussi à fonder un système de gestion très solide et qu’ils avaient réglé la question des nationalités. Mais, en ce qui concerne les falsifications et les mensonges, il y a toujours un prix à payer. Le nationalisme, ce mal, cette maladie a prospéré. C’était donc une mine posée et ensuite c’est pour cela que l’URSS a échoué, a été démantelée. »
En effet, grâce à la propagande des partis staliniens en France et ailleurs « de l’extérieur on avait une bonne image d’un pays démocratique ». Voilà un exemple apprécié par Poutine : une grosse dictature qui a une réputation de démocratie à l’extérieur. Du point de vue de Poutine, tout cela fonctionnait tout le temps que Staline était là pour garantir l’efficacité de la dictature mais, si Staline disparaissait, les principes inscrits dans la constitution risquaient de laisser à nouveau apparaître l’existence des républiques fédérées et cela viendrait contredire les visées nationalistes en faveur de la Grande-Russie. Et c’est finalement ce qui s’est produit. Passons directement aux années 80. (11mn25s).
« Depuis les années 80, il y avait de plus en plus d’appétit des petites élites locales mais la direction du parti « communiste » de l’URSS, au lieu de faire une analyse globale de l’économie, au lieu de transformer le système politique et l’Etat, a continué à parler du principe de Lénine de l’autodétermination nationale. » (12 mn)
Voilà bien le vrai crime des staliniens ! Poutine ne parle pas des millions de morts de Staline mais du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » que, même des membres du parti « Communistes » de l’URSS, ont mis en avant dans les années 80. En effet, après la période de décolonisation qui a marqué l’histoire de tous les grands pays d’Europe, ce principe commençait à être reconnu un peu partout dans le monde. Pour Poutine, il n’y avait rien de plus abominable.
« Dans le parti communiste, il y avait des divergences et les différentes parties ont commencé à stimuler au contraire les différentes visions et idées nationalistes. Donc, c’était des paroles populistes qui parlaient de l’économie, du passage à l’économie de marché mais personne, parmi ceux qui avaient le pouvoir, ne pensait aux conséquences tragiques de ces évènements. Ensuite, on a continué à suivre ce chemin de satisfaire les ambitions nationalistes de ces élites. Ils ont oublié qu’ils n’avaient plus les instruments pour garder le pouvoir. Les instruments comme sous Staline c’est-à-dire la terreur. Ils n'ont pas vu que le rôle du parti « communiste » n’était plus le rôle du parti leader. »
N'ayant plus « la terreur » pour maintenir l’unité de l’URSS comme sous Staline, ce serait donc les « ambitions nationalistes de ces élites » qui auraient causé la désagrégation de l‘URSS au moment où la question d’abandonner l’économie planifiée s’est posée. C’est ainsi que, pour Poutine, ce qui devait arriver arriva précisément en septembre 1989 (13mn07s) :
« En septembre 1989, lors de la plénière du parti « communiste » on a adopté la plate-forme du parti « communiste » de l’URSS. Je cite : « Les républiques de l’URSS ont tous les droits propres des états souverains socialistes ». Encore autre chose : « Les organes supérieurs de ces républiques peuvent aller à l’encontre des décisions du gouvernement de l’URSS ». Et encore : « Chaque république de l’URSS a la possibilité de donner la citoyenneté. Les citoyens de cette république ont la citoyenneté de cette république.
Voilà les principes ! Donc, aujourd’hui, et maintenant, on ne va pas parler du détail du droit constitutionnel mais, je vous pose la question : Pourquoi il a fallu, dans ces conditions difficiles, démanteler, faire cette déconstruction, de l’Etat. Avant le démantèlement de l’URSS, le destin de l’URSS était déjà scellé. Aujourd’hui, les différentes personnes en Ukraine, notamment, disent que c’est grâce à eux que le pays a gagné l’indépendance. Mais, en réalité, ce n’est pas comme ça que s’est arrivé. C’est à cause des erreurs des bolchéviks et des leaders du parti « communiste » de l’URSS. Le démantèlement de l’URSS c’est de leur faute. » (15mn05s)
Du point de vue de Poutine, le démantèlement de l’URSS est bien sûr une catastrophe et les responsables sont Lénine et les bolchéviks. Nous considérons que les peuples ukrainiens, tchéchènes ou autres ont le droit de disposer d’eux-mêmes et que c’est très bien qu’ils aient eu la possibilité de le faire. Rappelons aussi que ce ne sont pas les bolchéviks qui ont décidé en premier d’accorder ce droit aux ukrainiens. Ils étaient d’accord sur ce principe mais ils n’avaient aucunement le pouvoir d’agir au moment où cela a été fait. L’indépendance a été reconnue sous le gouvernement de Kérensky c’est-à-dire avant que les bolchéviks aient le pouvoir. Nous avons la substance de la politique ultra-nationaliste de Poutine qui estime que la désintégration de l’URSS est due aux affreux bolchéviks. Nous comprenons ainsi que Poutine est un admirateur, non seulement de la Russie des tsars, mais aussi de celle de Staline.
Je vais montrer maintenant que Poutine ne s’en tient pas à des idées et des discours mais qu’il est déjà engagé dans une lutte de reconquête des territoires qu’il veut faire revenir dans le giron de la Russie.
Le rappel de quelques dates illustre la réalité de la politique conquérante de Poutine :
— Le 6 février 2000, Grozny, la capitale de la Tchétchénie est rasée par les troupes russes de Poutine. Avec l’aide du criminel de guerre tchétchène Kadyrov, Poutine remet la Tchétchénie au pas. Elle devra se satisfaire du nationalisme Grand-Russe.
— Août 2008, après avoir installé l’armée russe en Géorgie à l’issue d’une guerre, Poutine annexe l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. La reconquête continue !
— Mars 2014, Poutine annexe par la force une partie du territoire ukrainien : la Crimée. Il s’agit comme nous l’avons vu d’une enclave peuplée artificiellement par des russes à la suite de multiples déportations opérées par Staline. Cette russification a été poursuivie par Poutine. La reconquête continue et les tatars doivent s’en satisfaire !
— Mai 2014, dans la foulée de l’annexion de la Crimée, Poutine apporte son soutien politique, économique et militaire (hommes et armes) à la Nouvelle Russie (novorossia), nommée Union des Républiques populaires du Donbass. Il s’agit d’un territoire de l’Est ukrainien, proche de la frontière russe. Poutine entend soustraire une partie de ce territoire à la souveraineté de l’Etat ukrainien. Vive la Grande-Russie !
— Le 30 septembre 2015, Poutine décide d’aider le dictateur syrien, El-Assad, afin qu’il écrase la révolution syrienne. Celle-ci avait commencé avec le printemps arabe et s’était étendue à tout le pays par la répétition du cycle mobilisation-répression. A chaque itération, mobilisation et répression prenaient de l’ampleur. La Syrie va-t-elle devenir une province russe ? En attendant El-Assad est placé sous la tutelle de Poutine qui s’impose comme un contre-révolutionnaire en concurrence avec les USA.
— 6 janvier 2022. Les troupes de Poutine viennent briser le mouvement de protestation populaire au Kazakhstan. Elles procèdent à 8 000 arrestations. Elles commencent à repartir le 13 janvier mais la porte reste ouverte. Désormais, les troupes de Poutine sont partie intégrante du dispositif de répression au Kazakhstan et Poutine renforce son statut de contre-révolutionnaire.
— Depuis janvier 2022 et sans doute même auparavant, les troupes russes se sont massées à demeure en Biélorussie où sévit d’une main de fer un satrape illégitime, allié de Poutine : Loukachenko. La Biélorussie, est ainsi devenue un état vassal de la Russie, et elle pourrait même accueillir une partie de l'arsenal nucléaire russe. A ses frontières a été planifiée l’attaque contre l’Ukraine.
— Le 24 février 2022, Poutine décide d’annexer la totalité de l’Ukraine, et déclare le Président de l’Ukraine, Zelensky, son ennemi n°1. Outre les bombardements, il envoie 10 000 mercenaires tchétchènes sous les ordres de Kadirov, le célèbre criminel de guerre. Les commandos Wagner payés par de riches moscovites anonymes (Poutine pourrait lui-même en faire partie !) sont requis pour terroriser les populations civiles dans les grandes villes d’Ukraine désormais encerclées et privées de ressources en gaz et électricité. Moscou aurait préparé une liste de “personnes à tuer” dans le cadre de la “dénazification” du pouvoir ukrainien, dont le Président ukrainien élu, Volodymyr Zelensky. Rappelons que celui-ci est juif. Pour Poutine il faut abattre ce juif afin de dénazifier… Il n’est pas à une contradiction près.
Les ploutinolâtres expliquent que l’invasion de l’Ukraine est un acte défensif de Poutine qui n’avait pas d’autres solutions pour se défendre contre les agressions des USA et de ‘l’OTAN. La notion d’« invasion défensive » est le produit d’esprits féconds en invraisemblables inventions. Nous savons qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais d’« invasion défensive ».
A ceux qui sont à la recherche d’une alternative à l’invasion, il faut dire que c’était très simple : il fallait que chacun reste chez soi. Ils s’écrient : « Mais c’était impossible, face à tant d’agressivité des USA/OTAN, il fallait bien que Poutine se défendent puisque les américains voulaient installer des armes atomiques à deux pas de la Russie. Rappelez-vous l’affaire des fusées de Cuba ! » Mais, Poutine installe des armes atomiques à deux pas de l’Europe notamment en Biélorussie, en Crimée et en Russie même. Personne n’a songé pour autant, qu’à titre défensif, il fallait envahir quoi que ce soit. L’invasion de l’Ukraine est évidemment une agression.
Si, par malheur, nous devions arriver à une guerre nucléaire, d’où viendraient les bombes qui vont raser Paris ? Quelles sont les fusées qui sont les plus dangereuses pour nous ? Est-ce que le danger que nous subissons justifierait que nous nous lancions dans une action guerrière qui ne pourrait qu’envenimer les choses ? Il me semble que c’est le raisonnement de ceux qui cautionnent l’invasion de l’Ukraine.
Même ceux qui ont l’habitude de faire référence au droit international ne peuvent pas justifier cela. Rappelons d’ailleurs qu’en plus de toutes les règles habituelles, cette invasion contrevient au Traité de Budapest, signé en 1994. Ce Traité signé par la Russie, les USA et le Royaume-Uni, stipule, noir sur blanc, que l’intégrité de l’Ukraine serait protégée si le pays acceptait de renoncer à ses armes nucléaires. Ce à quoi le gouvernement ukrainien avait aussitôt consenti.
Ensuite, examinez autant les discours de Poutine que les faits. Il mène une politique impérialiste particulièrement agressive : la Tchétchénie, la Géorgie, la Syrie, le Kazakhstan, la Biélorussie, l’Ukraine agressée deux fois. Cela fait beaucoup et il n’a jamais dit qu’il avait l’intention de s’arrêter puisque, tout au contraire, il claironne qu’il veut reconquérir la Grande-Russie. Dans ces conditions, il faut une bonne dose de mauvaise foi pour affirmer que seuls les américains seraient responsables du conflit.
Les arguments des ploutinolâtres se réduisent à :
- La propagande à sens unique : Ils voient les troupes d’Azov mais ils ne voient ni les commandos Wagner, ni les troupes de Kadyrov. Ils s’abreuvent directement à la source avec la propagande de la presse à Poutine.
- Les généralisations abusives : Puisque les troupes d’Azov existent c’est que le gouvernement (dirigé par un juif) est néo-nazi. Envahir l’Ukraine c’est lutter contre les néo-nazis. Voici les performances, de l’extrême-droite aux élections en Ukraine : « "Aux élections présidentielles de 2019, le candidat d'extrême droite fait moins de 2%. Aux élections législatives qui suivent, il y a une coalition de groupes d'extrême droite, dont l'émanation politique du bataillon d'Azov, qui fait 2,4%. »
- Les procès d’intention : Si le gouvernement se maintient, l’OTAN va mettre des fusées avec des bombes atomiques. Il faut envahir préventivement.
- Les falsifications : Dans le conflit au Donbass les forces ukrainiennes ont massacré 14 000 civils. Nous connaissons exactement la réalité à ce sujet (Rapport du HCDH -Voir aussi le chapitre « D’où vient le chiffre des 13 000 victimes ? » dans cet article).
- La métaphore remplaçant la réalité : Les américains ont envahi lors "du Maïdan" en 2014 (avec leurs chars !). Ce sont eux qui ont agressé les premiers !
- En bref : la mauvaise foi sous toutes les formes possibles et imaginables.
Le ménage ayant été fait nous pouvons maintenant aborder sereinement la question de la situation hors de toute considération propagandiste.
Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les USA ont pris la place occupée auparavant par les grandes puissances européennes. Celles-ci, avec principalement l’Angleterre, tiraient leur puissance de leurs vastes empires coloniaux. A partir de la libération, ce sont les USA, vainqueurs avec la Russie de la guerre, qui vont dominer l’économie mondiale et s’équiper en armement avec le plus gros budget militaire du monde. Ils vont s’imposer sur tous les autres continents avec des méthodes variées. En Europe, ce sera le plan Marshall, puis la CECA et la CEE suivie de l’UE… Ils imposent maintenant leur volonté aux 27 pays de l’UE. Ils s’imposent militairement avec l’OTAN qui faisait face jusqu’en 1989 aux troupes du pacte de Varsovie. Pendant toute la guerre froide les deux puissances vivaient sur le délicat équilibre de la menace d’attaques nucléaires venant des deux côtés. L’équilibre semble fragilisé par la chute du mur de Berlin en 1989 puis la dislocation de l’URSS en 1991. Depuis, l'OTAN, n'a cessé de s'élargir aux pays de l'Europe de l’Est qui sont désormais sous domination américaine avec de multiples intégrations à l’UE. A sa création en 1949, l'OTAN ne comptait que 12 membres. Aujourd'hui elle en regroupe 30 dont 14 pays qui étaient membres du Pacte de Varsovie.
En tant que puissance dominatrice, les USA deviennent, à partir de la Libération, les champions de la lutte contre-révolutionnaire pour le compte du capitalisme mondial. La lutte des classes ne connait pas de répit et partout les travailleurs pour se défendre sont amenés à se mobiliser et à ébranler dans de multiples pays les bourgeoisies nationales. Régulièrement, les USA interviennent pour briser des révolutions et installer des dictateurs. Ce fut le cas notamment avec Augusto Pinochet au Chili, Jorge Rafael Videla en Argentine, Soeharto en Indonésie, Hosni Moubarak en Egypte… Mais les USA connaissent aussi des échecs en Chine (1949), à Cuba (1959), au Vietnam (1975), en Iran (1979), en Egypte avec la démission de Moubarak (2011), en Afghanistan (2021). Ils imposent des blocus économiques aux pays qui exproprient le capital mais, à l’évidence, ils ne font pas ce qu’ils veulent.
La situation internationale évolue et les stratégies de domination des USA aussi. Actuellement la Chine vient menaçait la domination économique des USA en se gardant d’adopter une attitude agressive. La politique des dirigeants des USA doit s’adapter à la situation dans divers autres pays mais aussi en fonction de la politique intérieure américaine. Ainsi, les protestations contre la guerre du Vietnam aux USA ont été un facteur important de la défaite américaine. Les attentats du 11 septembre 2001 ont grandement contribué à la mise en œuvre de la politique agressive de la « global war ». Au gré de ces évènements différentes factions de la bourgeoisie américaine l’emportent plus ou moins dans les prises de décisions. C’est en application de cette politique de la « global war » que les USA ont lancé la grosse cavalerie de l’invasion de l’Afghanistan à la fin de 2001 puis de l’Irak le 20 mars 2003 avec par la suite les événements en Lybie…
Mais, les USA opèrent un tournant à partir de l’élection d’Obama en 2009. La politique menée en Afghanistan et en Irak est un échec en ce sens qu’il s’avère impossible dans ces pays de mettre en place un gouvernement qui serait reconnu et respecté par la population tout en étant aux bottes des américains. Les forces américaines n’ont donc pas réussi à s’imposer dans cette région autour de l’Iran. La révolution iranienne, confisquée par les ayatollahs, reste leur principal ennemi dans cette région tandis qu’ils doivent défendre l’enclave israélienne qu’ils ont contribué à mettre en place pour favoriser ensuite son peuplement par des juifs venus de divers pays. Les dirigeants américains doivent, pour continuer leur politique, faire face aux exigences de la politique intérieure. Les occupations militaires sont maintenant impopulaires en Amérique. Obama avait promis de supprimer le sinistre camp de Guantanamo mais il n’a pas réussi à le faire. Les photos qui montrent les exactions des américains dans la prison d’Abou sont insupportables... Les dirigeants américains vivent sous la menace constante qu’un nouveau scandale éclate à propos du comportement de la soldatesque au proche orient. Les USA entrent donc dans une politique de désengagement sur cette région. Pendant tout le printemps arabe, ils évitent d’intervenir directement. Quand le conflit éclate en Syrie, ils n’ont nullement l’intention d’envahir ce pays contrairement à ce que beaucoup ont imaginé. La priorité est que la révolution Syrienne soit écrasée quels que soient les moyens utilisés. Hors, c’est le moment où Poutine apparaît sur la scène internationale.
Poutine a d’abord assis son autorité en Russie. Il a fait fortune en profitant de l’éparpillement des immenses richesses qui étaient auparavant sous le contrôle de l’Etat. Comme d’autres gangsters, il s’en est accaparé une partie pendant les « années noires ». Il s’est imposé ensuite comme homme politique puis comme dictateur à la tête de la Russie. Il a fait sauter toutes les dernières règles démocratiques qui lui interdisaient de rester au pouvoir. Puis, il a guerroyé en Tchétchénie et en Géorgie. Il s’est alors aussi imposé comme un chef militaire et nous avons vu qu’il ambitionne de reconquérir la Grande-Russie. Le conflit Syrien lui donne l’occasion de s’imposer sur la scène internationale puisqu’il prête main forte à Bachar el Assad et lui donne la possibilité d’écraser la révolution syrienne. Il détruit littéralement la Ghouta (banlieue de Damas) et la ville d’Alep en reproduisant la stratégie qu’il avait adopté pour détruire Grozny en Tchétchénie. Il devient ainsi à la fois allié et concurrent des USA dans la lutte contre-révolutionnaire. Il est candidat pour écraser les rebellions et les révolutions au moment où les USA se trouvent en difficulté pour le faire. Il confirme, en janvier 1922, au Kazakhstan ses talents de contre-révolutionnaire alors que l’échec de la politique américaine est particulièrement évident avec leur départ précipité d’Afghanistan en août 1921. L’armée américaine a été ridiculisée. Cela montre que les dirigeants américains ne savent pas se défaire de leur précédente politique d’invasion. Ils ne savent toujours pas comment abandonner totalement leur occupation sur le secteur Irak-Syrie.
Désormais, il est clair que Poutine et les dirigeants américains sont à la tête de deux puissances impérialistes en concurrence. Poutine se montre particulièrement agressif mais les américains aussi puisqu’ils cherchent toujours à étendre leur influence vers l’Est en Europe depuis le démantèlement de l’URSS.
Au-delà de ces réalités, il faut voir que la crise ukrainienne s’inscrit dans une crise plus générale du capitalisme qui est à bout de souffle. La recherche perpétuelle du profit ne peut pas perdurer car les marchés ne sont pas extensibles à l’infini. Le capitalisme ne survit qu’en engendrant de plus en plus de malheurs. La crise au Proche-Orient (Irak, Afghanistan, Syrie...) avec en plus la Libye a coûté des sommes faramineuses aux USA c’est-à-dire, en dernier ressort, du travail humain, pour aboutir à de monstrueuses catastrophes humanitaires. C’est cela la réalité du capitalisme actuellement. L’alternative « Socialisme ou Barbarie » devient de plus en plus évidente au moment où nous sommes menacés à la fois par la guerre nucléaire et par des épidémies incontrôlables dans le cadre du capitalisme. Il n’y a d’issue positive possible que dans le combat internationaliste pour le socialisme. Les forces qu’il faut mobiliser dans ce conflit sont les oppositions à Poutine en Russie même qui apparaissent de plus en plus clairement autant que les oppositions aux dirigeants des USA/OTAN dans tous les pays y compris en Amérique. La mobilisation du peuple ukrainien qui veut se défendre au-delà des divergences interne est aussi un signe positif. L’armement de la population et son auto-organisation sont déjà ressentis comme des dangers par tous les puissants. Ce n’est plus de la défense du gouvernement ukrainien qu’il s’agit et surtout pas, comme voudrait le faire croire Poutine, de la défense de groupes néo-nazis qui existent malheureusement bien mais qui sont très loin d’avoir l’importance que veulent leur donner les poutiniens de tout poil. La mobilisation, dans tous les pays du monde, tant en solidarité contre l’agression de Poutine que sur les revendications propres à chaque peuple porte en elle l’espoir d’une société meilleure.
Je ne veux pas revenir sur les détails du déclenchement du conflit. Je voulais principalement montrer que nous sommes bien en présence de deux puissances impérialistes contrairement à ce qu’expliquent la plupart des poutinolâtres qui considèrent que seuls les USA ont une politique impérialiste. Pour ceux qui veulent aller plus loin je conseille la vidéo intitulée « Ukraine : les oligarques et vendeurs d’armes derrière la guerre » non pas pour les analyses politiques qui y sont déployées mais pour la quantité d’informations éparses qu'elle apporte. Vous y trouverez notamment des précisions sur la réalité des rapports de forces militaires dans le monde, sur le pouvoir du lobby de l’armement aux USA, sur le « système Poutine » dont les véritables ministres sont les 60 autres oligarques près à le dévorer alors qu’à 70 ans, avec sa maladie (probablement une sclérose en plaques), il sent sa fin proche politiquement et physiquement… Je m’en tiens là.
Les internationalistes qui s’opposent à toutes les formes d’impérialismes disent :
— Troupes et matériel militaire des USA et de l’OTAN : hors d’Europe !
— Troupes russes : hors d’Ukraine !
— Troupes françaises : hors d’Afrique !
— Aucune vente d’armes par la France à l’Arabie Saoudite (guerre au Yémen) !
Les travailleurs et les jeunes qui sont confrontés à des occupations militaires crient toujours le même slogan que ce soit en français, en russe ou en anglais :
Rentrez chez vous ! Damoï ! Go home !
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